JORF n°0304 du 30 décembre 2012

Saisine du

LOI DE FINANCES POUR 2013

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Nous avons l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil constitutionnel le projet de loi de finances pour 2013 adopté par l'Assemblée nationale le 20 décembre 2012, et plus particulièrement les dispositions des articles 3 à 10 et des articles 36 bis, 56 et 64 bis.
Ce projet de loi qui est déféré à la censure du Conseil constitutionnel est contraire aux principes constitutionnels du droit français.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs suivants :
Article 3 :
Ce dispositif instaure une tranche supplémentaire au barème de l'IR au taux de 45 % pour la fraction des revenus qui excède 150 000 EUR par part de quotient familial. Cette mesure a un double objectif de renforcement de la progressivité du barème de l'IR, d'une part, et de contribution au redressement des finances publiques, d'autre part.
Mais son application à une catégorie particulière de revenus est contraire à la Constitution. En effet, en application de l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, les rentes versées dans le cadre des régimes de retraites d'entreprise, dites « retraites chapeau », sont par ailleurs soumises à une contribution à la charge du bénéficiaire dont le taux est compris entre 7 % pour les montants compris entre 400 EUR et 600 EUR par mois, 14 % pour ceux compris entre 600 EUR et 24 000 EUR et 21 % pour leur montant au-delà de 24 000 EUR (taux introduit par l'article 28 de la loi n° 2011-1987 du 28 décembre 2011).
La décision n° 2011-180 QPC du 13 octobre 2011, rendue sur le prélèvement instauré par l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, a certes confirmé la validité de cette contribution :
« Considérant qu'en fondant le prélèvement sur le montant des rentes versées, le législateur a choisi un critère objectif et rationnel en fonction de l'objectif de solidarité qu'il vise ; que, pour tenir compte des facultés contributives du bénéficiaire, il a prévu un mécanisme d'exonération et d'abattement, institué plusieurs tranches et fixé un taux maximal de 14 % ; que, par suite, les dispositions contestées, dont les effets de seuil ne sont pas excessifs, ne créent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » ; mais cette décision, qui ne statue que sur le taux de 14 %, est antérieure à l'article 28 de la loi précitée qui a introduit la tranche supplémentaire au taux de 21 %.
Or il résulte de la combinaison de cette tranche supplémentaire de 21 % et de la nouvelle tranche marginale d'impôt sur le revenu instituée par l'article 3 que les contribuables bénéficiaires des rentes en cause seront désormais imposés à un prélèvement global de 77,1 % (45 % au titre de l'IR + 21 % de cotisation spécifique sur les retraites chapeau + 7,1 % de prélèvements sociaux + 4 % de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus).
Ces mêmes rentes supportent en outre une contribution additionnelle de 30 % à la charge de l'employeur ou de l'organisme payeur quand leur montant annuel excède 8 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (soit 296 000 €). L'imposition totale du revenu, à la charge de l'entreprise et du bénéficiaire, est donc supérieure au montant du revenu lui-même puisqu'elle atteint 108 %.
Or le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion d'invalider un taux d'imposition globale bien inférieur : selon la juridiction suprême, un taux de prélèvement de 50 % pour des revenus excédant 2,5 fois le SMIC, en dépit d'une majoration de ce plafond par personne à charge, constitue en effet une rupture caractérisée d'égalité devant les charges publiques (décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986) : « si le principe ainsi énoncé (à l'article XIII de la Déclaration) n'interdit pas au législateur de mettre à la charge d'une ou plusieurs catégories socioprofessionnelles déterminées une certaine aide à une ou à plusieurs autres catégories socioprofessionnelles, il s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens ».
Cette rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques devrait amener le Conseil à réexaminer la conformité de la contribution instaurée par l'article L. 137-11-1 précité. En effet, le Conseil constitutionnel considère que, dès lors qu'une disposition légale modifie, complète ou change le champ d'application d'une disposition législative en vigueur, cette dernière peut de nouveau être soumise à l'examen du juge constitutionnel. La décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985 indique en effet que « la régularité au regard de la Constitution des termes d'une loi promulguée peut être utilement contestée à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ». Cette décision a trouvé une première application par la décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999 et une application plus récente dans la décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012.
Ainsi en est-il de l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale qui doit désormais être déclaré contraire à la Constitution, par application de l'article 83, 2°, 0 quater du code général des impôts qui vise cet article, en ce qu'il aboutit à un taux de prélèvement confiscatoire, ce qui est contraire au respect des capacités contributives des contribuables et, partant, au principe d'égalité ainsi qu'au droit de propriété. L'article contesté, qui n'est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels, ne prend pas ainsi en charge l'ensemble des facultés contributives au sens où l'entend le Conseil constitutionnel (décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000) et doit conduire à ce titre à l'inconstitutionnalité de cet article.
Article 4 :

  1. L'article 4 du projet de loi de finances pour 2013 a pour objet d'abaisser le plafond du quotient familial de 2 336 € à 2 000 €.
    Un plafond a été instauré en 1982 pour le quotient familial enfants mais non pour le quotient conjugal. Ce plafond était limité aux très hauts revenus, équivalents à plus de 150 000 EUR pour un couple avec deux enfants. Il ne touchait, alors, que 2,4 % des contribuables.
    Le plafond fut abaissé de 33 % en 1999 pour concerner 885 000 contribuables, soit 6 % des foyers fiscaux. Le motif invoqué pour cette baisse était d'offrir une contrepartie au rétablissement de l'universalité des allocations familiales.
    Mais, deux ans plus tard, la loi de finances pour 2001 relevait sensiblement le plafond du quotient au bénéfice, selon le rapporteur du projet, d'un million de contribuables. Selon le ministre des finances de l'époque, M. Laurent Fabius, cette hausse était « œuvre de justice fiscale ». « Le plafond du quotient familial », déclarait-il le 20 septembre 2000, « sera ajusté de telle sorte que l'allégement profite à l'ensemble des familles et soit proportionné à l'importance de leurs charges ».
    Pour justifier la diminution du plafond prévue par l'article 4 du projet de loi de finances pour 2013, le Gouvernement invoque la nécessité « de renforcer la progressivité de l'impôt sur le revenu et son caractère redistributif, dans un contexte de redressement des finances publiques ».
    883 000 foyers fiscaux seront touchés par cette disposition. Le supplément de rentrées fiscales attendu de cette mesure n'est affecté ni à l'augmentation ni au rétablissement d'une prestation familiale ni à une autre aide à la famille.
  2. L'instabilité législative relative au plafond du quotient familial concerne donc un nombre nullement négligeable de foyers fiscaux.
    Elle doit être examinée à la lumière des principes constitutionnels régissant le droit de l'impôt sur le revenu, et en particulier l'article 13 de la DDHC qui dispose que : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
    La progressivité de l'impôt sur le revenu, c'est-à-dire une imposition dont le taux progresse avec l'aisance des contribuables, est un principe général du droit fiscal ainsi qu'il ressort des décisions du Conseil constitutionnel n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, n° 93-320 DC du 21 juin 1993 et n° 97-388 DC du 20 mars 1997.
    Elle se justifie par le fait que l'utilité marginale du revenu d'un contribuable est d'autant plus faible que son revenu est plus élevé, de sorte que l'impôt peut prélever un pourcentage croissant dudit revenu.
    Dans un système progressif, le législateur ne peut se désintéresser des deux éléments qui déterminent la capacité contributive d'un redevable : le total des revenus de son foyer et ses charges de famille.
    M. Alfred Sauvy, dans son ouvrage de référence « Théorie générale de la population » (PUF, 1955), faisait une description parfaitement explicite de cette logique lorsqu'il écrivait : « la progressivité du taux (de l'impôt) se justifie parce que le superflu peut, par définition même, être réduit dans une proportion plus forte que le nécessaire... Un célibataire qui gagne 150 000 F par an a un niveau de vie supérieur à un père de 4 enfants ayant le même revenu. Les imposer également serait frapper également la partie de plaisir du premier et la viande, voire le pain du second. »
    En ce sens, la progressivité des taux selon le niveau de vie de chaque foyer fiscal est nécessaire à l'application correcte, pour des esprits modernes, du principe d'égalité devant les charges publiques posé à l'article 13 de la DDHC, ainsi qu'il ressort des décisions du Conseil constitutionnel précitées.
    Ce principe peut être résumé par la formule : « à niveau de vie égal, taux d'imposition égal ». Le niveau de vie dépend non seulement du revenu du foyer fiscal, mais aussi, et fortement, de la composition de ce foyer selon le nombre et l'âge des individus qui y vivent.
    Les statisticiens utilisent des échelles de consommation pour calculer le niveau de vie des ménages : à chaque composition de ménage correspond un certain nombre d'unités de consommation. Un ménage dont la composition correspond à trois unités de consommation a un niveau de vie égal à celui d'un autre ménage correspondant à une seule unité de consommation si et seulement s'il dispose d'un revenu trois fois plus élevé.
    Le droit fiscal, depuis 1945, a recours à un mode de calcul de l'impôt sur le revenu qui correspond aux calculs des niveaux de vie établis par les statisticiens, le nombre des parts attribué à chaque foyer fiscal, en fonction de sa composition, jouant le rôle des unités de consommation.
    Par exemple, un foyer fiscal composé d'un couple parental et de deux enfants, se voit attribuer 3 parts de quotient familial, c'est-à-dire 3 unités de consommation. Il est imposé au même taux qu'un autre foyer fiscal, composé d'une seule personne gagnant le tiers de son revenu à qui l'on attribue une part de quotient. Si, par exemple, le revenu 2011 de ce couple s'élève à 45 000 €, son niveau de vie est le même que celui d'une personne seule dont le revenu s'élève à 15 000 € : le premier foyer fiscal paye 2 283 EUR d'impôt, le second 761 €, soit trois fois moins, mais le taux d'imposition de ces deux foyers fiscaux est le même (5,1 %) parce que leur capacité contributive par part est identique.
    Cette formule, « à niveau de vie égal, taux d'imposition égal » satisfait ainsi de manière simple et adaptée aux exigences de l'article 13 de la DDHC. L'exposé des motifs de la loi de finances pour 1946 créant les articles 115 à 118 du code général des impôts directs, devenus les articles 197 et suivants du code général des impôts, l'expliquait ainsi : « Modifiant le système, en vue de mieux proportionner l'impôt à la faculté contributive de chaque contribuable, ces articles prévoient que, désormais, le revenu imposable de chaque contribuable sera divisé en un certain nombre de parts fixé suivant la situation de famille de l'intéressé. Chaque part sera, en principe, taxée séparément et le total des taxes ainsi déterminées donnera le montant de l'impôt à verser par le chef de famille. » Dans cette même logique d'appréciation du niveau de vie, le quotient, et donc le système des parts fiscales, est utilisé pour tenir compte de certaines charges résultant de situations particulières telles que l'invalidité ou la monoparentalité, charges susceptibles de diminuer le niveau de vie et la capacité contributive.
  3. Mais, dès 1946, le système des parts a été également utilisé pour procurer un avantage particulier à telle catégorie de contribuables que le législateur entendait favoriser. Il en est ainsi de la demi-part des anciens combattants attribuée à 468 000 contribuables en témoignage de la reconnaissance de la République. Il en est de même de la demi-part que conservent les contribuables isolés qui, dans le passé, ont élevé seuls des enfants mais ne les ont plus à charge, soit 4,2 millions de bénéficiaires.
    Cet usage des parts fiscales, sans lien avec une comparaison des niveaux de vie, a introduit l'idée fausse que le quotient familial serait une « aide à la famille ». Le législateur en est même venu à employer le terme « d'avantage procuré par le quotient familial » ou de « réduction d'impôt », terminologie qui est même employée pour définir le mode de calcul du plafonnement.
    Ces expressions ne sont appropriées que pour les parts attribuées sans lien avec l'appréciation des niveaux de vie. A défaut d'en limiter ainsi l'usage, de telles expressions n'auraient de sens que si l'on estimait qu'à niveau de vie égal les couples avec enfants devraient être imposés à un taux plus élevé que les personnes seules et les couples sans enfants.
    Considérer les effets du quotient familial comme un « avantage » fait aux familles revient à raisonner comme si l'indifférence de l'impôt aux capacités contributives des ménages était le principe, autrement dit, la norme gouvernant l'impôt.
    Dès lors que l'on reconnaît la véritable raison d'être du quotient familial, son plafonnement apparaît comme une anomalie, ainsi que l'indique une note rédigée par la direction générale du Trésor pour le Haut Conseil de la famille en 2011. On peut y lire : « Dans une lecture stricte des principes du quotient familial, le plafonnement de celui-ci est difficile à justifier. »
    Plafonner le quotient familial revient à cesser de prendre en considération la présence d'enfants au foyer fiscal à partir d'un certain niveau de vie par part. Sa seule justification pourrait tenir à une déformation des échelles de niveau de vie en fonction du revenu, s'il s'avérait que dans un ménage le nombre d'unités de consommation attribuable à un enfant décroît si ce ménage est aisé plutôt que moyen ou modeste. Mais les rares études disponibles (Wittwer 1993, Gardes 1999) établissent plutôt l'inverse. Il est, en outre, difficile de justifier que le quotient soit plafonné pour les parts liés aux enfants et non pour celle du conjoint qui peut, à l'instar de l'enfant, ne disposer d'aucun revenu propre.
  4. Comme l'écrivait Jean-Marcel Jeanneney dans le Monde du 9 octobre 1997 : « le système du quotient familial appliqué à l'impôt progressif sur le revenu a été altéré en plafonnant ses effets. On peut l'admettre lorsque le revenu familial est extrêmement élevé, mais seulement dans ce cas, sinon on méconnaît la logique de cet impôt ». Cette réflexion était pertinente lorsque, comme en 1982, le plafonnement ne touchait que 200 000 contribuables.
    Pour des contributions de faible ampleur, le Conseil constitutionnel a jugé, en effet, que l'absence de prise en compte des facultés contributives des redevables ne portait pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques (cf. décision n° 93-320 DC du 21 juin 1993 précitée sur le droit de timbre sur les opérations de Bourse et décision n° 99-424 DC du 29 décembre 1999 sur l'imposition des indemnités de licenciement).
    Mais, dès lors que le plafonnement du quotient familial a pris l'importance qui vient d'être décrite et que la réforme prévue par l'article 4 du projet de loi de finances pour 2013 va toucher plus de 800 000 foyers fiscaux, il faut impérativement que soit respecté le principe fondamental de l'égalité devant les charges publiques posé à l'article 13 de la DDHC.
    Ce texte ne pose pas simplement le principe de l'adaptation de la contribution commune aux facultés des contribuables. Il indique que la contribution doit être « également répartie ». Or le plafonnement introduit une rupture d'égalité caractérisée entre foyers fiscaux ayant le même niveau de vie, donc la même capacité contributive par part.
    L'article 4 conduit, en premier lieu, à une rupture d'égalité caractérisée entre les contribuables sans enfants et ceux qui ont des enfants. Ainsi, par exemple, avec un revenu par part de 25 000 EUR, un célibataire ou un couple sans enfants sera soumis à un taux d'imposition de 8,6 % tandis qu'un couple ayant deux enfants à charge aura un taux de 9,8 %.
    En second lieu, le plafonnement du quotient familial conduit à une rupture d'égalité entre les contribuables avec enfants, selon le nombre d'enfants rattachés au foyer fiscal. Le tableau ci-dessous, établi en utilisant les modalités et coefficients contenus dans le projet de loi de finances pour 2013, l'illustre clairement.

