- L'article 9 de la loi de finances pour 2013 est de surcroît contraire au droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration de 1789.
Il est en effet démontré ci-dessus que les taux d'imposition institués par l'article déféré aboutissent nécessairement à ce que les contribuables qui choisissent un placement sans risque soient privés de tout revenu à raison de ce placement et même à ce que le montant de leur épargne soit réduit d'une certaine fraction chaque année.
Or le droit de propriété garanti par la Constitution, « inviolable et sacré » selon l'article 17 de la Déclaration de 1789, comporte selon l'article 544 du code civil « le droit de jouir et de disposer des choses » (usus et abusus), mais aussi, selon les articles 546 et 547 du même code, le droit aux « fruits naturels et industriels de la terre » ainsi qu'aux « fruits civils » (fructus). En vertu de l'article 584 du code civil, les fruits civils comprennent les revenus du capital.
En privant un épargnant prudent de tout revenu, les dispositions de l'article déféré le privent dès lors d'un des attributs du droit de propriété.
Le mécanisme de plafonnement institué par le E du même article 9 de la loi de finances pour 2013 est impuissant à remédier aux violations du principe d'égalité et du droit de propriété qui sont dénoncées ci-dessus, pour deux raisons.
La première raison est que le plafonnement est calculé sur l'ensemble des revenus du contribuable, si bien que, pour les contribuables disposant d'autres revenus, la confiscation des revenus de l'épargne et la privation des fruits civils subsistent. Pour la plupart des contribuables actifs, le niveau des revenus d'activité est tel que l'application de l'article 885-V bis ne donnera lieu à aucune réduction de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Il n'est assurément pas conforme au principe d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques que la perte des revenus de l'épargne et d'une fraction du capital soit compensée pour les rentiers qui ne disposent pas d'autres revenus et non pour les personnes ayant par ailleurs des revenus d'activité.
A un prélèvement excessif sur les revenus du capital devrait correspondre, pour éviter le caractère confiscatoire de l'impôt, un plafonnement en fonction des revenus du même capital.
La seconde raison est que les « revenus réalisés » de l'année précédente, tels qu'ils sont définis à l'article 885-V bis rétabli par l'article déféré, ne se limitent pas aux revenus disponibles, ni même aux revenus du contribuable, mais comprennent des éléments sans rapport avec ses facultés contributives.
S'il s'agit de revenus appréhendables par le contribuable, il est juste de les intégrer dans le plafonnement afin d'éviter des stratégies d'optimisation fiscale ; en revanche, s'il s'agit de revenus qui ne sont pas appréhendables, il y a rupture d'égalité entre contribuables car on plafonne au regard d'un même niveau à 75 % mais selon des revenus qui ne sont en fait jamais perçus par le contribuable.
S'agissant des bénéfices d'une entreprise contrôlée par le contribuable (contrôle partiel seulement d'ailleurs avec une minorité de blocage), les revenus ne seront jamais perçus puisqu'ils ne sont pas distribués mais restent dans l'entreprise. A ce titre, ces revenus ont déjà subi l'impôt sur les sociétés ; s'ils étaient distribués, ils bénéficieraient d'abattements ; il y a donc rupture d'égalité à les inclure quand même parmi les revenus disponibles pour le contribuable, alors que ces revenus sont réinjectés dans l'entreprise et peuvent être perdus si l'entreprise périclite (le facteur risque n'est absolument pas pris en compte par le législateur) ; le 4° du II de l'article 885-V bis rétabli par le E du 1 de l'article 9 est donc contraire à la Constitution en tant qu'il ne tient pas compte des capacités contributives réelles des redevables de l'ISF.
Plus généralement, le législateur a en effet institué un plafonnement non pas par référence au total des revenus nets de frais professionnels, des revenus exonérés d'impôt sur le revenu et des produits soumis à un prélèvement libératoire, comme il est d'usage depuis qu'existe un plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune, mais par rapport à ce même total majoré de divers éléments patrimoniaux qui n'avaient jusqu'ici pas été retenus : intérêts des plans d'épargne-logement constatés par une inscription en compte, variation de la valeur de rachat des bons ou contrats de capitalisation et des contrats d'assurance vie, produits capitalisés dans les trusts, plus-values placées en sursis ou en report d'imposition, bénéfice distribuable des sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés, à proportion des droit détenus par les contribuables ayant détenu avec leur famille proche, à un moment quelconque au cours des cinq années précédentes, plus de 33,3 % des droits aux bénéfices de cette société.
