- La mesure porte atteinte au principe de l'égalité devant l'impôt.
Cette contribution additionnelle qui « aboutira à cette taxation globale au taux de 75 % » ne tient pas compte des charges de famille du contribuable, alors que le reste du dispositif d'imposition des revenus en tient compte, conformément à l'article 193 du code général des impôts. Elle ne vise que des individus, alors que l'imposition sur le revenu est commune au couple ou aux personnes liées par un PACS (article 6 du code général des impôts) et tient compte des enfants à charge (article 194 du même code).
De fait, le mécanisme comporte une rupture d'égalité en raison de (a) l'absence de familialisation, (b) de tout mécanisme de plafonnement ou dégrèvement et (c) de la différence de traitement opérée selon la nature des revenus perçus. Cette rupture d'égalité est encore plus patente en ce qui concerne les gains d'acquisition de stock-options et d'actions de performance (d).
a) La détermination des règles fiscales implique que le législateur « doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose » (décision n° 2010-44 QPC, 29 septembre 2010), une différence de traitement doit être en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
Or l'application de la contribution varie en fonction de la répartition du revenu entre les membres du foyer et crée ainsi une rupture d'égalité entre des foyers disposant d'un même revenu : un couple, soumis à imposition commune dont l'un des deux époux perçoit une rémunération supérieure à un million d'euros en sera redevable. A l'inverse, deux personnes mariées ou pacsées, dont la somme des revenus individuels cumulés peut être largement supérieure à un million d'euros y échappent, dès lors qu'aucun des deux n'atteint ce seuil. Ces deux couples sont dans une situation identique au regard de l'impôt sur le revenu, déclaré en commun, et rien ne justifie qu'ils ne le soient pas au regard de la contribution additionnelle à cet impôt. En vain serait-il répondu que la contribution ne porte que sur des individus et doit être analysée indépendamment de toute autre imposition sur le revenu puisqu'il s'agit bien d'une contribution additionnelle à l'impôt sur le revenu d'activité : la même assiette supporte ainsi des règles d'imposition différentes. En vain serait-il soutenu que cette différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi puisque, en ne tenant pas compte des revenus du couple mais seulement de ceux de l'un de ses membres, la perte de recettes est manifeste.
Rappelons que dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 votre Conseil a jugé que la ristourne dégressive de CSG qui n'était pas appréciée par foyer « ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d'une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci ; que le choix ainsi effectué par le législateur de ne pas prendre en considération l'ensemble des facultés contributives crée, entre les contribuables concernés, une disparité manifeste contraire à l'article 13 de la Déclaration de 1789 ». Or, l'article 8 aboutit au même résultat : deux foyers percevant les mêmes revenus et supportant les mêmes charges (donc présentant la même capacité contributive au sens de l'article 13 de la DDHC) pourraient payer des montants différents (par exemple, époux A1 100 000 EUR, époux B2 0 EUR, taxation du couple sur des revenus globaux de 1 100 000 EUR, époux A 500 000 EUR, époux B 600 000 EUR, aucune taxation du couple alors qu'ils ont le même revenu global).
L'ISF est lui aussi apprécié par foyer ; seule la CSG ne l'est pas, mais comme il s'agit d'un impôt proportionnel sans seuil, quelle que soit la répartition des revenus au sein du couple, l'imposition globale est la même. Ainsi, la contribution de 18 % étant progressive du fait du seuil de 1 000 000 EUR, elle entraîne une rupture d'égalité entre contribuables ayant les mêmes capacités contributives.
b) A supposer que la contribution soit considérée isolément du reste de l'impôt sur le revenu, il faudrait en toute hypothèse justifier de l'absence d'application du quotient familial, lequel constitue selon la jurisprudence du Conseil (décision n° 2010-44 QPC du 29 septembre 2010) une « modalité de prise en compte des capacités contributives » des assujettis. De même, la jurisprudence administrative exige-t-elle qu'il soit tenu compte « de manière effective des charges de famille dans l'appréciation des ressources » (en l'espèce pour le droit à l'aide juridictionnelle : CE 26 septembre 2005, n° 257413). L'absence de prise en compte des charges de famille s'agissant de la seule contribution constitue également une rupture d'égalité entre contribuables pourtant placés dans une situation identique : les charges de famille ne diffèrent pas selon les montants de revenus, et, si leur prise en considération peut être plafonnée, il n'est en revanche pas possible de ne pas en tenir compte pour une imposition particulière sur le revenu, sans justification appropriée.
