Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs de deux recours dirigés contre la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Ces recours appellent de la part du Gouvernement les observations suivantes.
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I. - Sur la procédure
- Pour les députés auteurs du recours, ont été méconnus, d'une part, les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire et, d'autre part, l'article 49 du règlement de cette assemblée qui, aux termes de l'article 51-1 de la Constitution, reconnaît des droits spécifiques aux groupes parlementaires d'opposition et minoritaire. Ils considèrent également, comme les sénateurs auteurs du recours, que l'étude d'impact n'est pas conforme aux exigences de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
- Le Gouvernement considère que ces griefs ne sont pas fondés.
2.1. La sincérité des débats parlementaires n'a pas été altérée.
A. ― Les débats sur le projet, lors de la première lecture du texte devant l'Assemblée nationale, ont duré 110 heures. Devant le Sénat, certaines dispositions du texte ― dont l'article 1er qui ouvre le mariage aux couples de même sexe ― ont été votées dans les mêmes termes. Le texte soumis à l'examen de l'Assemblée nationale lors de la deuxième lecture n'était pas profondément remanié par rapport à celui examiné en première lecture.
Dans ces conditions, faisant application de la prérogative qu'il tire du deuxième alinéa de l'article 48 de la Constitution, le Gouvernement a décidé d'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la deuxième lecture du texte dans un délai rapproché. Le vendredi, jour de l'adoption du projet de loi par le Sénat, le Gouvernement a notifié par lettre la décision qu'il avait prise. En conséquence, le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale a pu, dès ce jour et conformément à l'article 40 du règlement de l'Assemblée nationale, convoquer la commission pour le lundi suivant en fin d'après-midi afin qu'elle examine le texte, la fin du délai de dépôt des amendements étant fixé au lundi en fin de matinée. Les députés ont donc eu le temps nécessaire pour préparer et déposer des amendements en commission, ce qu'ils n'ont pas manqué de faire puisque 736 amendements ont été déposés.
Le Gouvernement a par ailleurs pris soin de n'inscrire ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée que le mercredi. La commission a ainsi pu travailler dans de bonnes conditions et, au bout de six heures de débat, conclure lundi dans la soirée. Ayant connaissance du texte de la commission, les députés ont eu la journée de mardi et le mercredi jusqu'à l'appel du texte en séance pour déposer des amendements ― 3 487 amendements ont été déposés.
B. ― Les députés auteurs du recours soulèvent en outre une méconnaissance du règlement de l'Assemblée nationale. Le président du groupe UMP n'aurait pas vu satisfaite sa demande d'allongement exceptionnel de la durée d'examen du texte, qu'il serait en droit d'obtenir en vertu de l'article 49 du règlement.
a) Comme le notent les auteurs des recours, l'article 26 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 a introduit un article 51-1 aux termes duquel « le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein. Il reconnaît des droits spécifiques aux groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires ».
Par l'ajout de cet article, le constituant a consacré le rôle respectif de la majorité et de l'opposition et affirmé la nécessité des droits qui doivent être spécifiquement reconnus à l'opposition pour garantir le bon fonctionnement de la démocratie parlementaire. La seconde phrase de l'article 51-1 doit notamment être lue au regard de la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel qui, en l'absence de définition constitutionnelle de la majorité et de l'opposition, avait censuré une résolution modifiant le règlement de l'Assemblée nationale qui introduisait la notion de « majorité » et d'« opposition » (22 juin 2006, décision n° 2006-537 DC, considérants 12 à 14).
Il résulte de cette disposition que le règlement de chaque assemblée doit contenir des dispositions garantissant des droits spécifiques aux groupes d'opposition et aux groupes minoritaires de l'assemblée intéressée. Si de telles dispositions étaient absentes ou insuffisantes, le Conseil constitutionnel pourrait être conduit à déclarer contraire à la Constitution le règlement d'une assemblée.