Cette énumération comprend des éléments de revenus que le législateur a choisi de placer en report ou en sursis d'imposition par le motif que le contribuable n'en a pas la disposition, des accroissements de valeur de contrats qui ne constitueront des revenus que lors du dénouement du contrat, mais aussi, avec les bénéfices de sociétés, des sommes sur lesquelles le contribuable concerné n'a parfois aucune prise et dont certaines ne viendront jamais s'ajouter à ses revenus.
En outre, les dispositions en cause sont asymétriques, en ceci qu'elles ne prennent pas en compte les événements affectant à la baisse le patrimoine du contribuable, tels que la variation à la baisse de la valeur des contrats d'assurance vie ou de capitalisation ou les pertes des sociétés contrôlées par le groupe familial. Les gains et les pertes constatés la même année ne se compensent pas, même au sein d'une catégorie donnée.
Ainsi, le 2° du II de l'article 885-V bis rétabli par le E du I de l'article 9 intègre dans le calcul du plafonnement la variation de la valeur de rachat des contrats d'assurance vie. Or, pour les contrats en unités de compte, la variation positive d'une année (intégrée aux revenus pour calculer le plafonnement) peut être perdue l'année suivante et la variation négative n'est pas prise en compte : il y a donc rupture d'égalité entre contribuables, dès lors que, sur la durée du contrat, alors même qu'in fine il n'y a pas d'imposition car il n'y a pas de profit, au titre de certaines années, il y aura eu intégration d'un revenu non réalisé et in fine perdu pour le calcul de l'ISF ; le III de l'article 885-V bis ne neutralise que les variations positives, il ne tient pas compte des variations négatives.
Enfin le paradoxe de ces dispositions est que les montants en cause, pris en compte lorsque le contribuable n'en dispose pas, ne sont pas pris en compte l'année où il en dispose. C'est ainsi que les bénéfices des sociétés décrits ci-dessus ne sont pas pris en compte lorsqu'ils sont distribués, comme si la perception de dividendes n'accroissait pas la faculté contributive de leurs bénéficiaires.
Les montants énumérés au II de l'article 885-V bis issu de la l'article déféré sont en réalité des éléments du patrimoine et non des éléments du revenu. Le législateur a ainsi créé un plafonnement des impositions frappant la fortune et le revenu par rapport à un agrégat comportant lui-même des revenus et des éléments de fortune. Une telle construction n'est assurément pas conforme aux exigences constitutionnelles.
Votre Conseil, dans sa décision du 9 août 2012 précitée, a mentionné des règles de plafonnement « qui limitent la somme de l'impôt de solidarité sur la fortune et des impôts dus au titre des revenus et produits de l'année précédente à une fraction totale des revenus nets de l'année précédente ».
Le prétendu plafonnement institué par l'article déféré n'est pas un plafonnement en fonction des revenus. Il ne permet donc pas d'atteindre l'objectif qu'il est censé viser et d'éviter la rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques qui est dénoncée ci-dessus.
Dans ces conditions, c'est l'article 9 dans son ensemble qui doit être déclaré contraire à la Constitution, en ceci qu'il porte, au principe d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques ainsi qu'au droit de propriété, des atteintes que le plafonnement qu'il institue ne permet pas d'éviter.
Article 10 :
Au sein de la catégorie des plus-values immobilières, le législateur introduit une distinction entre terrains à bâtir, soumis au barème de l'impôt sur le revenu, et les immeubles bâtis, qui demeurent soumis à un taux forfaitaire (majoré par l'article 24 sexies du PLFR 2012-3).
