Il n'a pas de valeur légale et peut contenir des erreurs.
Proposition de loi visant à protéger les organisations humanitaires impartiales
Assemblée plénière du 25 novembre 2021 (Adoption à l'unanimité)
Résumé
Consultée pour avis, la CNCDH se prononce sur la proposition de loi n° 4354 relative à la préservation de l'espace humanitaire. Elle appelle les groupes parlementaires et le Gouvernement à l'inscrire à l'ordre du jour du Parlement, tout en formulant des recommandations visant à l'améliorer. Celles-ci portent, d'une part, sur les dispositions entendant lever certaines entraves à l'action humanitaire, découlant en particulier des mesures de lutte contre le terrorisme et, d'autre part, sur celles relatives à la lutte contre l'impunité des auteurs de violations graves du droit international humanitaire. Ainsi modifiée, cette proposition de loi favoriserait un meilleur respect des obligations internationales de la France en la matière et contribuerait à concrétiser les nombreux engagements qu'elle a pris en ce sens aux niveaux européen et international.
Introduction
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Une proposition de loi relative à la préservation de l'espace humanitaire a été déposée le 13 juillet 2021 à l'Assemblée nationale (1). Par cet intitulé (2), la proposition de loi vise à répondre au constat de " rétrécissement de l'espace humanitaire " (3) par une série de dispositions - six - qui portent sur des sujets variés : exclusion du personnel d'organisations humanitaires impartiales de poursuites pénales sur le fondement d'infractions terroristes (article 1), accès de ces organisations au système bancaire (articles 2 et 3), peines encourues pour certaines infractions commises par ou contre le personnel humanitaire (articles 4 et 6) et conditions d'exercice de la compétence extraterritoriale des juridictions pénales françaises pour les infractions graves au droit international humanitaire (article 5).
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Cette proposition de loi s'inscrit dans la suite des engagements pris lors de la conférence nationale humanitaire du 17 décembre 2020 (4) ou de certaines initiatives prises par la France au niveau multilatéral pour renforcer le respect du droit international humanitaire et " préserver l'action humanitaire " (5). Elle propose d'améliorer la mise en conformité du droit français avec certaines obligations internationales de la France, imposées en particulier par le droit international humanitaire (DIH) et le droit international pénal, et s'inspire de plusieurs recommandations formulées par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) (6), commission nationale de mise en œuvre du droit international humanitaire. Consultée pour avis, la CNCDH se réjouit de l'intérêt porté par les parlementaires à ces sujets. Elle recommande aux groupes parlementaires et au Gouvernement d'inscrire la proposition de loi à l'ordre du jour du Parlement (recommandation n° 1). La CNCDH souhaite toutefois formuler des recommandations visant à l'amélioration de la proposition de loi portant, d'une part, sur les articles 1 à 3 qui entendent lever certaines entraves à l'action humanitaire, découlant en particulier des mesures de lutte contre le terrorisme et, d'autre part, sur celles relatives à la lutte contre l'impunité (articles 4 à 6), tout en rappelant d'autres recommandations qu'elle a déjà formulées et qu'elle juge indispensables à la " préservation de l'espace humanitaire ".
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Préserver des activités humanitaires impartiales
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Les entraves à l'action humanitaire résultant d'une " application rigoriste et indiscriminée " (7) des mesures de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux sont connues depuis longtemps (8). Les enjeux sont de taille : il s'agit, tout en préservant la capacité des États à tarir les sources de financement du terrorisme et à lutter contre le blanchiment d'argent, de sauvegarder la capacité des acteurs de conduire des activités humanitaires impartiales, conformément au droit international humanitaire et aux principes humanitaires, internationalement reconnus (9), y compris dans des zones contrôlées par des individus, groupes et/ou personnes morales faisant l'objet de sanctions. Il s'agit de garantir l'accès à l'aide humanitaire de toutes les populations dans le besoin et de ne pas contribuer à une perception partiale et non-neutre de l'action des organisations humanitaires. La sécurité des acteurs humanitaires et l'acceptation de leur action - neutre, indépendante et impartiale - en dépendent.
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La proposition de loi prévoit dans cette perspective deux séries de dispositions, lesquelles reprennent une recommandation formulée par la CNCDH visant à exclure les organisations humanitaires impartiales et leurs personnels des poursuites pénales pour infractions terroristes (article 1) (a) et s'attaquent, d'une manière toutefois à parfaire, aux difficultés d'accès au système bancaire que rencontrent ces organisations (articles 2 et 3) (b).