On ne peut cependant pas considérer que l'emploi du terme « reconnaît » devrait conduire à assimiler le règlement à une loi organique, pour le sujet particulier des droits des groupes d'opposition ou minoritaires, et à attraire ainsi une partie du règlement des assemblées dans le champ du bloc de constitutionnalité. Ne paraît ainsi pas devoir être remise en cause la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel selon laquelle les règlements des assemblées parlementaires n'ont pas par eux-mêmes une valeur constitutionnelle (22 juillet 1980, décision n° 80-117 DC, considérant 3) ― de sorte que la méconnaissance alléguée de l'article 49 du règlement de l'Assemblée nationale ne saurait avoir pour effet, à elle seule, de rendre la procédure législative contraire à la Constitution (voir entre autres : 9 novembre 2010, décision n° 2010-617 DC ; 18 février 2010, décision n° 2010-602 DC).
On pourrait toutefois considérer que la procédure parlementaire suivie pour le vote d'une loi particulière devrait être regardée comme irrégulière au regard de la seconde phrase de l'article 51-1 de la Constitution si les droits des groupes d'opposition et des groupes minoritaires avaient été manifestement méconnus et si ces groupes avaient été privés de toute possibilité de faire valoir des droits spécifiques au cours de la procédure parlementaire.
En l'espèce, les droits des groupes d'opposition et des groupes minoritaires ont été pleinement respectés et le moyen tiré de ce que l'article 51-1 aurait été méconnu devra en tout état de cause être écarté.
b) Le contrôle du respect des droits des groupes d'opposition ou minoritaires lors de l'examen d'un texte de loi continue en outre à s'effectuer au travers des exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires. Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel contrôle déjà le caractère manifestement disproportionné du temps de travail qui a pu être fixé par la Conférence des présidents (25 juin 2009, décision n° 2009-581 DC, considérant 25 ; décision n° 2011-631 DC, considérant 6).
A cette aune, on ne peut pas considérer que le recours en deuxième lecture au temps législatif programmé, et la fixation d'un délai de 25 heures de discussion, aurait privé d'effet les exigences de clarté et de sincérité des débats eu égard au fait que, comme il a été dit plus haut, le débat en première lecture a dépassé les 100 heures et que des dispositions essentielles de la loi ont été votées dans les mêmes termes en première lecture au Sénat.
c) En tout état de cause, les dispositions invoquées du règlement de l'Assemblée nationale n'ont pas été méconnues.
Conformément à l'article 49 du règlement, modifié après la révision constitutionnelle de 2008 par une résolution dont le Conseil constitutionnel a eu à connaître (25 juin 2009, décision n° 2009-581 DC : article 31 de la résolution modifiant l'article 49 du règlement, considérants 22 et suivants), « l'organisation de la discussion des textes soumis à l'Assemblée peut être décidée par la Conférence des présidents » (point 1) et, « selon des modalités définies » par cette dernière « un président de groupe peut obtenir, de droit, que le temps programmé soit égal à une durée minimale » également fixée par cette Conférence (point 9). Il est ajouté qu'« Une fois par session, un président de groupe peut obtenir, de droit, un allongement exceptionnel de cette durée dans une limite maximale fixée par la Conférence des présidents. »
Les modalités d'application de l'article 49 ont été définies, sous la précédente législature, par les Conférences successives des 30 juin et 7 juillet 2009, puis du 7 septembre 2010. La première Conférence a en particulier fixé à 30 heures le temps législatif allongé qu'un président de groupe peut obtenir de droit pour chaque texte et à 50 heures le temps législatif exceptionnel qu'un président de groupe peut obtenir une fois par session. La dernière Conférence a enfin indiqué que « les temps auxquels les groupes ont droit sont fixés, en deuxième lecture, à la moitié de ceux qui sont prévus en première lecture ». Ces règles ont été « reconduites sans modification » sous la présente législature lors de la conférence du 6 novembre 2012, cette même Conférence adoptant un nouveau barème prenant en compte la nouvelle composition de l'Assemblée nationale.
