Il convient de rappeler brièvement le mécanisme de réalisation de ces gains et les besoins auxquels ils répondent. Ces régimes sont fondés sur l'espérance du gain lié à la valorisation de l'entreprise en cas de réussite du projet commun. Cet espoir de gain comporte en lui-même un aléa puisqu'il est susceptible de n'être jamais réalisé par ceux auxquels il a été promis. Dans leur philosophie même, ces dispositifs permettent un partage de la valeur de l'entreprise entre les actionnaires, qui consentent un effort en diluant leur participation au capital social, et les collaborateurs de la société. Ils permettent également à des sociétés, notamment celles constituées récemment et ne disposant pas de la trésorerie suffisante pour rémunérer leurs collaborateurs aux niveaux souhaités, de leur offrir l'espoir d'un gain futur en cas de réussite, sans affecter dans l'immédiat la trésorerie de l'entreprise.
Dans le cas des options d'achat ou de souscription d'actions, la société permet à ses salariés ou dirigeants de souscrire ou d'acheter à une date future les actions à une valeur déterminée au jour de l'attribution. Si, à l'issue d'une période d'indisponibilité le prix de l'action est supérieur à la valeur de l'action à la date à laquelle l'option a été attribuée, le bénéficiaire tire un gain égal à cette différence. Si, dans l'intervalle, la valeur de l'action n'a pas progressé, et nombreux sont les exemples en la matière, le bénéficiaire ne retire aucun gain. Les sociétés conditionnent par ailleurs fréquemment l'exercice des options à la réalisation de conditions de performance à satisfaire sur une période de plusieurs années consécutives, ce qui renforce encore l'aléa.
En application des dispositions du code de commerce, les sociétés par actions peuvent également procéder à des attributions gratuites d'actions au profit de tout ou partie de leur personnel. Ces attributions, également appelées actions de performance lorsque les entreprises en conditionnent le bénéfice à la réalisation de performance spécifiquement identifiées, permettent également d'associer les collaborateurs au succès de l'entreprise.
Le nouveau régime d'imposition emporte des critiques constitutionnelles dans la mesure où, contrairement à l'objectif qu'il indique poursuivre d'aligner la fiscalité du capital sur celle du travail, il génère une rupture d'égalité entre les différents revenus pour des contribuables ayant la même capacité contributive, qui n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général.
Alors que les nouvelles dispositions du code général des impôts (articles 80 bis et 80 quaterdecies) disposent désormais que les gains afférents à des plans de stock-options et les avantages correspondant à la valeur des actions attribuées gratuitement sont « imposés dans la catégorie des traitements et salaires », la comparaison du prélèvement global pesant sur les bénéficiaires de ces plans avec ceux affectant les traitements et salaires montre que l'objectif d'égalité de traitement de ces gains avec les rémunérations n'est pas atteint.
En effet, les prélèvements sociaux supportés par les bénéficiaires des plans attribués postérieurement au 28 septembre 2012 seront toujours supérieurs à ceux grevant le salaire en cas de perception immédiate du gain : les gains afférents aux stocks-options supporteront un prélèvement de 22,5 % à comparer à un taux compris entre 19,3 % pour les salaires inférieurs à un plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), 18,95 % pour les salaires inférieurs à 4 PASS, 16,68 % pour les salaires inférieurs à 8 PASS et 8,85 % pour ceux qui excèdent 8 PASS. Pour les salaires excédant 8 PASS, l'écart de prélèvement (+ 13,65 points pour un gain différé et aléatoire) est donc considérable.
Les prélèvements sociaux applicables aux gains d'acquisition resteront supérieurs à ceux applicables aux salaires supérieurs à 4 PASS lorsque le salarié aura respecté un délai de quatre ans à compter de l'attribution du plan : en d'autres termes, le salarié qui aura attendu quatre ans pour percevoir un revenu incertain subira nécessairement des prélèvements sociaux supérieurs à celui ayant perçu immédiatement en argent un montant équivalent.
La rupture d'égalité se manifeste également au regard de la nature des prélèvements supportés par les bénéficiaires : alors que dans le cas des rémunérations les cotisations sociales ouvrent droit à des contreparties (notamment indemnisation du chômage et prestations de retraite), la contribution sociale spécifique de l'article L. 137-14 du code de la sécurité sociale ne donne lieu à aucune contrepartie. L'autre différence majeure qui influe sur le montant net du prélèvement supporté par le contribuable réside dans la nature déductible des cotisations sociales, caractère qui n'est pas applicable à la contribution de l'article L. 137-14 précité. Les bénéficiaires d'un plan de stock-options ou d'actions attribuées gratuitement seront donc imposés sur la totalité du gain alors même qu'il n'en auront perçu que 82,5 %, voire 77,5 %.
La mesure évoquée ici, compte tenu des taux de prélèvement qu'elle implique (entre 74,5 % et 79,5 %), porte également atteinte au principe garanti par l'article 17 de la DDHC qui dispose que : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». Cette privation ne trouve par ailleurs pas de justification dans une raison impérieuse d'intérêt général.
L'imposition créée entraîne en effet une privation de plus des trois quarts des revenus d'activité d'un contribuable : or le Conseil constitutionnel a par le passé déclaré non conforme à la Constitution une contribution d'un taux bien inférieur, puisqu'elle était de 50 %, dans le cas de revenus d'activité perçus en complément des régimes de retraite complémentaires (5).
Cette atteinte au droit de propriété n'est, en outre, pas justifiée par une raison d'intérêt général suffisante, éventuellement susceptible de valider la conformité de la mesure à la Constitution. Notamment, il n'existe aucun comportement condamnable susceptible de justifier la mise en œuvre d'une sanction. En tout état de cause, si tel devait être le cas, la sanction choisie serait en elle-même contraire aux principes constitutionnels dès lors qu'elle n'est pas individualisée.
(5) Décision du 16 janvier 1986 (n° 85-200 DC).
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