1.1. L'exclusion des poursuites pénales pour infractions terroristes
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La " spécificité des missions des organisations exerçant des activités humanitaires " a été réaffirmée dans la circulaire du garde des Sceaux du 27 juillet 2021, qui rappelle que " le seul fait d'apporter un secours médical ou un soutien humanitaire impartial aux populations civiles situées dans les zones dans lesquelles opèrent des groupes terroristes ne paraît pas susceptible d'être poursuivi " ; et que " le seul dialogue avec des organisations terroristes, dès lors qu'il ne traduit pas une entente destinée à favoriser un dessein terroriste, ne semble (…) pouvoir caractériser l'infraction d'association de malfaiteurs terroristes " (10). La circulaire indique ainsi qu'" aucune poursuite pénale n'a vocation à être exercée à l'encontre des organisations fournissant une aide humanitaire impartiale dans le cadre de leurs activités légitimes " (11). Elle invite en revanche les procureurs à un " examen particulièrement attentif " et " minutieux " des situations dans lesquelles des organisations humanitaires ont des " contacts plus avancés avec les groupes terroristes ". La CNCDH s'interroge sur certains exemples donnés, qui mentionnent le fait de verser des sommes d'argent dans le cadre de leurs missions sur le terrain (12), mais aussi l'aide médicale. Or, en cas de conflit armé, les Protocoles additionnels I et II aux Conventions de Genève interdisent expressément la répression pénale des activités de caractère médical conformes à la déontologie, " quels qu'aient été les circonstances ou les bénéficiaires de ce[s] activité[s] " (13) (cf. infra).
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Cette circulaire appelle l'attention des procureurs sur la nécessité de ne pas poursuivre les acteurs humanitaires impartiaux du seul fait d'avoir conduit des activités humanitaires, lorsque celles-ci sont conformes au droit international humanitaire et respectueuses des principes humanitaires. La CNCDH considère toutefois que c'est au sein du code pénal que devraient être incorporées " des dispositions claires rendant inapplicables les règles relatives à la complicité de terrorisme aux actions d'aide et d'assistance accomplies par le personnel d'organisations humanitaires impartiales " (14). Aussi salue-t-elle l'article 1.1 de la proposition de loi qui ajoute un nouvel article dans le code pénal, afin d'exclure de l'exercice de poursuites pénales sur le fondement des infractions à caractère terroriste " les personnels des organisations non gouvernementales et des associations humanitaires impartiales reconnues par le droit international humanitaire, dont les activités sont exclusivement humanitaires, y compris médicales ", ainsi que ces organisations elles-mêmes.
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Néanmoins, la rédaction précise de cette nouvelle disposition du code pénal pourra être débattue et perfectionnée lors des débats parlementaires, en particulier son champ d'application, afin de mieux définir les organisations et les activités visées, ainsi que les situations couvertes par cette disposition. La CNCDH tient tout d'abord à rappeler que, dans les situations de conflit armé, le droit international humanitaire impose que l'action humanitaire impartiale ne soit pas refusée arbitrairement et que l'accès humanitaire ne soit pas entravé (15). Elle recommande toutefois que l'article 1 de la proposition de loi précise expressément que ne sont pas uniquement concernées les organisations humanitaires impartiales intervenant dans des situations de conflit armé, lesquelles sont explicitement visées par le droit international humanitaire, mais aussi ces organisations lorsqu'elles conduisent des activités dans des situations autres que des conflits armés. En effet, le risque de pénalisation de l'action humanitaire existe aussi dans des situations qui ne sont pas couvertes par le droit international humanitaire.
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S'agissant ensuite des activités visées, s'il n'existe pas de définition internationalement reconnue des " activités humanitaires ", celles-ci renvoient, selon le CICR, à " toutes les activités qui s'efforcent de “prévenir et d'alléger en toutes circonstances les souffrances [humaines]” et dont le but est de “protéger la vie et la santé” et [d'assurer le respect de] la personne humaine " (16). Les activités humanitaires se caractérisent ainsi par ces objectifs. Aussi, la CNCDH attire l'attention sur la mention d'activités " exclusivement " humanitaires dans la proposition de loi, cette terminologie favorisant une interprétation restrictive des activités conduites par les organisations humanitaires impartiales (17).