|REVENU
par part|TAUX
d'imposition
du célibataire|TAUX
d'imposition
du couple
sans enfants|TAUX
d'imposition
du couple
avec 1 enfant|TAUX
d'imposition
du couple
avec 2 enfants|TAUX
d'imposition
du couple
avec 3 enfants|TAUX
d'imposition
du couple
avec 4 enfants|TAUX
d'imposition
du couple
avec 5 enfants| |---------------------|--------------------------------------------|----------------------------------------------------------|-----------------------------------------------------------|------------------------------------------------------------|------------------------------------------------------------|------------------------------------------------------------|------------------------------------------------------------| | 16 000 EUR | 5,6 % | 5,6 % | 5,6 % | 5,6 % | 5,6 % | 5,6 % | 5,6 % | | 20 000 EUR | 7,3 % | 7,3 % | 7,3 % | 7,3 % | 7,3 % | 7,3 % | 7,3 % | | 22 000 EUR | 7,9 % | 7,9 % | 7,9 % | 7,9 % | 8,3 % | 9,0 % | 9,4 % | | 23 000 EUR | 8,2 % | 8,2 % | 8,2 % | 8,2 % | 9,2 % | 9,9 % | 10,3 % | | 23 400 EUR | 8,3 % | 8,3 % | 8,3 % | 8,4 % | 9,7 % | 10,2 % | 10,7 % | | 24 000 EUR | 8,4 % | 8,4 % | 8,4 % | 9,0 % | 10,1 % | 10,7 % | 11,2 % | | 25 000 EUR | 8,6 % | 8,6 % | 9,0 % | 9,8 % | 10,9 % | 11,5 % | 11,9 % | | 26 000 EUR | 8,8 % | 8,8 % | 9,8 % | 10,6 % | 11,6 % | 12,2 % | 13,6 % | | 28 000 EUR | 10,1 % | 10,1 % | 11,2 % | 12,0 % | 12,9 % | 13,5 % | 15,6 % | | 32 000 EUR | 12,6 % | 12,6 % | 13,6 % | 14,2 % | 15,1 % | 16,8 % | 18,8 % | | 36 000 EUR | 14,5 % | 14,5 % | 15,4 % | 16,0 % | 16,7 % | 19,5 % | 21,2 % |

Dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a censuré, comme introduisant une rupture d'égalité caractérisée entre les contribuables, des différences de taux d'imposition de cette ampleur : ainsi a été déclarée anticonstitutionnelle la baisse de la CSG sur les bas salaires, parce qu'elle ne tenait pas compte des revenus autres que ceux tirés d'une activité, faisant peser, au même niveau de vie, un taux d'imposition de 7,33 % sur certains contribuables et de 8 % sur d'autres. De même, parce que, ne prenant pas en compte les revenus des autres membres du foyer, elle introduisait un écart de 1 % dans les taux de taxation supportés par des contribuables ayant les mêmes capacités contributives (cf. texte de la saisine par soixante députés).
En l'espèce, en application de l'article 4 du projet de loi de finances, un contribuable disposant d'un niveau de vie de 26 000 EUR par part sera taxé à 8,8 % s'il est célibataire ou marié sans enfants mais à 12,2 % s'il a 4 enfants. En l'absence de plafond, ce foyer devrait 11 504 euros d'impôt sur le revenu. Il en paiera 15 867, soit 37 % de plus.
La justice fiscale, recherchée par le législateur au travers de la hausse de l'impôt sur le revenu prévue par le projet de loi de finances pour 2013, ne doit pas être dénaturée par une rupture caractérisée de l'égalité entre les contribuables telle qu'elle apparaît ainsi.
5. Certains justifient le plafonnement du quotient familial en affirmant que le nombre de parts attribué pour le conjoint ou pour les enfants est, dans certains cas, trop élevé, ce qui avantagerait indûment une partie des contribuables.
Cette critique peut être entendue. Il est admis par les statisticiens que le second adulte d'un couple ne représente pas une unité de consommation mais 0,5 ou 0,7 unité. En 1946, d'ailleurs, le conjoint ne donnait droit qu'à une demi-part de quotient. Il est souvent avancé qu'un enfant de plus de quatorze ans représente davantage que la demi-part qui lui est attribuée. Et si la demi-part supplémentaire pour le troisième enfant vient corriger cette insuffisance, elle peut paraître excessive pour les enfants au-delà, lorsqu'ils sont jeunes.
Les corrections qu'appellerait l'inadéquation du quotient au niveau de vie des ménages ne relèvent pas du plafonnement de celui-ci. Elles concernent l'attribution du nombre de parts. Pour ajuster l'impôt sur le revenu aux capacités contributives réelles des ménages, sans introduire d'inégalité entre eux, il appartient au législateur de corriger, dans le sens qui lui paraîtra équitable, le barème actuel des attributions de parts.
6. La justification de la baisse du plafond prévue à l'article 4 du projet de loi de finances est de contribuer au redressement des finances publiques par une augmentation de la progressivité de l'impôt sur le revenu. Cet objectif peut être obtenu, dans le respect de l'article 13, par un relèvement supplémentaire de certains taux et par des modifications des tranches. Ce sont là les instruments adaptés au but poursuivi.
Mais ce n'est pas l'objet du quotient familial dont la variation est fonction du type de famille, de leur composition, ce qui n'est pas en relation avec le principe de progressivité de l'impôt. L'objectif de la mesure est, selon les travaux préparatoires de la loi contestée, de « minorer le bénéfice tiré du quotient familial de droit commun de façon à renforcer la progressivité de l'impôt ». Mais cette variation est fixée en fonction du type de famille, ce qui n'a pas de rapport direct et objectif avec l'objectif de progressivité de l'impôt. Elle ne correspond pas au caractère objectif et rationnel qui est une exigence constitutionnelle. Elle est donc contraire au principe d'égalité.
Tel n'est pas le cas du plafonnement du quotient familial : il augmente la progressivité pour les seuls foyers fiscaux comportant des enfants, et ce d'autant plus que ces enfants sont nombreux, introduisant ainsi une rupture d'égalité manifeste.
Article 4 quinquies :
L'article 4 quinquies limite à 7 500 € le montant total des dons pouvant être fait par une personne physique aux partis politiques. Les requérants font valoir que le I de cet article, modifiant le premier alinéa de l'article 11-4 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, n'a aucun impact ni budgétaire ni fiscal. Il convient dès lors de le censurer.
Par ailleurs, le II de cet article est dépourvu d'impact en 2013. Au regard de l'article 34 de la LOLF, cette mesure n'a pas par conséquent sa place dans la première partie du présent projet de loi de finances.
En toute hypothèse, cet article porte une atteinte au pluralisme des courants d'idées et d'opinion qui est un fondement de la démocratie, au regard de l'article 4 de la Constitution (cf. décision n° 2012-233 QPC du 21 février 2012).
Article 5 :
L'article 5 du projet de loi de finances pour 2013 prévoit d'imposer les revenus des produits financiers perçus depuis le 1er janvier 2012, selon le barème progressif de l'impôt sur le revenu alors même que le contribuable aurait opté pour leur imposition au prélèvement forfaitaire et libératoire (PFL). Le prélèvement forfaitaire libératoire payé à la source en 2012 s'imputera sur l'impôt sur le revenu.
Dès lors, ce système crée un effet rétroactif de l'imposition nouvelle qui interviendra en 2013, en supprimant le caractère libératoire du PFL. De nombreux contribuables n'auraient pas fait le choix d'opter pour ce prélèvement, pour des raisons de trésorerie évidentes, s'ils avaient su qu'ils n'étaient pas libérés de l'IR pour 2013.
Or, si le Conseil constitutionnel reconnaît la possibilité au législateur d'adopter des dispositions fiscales à caractère rétroactif, il exige que ces mesures soient justifiées par un motif d'intérêt général et qu'elles « ne priv[ent] pas de garantie légale des exigences constitutionnelles (1) ».