Par conséquent, en deuxième lecture, le temps législatif allongé qu'un président de groupe peut obtenir de droit (point 9 de l'article 49) est de 15 heures et de 25 heures le temps législatif exceptionnel qu'un président de groupe peut obtenir de droit une fois par session (point 10 de l'article 49).
En l'espèce, lors de la Conférence des présidents du 15 avril 2013, il a été demandé par le président du groupe majoritaire l'application, pour une durée de 25 heures, du temps législatif programmé. Compte tenu des règles reconduites en novembre 2012, la demande du président du groupe UMP d'un temps législatif exceptionnel en deuxième lecture était donc déjà satisfaite ― étant précisé que le fait que le temps n'ait pas été programmé lors de la première lecture ne faisait pas obstacle à ce qu'il le soit lors de la deuxième et que, dans ce cas, soient appliquées les durées prévues pour la deuxième lecture.
2.2. Les auteurs des recours soutiennent par ailleurs que l'étude d'impact jointe au projet de loi aurait été insuffisante.
A. ― Le Gouvernement estime, tout d'abord, que le grief tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact ne peut être utilement invoqué dans le cadre d'un recours formé en application de l'article 61 de la Constitution.
Il ressort des travaux préparatoires à l'adoption de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 que, pour les auteurs de l'amendement dont elle est issue comme pour les présidents des commissions des lois qui ont rapporté le projet de loi dans chaque assemblée, la procédure ajoutée au quatrième alinéa de l'article 39 est exclusive de toute autre sanction de la méconnaissance des règles fixées par la loi organique prévue au troisième alinéa du même article. Le constituant a en effet prévu que le contrôle du respect de ces règles devait intervenir au stade de l'inscription du projet de loi à l'ordre du jour de la première assemblée saisie. Pour les auteurs du sous-amendement 589 rectifié qui a introduit ce mécanisme de contrôle en première lecture à l'Assemblée nationale, il s'agissait d'éviter que : « Faute d'être sanctionné, le dispositif des études d'impact [n'ait] qu'une portée limitée. » L'insuffisance éventuelle d'une étude d'impact peut ainsi conduire la Conférence des présidents à refuser l'inscription du texte à l'ordre du jour. En revanche, si la Conférence des présidents accepte l'inscription du texte à l'ordre du jour, le caractère suffisamment complet de l'étude d'impact ne peut plus être contesté.
Cette interprétation est corroborée par les travaux préparatoires de la loi organique du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Dans son rapport sur le projet de loi organique, M. Jean-Luc Warsmann précisait ainsi : « Or, en ce qui concerne la question du respect des règles de présentation des projets de loi, le constituant a entendu permettre au Conseil constitutionnel de jouer un rôle "explicite d'arbitrage.” L'intention n'a donc pas été de créer un nouveau motif d'inconstitutionnalité de dispositions législatives, mais uniquement de créer une procédure destinée à permettre la résolution d'une divergence d'opinion entre la Conférence des présidents et le Gouvernement. (...) Le constituant a choisi, à l'article 39 de la Constitution, de faire intervenir le Conseil constitutionnel comme un aiguilleur des compétences entre les pouvoirs publics, comme à l'article 41. Cette procédure n'a de sens que si le conflit d'interprétation est épuisé avant l'examen de la loi. Une telle interprétation interdirait par conséquent à tout auteur d'une saisine sur le fondement de l'article 61 de la Constitution de se prévaloir d'une absence de respect des conditions de présentation des projets de loi pour contester la constitutionnalité de la loi déférée. »
La même interprétation est retenue par M. Jean-Jacques Hyest dans son rapport présenté au nom de la commission des lois du Sénat. Tout en estimant que l'analogie avec l'article 41 de la Constitution, mise en avant par le rapporteur à l'Assemblée nationale, « para[issait] rencontrer des limites », le président de la commission des lois du Sénat, rapporteur du projet de loi organique, confirmait l'analyse proposée par le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale en se référant aux conditions d'adoption de la nouvelle rédaction de l'article 39 de la Constitution :
« Toutefois, votre rapporteur, qui exerçait la même fonction lors de l'examen de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, estime qu'en imposant de nouvelles règles de présentation des projets de loi l'intention du pouvoir constituant n'était pas de créer un nouveau motif de contestation de la conformité des lois à la Constitution mais de donner au Parlement une information plus complète sur les projets de loi que lui soumet le Gouvernement.
