V. - Sur les dispositions de coordination
A. ― Sur les articles 13, 14 et 22.
- L'article 13 introduit au code civil un article 6-1 aux termes duquel « le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l'exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe ».
L'article 14, pour sa part, habilite le Gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à prendre par voie d'ordonnance « les mesures nécessaires pour adapter l'ensemble des dispositions législatives en vigueur, à l'exception de celles du code civil, afin de tirer les conséquences de l'application aux conjoints et parents de même sexe des dispositions applicables aux conjoints et parents de sexe différent » (1°) ainsi que les mesures nécessaires pour adapter ces dispositions dans les collectivités d'outre-mer (2°).
Quant à l'article 22, il prévoit que les articles 1er à 13 et 21 de la loi sont applicables en Nouvelle-Calédonie, dans les îles Wallis et Futuna et en Polynésie française. - Pour les auteurs des recours, tant l'article 13 que l'article 14 méconnaîtraient l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Plus particulièrement, l'article 13 serait contraire au principe d'égalité en ce qu'il exclut de la règle qu'il pose le titre VII du livre Ier ― qui aurait des incidences sur la filiation adoptive ― tandis que l'article 14 aurait été irrégulièrement introduit par amendement parlementaire, pour éviter la réalisation d'une étude d'impact, et aurait dû être précédé, tout comme l'article 22, des consultations préalables des assemblées délibérantes des collectivités concernées, requises par les articles 74 et 77 de la Constitution. Il est enfin soutenu que le législateur ne pouvait prévoir une entrée en vigueur immédiate de la loi alors que l'article 14 dispose d'un délai de six mois pour adopter les ordonnances.
- Le Gouvernement estime que ces griefs sont infondés.
3.1. Les dispositions du nouvel article 6-1 du code civil auront pour effet de rendre applicables aux conjoints de même sexe toutes les dispositions mentionnant les maris et femmes ainsi que les pères et mères dans l'ensemble de la législation existante. Eu égard à l'insertion de cet article au titre préliminaire du code civil ― « De la publication, des effets et de l'application des lois en général » ―, il a vocation à s'appliquer à l'ensemble de la législation et à permettre son application égale aux couples de même sexe ou de sexe différent. S'agissant spécifiquement du code civil, l'article 6-1 a pour effet d'étendre la portée des dispositions qui mentionnent des époux et parents de sexe différent aux époux et parents de même sexe, sans modifier pour autant le sens des termes « père » et « mère ».
Cet article édicte une règle claire et accessible. Il ne peut être considéré que le principe d'intelligibilité du droit s'en trouve méconnu.
3.2. L'article 6-1 exclut cependant les dispositions du titre VII du livre Ier du code civil « De la filiation ». Ce titre traite des liens de filiation légalement ou judiciairement établis, c'est-à-dire de la filiation autre qu'adoptive, à laquelle un titre spécifique (le titre VIII) est consacré.
Cette exclusion s'explique par le fait, d'une part, que le législateur a décidé de ne pas modifier la présomption selon laquelle l'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari (art. 312 du code civil) ― laquelle, si elle découle du mariage, continuera à reposer sur l'altérité sexuelle ― et que, d'autre part, aucune disposition du titre VII ne trouve à s'appliquer au cas des couples de personnes de même sexe.
En effet, les dispositions de l'article 320 du code civil ― aux termes desquelles « tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait » ― n'autorisent pas l'établissement d'une filiation légale (c'est-à-dire non adoptive) à l'égard de deux parents de même sexe. Cet article ayant pour effet de prohiber l'établissement de deux liens de filiation concurrents dans la même branche, les couples de femmes ne pourront accéder à la parenté que par la voie adoptive. Si ces couples procèdent à une adoption plénière, l'établissement de lien de filiation paternel sera mis en échec par les dispositions des articles 356 et 359, qui affirment le caractère irrévocable de l'adoption plénière et désignent de manière définitive les adoptants comme étant les seuls parents de l'adopté.