(1) Décision n° 86-223 DC du 29 décembre 1986, constamment confirmée depuis.

Votre décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998 marque d'ailleurs un resserrement significatif de la jurisprudence constitutionnelle car un intérêt général « suffisant » est désormais exigé pour justifier la rétroactivité d'une loi fiscale. Ainsi, pour apprécier la constitutionnalité d'une loi fiscale rétroactive, le Conseil constitutionnel apprécie la proportionnalité entre le motif d'intérêt général avancé et la sécurité des situations des contribuables.
« 5. Considérant que le principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'en matière répressive ; que, néanmoins, si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ;
« 6. Considérant que la disposition critiquée aurait pour conséquence de majorer, pour un nombre significatif d'entreprises, une contribution qui n'était due qu'au titre de l'exercice 1995 et a été recouvrée au cours de l'exercice 1996 ;
« 7. Considérant que le souci de prévenir les conséquences financières d'une décision de justice censurant le mode de calcul de l'assiette de la contribution en cause ne constituait pas un motif d'intérêt général suffisant pour modifier rétroactivement l'assiette, le taux et les modalités de versement d'une imposition, alors que celle-ci avait un caractère exceptionnel, qu'elle a été recouvrée depuis deux ans et qu'il est loisible au législateur de prendre des mesures non rétroactives de nature à remédier auxdites conséquences ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres griefs, l'article 10 doit être déclaré contraire à la Constitution. »
Votre Conseil admet ainsi des mesures comprenant une « petite rétroactivité », c'est-à-dire une modification du régime fiscal concernant des opérations déjà réalisées mais qui n'ont pas encore été soumises à l'impôt, dès lors qu'il existe un lien de proportionnalité entre l'intensité de la rétroactivité et l'éminence du but poursuivi.
Enfin, le Conseil et les juridictions vérifient que cette rétroactivité ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique et de confiance légitime en remettant en cause des droits que les contribuables pouvaient, en application du droit positif, considérer comme acquis.
Dans son arrêt du 9 mai 2012, en s'appuyant sur l'article 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, le Conseil d'Etat a ainsi considéré qu'une entreprise est fondée à demander le bénéfice d'un crédit d'impôt rétroactivement supprimé dès lors que :
― lors de sa création, le bénéfice du crédit d'impôt a été fixé pour trois ans et qu'on est légitimement en droit « d'espérer son application sur l'ensemble de la période prévue, contrairement à d'autres mesures fiscales adoptées sans durée » ;
― à la date de réalisation de l'opération donnant droit au crédit d'impôt, aucun élément ne permettait d'envisager une remise en cause de ce système (ni déclaration publique d'un ministre ni rapport parlementaire en recommandant la suppression).
Mais avant qu'il soit nécessaire de s'interroger sur le respect des conditions subordonnant la constitutionnalité de la « petite rétroactivité », encore faudrait-il être en présence d'une « petite rétroactivité » telle qu'admise par votre jurisprudence. Le sommes-nous réellement compte tenu du caractère irrévocable du choix du contribuable pour le prélèvement reconnu par le Conseil d'Etat ?
Le Conseil d'Etat a en effet été saisi d'une QPC relative au prélèvement forfaitaire libératoire de l'article 117 quater du code général des impôts et au caractère irrévocable du choix qu'il implique.
Le Conseil d'Etat a notamment validé le caractère irrévocable de l'option pour la taxation au prélèvement forfaitaire eu égard à la nature de prélèvement à la source de ce prélèvement.
« Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l'article 117 quater du CGI permettent aux contribuables d'opter pour l'imposition des revenus de capitaux mobiliers à un taux forfaitaire, égal à 18 % au titre de l'année 2008, libératoire de l'impôt sur le revenu ; que, si l'option pour ce prélèvement forfaitaire libératoire peut, dans certains cas, conduire le contribuable à supporter au titre des revenus concernés une imposition plus élevée que celle qui aurait résulté de l'application du barème progressif de l'impôt sur le revenu, la différence de traitement qui en découle résulte uniquement du choix opéré par le contribuable lui-même entre les deux modalités d'imposition qui s'offrent à lui ; que, si les dispositions de l'article 117 quater précisent que l'option pour le prélèvement forfaitaire libératoire est irrévocable pour rencaissement auquel elle s'applique, cette règle, qui ne fait pas obstacle à ce que le contribuable opte pour l'imposition au barème progressif au titre de revenus de même nature perçus la même année, n'est pas, par elle-même, de nature à créer une rupture d'égalité entre contribuables ; que le caractère irrévocable du choix se justifie par la nature de prélèvement à la source du prélèvement forfaitaire libératoire, laquelle implique que le contribuable se soit déterminé à la date d'encaissement des revenus ; que, par suite, les dispositions de l'article 117 quater du CGI ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques. » Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée (Conseil d'Etat QPC du 28 mars 2012 n° 356227, 9e et 10e sous-sections.)
Ainsi, dès lors que le contribuable opte pour le prélèvement, il choisit de faire l'objet d'un prélèvement à la source qui, selon l'article 117 quater, « libère les revenus auxquels il s'applique de l'impôt sur le revenu ».
Il ne s'agit plus d'une « petite rétroactivité » s'appliquant jusqu'ici valablement à l'impôt sur le revenu mais d'une vraie rétroactivité s'appliquant à un prélèvement à la source dont le fait générateur qui est l'encaissement du revenu est antérieur à la loi.
Ainsi, en prévoyant que les revenus correspondant aux dividendes et intérêts de l'ensemble de l'année 2012, quelle que soit la date à laquelle ces revenus ont été perçus, seront soumis au barème de façon rétroactive, l'article 5 du PLF n'est pas conforme au principe de la « petite rétroactivité » puisque les revenus pour lesquels le contribuable a opté pour le prélèvement libératoire ont été, de par la loi en vigueur lors de cette option, définitivement sortis de l'assiette de l'impôt.
La suppression rétroactive d'un prélèvement dont il est clairement indiqué dans la loi qu'il libère de l'impôt sur le revenu est une atteinte aux principes susmentionnés et aucun motif d'intérêt général suffisant n'est avancé pour justifier une telle remise en cause d'une situation acquise.
L'application de l'article 5 de la loi déférée qui transforme un prélèvement libératoire en acompte constitue une atteinte aux biens au sens de l'article 1er de la CEDH. Il porte ainsi atteinte au droit de propriété tel qu'il est protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ainsi qu'à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Constitution. Il convient dès lors de le censurer.
Articles 5, 6 et 7 :
Les revenus du patrimoine et de placement subissent un taux de CSG (8,2 %) supérieur à celui applicable aux revenus d'activité (7,5 %). Pour tenir compte de ce différentiel de niveau de taxation, la part de CSG déductible des revenus du patrimoine (5,8 %) était, jusqu'à présent, supérieure à celle susceptible d'être déduite des revenus d'activité (5,1 %).

  1. En uniformisant à 5,1 % le taux de CSG déductible, le 2° du G du I de l'article 5 crée une rupture d'égalité entre revenus au regard d'une même imposition, à savoir l'impôt sur le revenu.
    En effet, il est certes possible d'avoir des taux différents de CSG par catégorie de revenus, mais il faut que cette différence d'imposition soit « neutralisée » de façon identique à l'égard de l'impôt sur le revenu.
    Or, le 2° du G du I de l'article 5 crée une différence de traitement qui n'est pas justifiée dès lors que tous les revenus (sauf les plus-values immobilières) sont désormais imposés au barème progressif de l'impôt sur le revenu.
    Dans le considérant 31 de votre décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, votre Conseil a relevé que la mesure du projet de loi de finances pour 1998 qui augmentait de la même façon la CSG déductible concernant les revenus du capital et les revenus d'activité « n'a ni pour objet, ni pour effet de traiter les revenus et produits du patrimoine différemment des autres revenus au regard de la déductibilité de la contribution sociale généralisée ; qu'en effet, ces revenus et produits, dans leur ensemble, bénéficient de cette déductibilité dès lors qu'ils sont soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu ».
    A contrario, avec l'article 5 du PLF 2013, des revenus soumis à la CSG à des taux différents bénéficient d'un même taux de déductibilité et ne sont donc pas traités de la même façon. Dès lors, il n'est pas possible de s'exonérer de l'inconstitutionnalité résultant de cette différence de traitement en estimant, comme le ministre en séance le 13 décembre, que d'autres impositions touchent spécifiquement les seuls revenus du capital, de sorte qu'il y a déjà une différence de traitement au regard de la déductibilité.
    En effet, le législateur peut très bien décider de choisir quel impôt il rend déductible de l'impôt sur le revenu, et il peut très bien ne pas rendre déductible de l'impôt sur le revenu un impôt qui pèse sur la même catégorie de revenus qu'un autre impôt, au regard de la finalité de chaque impôt ; mais lorsque le législateur a décidé de rendre déductible un impôt (la CSG) d'un autre (l'IR), il doit le faire de manière à traiter de façon égale au regard de l'IR tous les revenus soumis à la CSG, et donc en compensant à l'IR une éventuelle différence de taux à la CSG ; à défaut, ce qui est le cas de l'article 5 du PLF 2013, l'IR est plus progressif au regard des revenus du capital qui ont subi une imposition plus forte à la CSG que des revenus d'activité.
    Puisque le taux de CSG non déductible n'est plus le même pour tous les revenus, certains revenus (ceux du capital), qui sont plus imposés à la CSG, sont intégrés dans l'assiette de l'IR dans une proportion plus importante que les revenus d'activité, et subissent donc dans une proportion plus importante la progressivité du barème de l'impôt sur le revenu qui apprécie de manière globale et indifférenciée l'ensemble des revenus ; les capacités contributives des contribuables ne sont donc pas appréciées de manière juste, mais avec une rupture d'égalité entre catégories de revenus.
  2. D'autre part, les requérants considèrent que la rupture d'égalité est liée au différentiel de taux de CSG et de prélèvements sociaux applicables aux revenus du patrimoine et de placement, d'une part (15,5 %), et aux revenus d'activité, d'autre part (8 %).
    Les requérants font également valoir qu'il existe une différence d'assiette, les revenus d'activité étant imposés pour 98,25 % de leur montant et les plus-values, dividendes et intérêts pour la totalité de leur montant.
    Pour ces deux raisons, les articles 5 et 6, qui ont pour objet d'aligner la fiscalité du capital sur celle du travail induisent une rupture d'égalité au regard des prélèvements sociaux si bien que, in fine, la loi va au-delà de l'objectif recherché.
    En effet, l'objectif affiché est d'aligner le niveau d'imposition des revenus du capital sur celui du travail. Or, la somme des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les revenus du capital conduit à une surimposition de ces revenus. La comparaison ― sur la base des taux marginaux ― donne les résultats suivants [1] :
    ― traitements et salaires : 57,85 % (45 % + 4 % + 8,85 %)
    ― plus-values mobilières : 64,5 % [2] (45 % + 4 % + 15,5 %)
    ― intérêts : 64,5 % (45 % + 4 % + 15,5 %)
    ― plus-values immobilières : 34,5 % (19 % + 15,5 %), voire exonération (résidence principale, détention > trente ans, certains cas de remploi).