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En outre, la CNCDH s'interroge sur l'utilité de faire référence à la " reconnaissance par le droit international, y compris par le droit international humanitaire ", des organisations visées (18). Cette terminologie, inspirée du considérant 38 du préambule de la directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme (19), suscite des interrogations quant à l'organe en charge de cette reconnaissance et quant aux critères qui seraient retenus. Cette mention de la " reconnaissance par le droit international, y compris par le droit international humanitaire ", par ailleurs non reprise par le Conseil de sécurité (20), devrait être supprimée. De plus, la CNCDH recommande d'employer l'expression " d'organisation humanitaire impartiale " (21) plutôt que d' organisation non gouvernementale [et/ou] (22) association humanitaire ".
Recommandation n° 2 : La CNCDH recommande aux membres du Parlement et du Gouvernement de soutenir l'introduction, dans le code pénal, de dispositions rendant inapplicables les règles relatives à la complicité de terrorisme aux actions d'aide et d'assistance accomplies par le personnel d'organisations humanitaires impartiales.
Recommandation n° 3 : La CNCDH recommande que l'exclusion prévue à l'article 1 de la proposition de loi s'applique explicitement aux organisations humanitaires impartiales indépendamment de la qualification de la situation dans laquelle elles interviennent.
Recommandation n° 4 : La CNCDH recommande de supprimer la référence à la reconnaissance par le droit international, y compris par le droit international humanitaire, pour désigner les organisations humanitaires impartiales visées par la proposition de loi, ainsi que la suppression de la mention d'activités " exclusivement " humanitaires.
Proposition d'amendement de la CNCDH à l'article 1.1° de la proposition de loi :
" 1° : Le chapitre II du titre II du livre IV est complété par un article 422-8 ainsi rédigé :
Art. 422-8. - I. - Les personnels des organisations humanitaires impartiales ne peuvent être poursuivis en qualité d'auteur ou de complice des crimes et délits prévus au présent titre, en raison du seul exercice de leurs activités humanitaires, y compris lorsque ces activités sont exercées sur un territoire dans lequel opèrent des personnes physiques ou des personnes morales faisant l'objet de sanctions internationales ou sur un territoire où un groupe armé non étatique est présent.
II. - Les organisations humanitaires impartiales ne peuvent être poursuivies en qualité d'auteur ou de complice des crimes et délits prévus au présent titre, en raison du seul exercice de leurs activités, y compris lorsque ces activités sont exercées sur un territoire dans lequel opèrent des personnes physiques ou des personnes morales faisant l'objet de sanctions internationales ou sur un territoire où un groupe armé non étatique est présent " (23).
- L'article 1 2° propose quant à lui de compléter le code pénal par une disposition prévoyant que " [n]'est pas constitutif d'une infraction visée par le présent livre le fait d'avoir pratiqué des actes médicaux conformes à la déontologie, et ce quelles que soient les circonstances ". La CNCDH accueille avec satisfaction cette disposition qui viendrait inscrire dans le droit national l'obligation découlant de l'article 16 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes de conflits armés internationaux et de l'article 10 du Protocole additionnel II s'agissant des conflits armés non internationaux, auxquels la France est partie (24).
Recommandation n° 5 : La CNCDH recommande de prévoir expressément dans le code pénal que l'exercice d'une activité de caractère médical conforme à la déontologie est exclusive de toute qualification pénale, tel que le propose l'article 1.2° de la proposition de loi.
1.2. L'incrimination du refus d'accès au système bancaire
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Les mesures nationales et internationales de lutte contre le terrorisme et contre le blanchiment de capitaux ont entraîné une augmentation des obligations de conformité applicables notamment aux institutions financières. S'il est nécessaire d'imposer de telles mesures pour endiguer le financement du terrorisme et lutter contre le blanchiment d'argent, ces obligations de conformité entravent la conduite d'activités humanitaires pourtant conformes au droit international humanitaire et aux principes humanitaires. Elles complexifient l'accès des organisations humanitaires impartiales au système bancaire - indispensable pour réaliser les transactions financières nécessaires à leurs activités - conduisent à une augmentation considérable du coût de financement de leurs opérations - quand celles-ci ne sont pas interrompues - et risquent de les exposer à des poursuites judiciaires pour non-respect des obligations de conformité (25).