Le Conseil exige toujours l'existence de clauses d'exonération ou de dégrèvement de nature à assurer la progressivité propre à chaque imposition. Tel est le cas, par exemple, s'agissant du prélèvement sur les retraites chapeau dans la décision n° 2011-180 QPC du 13 octobre 2011, où l'absence de familialisation était également en cause : « Considérant qu'en fondant le prélèvement sur le montant des rentes versées, le législateur a choisi un critère objectif et rationnel en fonction de l'objectif de solidarité qu'il vise ; que, pour tenir compte des facultés contributives du bénéficiaire, il a prévu un mécanisme d'exonération et d'abattement, institué plusieurs tranches et fixé un taux maximal de 14 % ; que, par suite, les dispositions contestées, dont les effets de seuil ne sont pas excessifs, ne créent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. »
Force est de reconnaître que la contribution de 18 % ne comporte ni quotient familial, ni tranches, ni exonération, ni abattement, se contentant d'un taux appliqué à un seuil de revenus. Les modalités effectives de prise en compte des capacités contributives résultent donc bien du cumul des impositions sur le revenu, dont cette contribution représente une composante. A défaut, l'effet de seuil méconnaît le principe d'égalité : en quoi un seuil d'un million d'euros de revenus détermine-il un critère « objectif et rationnel » pour créer un impôt spécifique ?
Le seuil d'un million d'euros crée une rupture d'égalité entre les contribuables assujettis à l'impôt sur le revenu. Le cumul des prélèvements, en dépit de cette construction « à part » de la seule contribution, demeure confiscatoire : un contribuable est prélevé à 75 % des revenus qu'il gagne dans ce qui est en réalité une tranche supplémentaire, puisque la contribution ne tient aucun compte de l'impôt acquitté par ailleurs sur ces mêmes sommes. Dans la décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, le Conseil constitutionnel a défini les limites que la Constitution impose à tout prélèvement : « Considérant que l'article XIII de la Déclaration de 1789 dispose : "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés” ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. » Le caractère confiscatoire fait ainsi partie des limites posées à toute imposition non seulement parce qu'il est contraire au droit de propriété mais également parce qu'il crée une disparité de traitement entre les contribuables lorsqu'il ne s'applique qu'à certains d'entre eux. Un taux de prélèvement de 50 % pour des revenus excédant 2,5 fois le SMIC, en dépit d'une majoration de ce plafond par personne à charge, constitue une rupture caractérisée d'égalité devant les charges publiques (décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986) : « Si le principe ainsi énoncé (à l'article XIII de la Déclaration) n'interdit pas au législateur de mettre à la charge d'une ou plusieurs catégories socioprofessionnelles déterminées une certaine aide à une ou à plusieurs autres catégories socioprofessionnelles, il s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens. » Or cette décision, qui porte sur un prélèvement de 50 %, concerne une situation bien moins attentatoire à l'égalité que celle résultant d'un taux marginal d'imposition des revenus d'activité de 75 %.
c) La mesure crée enfin une rupture d'égalité entre les contribuables selon la nature des revenus qu'ils perçoivent : seuls les revenus d'activité sont visés par la contribution. Ainsi, deux contribuables percevant un même montant de revenus seraient différemment imposés selon la nature de ces revenus : les rémunérations et revenus d'activité professionnelle seraient soumis à la contribution, à l'inverse des dividendes et d'une manière générale de tous les revenus du patrimoine, qui sont exclus de son champ d'application.
d) La rupture d'égalité est encore plus patente en ce qui concerne l'application de cette taxe aux gains de levée d'options sur achats d'actions décidés par des salariés par lesquels l'entreprise a mis en place cette participation et actions gratuites.