[1] Sans prise en compte de l'effet de la CSG déductible qui serait identique quel que soit le revenu et de l'effet de l'ISF. [2] Cession avant le délai de deux ans.

Article 6 :
L'article 6 prévoit l'imposition au barème de l'impôt sur le revenu des gains de cession des valeurs mobilières et de droits sociaux des particuliers.

  1. Or, une plus-value n'est pas un revenu régulier, mais le résultat d'une cession qui se traduit par une diminution du capital disponible pour le contribuable ; il y a donc une différence de situation entre les revenus courants du capital, qui peuvent être imposés au barème comme les revenus courants d'activité, et les revenus exceptionnels du capital, dégagés à l'occasion d'une cession de titres de société, par exemple.
    En supprimant un mode d'imposition aujourd'hui distinct entre ces deux catégories de revenus, le législateur crée une rupture d'égalité en ne tenant pas compte des capacités contributives des contribuables ; le caractère exceptionnel de la réalisation d'une plus-value n'est donc pas appréhendé spécifiquement, alors que le code général des impôts prévoit des modalités spécifiques de taxation des revenus exceptionnels.
  2. D'autre part, les requérants font valoir qu'en portant de 19 % à 24 % le taux du prélèvement forfaitaire libératoire (optionnel) transformé en un acompte devenu obligatoire pour les plus-values de cession de valeurs mobilières en 2012, cette disposition n'entre pas dans le champ de la « petite rétroactivité » admise par votre Conseil. En effet, même s'il s'agit d'un taux forfaitaire, sa majoration a posteriori crée une difficulté car la plus-value n'est généralement plus disponible pour acquitter le supplément d'impôt dans la mesure où elle est fréquemment réemployée et réinvestie immédiatement après la date de cession.
    Les requérants font également valoir que l'intelligibilité des modalités d'application de la transformation de l'actuel prélèvement libératoire (optionnel) en un acompte qui devient obligatoire est également mise à mal par les déclarations du ministre qui, lors de la deuxième séance du vendredi 19 octobre 2012, n'a eu de cesse d'évoquer le caractère « libératoire » du prélèvement forfaitaire (2).

(2) M. Jérôme Cahuzac : « Nous avons décidé de maintenir cette espérance : par conséquent, les chefs d'entreprises qui étaient jusqu'alors soumis à un prélèvement forfaitaire libératoire de 19 % le seront à un prélèvement forfaitaire libératoire majoré de 5 points. »

  1. Enfin, cet article aménage néanmoins un certain nombre de dérogations à cette règle, prévoyant l'application d'un prélèvement libératoire au taux de 19 % hors prélèvements sociaux, sous réserve de la satisfaction d'un nombre élevé de conditions cumulatives. C'est également l'extrême complexité de ce mécanisme de conditionnalité que dénoncent les requérants.
    Plus particulièrement, dans le cas de cession de titres d'une société qui a subi une restructuration (fusion, scission, apport partiel d'actifs, apport ou acquisition d'un fonds de commerce...), le contribuable se trouve dans l'incapacité de savoir si les conditions d'exercice d'une activité professionnelle dans la société depuis au moins dix ans ou celle de détention des titres pendant cinq ans sont remplies.
    Au-delà de cette situation particulière, cet article prévoit, pour bénéficier de la dérogation au droit commun, 9 hypothèses différentes d'imposition des plus-values de cession d'actions, dont 7 concernant les seuls entrepreneurs, sans compter quelques variantes additionnelles nées de dispositifs particuliers existant antérieurement. Il crée ainsi des inégalités flagrantes entre actionnaires, qui ne reposent pas sur des critères à la fois objectifs et rationnels, ainsi que des rigidités sans aucune justification économique :
    ― il exclut les salariés actionnaires de mesures présentées comme favorables ;
    ― il instaure une différence de traitement fiscal en fonction de seuils ou de durées de détention, de situations ou de liens entre l'entrepreneur et ses cofinanceurs, instaurant une véritable iniquité entre investisseurs ;
    ― il exclut sans aucune justification les secteurs financier et immobilier.
    Les requérants font valoir l'extrême inintelligibilité de cet article ainsi que sa profonde singularité au regard du droit existant chez nos partenaires européens. Le schéma ci-après en est l'illustration :

Vous pouvez consulter le tableau dans le
JOn° 304 du 30/12/2012 texte numéro 5

Article 7 :
L'article 7 du projet de loi de finances pour 2013 a pour objet de réformer le régime d'imposition des gains afférents à la levée d'options de souscription ou d'achat d'actions (ci-après dénommés gains de stock-options, codifiés aux articles L. 225-177 et suivants du code de commerce) et des gains d'acquisition afférents à des attributions gratuites d'actions (codifiés aux articles L. 225-197-1 à L. 225-197-3 du même code). Il s'inscrit, comme les articles 5 et 6, dans la transposition de la promesse électorale de traiter les revenus du patrimoine comme les revenus du travail, en taxant au barème progressif de l'impôt sur le revenu (IR) « les gains de nature salariale constatés en matière d'actionnariat salarié » (3).

(3) Exposé des motifs de l'article 7 du projet de loi de finances pour 2013 délibéré en conseil des ministres le 28 septembre 2012.

Or, les modalités mises en œuvre ne permettent pas d'atteindre cet objectif et créent de ce fait une discrimination entre les rémunérations immédiatement perçues et les rémunérations différées et aléatoires, contraire au principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant les charges publiques. Au surplus, le prélèvement global supporté par ces gains entrave la liberté et porte atteinte au droit de propriété.
Dans le droit actuel, les gains afférents à ces instruments font l'objet d'aménagements particuliers au plan fiscal ― notamment au travers de taux forfaitaires ― et social afin de tenir compte, d'une part, du fait que ces dispositifs ont pour objet de fidéliser les collaborateurs (ce qui implique une perception décalée dans le temps) et, d'autre part, que le gain est aléatoire, étant susceptible dans certains cas de ne jamais se concrétiser. Pour l'avenir (4), les taux d'imposition forfaitaires sont supprimés : les gains seront désormais soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu, à la contribution sur les hauts revenus de 3 % ou 4 %, à la CSG-CRDS au taux de 8 % et à la contribution sociale spécifique de l'article L. 137-14 du code de la sécurité sociale ― largement remaniée par le présent article 7 ― au taux de 17,5 % ou de 22,5 % selon la période au cours de laquelle les gains sont réalisés. Il en résultera un taux global de prélèvements de 74,5 % ou 79,5 %.

(4) A savoir pour les gains afférents à des plans de stock-options ou d'attributions gratuites d'actions attribués à compter du 28 septembre 2012.