« Il s'agit d'améliorer la préparation et la présentation des projets de loi, en confiant aux assemblées et, en cas de désaccord avec le Gouvernement, au Conseil constitutionnel, l'appréciation du respect des prescriptions de la loi organique. Ainsi, l'étude d'impact ne pourra plus faire l'objet de contestation après l'inscription du texte à l'ordre du jour de la première assemblée saisie et ne devrait, a fortiori, connaître aucune mise en cause valable après l'adoption définitive du projet de loi. Enfin, la loi organique confirme cette analyse en prévoyant, pour l'exercice du pouvoir d'appréciation de la Conférence des présidents, un délai qui ne lui permettra pas de repousser indéfiniment l'inscription d'un projet de loi à l'ordre du jour. »
En l'espèce, la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale n'a pas jugé utile de mettre en œuvre la procédure prévue au quatrième alinéa de l'article 39 de la Constitution et à l'article 9 de la loi organique du 15 avril 2009. Le caractère suffisant de l'étude d'impact ne saurait être utilement contesté dans le cadre des recours formés en application de l'article 61 de la Constitution.
B. ― En tout état de cause, l'étude d'impact est conforme aux exigences de précision de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 sur les points mis en avant par les recours.
L'article 8 de la loi organique de 2009 prévoit que l'étude d'impact définit les objectifs poursuivis par le projet de loi, recense les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles et expose les motifs du recours à une nouvelle législation.
En l'espèce, l'étude d'impact a exposé l'évolution de la société sur les différentes formes de couples et de familles justifiant la nécessité de permettre aux couples de personnes de même sexe d'accéder à des droits équivalents à ceux dont les couples mariés bénéficient. Il est ainsi souligné que de nombreux couples sont composés de personnes de même sexe et que des enfants grandissent et sont élevés par deux parents de même sexe alors que le lien de filiation n'est établi qu'à l'égard d'un des membres du couple.
Après avoir dressé un bilan de l'état du droit positif et du droit comparé, l'étude d'impact a envisagé les différentes options possibles. Les objectifs poursuivis par la réforme ainsi que les incidences de celle-ci tant sur les différentes branches du droit que sur les différentes institutions en charge des mariages ont été soulignés. L'articulation du projet de loi avec le droit européen, son impact sur l'ordre juridique interne, les modalités d'application dans le temps des dispositions envisagées, les textes législatifs et réglementaires à abroger et les mesures transitoires proposées sont exposés ainsi que les conditions d'application des dispositions envisagées outre-mer.
L'étude d'impact comprend aussi des développements sur l'incidence de la réforme en droit international, les conséquences économiques et les coûts pour les administrations concernées ― en l'occurrence, les services de l'état civil, ainsi que sur les nombreuses consultations et auditions qui ont été menées lors de la préparation du projet de loi.
L'étude d'impact comprend également la liste prévisionnelle des textes d'application nécessaires.