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Ce risque est particulièrement flagrant en France depuis l'adoption de l'ordonnance n° 2020-1342 du 4 novembre 2020 (26). Cette ordonnance élargit le champ des personnes morales concernées par l'obligation de respecter les mesures de gel des avoirs (27), la rendant également applicable aux organisations humanitaires constituées ou établies selon le droit français ou réalisant une opération sur le territoire national (28). Cet élargissement constitue un obstacle supplémentaire à la conduite d'activités humanitaires impartiales. Par un courrier de son Président du 29 avril 2021, la CNCDH alertait sur l'impact de cette ordonnance sur les organisations humanitaires (29). Si cette ordonnance n'a pas encore été ratifiée, un projet de loi de ratification a été déposé le 21 avril 2021 au Sénat (30). La CNCDH recommande que les organisations humanitaires impartiales soient expressément exclues du champ d'application de l'article L. 562-4 du code monétaire et financier, afin qu'elles ne puissent pas être poursuivies et condamnées pour violation des mesures de gel des avoirs (31), sauf en cas de concertation frauduleuse avec la personne au profit de laquelle les fonds ou ressources économiques ont été mis à disposition ou utilisés (32). Cette exclusion devrait faire l'objet d'une disposition spécifique dans la présente proposition de loi, afin de s'inscrire en cohérence avec son article 1 qui vise l'exclusion des poursuites, en qualité d'auteur ou de complice, des crimes et délits pour terrorisme prévus dans le code pénal. Elle pourrait également préciser que sont autorisées les transactions et opérations bancaires destinées à la conduite des activités des organisations humanitaires impartiales, de leurs employés et contractants.
Recommandation n° 6 : La CNCDH recommande l'introduction d'une disposition spécifique dans la proposition de loi visant à exclure les organisations humanitaires impartiales du champ d'application de l'article L. 562-4 du code monétaire et financier, sauf concertation frauduleuse avec la personne au profit de laquelle les fonds ou ressources économiques ont été mis à disposition ou utilisés. Elle recommande également que cette disposition précise que les transactions et opérations interdites en application de l'article L. 562-5 du code monétaire et financier, qui sont destinées à la conduite des activités des organisations humanitaires impartiales, de leurs employés et contractants, sont autorisées, en l'absence de concertation frauduleuse.
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Il convient en outre de " veiller à ce que l'accès aux services bancaires pour les ONG [organisations non gouvernementales] soit plus aisé sur leur lieu d'intervention " (33). Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a récemment insisté sur le fait que " le financement des opérations humanitaires conformes au droit international ne doit pas être mis en péril par des pratiques de surconformité des banques, qui peuvent aboutir dans les faits à priver les actions humanitaires de la possibilité même d'agir (34). Un canal de communication direct entre les banques et les ONG " a ainsi été mis en place en France, " afin de construire une forme de dialogue de confiance pour que ces deux secteurs puissent apprendre à mieux se comprendre et à mieux se parler " (35) et un guide de bonnes pratiques a été publié (36). Si la CNCDH prend note de ces initiatives visant à renforcer le dialogue entre les différents acteurs concernés par la question des transactions financières (37), ces mesures s'avèrent pourtant insuffisantes à ce jour.
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La proposition de loi vise quant à elle à modifier le code pénal pour incriminer le refus d'accès au système bancaire aux " organisation[s] non gouvernementale[s] ou association[s] humanitaire[s] " (38) sur le seul critère de l'exigence de criblage des bénéficiaires finaux (39) des programmes humanitaires (article 2) et, par ricochet, à modifier dans le même sens le code monétaire et financier (article 3).
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La CNCDH considère que l'esprit de ces dispositions est bienvenu sur le principe. En pénalisant " le fait de refuser d'assister [une organisation humanitaire impartiale] dans la préparation ou la réalisation d'une transaction " visée par le code monétaire et financier, l'article 2 peut avoir un effet incitatif pour encourager les banques à l'assister. Cet effet incitatif pourrait également résulter de la lecture conjointe avec l'article 1 de la proposition de loi, celui-ci diminuant, par ricochet, les risques pour les institutions financières de se voir poursuivre pour complicité en assistant des organisations humanitaires impartiales opérant dans des zones à risque. La CNCDH estime qu'une disposition spécifique dans le code monétaire et financier autorisant expressément les transactions bancaires pour la conduite des activités des organisations humanitaires impartiales, de leurs employés et contractants, serait par ailleurs essentielle pour atteindre le but recherché par la proposition de loi (voir la recommandation n° 7).