Il convient de rappeler brièvement le mécanisme de réalisation de ces gains et les besoins auxquels ils répondent. Ces régimes sont fondés sur l'espérance du gain lié à la valorisation de l'entreprise en cas de réussite du projet commun. Cet espoir de gain comporte en lui-même un aléa puisqu'il est susceptible de n'être jamais réalisé par ceux auxquels il a été promis. Dans leur philosophie même, ces dispositifs permettent un partage de la valeur de l'entreprise entre les actionnaires, qui consentent un effort en diluant leur participation au capital social, et les collaborateurs de la société. Ils permettent également à des sociétés, notamment celles constituées récemment et ne disposant pas de la trésorerie suffisante pour rémunérer leurs collaborateurs aux niveaux souhaités, de leur offrir l'espoir d'un gain futur en cas de réussite, sans affecter dans l'immédiat la trésorerie de l'entreprise.
Dans le cas des options d'achat ou de souscription d'actions, la société permet à ses salariés ou dirigeants de souscrire ou d'acheter à une date future les actions à une valeur déterminée au jour de l'attribution. Si, à l'issue d'une période d'indisponibilité le prix de l'action est supérieur à la valeur de l'action à la date à laquelle l'option a été attribuée, le bénéficiaire tire un gain égal à cette différence. Si, dans l'intervalle, la valeur de l'action n'a pas progressé, et nombreux sont les exemples en la matière, le bénéficiaire ne retire aucun gain. Les sociétés conditionnent par ailleurs fréquemment l'exercice des options à la réalisation de conditions de performance à satisfaire sur une période de plusieurs années consécutives, ce qui renforce encore l'aléa.
En application des dispositions du code de commerce, les sociétés par actions peuvent également procéder à des attributions gratuites d'actions au profit de tout ou partie de leur personnel. Ces attributions, également appelées actions de performance lorsque les entreprises en conditionnent le bénéfice à la réalisation de performance spécifiquement identifiées, permettent également d'associer les collaborateurs au succès de l'entreprise.
Le nouveau régime d'imposition emporte des critiques constitutionnelles dans la mesure où, contrairement à l'objectif qu'il indique poursuivre d'aligner la fiscalité du capital sur celle du travail, il génère une rupture d'égalité entre les différents revenus pour des contribuables ayant la même capacité contributive, qui n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général.
Alors que les nouvelles dispositions du code général des impôts (articles 80 bis et 80 quaterdecies) disposent désormais que les gains afférents à des plans de stock-options et les avantages correspondant à la valeur des actions attribuées gratuitement sont « imposés dans la catégorie des traitements et salaires », la comparaison du prélèvement global pesant sur les bénéficiaires de ces plans avec ceux affectant les traitements et salaires montre que l'objectif d'égalité de traitement de ces gains avec les rémunérations n'est pas atteint.
En effet, les prélèvements sociaux supportés par les bénéficiaires des plans attribués postérieurement au 28 septembre 2012 seront toujours supérieurs à ceux grevant le salaire en cas de perception immédiate du gain : les gains afférents aux stocks-options supporteront un prélèvement de 22,5 % à comparer à un taux compris entre 19,3 % pour les salaires inférieurs à un plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), 18,95 % pour les salaires inférieurs à 4 PASS, 16,68 % pour les salaires inférieurs à 8 PASS et 8,85 % pour ceux qui excèdent 8 PASS. Pour les salaires excédant 8 PASS, l'écart de prélèvement (+ 13,65 points pour un gain différé et aléatoire) est donc considérable.
Les prélèvements sociaux applicables aux gains d'acquisition resteront supérieurs à ceux applicables aux salaires supérieurs à 4 PASS lorsque le salarié aura respecté un délai de quatre ans à compter de l'attribution du plan : en d'autres termes, le salarié qui aura attendu quatre ans pour percevoir un revenu incertain subira nécessairement des prélèvements sociaux supérieurs à celui ayant perçu immédiatement en argent un montant équivalent.
La rupture d'égalité se manifeste également au regard de la nature des prélèvements supportés par les bénéficiaires : alors que dans le cas des rémunérations les cotisations sociales ouvrent droit à des contreparties (notamment indemnisation du chômage et prestations de retraite), la contribution sociale spécifique de l'article L. 137-14 du code de la sécurité sociale ne donne lieu à aucune contrepartie. L'autre différence majeure qui influe sur le montant net du prélèvement supporté par le contribuable réside dans la nature déductible des cotisations sociales, caractère qui n'est pas applicable à la contribution de l'article L. 137-14 précité. Les bénéficiaires d'un plan de stock-options ou d'actions attribuées gratuitement seront donc imposés sur la totalité du gain alors même qu'il n'en auront perçu que 82,5 %, voire 77,5 %.
La mesure évoquée ici, compte tenu des taux de prélèvement qu'elle implique (entre 74,5 % et 79,5 %), porte également atteinte au principe garanti par l'article 17 de la DDHC qui dispose que : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». Cette privation ne trouve par ailleurs pas de justification dans une raison impérieuse d'intérêt général.
L'imposition créée entraîne en effet une privation de plus des trois quarts des revenus d'activité d'un contribuable : or le Conseil constitutionnel a par le passé déclaré non conforme à la Constitution une contribution d'un taux bien inférieur, puisqu'elle était de 50 %, dans le cas de revenus d'activité perçus en complément des régimes de retraite complémentaires (5).
Cette atteinte au droit de propriété n'est, en outre, pas justifiée par une raison d'intérêt général suffisante, éventuellement susceptible de valider la conformité de la mesure à la Constitution. Notamment, il n'existe aucun comportement condamnable susceptible de justifier la mise en œuvre d'une sanction. En tout état de cause, si tel devait être le cas, la sanction choisie serait en elle-même contraire aux principes constitutionnels dès lors qu'elle n'est pas individualisée.

(5) Décision du 16 janvier 1986 (n° 85-200 DC).

Article 8 :
L'article 8 vise à répondre à l'un des engagements emblématiques de la campagne électorale de 2012 : établir un taux de taxation marginale à 75 % pour la part de revenus qui excède 1 000 000 €.
L'article ne prévoit pas expressément l'établissement d'une tranche supplémentaire du barème, qui serait à l'évidence confiscatoire, mais vise à établir une contribution exceptionnelle additionnelle qui l'est en réalité tout autant : « ajoutée au taux marginal d'impôt sur le revenu prévu dans le présent projet de loi de finances (45 %), à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (4 %) et aux prélèvements sociaux (8 % sur les revenus d'activité), un taux de 18 % aboutira à cette taxation globale au taux de 75 % » (6). Considérée jusque dans l'exposé des motifs comme un barème, ce mécanisme est une contribution additionnelle dont l'assiette, constituée des revenus d'activité professionnelle, est pourtant partiellement celle de l'impôt sur les revenus, mais dont les modalités d'imposition sont différentes. Pas plus que la cotisation additionnelle à l'ISF ne peut être séparée, dans l'analyse de sa constitutionnalité, de l'imposition principale à laquelle elle se réfère (décision n° 2012-645 DC du 9 août 2012), cette contribution portant sur les revenus ne peut être séparée de l'impôt sur le revenu lui-même, comme en témoignent sa justification, l'exposé des motifs du projet de loi et le fait que son produit attendu figure dans les recettes au titre de l'impôt sur le revenu et non en « recettes diverses ».
Il résulte du taux d'imposition applicable aux revenus entrant dans son champ d'application que la mesure est contraire au droit de propriété. Eu égard à ses modalités d'application, elle méconnaît également le principe d'égalité devant l'impôt ainsi que la nécessité et l'universalité de l'impôt. Enfin, elle contrevient au principe d'annualité de l'impôt.

(6) Extrait de l'exposé des motifs de l'article 8.

  1. La mesure porte atteinte au droit de propriété.
    L'article 17 de la DDHC prévoit que : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »
    Or la mesure évoquée ici (a) prive le contribuable de sa propriété compte tenu des taux de prélèvement qu'elle implique, (b) cette privation ne trouvant par ailleurs pas de justification dans une raison impérieuse d'intérêt général.
    a) La mesure se traduit par un taux d'imposition a minima de 75 % pour les revenus visés (contribution de 18 % à laquelle il faut ajouter l'IRPP 45 %, la contribution sur les hauts revenus 4 %, les prélèvements sociaux 8 %). Ce taux d'imposition peut même excéder 75 % dans certaines situations : les gains d'acquisition de stock-options issus de plans antérieurs au 16 octobre 2007 subissent ainsi une imposition globale de 78,5 %.
    L'imposition créée entraîne ainsi une privation des trois quarts des revenus d'activité d'un contribuable pour la partie de ses revenus excédant 1 million d'euros ; ce qui doit être considéré comme confiscatoire au regard de la fraction de revenus laissé au contribuable : le Conseil a ainsi déclaré anticonstitutionnelle une contribution d'un taux bien inférieur, puisqu'elle était de 50 %, dans le cas de revenus d'activité perçus en complément des régimes de retraite complémentaire (7).
    Par ailleurs, cette privation présente, pour les revenus perçus en 2012, un caractère rétroactif et il se trouvera donc des cas dans lesquels les revenus auxquels cette taxation s'applique ont déjà été réinvestis. Le paiement de la contribution de 18 % nécessitera alors la cession des biens : la loi fiscale rend ainsi nécessaire la dépossession du contribuable et porte ainsi atteinte à l'abusus, composante essentielle et non dissociable du droit de propriété.
    A cet égard, le sort réservé par le texte aux gains d'acquisition de stock-options mérite tout particulièrement d'être souligné. Dans cette situation, en effet, l'imposition est générée par la décision de céder les actions qui fige la situation patrimoniale du contribuable à la date de la cession au vu d'une dette d'impôt déterminée. La rétroactivité cumulée avec le caractère excessif de la mesure remet en cause cette situation patrimoniale et porte atteinte au droit de propriété (8).
    b) Cette atteinte au droit de propriété n'est, en outre, pas corrélée à une raison impérieuse d'intérêt général susceptible de valider la conformité de la mesure à la Constitution :
    ― il n'existe aucun comportement condamnable. En tout état de cause, si tel devait être le cas, la sanction choisie serait en elle-même contraire aux principes constitutionnels dès lors qu'elle n'est pas individualisée et qu'elle est rétroactive ;
    ― le faible rendement budgétaire de la mesure, le faible nombre de contribuables concernés et la nature des revenus qu'elle concerne démontrent qu'elle ne peut pas être justifiée par la solidarité nationale ;
    ― l'invocation de la « morale », dont aucune définition n'est par ailleurs donnée, ne saurait être une justification acceptable à la violation d'un principe constitutionnel ;
    ― le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale a lui-même reconnu que l'objectif poursuivi par cette contribution était « limite confiscatoire » (9).

(7) Décision du 16 janvier 1986 (n° 85-200 DC). (8) A cet égard, il convient de noter que le Conseil d'Etat a récemment reconnu que la remise en cause d'une créance fiscale par une loi de finances postérieure était contraire au droit de propriété protégé par l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (Conseil d'Etat du 21 octobre 2011 n° 314767, 9e et 10e sous-sections, min. c/SNC Peugeot Citroën Mulhouse). (9) Première séance du jeudi 18 octobre 2012.