Le caractère confiscatoire de l'imposition globale sur les plus-values immobilières des terrains à bâtir au barème de l'impôt sur le revenu apparaît ainsi clairement, puisque le taux de taxation peut atteindre, au maximum, 90,5 % :
45 % au titre de la tranche marginale d'impôt sur le revenu ;
15,5 % au titre des prélèvements sociaux ;
5 % ou 10 % au titre de la taxe prévue à l'article 1605 nonies du CGI ;
12,5 % ou 25 % sur 80 % de la plus-value ou 10 % au titre des taxes facultatives prévues aux articles 1609 nonies F et 1529 du CGI.
L'intention du Gouvernement est également manifeste puisqu'il attend de cette fiscalité confiscatoire à l'horizon 2015 une accélération des cessions dans les deux prochaines années.
A l'inverse, pour les immeubles bâtis, le niveau de taxation ne peut excéder, au plus, 40,5 % (taux forfaitaire de 19 % + 15,5 % de prélèvements sociaux + 6 % de surtaxe maximum prévue à l'article 24 sexies du PLFR 2012-3).
Une telle différence de niveau d'imposition concernant des biens de nature similaire (puisqu'il suffit de construire pour ne plus être terrains à bâtir) crée une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, sans motif d'intérêt général suffisant (un « choc d'offre temporaire ») pour la justifier.
Par ailleurs, en ce qui concerne les terrains à bâtir, il n'est prévu aucun abattement pour durée de détention, ni aucune prise en compte de l'inflation : la plus-value est donc calculée sur une valeur arbitrairement majorée qui ne tient pas compte de la réalité de l'évolution du marché immobilier, l'inflation ayant un effet sur la valeur nominale des biens qui n'est absolument pas pris en compte ; les capacités contributives réelles des contribuables ne sont donc pas prises en compte.
En outre, cet article 10 rétablit l'exonération des plus-values immobilières lorsque la cession est réalisée au profit d'un bailleur social pour réaliser des logements sociaux. Or, cette exonération n'est pas étendue aux bailleurs privés. Il y a là un motif de rupture d'égalité devant l'impôt.
Enfin, il est hasardeux de penser que le propriétaire d'un terrain à bâtir le cèdera en 2013 ou 2014 dans le cadre d'une fiscalité considérablement alourdie au motif que celle-ci deviendrait quasi confiscatoire à partir de 2015. L'intelligibilité de ce dispositif est d'autant moins perceptible que, s'agissant des propriétés bâties, le « choc d'offre » est attendu d'un abattement supplémentaire de 20 % de l'assiette de la taxe sur la plus-value.
Pour ces motifs, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.
Article 36 bis :
Cet article modifie le régime juridique des cessions de biens immobiliers bâtis situés dans une forêt domaniale. Or, les requérants font valoir que le I de cet article est sans impact budgétaire direct, à la différence du II de l'article qui lui est retracé dans l'article d'équilibre, puisqu'il s'agit seulement de règles de procédure pour la vente de biens de l'Etat.
Il convient dès lors de le censurer.
Article 56 :
En excluant certains avantages fiscaux du plafonnement à 18 000 EUR + 4 % du revenu imposable (dispositif « Malraux ») et en créant deux plafonnements distincts, l'un, fixe, à 10 000 EUR et l'autre à 18 000 EUR + 4 % du revenu imposable, il y a rupture du principe d'égalité entre contribuables et complexité excessive de la loi fiscale empêchant les contribuables de faire des choix rationnels.
Il s'agit là de motifs de censure de la part de votre Conseil, comme en témoigne le considérant 85 de votre décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005.
Article 64 bis :
Cet article, qui prévoit le financement des travaux prescrits dans le cadre d'un plan de prévention des risques technologiques (PPRT), est sans impact sur le budget de l'Etat. Son impact fiscal est par ailleurs trop indirect. Le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale estime d'ailleurs, dans son rapport en nouvelle lecture, à la page 112, que l'« on peut s'interroger sur la réalité de son impact budgétaire et fiscal ». Il convient dès lors de le censurer.
Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la fonction de contrôle de constitutionnalité de la loi que lui confère la Constitution.
1 version