L'alinéa 9 de cet article 8, qui soumet à la contribution sans plafonnement les gains issus des stocks-options et d'actions gratuites issus de plans antérieurs au 16 octobre 2007, aboutit en effet à un cumul d'imposition aberrant : en ajoutant les taux d'impôt sur le revenu (41 %), la contribution sur les hauts revenus (4 %), les prélèvements sociaux (15,5 %) et la contribution exceptionnelle du présent article, on obtient ainsi, pour cette catégorie de revenus, un prélèvement de 78,5 %. En lui-même ce mécanisme est non seulement confiscatoire compte tenu du taux global de prélèvement atteint qui laisse au bénéficiaire 21,5 % de son revenu après prélèvements, mais il crée également une rupture d'égalité en fonction de la nature des revenus (les revenus d'activité tels que les traitements et salaires ou les revenus professionnels seraient imposés à 75 %, là où les gains de stock-options ou actions gratuites le seraient à 78,5 %). Le législateur a expressément souligné cette différence de traitement (10) et ne l'a pas pour autant justifiée par un quelconque motif d'intérêt général.
L'inclusion dans le champ de la taxe de 18 % des gains associés à des plans attribués avant le 16 octobre 2007 entraîne également une rupture manifeste d'égalité devant les charges publiques entre les bénéficiaires de ces plans selon la date à laquelle les plans ont été attribués. En effet, les gains associés à des plans antérieurs au 16 octobre 2007 et réalisés en 2012 et en 2013 seront imposés à un taux maximum de 67,5 % pour les actions gratuites et de 78,5 % pour les stock-options, là où les gains réalisés en 2012 et 2013 relatifs à des plans attribués postérieurement à cette date seront soumis à une imposition de 59,5 % pour les actions attribuées gratuitement et de 70,5 % pour les stock-options, la contribution exceptionnelle de 18 % ne leur étant pas applicable. Cette différence de traitement liée à la date à laquelle le plan a été attribué au salarié ne repose sur aucun critère objectif ou rationnel. L'article 8 encourt donc également la censure sur ce point pour rupture d'égalité devant l'impôt.
En outre, il institue une imposition rétroactive. Alors que la rédaction initiale de l'article 7 visant à imposer au barème de l'impôt sur le revenu les gains de levée d'options sur actions (stock-options) et d'attribution d'actions gratuites a été aménagé par l'Assemblée nationale afin d'éviter une application a des faits révolus et garantir la sécurité juridique du dispositif (11), l'article 8 maintient dans son champ d'application les gains dégagés par les bénéficiaires de plans d'options ou d'actions gratuites attribués antérieurement au 16 octobre 2007.
La non-rétroactivité de l'article 7 est cependant remise en cause par l'article 8. En effet, cet article étend l'application de la contribution de 18 % aux gains de stock-options et actions gratuites non soumis à la contribution salariale de 10 %, c'est-à-dire aux gains issus de plans antérieurs au 16 octobre 2007 : ces gains sont assimilés à des rémunérations, alors même qu'ils ont la nature juridique d'une plus-value. De ce fait, la loi comporte une rétroactivité inconstitutionnelle puisqu'elle soumet, contrairement à l'article 7 modifié à cette fin, à une imposition nouvelle une situation révolue, le contribuable ne pouvant adapter son comportement en conséquence de la règle nouvelle. La rétroactivité ainsi introduite constitue une atteinte au droit de propriété des contribuables ayant réalisé leur cession en 2012 et réinvesti les plus-values réalisées : ces derniers seront en effet contraints de céder leur actif pour payer l'impôt.
(10) Rapport général n° 251, tome 2, pp. 168 et 169. (11) Comme l'ensemble des modifications du régime apportées par le passé, les nouvelles règles d'imposition s'appliqueront aux options sur titres et actions gratuites attribuées à compter de la présentation du projet en conseil des ministres, le 28 septembre 2012.
1 version