  1. La mesure porte atteinte au principe de l'égalité devant l'impôt.
    Cette contribution additionnelle qui « aboutira à cette taxation globale au taux de 75 % » ne tient pas compte des charges de famille du contribuable, alors que le reste du dispositif d'imposition des revenus en tient compte, conformément à l'article 193 du code général des impôts. Elle ne vise que des individus, alors que l'imposition sur le revenu est commune au couple ou aux personnes liées par un PACS (article 6 du code général des impôts) et tient compte des enfants à charge (article 194 du même code).
    De fait, le mécanisme comporte une rupture d'égalité en raison de (a) l'absence de familialisation, (b) de tout mécanisme de plafonnement ou dégrèvement et (c) de la différence de traitement opérée selon la nature des revenus perçus. Cette rupture d'égalité est encore plus patente en ce qui concerne les gains d'acquisition de stock-options et d'actions de performance (d).
    a) La détermination des règles fiscales implique que le législateur « doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose » (décision n° 2010-44 QPC, 29 septembre 2010), une différence de traitement doit être en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
    Or l'application de la contribution varie en fonction de la répartition du revenu entre les membres du foyer et crée ainsi une rupture d'égalité entre des foyers disposant d'un même revenu : un couple, soumis à imposition commune dont l'un des deux époux perçoit une rémunération supérieure à un million d'euros en sera redevable. A l'inverse, deux personnes mariées ou pacsées, dont la somme des revenus individuels cumulés peut être largement supérieure à un million d'euros y échappent, dès lors qu'aucun des deux n'atteint ce seuil. Ces deux couples sont dans une situation identique au regard de l'impôt sur le revenu, déclaré en commun, et rien ne justifie qu'ils ne le soient pas au regard de la contribution additionnelle à cet impôt. En vain serait-il répondu que la contribution ne porte que sur des individus et doit être analysée indépendamment de toute autre imposition sur le revenu puisqu'il s'agit bien d'une contribution additionnelle à l'impôt sur le revenu d'activité : la même assiette supporte ainsi des règles d'imposition différentes. En vain serait-il soutenu que cette différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi puisque, en ne tenant pas compte des revenus du couple mais seulement de ceux de l'un de ses membres, la perte de recettes est manifeste.
    Rappelons que dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 votre Conseil a jugé que la ristourne dégressive de CSG qui n'était pas appréciée par foyer « ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d'une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci ; que le choix ainsi effectué par le législateur de ne pas prendre en considération l'ensemble des facultés contributives crée, entre les contribuables concernés, une disparité manifeste contraire à l'article 13 de la Déclaration de 1789 ». Or, l'article 8 aboutit au même résultat : deux foyers percevant les mêmes revenus et supportant les mêmes charges (donc présentant la même capacité contributive au sens de l'article 13 de la DDHC) pourraient payer des montants différents (par exemple, époux A1 100 000 EUR, époux B2 0 EUR, taxation du couple sur des revenus globaux de 1 100 000 EUR, époux A 500 000 EUR, époux B 600 000 EUR, aucune taxation du couple alors qu'ils ont le même revenu global).
    L'ISF est lui aussi apprécié par foyer ; seule la CSG ne l'est pas, mais comme il s'agit d'un impôt proportionnel sans seuil, quelle que soit la répartition des revenus au sein du couple, l'imposition globale est la même. Ainsi, la contribution de 18 % étant progressive du fait du seuil de 1 000 000 EUR, elle entraîne une rupture d'égalité entre contribuables ayant les mêmes capacités contributives.
    b) A supposer que la contribution soit considérée isolément du reste de l'impôt sur le revenu, il faudrait en toute hypothèse justifier de l'absence d'application du quotient familial, lequel constitue selon la jurisprudence du Conseil (décision n° 2010-44 QPC du 29 septembre 2010) une « modalité de prise en compte des capacités contributives » des assujettis. De même, la jurisprudence administrative exige-t-elle qu'il soit tenu compte « de manière effective des charges de famille dans l'appréciation des ressources » (en l'espèce pour le droit à l'aide juridictionnelle : CE 26 septembre 2005, n° 257413). L'absence de prise en compte des charges de famille s'agissant de la seule contribution constitue également une rupture d'égalité entre contribuables pourtant placés dans une situation identique : les charges de famille ne diffèrent pas selon les montants de revenus, et, si leur prise en considération peut être plafonnée, il n'est en revanche pas possible de ne pas en tenir compte pour une imposition particulière sur le revenu, sans justification appropriée.
    Le Conseil exige toujours l'existence de clauses d'exonération ou de dégrèvement de nature à assurer la progressivité propre à chaque imposition. Tel est le cas, par exemple, s'agissant du prélèvement sur les retraites chapeau dans la décision n° 2011-180 QPC du 13 octobre 2011, où l'absence de familialisation était également en cause : « Considérant qu'en fondant le prélèvement sur le montant des rentes versées, le législateur a choisi un critère objectif et rationnel en fonction de l'objectif de solidarité qu'il vise ; que, pour tenir compte des facultés contributives du bénéficiaire, il a prévu un mécanisme d'exonération et d'abattement, institué plusieurs tranches et fixé un taux maximal de 14 % ; que, par suite, les dispositions contestées, dont les effets de seuil ne sont pas excessifs, ne créent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. »
    Force est de reconnaître que la contribution de 18 % ne comporte ni quotient familial, ni tranches, ni exonération, ni abattement, se contentant d'un taux appliqué à un seuil de revenus. Les modalités effectives de prise en compte des capacités contributives résultent donc bien du cumul des impositions sur le revenu, dont cette contribution représente une composante. A défaut, l'effet de seuil méconnaît le principe d'égalité : en quoi un seuil d'un million d'euros de revenus détermine-il un critère « objectif et rationnel » pour créer un impôt spécifique ?
    Le seuil d'un million d'euros crée une rupture d'égalité entre les contribuables assujettis à l'impôt sur le revenu. Le cumul des prélèvements, en dépit de cette construction « à part » de la seule contribution, demeure confiscatoire : un contribuable est prélevé à 75 % des revenus qu'il gagne dans ce qui est en réalité une tranche supplémentaire, puisque la contribution ne tient aucun compte de l'impôt acquitté par ailleurs sur ces mêmes sommes. Dans la décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, le Conseil constitutionnel a défini les limites que la Constitution impose à tout prélèvement : « Considérant que l'article XIII de la Déclaration de 1789 dispose : "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés” ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. » Le caractère confiscatoire fait ainsi partie des limites posées à toute imposition non seulement parce qu'il est contraire au droit de propriété mais également parce qu'il crée une disparité de traitement entre les contribuables lorsqu'il ne s'applique qu'à certains d'entre eux. Un taux de prélèvement de 50 % pour des revenus excédant 2,5 fois le SMIC, en dépit d'une majoration de ce plafond par personne à charge, constitue une rupture caractérisée d'égalité devant les charges publiques (décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986) : « Si le principe ainsi énoncé (à l'article XIII de la Déclaration) n'interdit pas au législateur de mettre à la charge d'une ou plusieurs catégories socioprofessionnelles déterminées une certaine aide à une ou à plusieurs autres catégories socioprofessionnelles, il s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens. » Or cette décision, qui porte sur un prélèvement de 50 %, concerne une situation bien moins attentatoire à l'égalité que celle résultant d'un taux marginal d'imposition des revenus d'activité de 75 %.
    c) La mesure crée enfin une rupture d'égalité entre les contribuables selon la nature des revenus qu'ils perçoivent : seuls les revenus d'activité sont visés par la contribution. Ainsi, deux contribuables percevant un même montant de revenus seraient différemment imposés selon la nature de ces revenus : les rémunérations et revenus d'activité professionnelle seraient soumis à la contribution, à l'inverse des dividendes et d'une manière générale de tous les revenus du patrimoine, qui sont exclus de son champ d'application.
    d) La rupture d'égalité est encore plus patente en ce qui concerne l'application de cette taxe aux gains de levée d'options sur achats d'actions décidés par des salariés par lesquels l'entreprise a mis en place cette participation et actions gratuites.
    L'alinéa 9 de cet article 8, qui soumet à la contribution sans plafonnement les gains issus des stocks-options et d'actions gratuites issus de plans antérieurs au 16 octobre 2007, aboutit en effet à un cumul d'imposition aberrant : en ajoutant les taux d'impôt sur le revenu (41 %), la contribution sur les hauts revenus (4 %), les prélèvements sociaux (15,5 %) et la contribution exceptionnelle du présent article, on obtient ainsi, pour cette catégorie de revenus, un prélèvement de 78,5 %. En lui-même ce mécanisme est non seulement confiscatoire compte tenu du taux global de prélèvement atteint qui laisse au bénéficiaire 21,5 % de son revenu après prélèvements, mais il crée également une rupture d'égalité en fonction de la nature des revenus (les revenus d'activité tels que les traitements et salaires ou les revenus professionnels seraient imposés à 75 %, là où les gains de stock-options ou actions gratuites le seraient à 78,5 %). Le législateur a expressément souligné cette différence de traitement (10) et ne l'a pas pour autant justifiée par un quelconque motif d'intérêt général.
    L'inclusion dans le champ de la taxe de 18 % des gains associés à des plans attribués avant le 16 octobre 2007 entraîne également une rupture manifeste d'égalité devant les charges publiques entre les bénéficiaires de ces plans selon la date à laquelle les plans ont été attribués. En effet, les gains associés à des plans antérieurs au 16 octobre 2007 et réalisés en 2012 et en 2013 seront imposés à un taux maximum de 67,5 % pour les actions gratuites et de 78,5 % pour les stock-options, là où les gains réalisés en 2012 et 2013 relatifs à des plans attribués postérieurement à cette date seront soumis à une imposition de 59,5 % pour les actions attribuées gratuitement et de 70,5 % pour les stock-options, la contribution exceptionnelle de 18 % ne leur étant pas applicable. Cette différence de traitement liée à la date à laquelle le plan a été attribué au salarié ne repose sur aucun critère objectif ou rationnel. L'article 8 encourt donc également la censure sur ce point pour rupture d'égalité devant l'impôt.
    En outre, il institue une imposition rétroactive. Alors que la rédaction initiale de l'article 7 visant à imposer au barème de l'impôt sur le revenu les gains de levée d'options sur actions (stock-options) et d'attribution d'actions gratuites a été aménagé par l'Assemblée nationale afin d'éviter une application a des faits révolus et garantir la sécurité juridique du dispositif (11), l'article 8 maintient dans son champ d'application les gains dégagés par les bénéficiaires de plans d'options ou d'actions gratuites attribués antérieurement au 16 octobre 2007.
    La non-rétroactivité de l'article 7 est cependant remise en cause par l'article 8. En effet, cet article étend l'application de la contribution de 18 % aux gains de stock-options et actions gratuites non soumis à la contribution salariale de 10 %, c'est-à-dire aux gains issus de plans antérieurs au 16 octobre 2007 : ces gains sont assimilés à des rémunérations, alors même qu'ils ont la nature juridique d'une plus-value. De ce fait, la loi comporte une rétroactivité inconstitutionnelle puisqu'elle soumet, contrairement à l'article 7 modifié à cette fin, à une imposition nouvelle une situation révolue, le contribuable ne pouvant adapter son comportement en conséquence de la règle nouvelle. La rétroactivité ainsi introduite constitue une atteinte au droit de propriété des contribuables ayant réalisé leur cession en 2012 et réinvesti les plus-values réalisées : ces derniers seront en effet contraints de céder leur actif pour payer l'impôt.

(10) Rapport général n° 251, tome 2, pp. 168 et 169. (11) Comme l'ensemble des modifications du régime apportées par le passé, les nouvelles règles d'imposition s'appliqueront aux options sur titres et actions gratuites attribuées à compter de la présentation du projet en conseil des ministres, le 28 septembre 2012.