De même, les dispositions de l'article 352 prévoient que le placement en vue de l'adoption fait échec à toute déclaration de filiation ou reconnaissance. Le jugement d'adoption ne pourra donc être suivi de l'établissement d'une filiation légale au sens du titre VII. Au surplus, si l'article 358 du code civil prévoit que « l'adopté a, dans la famille de l'adoptant, les mêmes droits et les mêmes obligations qu'un enfant dont la filiation est établie en application du titre VII », il renvoie en réalité à l'article 310 de ce code, qui concerne le statut des enfants et non les modalités d'établissement de la filiation.
Le titre VII n'a donc vocation à s'appliquer qu'aux parents de sexe différent puisque la filiation à l'égard de parents de même sexe ne sera ouverte que par la voie de l'adoption. La règle d'équivalence posée par l'article 6-1 n'avait donc pas lieu d'être pour le titre VII, ce qui justifie son exclusion.
3.3. Compte tenu de la portée générale du nouvel article 6-1 du code civil, la loi déférée peut entrer en vigueur immédiatement, sans qu'il soit nécessaire d'attendre celle des ordonnances que le Gouvernement a été habilité à prendre par l'article 14 de la loi contestée. Leur adoption n'est nullement une condition d'application de la loi.
Si le législateur a jugé utile de prévoir ces ordonnances, c'est dans le but d'assurer une meilleure lisibilité des textes qui font référence aux père et mère ou aux mari et femme et qui sont rendus applicables, conformément au nouvel article 6-1 du code civil, aux couples de même sexe. L'objectif est de coordonner les dispositions des législations et des codes existants. Les modifications seront d'abord d'ordre terminologique. Elles peuvent aussi, le cas échéant, nécessiter des modifications de coordination allant au-delà de la simple adaptation terminologique. En conséquence, le législateur a habilité le Gouvernement, au 1° de l'article 14, à prendre les « mesures nécessaires (...) afin de tirer les conséquences de l'application aux conjoints et parents de même sexe des dispositions applicables aux conjoints et parents de sexe différent ». Sont, par ces termes, indiqués avec précision la finalité des mesures proposées ainsi que leur domaine d'intervention. L'habilitation ne peut en aucun cas être comprise comme permettant d'aller au-delà des adaptations destinées à tirer les conséquences nécessaires de la règle énoncée par le nouvel article 6-1 du code civil. Le Conseil constitutionnel a déjà accepté que le législateur autorise le Gouvernement « à tirer les conséquences, par ordonnances, de la loi qu'il a adoptée (pour) assurer ainsi la coordination des dispositions législatives en vigueur avec celles de cette loi » (16 juillet 1999, décision n° 2009-584 DC, considérants 20 à 23).
Cet article d'habilitation a pu être introduit par amendement dès lors qu'il présente un lien avec le texte en discussion (voir, entre autres, 16 mars 2006, décision n° 2006-534 DC). En conséquence, il ne saurait être utilement soutenu qu'il révélerait un détournement de procédure et qu'il aurait dû figurer dans les dispositions du projet de loi initial.
3.4. S'agissant, enfin, des habilitations données au 2° de l'article 14 pour rendre applicables, avec les adaptations nécessaires, les mesures qui seront prises par les ordonnances du 1° du même article dans les collectivités d'outre-mer, elles étaient nécessaires et ne requéraient pas la consultation préalable des assemblées délibérantes de ces collectivités.
A. ― Certains articles nécessitent, pour acquérir pleine portée, des adaptations. Il en va ainsi notamment des dispositions de l'article 19 qui doivent être insérées au code du travail applicable à Mayotte et dans la loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952 (6). Le Gouvernement devra en outre veiller à la coordination entre les dispositions du projet de loi, qui affectent plusieurs codes, et, d'une part, les dispositions de ces mêmes codes spécifiques aux collectivités ultramarines et, d'autre part, les ordonnances en vigueur à Mayotte. Les consultations obligatoires des collectivités auront lieu dès lors que les mesures prévues dans les ordonnances susceptibles d'être prises le justifieront.