Sur la question de l'adoption, le projet de loi ne prévoyait aucune disposition particulière, ce qui explique l'absence de développement dans l'étude d'impact. En effet, la loi n'ouvre pas un droit automatique à l'adoption mais permet seulement aux couples mariés de même sexe de demander au tribunal de prononcer l'adoption d'un enfant. Il est ainsi mentionné, notamment en page 24, que « Le Gouvernement fait le choix d'ouvrir l'adoption aux couples de même sexe mariés dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels mariés, avec les mêmes droits et les mêmes procédures administratives (agrément) et juridictionnelles garantes de l'évaluation du sérieux du projet et d'un environnement éducatif, familial et psychologique correspondant aux besoins et à l'intérêt d'un enfant adopté. »
II. - Sur les dispositions relatives au mariage
- Les auteurs des recours considèrent que les articles 1er à 6 ne relèvent pas de la compétence du législateur et que la nouvelle définition du mariage à laquelle ils procèdent méconnaît à la fois un principe fondamental reconnu par les lois de la République, un principe du « droit naturel » dans lequel s'enracinent les droits de l'homme, un « principe fondant le contrat social de la République » ainsi que la « constitution sociale de la France » selon lesquels le mariage est l'union d'un homme et d'une femme. Ils estiment aussi que les articles contestés portent atteinte à la liberté du mariage, garantie par l'article 2 de la DDHC, et au droit des contrats en cours et qu'ils sont contraires à plusieurs conventions internationales, méconnaissant ainsi le quatorzième alinéa du Préambule et l'article 55 de la Constitution. Plus spécifiquement, il est fait reproche au nouvel article 202-1 du code civil de rompre l'égalité et de favoriser la fraude à la loi.
- Le Gouvernement ne partage pas cet avis.
A titre liminaire, il entend préciser que le code civil ne définit pas le mariage et que la loi déférée n'entend pas modifier cet état. Le code civil ne traite que de l'établissement des actes de mariage, au titre V du livre Ier ― un autre titre portant sur les conditions et effets de la dissolution du mariage. Le premier article de ce titre, l'article 144, faisant mention de l'homme et de la femme ― l'article 75 lui faisant écho ―, il a en été déduit que, selon la loi française, le mariage est l'union d'un homme et d'une femme (voir, en dernier lieu : Cass. civ. 1re, 13 mars 2007, R. p. 326, Bulletin civil I, n° 133).
Pour ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe, l'article 1er de la loi déférée rétablit, au sein du chapitre portant sur les « qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage », un article 143 aux termes duquel le mariage peut être contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe. L'expression est similaire à celle qu'a adoptée le législateur pour préciser les conditions relatives au pacte civil de solidarité (art. 515-1 issu de la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999) ou au concubinage (art. 515-8 issu de la même loi).
2.1. Ces précisions étant apportées, le Gouvernement estime qu'aucun principe constitutionnel ne s'oppose à ce que le législateur prévoie que le mariage est l'union de deux personnes de même sexe ou de sexe différent.
A. ― Il relève, d'abord, de la compétence du législateur de fixer les conditions du mariage.
Il revient en effet à la loi, aux termes de l'article 34 de la Constitution, de fixer les règles concernant « l'état des personnes » mais aussi les « régimes matrimoniaux » ― cette notion ne pouvant être lue de manière restrictive, c'est-à-dire comme limitée au régime des biens des époux. Au demeurant, dans sa décision n° 2012-92 QPC du 28 janvier 2011, le Conseil a estimé que « le législateur tient de l'article 34 de la Constitution (la compétence) pour fixer les conditions du mariage ».
Par suite, la détermination des conditions du mariage, dont les règles d'établissement des actes de mariage, lesquelles supposent de définir les personnes susceptibles de contracter mariage, ne relève ni du pouvoir constituant ni du pouvoir réglementaire mais de la loi.
B. ― Par ailleurs, aucun principe constitutionnel ne limite le mariage à l'union d'un homme et d'une femme.
a) Il n'existe pas de principe fondamental reconnu par les lois de la République qui ait cette portée.