  1. La mesure contrevient au principe d'annualité de l'impôt.
    Le caractère provisoire de l'impôt, qui ne vaut qu'en raison du II, ne saurait être retenu pour exonérer le dispositif de ces griefs. En dépit de l'affirmation de son caractère « exceptionnel », la contribution pourrait être ou non reconduite par une loi de finances ultérieure.
    Au demeurant, le caractère exceptionnel de cette contribution comporte en lui-même une inconstitutionnalité manifeste. Tout impôt, en vertu de la règle de l'annualité budgétaire d'application constante depuis la loi du 26 mai 1817 comme par l'ordonnance du 2 janvier 1959 puis la LOLF, n'est établi dans la loi de finances initiale que pour une année. Si cette règle connaît certains tempéraments en matière de programmation de dépenses, elle ne saurait en permettre en matière de recettes ainsi que le manifeste l'autorisation annuelle de percevoir l'impôt figurant à l'article 1er de chaque projet de loi de finances annuel. Une loi de finances annuelle ne peut établir un impôt pour deux ans.
    Par surcroît, la mention selon laquelle la contribution sera applicable aux revenus de 2013 ne peut trouver sa place en première partie, puisqu'elle n'a aucune incidence sur l'équilibre budgétaire de 2013, mais seulement une incidence attendue en 2014. Il ressort de l'article 34-II-7, a, de la loi organique relative aux lois de finances que seule la deuxième partie « peut comporter des dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire ». Tel est bien le cas d'une contribution exceptionnelle perçue au titre de l'année n + 2.
    Ce dispositif méconnaît tout à la fois l'annualité budgétaire et le caractère impératif de la présentation du texte en deux parties, telle qu'elle ressort des articles 34 et 42 de la LOLF, dont la décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001 a nettement affirmé la nécessaire présence dans la loi organique et la décision n° 2012-654 DC du 9 août 2102 (considérant 11) fait une application récente.
    Si le Conseil admettait, contrairement à la lettre même de l'article 34-II de la LOLF, que les mots « et 2013 » ne sont pas détachables du reste de l'article, alors qu'ils sont dénués de toute portée opératoire dans l'attente de la prochaine loi de finances pour 2014, on serait alors confronté à une méconnaissance de la clarté et de la sincérité du débat parlementaire en loi de finances, où le caractère impératif des deux parties structure et impose les règles et le contenu même des débats : des dispositions de deuxième partie, même facultatives, ne peuvent figurer en première partie.
    Enfin, si le Conseil se fondait sur le caractère impératif de cette mention, pour le juger non détachable, en considérant qu'elle vaut au-delà d'un exercice budgétaire, il s'agirait d'une injonction faite par la loi de finances pour 2013 au Gouvernement devant établir le projet de loi de finances de l'année 2014.
    Quelle que soit donc l'interprétation qu'on lui donne, ni en termes de procédure, ni en termes d'annualité budgétaire, ni en termes d'injonction faite au Gouvernement par le législateur, la création d'une imposition pour deux ans ne peut échapper à la censure.
    S'il est loisible au législateur d'établir provisoirement un impôt ― caractère qui d'ailleurs ne vaut juridiquement que jusqu'à une éventuelle disposition contraire, on connaît ainsi de nombreux cas d'impositions provisoires devenues pérennes ―, il ne peut l'établir en méconnaissance flagrante de règles fondamentales du droit budgétaire.
    Article 9 :
    L'article 9 de la loi de finances pour 2013, qui rétablit un article 885-V bis au code général des impôts, a notamment pour objet de modifier le barème de l'impôt de solidarité sur la fortune, en rétablissant un barème proche de celui qui prévalait avant l'année 2012, et d'instituer un plafonnement égal à 75 % des revenus réalisés au cours de l'année, tels que ces revenus sont définis au E du même article.
    Les dispositions de cet article sont contraires au principe d'égalité devant l'impôt et les charges publiques garanti par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 ainsi qu'au droit de propriété garanti par l'article 17 de la même Déclaration.
    Votre Conseil a indiqué à plusieurs reprises que s'il appartient au législateur de déterminer les règles selon lesquelles doivent être appréciées les capacités contributives il doit le faire dans le respect des principes constitutionnels. Cette appréciation des facultés contributives ne doit notamment pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques (12).
    Ainsi, l'exigence qui découle de l'article 13 de la Déclaration de 1789 « ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives » (13).
    S'agissant en particulier de l'impôt de solidarité sur la fortune, votre Conseil a relevé que le législateur, pour ne pas créer de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, a inclus dans le régime de cet impôt, depuis sa création par la loi du 23 décembre 1988, « des règles de plafonnement qui ne procèdent pas d'un calcul impôt par impôt et qui limitent la somme de l'impôt de solidarité sur la fortune et des impôts dus au titre des revenus et produits de l'année précédente à une fraction totale des revenus nets de l'année précédente » (14).
    Lorsque le législateur a institué le mécanisme de plafonnement connu sous le nom de « bouclier fiscal », votre Conseil a estimé que « dans son principe, l'article contesté, loin de méconnaître l'égalité devant l'impôt, tend à éviter une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » (15).
    Tout récemment encore, votre Conseil a précisé que « le législateur ne saurait établir un barème de l'impôt de solidarité sur la fortune tel que celui en vigueur avant l'année 2012 sans l'assortir d'un dispositif de plafonnement ou produisant des effets équivalents destiné à éviter une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » (16).

(12) Décision n° 99-424 DC du 29 décembre 1999 ; décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009. (13) Décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005 ; décision n° 2007-555 DC du 16 août 2007. (14) Décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012. (15) Décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005. (16) Décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012.

  1. Le barème institué par l'article 9 de la loi déférée, dans les circonstances actuelles, revêt un caractère confiscatoire et fait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.
    La situation résultant de ces dispositions est totalement inédite, du fait de la faiblesse du rendement des placements à revenu fixe ainsi que de la création d'une nouvelle tranche d'imposition à 45 % et de l'alignement de la fiscalité des revenus du capital sur la fiscalité des revenus du travail, réalisés par la même loi de finances.
    Ainsi, un contribuable qui, gérant son patrimoine « en bon père de famille », l'investit dans des titres d'Etat (OAT) à dix ans obtient aujourd'hui un rendement de 2,02 % (17). Après application de l'impôt sur le revenu au taux marginal de 45 % et des prélèvements sociaux au taux de 15,5 %, soit au total 60,5 %, le rendement net est de 0,8 % (18). Si l'Etat devait prélever l'impôt de solidarité sur la fortune au taux marginal que prévoit l'article déféré, soit 1,5 %, le contribuable subirait une amputation de son patrimoine égale à 0,7 % par an.
    Les chiffres qui précèdent sont donnés en euros courants. Exprimé en euros constants, c'est-à-dire après prise en compte d'une inflation égale à 1,9 % (19), la perte de patrimoine s'élèverait à 2,6 %.
    Au surplus, les calculs qui précèdent ne prennent pas en compte la contribution sur les hauts revenus, prélevée au taux de 3 % ou 4 % selon que les revenus du contribuable sont supérieurs à 250 000 EUR ou à 500 000 EUR, qui restera applicable jusqu'à l'imposition des revenus de l'année au titre de laquelle le déficit des administrations publiques sera nul (20). Si l'on ajoute cette contribution exceptionnelle, la perte nette en capital s'établit respectivement à 0,76 % ou à 0,78 % sans inflation et à 2,66 % ou à 2,68 % avec prise en compte de l'inflation.
    Un dernier calcul, effectué « à l'envers », permet de déterminer le taux d'intérêt que devrait rechercher le contribuable soucieux d'éviter une perte en capital. Pour compenser une inflation de 1,9 % après paiement de l'impôt sur la fortune au taux marginal de 1,5 %, il faudrait obtenir 3,4 % après impôts dus au titre des revenus, soit un taux avant impôt de 8,6 % (21).
    Un tel taux est actuellement impossible à obtenir, sauf sur des placements extrêmement risqués.
    Il suffira de rappeler, pour établir le caractère inédit de tels prélèvements, que, lorsque l'impôt de solidarité sur la fortune a été institué par la loi du 23 décembre 1988 avec un taux marginal de 1,1 %, le taux servi sur les emprunts d'Etat à dix ans était de 8,62 % (22) et le taux du prélèvement libératoire de 26 %, ce qui garantissait à l'épargnant un rendement après impôt de 6,38 %.
    Il n'est jamais arrivé que le législateur institue une imposition sur la fortune qui, combinée avec l'imposition des revenus, aboutisse à une confiscation intégrale du revenu et à une confiscation partielle du capital investi dans un placement sans risque.
    Par ailleurs, la suppression de la réduction d'impôt de 300 EUR par personne à charge prévue à l'article 885-V du CGI porte atteinte à l'article 13 de la Déclaration de 1789. En effet, si votre Conseil a validé dans sa décision n° 2010-44 QPC l'absence de quotient pour l'ISF, l'absence totale de prise en compte des charges de famille avec la suppression d'une réduction d'impôt qui existe depuis la création de l'ISF en 1989 porte atteinte à la prise en compte des capacités contributives réelles des contribuables.
    La fiscalité instituée par l'article déféré est ainsi incompatible avec une gestion prudente, comme par exemple celle que doit nécessairement choisir un tuteur qui, selon l'article 496 du code civil, « est tenu d'apporter, dans [la gestion du patrimoine de la personne protégée], des soins prudents, diligents et avisés », ou celui qui gère les affaires d'autrui, lequel, selon l'article 1374 du même code, « est tenu d'apporter à la gestion de l'affaire tous les soins d'un bon père de famille » ou, plus généralement, toute personne qui ne veut pas mettre en risque son patrimoine.
    Ainsi, l'impôt de solidarité sur la fortune, perçu selon les taux institués par l'article 9 de la loi de finances pour 2013, ferait peser sur certaines catégories de contribuables une charge excessive au regard de leurs capacités contributives et porterait dès lors atteinte à l'égalité devant l'impôt et à l'égalité devant les charges publiques garanties par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789.

(17) Taux moyen applicable sur la première semaine de décembre 2012 (source : Agence France Trésor). (18) 2,1 % × (1 ― 0,605) = 0,80 %. (19) Variation sur un an (source : INSEE). (20) Loi n° 2011-1977, article 2. (21) 8,6 % × (1 ― 0,605) = 3,4 %. (22) Source : INSEE, banque de données macro-économiques.