B. ― Pour le reste, le législateur n'était pas tenu, pour décider de l'applicabilité de plein droit en Nouvelle-Calédonie, dans les îles Wallis et Futuna et en Polynésie française des articles 1er à 13 et 21, de consulter les assemblées délibérantes de ces collectivités. Ne touchent pas à l'organisation particulière de ces collectivités les projets et propositions portant sur des matières qui relèvent de la compétence de l'Etat, ne modifient aucune des conditions et réserves dont cette compétence est assortie et n'introduisent, ne modifient, ni ne suppriment aucune disposition spécifique au territoire touchant à l'organisation particulière de ce dernier (décision n° 94-342 DC du 7 juillet 1994 et décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001).
La loi déférée portant sur une matière pour laquelle le législateur national a des compétences exclusives, rappelées par les lois statutaires des collectivités concernées, elle pouvait prévoir, sans consultation des assemblées de ces collectivités, une extension à l'identique des dispositions en vigueur en métropole.
Il convient de préciser, sur ce point, qu'ainsi que le précisait l'étude d'impact l'article 22 n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l'application du statut civil personnel prévu à l'article 75 de la Constitution.
B. ― Sur les articles 16, 17, 18 et 19. - Contrairement à ce que soutiennent les sénateurs auteurs du recours, ces articles sont en lien avec la loi contestée et ne devaient pas figurer dans un texte financier.
1.1. Les articles 16 et 18 faisaient partie du projet déposé sur le bureau des assemblées (respectivement les articles 11 et 14 du projet déposé le 7 novembre 2012 à la présidence de l'Assemblée nationale). Ils ne peuvent être regardés comme étrangers à la loi.
1.2. Les articles 17 et 19 sont issus d'amendements présentés en première lecture devant l'Assemblée nationale. A ce stade, ainsi qu'en dispose l'article 45 de la Constitution, modifié par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, tout amendement est recevable s'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé.
Tel est le cas de ces deux articles.
L'article 17 permet d'adapter aux couples de personnes de même sexe les dispositions actuelles du code rural et de la pêche maritime relatives aux congés pour adoption. En l'état, l'article 732-10 de ce code traite identiquement le « congé maternité » et le « congé adoption » en les réservant aux seules femmes. L'amendement introduit procède à une réécriture de l'article 732-10 pour le consacrer exclusivement au cas de la maternité et crée un nouvel article 732-10-1 étendant le congé d'adoption aux hommes. Ce faisant, l'article 17 tire les conséquences de l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe en garantissant à tous les couples adoptant l'accès aux mêmes droits. Cette disposition a donc un lien direct avec le projet de loi initial du Gouvernement.
L'article 19, qui introduit au code du travail l'article L. 1132-3-2, vise à garantir au salarié homosexuel le droit de refuser toute mutation dans un pays incriminant l'homosexualité, en interdisant qu'il puisse être licencié pour ce motif. Cette disposition a un lien, au moins indirect, avec le projet déposé par le Gouvernement dès lors qu'elle vise à protéger autant le salarié que son conjoint qui serait conduit à le suivre, en raison d'une mutation, dans un pays incriminant l'homosexualité. Il faut noter que, du fait de l'ouverture du mariage, le risque est accru puisque l'orientation sexuelle de la personne ressort nécessairement des actes de mariage qui font mention des deux conjoints. - L'article 19 n'institue, contrairement à ce qui est avancé, aucune incrimination. Il n'érige aucun comportement en infraction. Il s'agit d'une mesure de protection. Il ne s'agit d'ailleurs que d'une déclinaison de la prohibition générale par l'article L. 1132-1 du code du travail de toute sanction ou mesure discriminatoire à rencontre d'un salarié en raison de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle ou de son identité sexuelle.
L'article ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée, le salarié étant libre d'invoquer ou non le droit qu'il tire de l'article L. 1132-2, et de révéler ainsi son orientation sexuelle. Il ne méconnaît pas non plus le principe d'égalité, dès lors que les couples de personnes de même sexe ne sont pas dans la même situation que les autres couples compte tenu de l'existence de très nombreux pays réprimant l'homosexualité et le mariage entre personnes de même sexe.
(6) Instituant un code du travail dans les territoires et territoires associés relevant des ministères de la France d'outre-mer, applicable à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
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