Pour être ainsi qualifiée, une règle doit, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, satisfaire à trois conditions essentielles. Elle doit d'abord être véritablement fondamentale (20 juillet 1993, décision n° 93-321 DC, considérants 5 à 8 [1] ; 14 janvier 1998, décision n° 98-407 DC, considérants 7 à 9 [2]), c'est-à-dire avoir un degré suffisant de généralité et intéresser des domaines essentiels pour la vie de la Nation comme les libertés fondamentales, la souveraineté nationale ou l'organisation des pouvoirs publics. Elle doit ensuite trouver un ancrage textuel dans une ou plusieurs lois intervenues sous un régime républicain antérieur à 1946. Il faut enfin qu'il n'y ait jamais été dérogé par une loi républicaine antérieure à 1946 et qu'elle ait été d'application continue. Le Conseil constitutionnel n'a identifié qu'un faible nombre de principes fondamentaux ― onze (3). Aucun, il faut le noter, ne tire son origine de dispositions du code civil.
En effet, le domaine des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ne s'étend pas à celles des règles de droit privé qui ne sont que le reflet en droit de l'état de la société à un moment donné. La Constitution ne peut être interprétée, en l'absence de toute disposition expresse, comme cristallisant certaines règles de la vie collective, même anciennes, qui ont été établies au regard d'un contexte particulier qui peut évoluer. Le législateur doit au contraire conserver sa liberté d'appréciation pour adapter les régimes juridiques destinés à organiser la vie sociale, et en particulier la vie de famille, aux évolutions du temps.
En l'espèce, il existe, ainsi que l'avancent les recours, un ancrage textuel à la définition du mariage comme l'union de personnes de sexe différent dans des lois républicaines antérieures à 1946 ― quoique, comme il a été dit, les diverses modifications du code civil n'ont jamais défini le mariage et se sont très souvent abstenues de déterminer explicitement la qualité des époux. Cependant, le contenu de ces lois ne peut être regardé comme révélant l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Cette analyse semble d'ailleurs être confirmée par la décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011. Par cette décision, le Conseil constitutionnel n'a reconnu aucun principe fondamental, ni aucune autre contrainte constitutionnelle susceptible de réserver le mariage à l'union d'un homme et d'une femme. Il a considéré que le législateur pouvait « adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et (qu'il pouvait) modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci. » (considérant 5).
b) Aucune autre contrainte de niveau constitutionnel ne fait obstacle au choix qu'a opéré le législateur. Les autres catégories de normes invoquées par les auteurs des recours, dont le statut constitutionnel est incertain ― tels les principes du « droit naturel », « fondant le contrat social de la République » ou « fondant la constitution sociale de la France » ― n'ont en tout état de cause pas la portée que leur prêtent les recours. Comme il a été dit et ainsi qu'il résulte d'ailleurs de la décision n° 2010-92 QPC, il s'agit d'une question qui relève de l'appréciation du législateur.
2.2. Pour ce qui est de la méconnaissance alléguée de plusieurs conventions internationales, de l'article 14 du Préambule de la Constitution de 1946 et de l'article 55 de la Constitution de 1958, elle ne serait pas de nature à invalider la loi dès lors qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel d'examiner la compatibilité d'une loi avec les engagements internationaux de la France (15 janvier 1975, décision n° 74-54 DC ; 12 mai 2010, décision n° 2010-605 DC). En tout état de cause, il n'existe aucune contrariété dans l'ordre international. Aucune obligation internationale de la France ne s'oppose à l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.
2.3. Il n'est, en outre, porté atteinte ni à la liberté du mariage ni à des contrats en cours.
En adaptant les dispositions du code civil relatives au mariage aux couples de personnes de même sexe, le législateur, loin de porter atteinte à la liberté du mariage, étend au contraire le champ de cette liberté à ces couples, sans modifier le droit existant. Il faut rappeler que la loi déférée est sans incidence sur la validité, le contenu ou les effets des mariages contractés ou reconnus en France jusqu'à présent. Elle n'emporte aucune diminution ou perte des droits des couples mariés avant cette loi, dont la situation n'est en aucune manière altérée. Elle ne porte donc aucune atteinte à la liberté du mariage et aux contrats en cours.