  1. L'article 9 de la loi de finances pour 2013 est de surcroît contraire au droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration de 1789.
    Il est en effet démontré ci-dessus que les taux d'imposition institués par l'article déféré aboutissent nécessairement à ce que les contribuables qui choisissent un placement sans risque soient privés de tout revenu à raison de ce placement et même à ce que le montant de leur épargne soit réduit d'une certaine fraction chaque année.
    Or le droit de propriété garanti par la Constitution, « inviolable et sacré » selon l'article 17 de la Déclaration de 1789, comporte selon l'article 544 du code civil « le droit de jouir et de disposer des choses » (usus et abusus), mais aussi, selon les articles 546 et 547 du même code, le droit aux « fruits naturels et industriels de la terre » ainsi qu'aux « fruits civils » (fructus). En vertu de l'article 584 du code civil, les fruits civils comprennent les revenus du capital.
    En privant un épargnant prudent de tout revenu, les dispositions de l'article déféré le privent dès lors d'un des attributs du droit de propriété.
    Le mécanisme de plafonnement institué par le E du même article 9 de la loi de finances pour 2013 est impuissant à remédier aux violations du principe d'égalité et du droit de propriété qui sont dénoncées ci-dessus, pour deux raisons.
    La première raison est que le plafonnement est calculé sur l'ensemble des revenus du contribuable, si bien que, pour les contribuables disposant d'autres revenus, la confiscation des revenus de l'épargne et la privation des fruits civils subsistent. Pour la plupart des contribuables actifs, le niveau des revenus d'activité est tel que l'application de l'article 885-V bis ne donnera lieu à aucune réduction de l'impôt de solidarité sur la fortune.
    Il n'est assurément pas conforme au principe d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques que la perte des revenus de l'épargne et d'une fraction du capital soit compensée pour les rentiers qui ne disposent pas d'autres revenus et non pour les personnes ayant par ailleurs des revenus d'activité.
    A un prélèvement excessif sur les revenus du capital devrait correspondre, pour éviter le caractère confiscatoire de l'impôt, un plafonnement en fonction des revenus du même capital.
    La seconde raison est que les « revenus réalisés » de l'année précédente, tels qu'ils sont définis à l'article 885-V bis rétabli par l'article déféré, ne se limitent pas aux revenus disponibles, ni même aux revenus du contribuable, mais comprennent des éléments sans rapport avec ses facultés contributives.
    S'il s'agit de revenus appréhendables par le contribuable, il est juste de les intégrer dans le plafonnement afin d'éviter des stratégies d'optimisation fiscale ; en revanche, s'il s'agit de revenus qui ne sont pas appréhendables, il y a rupture d'égalité entre contribuables car on plafonne au regard d'un même niveau à 75 % mais selon des revenus qui ne sont en fait jamais perçus par le contribuable.
    S'agissant des bénéfices d'une entreprise contrôlée par le contribuable (contrôle partiel seulement d'ailleurs avec une minorité de blocage), les revenus ne seront jamais perçus puisqu'ils ne sont pas distribués mais restent dans l'entreprise. A ce titre, ces revenus ont déjà subi l'impôt sur les sociétés ; s'ils étaient distribués, ils bénéficieraient d'abattements ; il y a donc rupture d'égalité à les inclure quand même parmi les revenus disponibles pour le contribuable, alors que ces revenus sont réinjectés dans l'entreprise et peuvent être perdus si l'entreprise périclite (le facteur risque n'est absolument pas pris en compte par le législateur) ; le 4° du II de l'article 885-V bis rétabli par le E du 1 de l'article 9 est donc contraire à la Constitution en tant qu'il ne tient pas compte des capacités contributives réelles des redevables de l'ISF.
    Plus généralement, le législateur a en effet institué un plafonnement non pas par référence au total des revenus nets de frais professionnels, des revenus exonérés d'impôt sur le revenu et des produits soumis à un prélèvement libératoire, comme il est d'usage depuis qu'existe un plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune, mais par rapport à ce même total majoré de divers éléments patrimoniaux qui n'avaient jusqu'ici pas été retenus : intérêts des plans d'épargne-logement constatés par une inscription en compte, variation de la valeur de rachat des bons ou contrats de capitalisation et des contrats d'assurance vie, produits capitalisés dans les trusts, plus-values placées en sursis ou en report d'imposition, bénéfice distribuable des sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés, à proportion des droit détenus par les contribuables ayant détenu avec leur famille proche, à un moment quelconque au cours des cinq années précédentes, plus de 33,3 % des droits aux bénéfices de cette société.
    Cette énumération comprend des éléments de revenus que le législateur a choisi de placer en report ou en sursis d'imposition par le motif que le contribuable n'en a pas la disposition, des accroissements de valeur de contrats qui ne constitueront des revenus que lors du dénouement du contrat, mais aussi, avec les bénéfices de sociétés, des sommes sur lesquelles le contribuable concerné n'a parfois aucune prise et dont certaines ne viendront jamais s'ajouter à ses revenus.
    En outre, les dispositions en cause sont asymétriques, en ceci qu'elles ne prennent pas en compte les événements affectant à la baisse le patrimoine du contribuable, tels que la variation à la baisse de la valeur des contrats d'assurance vie ou de capitalisation ou les pertes des sociétés contrôlées par le groupe familial. Les gains et les pertes constatés la même année ne se compensent pas, même au sein d'une catégorie donnée.
    Ainsi, le 2° du II de l'article 885-V bis rétabli par le E du I de l'article 9 intègre dans le calcul du plafonnement la variation de la valeur de rachat des contrats d'assurance vie. Or, pour les contrats en unités de compte, la variation positive d'une année (intégrée aux revenus pour calculer le plafonnement) peut être perdue l'année suivante et la variation négative n'est pas prise en compte : il y a donc rupture d'égalité entre contribuables, dès lors que, sur la durée du contrat, alors même qu'in fine il n'y a pas d'imposition car il n'y a pas de profit, au titre de certaines années, il y aura eu intégration d'un revenu non réalisé et in fine perdu pour le calcul de l'ISF ; le III de l'article 885-V bis ne neutralise que les variations positives, il ne tient pas compte des variations négatives.
    Enfin le paradoxe de ces dispositions est que les montants en cause, pris en compte lorsque le contribuable n'en dispose pas, ne sont pas pris en compte l'année où il en dispose. C'est ainsi que les bénéfices des sociétés décrits ci-dessus ne sont pas pris en compte lorsqu'ils sont distribués, comme si la perception de dividendes n'accroissait pas la faculté contributive de leurs bénéficiaires.
    Les montants énumérés au II de l'article 885-V bis issu de la l'article déféré sont en réalité des éléments du patrimoine et non des éléments du revenu. Le législateur a ainsi créé un plafonnement des impositions frappant la fortune et le revenu par rapport à un agrégat comportant lui-même des revenus et des éléments de fortune. Une telle construction n'est assurément pas conforme aux exigences constitutionnelles.
    Votre Conseil, dans sa décision du 9 août 2012 précitée, a mentionné des règles de plafonnement « qui limitent la somme de l'impôt de solidarité sur la fortune et des impôts dus au titre des revenus et produits de l'année précédente à une fraction totale des revenus nets de l'année précédente ».
    Le prétendu plafonnement institué par l'article déféré n'est pas un plafonnement en fonction des revenus. Il ne permet donc pas d'atteindre l'objectif qu'il est censé viser et d'éviter la rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques qui est dénoncée ci-dessus.
    Dans ces conditions, c'est l'article 9 dans son ensemble qui doit être déclaré contraire à la Constitution, en ceci qu'il porte, au principe d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques ainsi qu'au droit de propriété, des atteintes que le plafonnement qu'il institue ne permet pas d'éviter.
    Article 10 :
    Au sein de la catégorie des plus-values immobilières, le législateur introduit une distinction entre terrains à bâtir, soumis au barème de l'impôt sur le revenu, et les immeubles bâtis, qui demeurent soumis à un taux forfaitaire (majoré par l'article 24 sexies du PLFR 2012-3).
    Le caractère confiscatoire de l'imposition globale sur les plus-values immobilières des terrains à bâtir au barème de l'impôt sur le revenu apparaît ainsi clairement, puisque le taux de taxation peut atteindre, au maximum, 90,5 % :
    45 % au titre de la tranche marginale d'impôt sur le revenu ;
    15,5 % au titre des prélèvements sociaux ;
    5 % ou 10 % au titre de la taxe prévue à l'article 1605 nonies du CGI ;
    12,5 % ou 25 % sur 80 % de la plus-value ou 10 % au titre des taxes facultatives prévues aux articles 1609 nonies F et 1529 du CGI.
    L'intention du Gouvernement est également manifeste puisqu'il attend de cette fiscalité confiscatoire à l'horizon 2015 une accélération des cessions dans les deux prochaines années.
    A l'inverse, pour les immeubles bâtis, le niveau de taxation ne peut excéder, au plus, 40,5 % (taux forfaitaire de 19 % + 15,5 % de prélèvements sociaux + 6 % de surtaxe maximum prévue à l'article 24 sexies du PLFR 2012-3).
    Une telle différence de niveau d'imposition concernant des biens de nature similaire (puisqu'il suffit de construire pour ne plus être terrains à bâtir) crée une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, sans motif d'intérêt général suffisant (un « choc d'offre temporaire ») pour la justifier.
    Par ailleurs, en ce qui concerne les terrains à bâtir, il n'est prévu aucun abattement pour durée de détention, ni aucune prise en compte de l'inflation : la plus-value est donc calculée sur une valeur arbitrairement majorée qui ne tient pas compte de la réalité de l'évolution du marché immobilier, l'inflation ayant un effet sur la valeur nominale des biens qui n'est absolument pas pris en compte ; les capacités contributives réelles des contribuables ne sont donc pas prises en compte.
    En outre, cet article 10 rétablit l'exonération des plus-values immobilières lorsque la cession est réalisée au profit d'un bailleur social pour réaliser des logements sociaux. Or, cette exonération n'est pas étendue aux bailleurs privés. Il y a là un motif de rupture d'égalité devant l'impôt.
    Enfin, il est hasardeux de penser que le propriétaire d'un terrain à bâtir le cèdera en 2013 ou 2014 dans le cadre d'une fiscalité considérablement alourdie au motif que celle-ci deviendrait quasi confiscatoire à partir de 2015. L'intelligibilité de ce dispositif est d'autant moins perceptible que, s'agissant des propriétés bâties, le « choc d'offre » est attendu d'un abattement supplémentaire de 20 % de l'assiette de la taxe sur la plus-value.
    Pour ces motifs, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.
    Article 36 bis :
    Cet article modifie le régime juridique des cessions de biens immobiliers bâtis situés dans une forêt domaniale. Or, les requérants font valoir que le I de cet article est sans impact budgétaire direct, à la différence du II de l'article qui lui est retracé dans l'article d'équilibre, puisqu'il s'agit seulement de règles de procédure pour la vente de biens de l'Etat.
    Il convient dès lors de le censurer.
    Article 56 :
    En excluant certains avantages fiscaux du plafonnement à 18 000 EUR + 4 % du revenu imposable (dispositif « Malraux ») et en créant deux plafonnements distincts, l'un, fixe, à 10 000 EUR et l'autre à 18 000 EUR + 4 % du revenu imposable, il y a rupture du principe d'égalité entre contribuables et complexité excessive de la loi fiscale empêchant les contribuables de faire des choix rationnels.
    Il s'agit là de motifs de censure de la part de votre Conseil, comme en témoigne le considérant 85 de votre décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005.
    Article 64 bis :
    Cet article, qui prévoit le financement des travaux prescrits dans le cadre d'un plan de prévention des risques technologiques (PPRT), est sans impact sur le budget de l'Etat. Son impact fiscal est par ailleurs trop indirect. Le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale estime d'ailleurs, dans son rapport en nouvelle lecture, à la page 112, que l'« on peut s'interroger sur la réalité de son impact budgétaire et fiscal ». Il convient dès lors de le censurer.
    Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la fonction de contrôle de constitutionnalité de la loi que lui confère la Constitution.