2.4. Enfin, l'article 202-1 introduit par l'article 1er de la loi déférée n'est pas contraire au principe d'égalité et ne favorise pas la fraude à la loi.
L'article 202-1 dispose que si « les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle », toutefois, « deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ».
Le deuxième alinéa apporte une exception à la règle traditionnelle du droit international privé, rappelée au premier alinéa, selon laquelle en matière de mariage la loi personnelle de l'époux trouve à s'appliquer.
L'exception introduite par le législateur (4) à la règle générale traite une situation qui est spécifique aux couples de personnes de même sexe. Si le mariage entre un homme et une femme est une institution reconnue dans tous les Etats, ce n'est en effet pas le cas du mariage entre personnes de même sexe. Il est cependant apparu essentiel au législateur, soucieux d'assurer l'égalité des droits, de permettre à des ressortissants étrangers résidant sur le territoire français de pouvoir se marier. La règle de conflit de lois retenue est la seule qui permette d'atteindre cet objectif et ne méconnaît pas le principe d'égalité compte tenu de l'existence de situations différentes.
Dès lors que la loi se borne à aligner les situations, ce dispositif ne présente aucun risque de fraude spécifique ni même accru par rapport à la situation actuelle. A cet égard, la durée de résidence permettant le mariage est celle fixée à l'article 74 du code civil, soit un mois. Il s'agit d'une condition de droit commun, dont l'application peut poser les mêmes difficultés que celles qu'entraîne actuellement la situation des couples de sexe différent. Pour prévenir les mariages insincères et les fraudes, trouveront donc à s'appliquer les mécanismes de contrôle existants.
Il est certes possible que les mariages ainsi célébrés ne soient pas reconnus dans les Etats n'ayant pas ouvert le mariage aux personnes de même sexe. Mais cette situation n'est pas inédite. Elle n'est notamment pas différente de celle qui a existé lors de l'adoption du divorce en France ― il existait encore de nombreux Etats dans lesquels le divorce était interdit.
(1) Le Conseil constitutionnel a refusé de consacrer un principe fondamental en vertu duquel la naissance en France, assortie le cas échéant de conditions d'âge et de résidence, devrait ouvrir droit de manière automatique à la nationalité française, alors même qu'un tel principe avait été reconnu par différentes législations républicaines antérieures à 1946. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a indiqué que cette disposition avait été instituée pour des motifs tenant notamment à la conscription, suggérant que lorsque les législations sont liées à un contexte particulier elles ne peuvent faire l'objet d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République. (2) « La règle invoquée ― selon laquelle "en cas d'égalité de suffrages, la « prime majoritaire » ou le dernier siège devrait bénéficier, respectivement, à la liste ayant la moyenne d'âge la plus élevée ou au plus âgé des candidats susceptibles d'être proclamés élus” ― ne revêt pas une importance telle qu'elle puisse être regardée comme figurant au nombre des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République” mentionnés par le premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 » (considérant 9). (3) La liberté d'association, les droits de la défense, la liberté individuelle, la liberté d'enseignement, et notamment la liberté de l'enseignement supérieur, la liberté de conscience, l'indépendance de la juridiction administrative, l'indépendance des professeurs d'université, la compétence exclusive de la juridiction administrative pour l'annulation ou la réformation des décisions prises dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, l'autorité judiciaire gardienne de la propriété privée immobilière, l'existence d'une justice pénale des mineurs, le principe de pérennité du droit local d'Alsace-Moselle. (4) Etant précisé que cette règle vaut sous réserve des conventions bilatérales, qui peuvent ne prévoir que l'application de la loi personnelle ; dans cette hypothèse, compte tenu de la hiérarchie des normes, la règle conventionnelle prédominera.
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