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Toutefois, le critère retenu pour la constitution de l'infraction dès lors que ce refus se fonde exclusivement sur l'exigence (…) que l'organisation (…) humanitaire impartiale procède au contrôle et au filtrage de l'identité des bénéficiaires (…) aux fins de vérification que [ceux-ci] ne soient pas recensées sur une liste [de sanctions] , est insuffisant, voire pourrait se révéler contreproductif (40). S'il met en lumière les difficultés rencontrées par les organisations humanitaires impartiales liées aux exigences de criblage des bénéficiaires finaux, en pratique, la CNCDH note que les organisations concernées constatent que les institutions financières n'invoquent généralement pas leur refus de procéder au " criblage " des bénéficiaires finaux des programmes humanitaires comme motif pour refuser de procéder à une transaction bancaire. Le refus résulte dans la majorité des cas de pratiques dites de " sur-conformité " du secteur bancaire qui cherche à se prémunir de toute poursuite, notamment en raison de l'extra-territorialité des législations nationales de lutte contre le terrorisme (41). Ces pratiques allongent considérablement le temps de validation d'un transfert de fonds vers des pays dans lesquels sont imposées des sanctions, voire empêchent tout transfert. Elles affectent ainsi les capacités opérationnelles des organisations humanitaires et la délivrance de l'aide humanitaire, ce qui peut avoir de graves conséquences pour les populations affectées, ainsi que pour leurs personnels sur le terrain qui sont alors dans l'incapacité de procéder aux paiements de salaires, taxes locales ou règlements de fournisseurs. En tout état de cause, la formulation retenue d'incriminer ce refus uniquement lorsqu'il se fonde " exclusivement " sur l'exigence que l'organisation procède au criblage permettrait facilement à ces institutions d'invoquer d'autres motifs. La formulation proposée ne répond donc pas aux besoins identifiés par les organisations concernées.
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La CNCDH recommande par ailleurs l'introduction, à l'article L. 561-34-1 du code monétaire et financier proposé, une précision selon laquelle l'assistance dans la préparation ou la réalisation d'une transaction apportée aux organisations visées par cette disposition doit être apportée dans un délai favorisant la célérité des transferts bancaires et n'entravant pas les activités humanitaires conduites dans le respect des principes humanitaires (42). Cette disposition favoriserait le respect de l'obligation d'autoriser et de faciliter le passage rapide et sans encombre des secours humanitaires (43).
Recommandation n° 7 : La CNCDH recommande que l'article 3 de la proposition de loi, qui vise à créer un nouvel article L. 561-34-1 au sein du code monétaire et financier, précise que l'assistance dans la préparation ou la réalisation d'une transaction apportée aux organisations visées par cette disposition doit être apportée dans un délai favorisant la célérité des transferts bancaires et n'entravant pas les activités humanitaires conduites dans le respect des principes humanitaires.
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En outre, la CNCDH note que ces dispositions ne visent pas les clauses de criblage susceptibles d'être exigées par les bailleurs de fonds étatiques dans les contrats de financement, pourtant contraires aux dispositions et à l'essence même du droit international humanitaire et des principes humanitaires (44). La France a pris des engagements en ce sens et exprimé son " attachement au principe de non-discrimination des bénéficiaires finaux de l'aide humanitaire apportée par les ONG humanitaires conformément au DIH et aux principes humanitaires " (45). Des discussions entre l'État et les ONG françaises sont en cours à ce propos. Le périmètre des activités exemptées de " clause de criblage " semble pour l'instant limité aux projets à visée exclusivement humanitaires et les modalités pratiques restent à préciser. Les ONG restent en outre, par principe, opposées au criblage, quels que soient les projets concernés et le contexte d'intervention (46). La CNCDH réitère ainsi sa recommandation de renoncer à toute clause dite de " criblage " imposant aux organisations humanitaires destinataires d'un financement une sélection des bénéficiaires finaux de leurs actions (47) (recommandation n° 8).
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De même, elle rappelle sa recommandation - qui dépasse le cadre de la présente proposition de loi - de mettre en œuvre fidèlement et de soutenir les clauses de sauvegarde du droit international humanitaire et d' " exemptions " humanitaires dans tous les régimes internationaux de sanctions, afin de respecter les obligations conventionnelles et coutumières découlant du droit international humanitaire et de préserver l'action humanitaire neutre, indépendante et impartiale (48) (recommandation n° 9).
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Renforcer la lutte contre l'impunité
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La proposition de loi prévoit deux séries de dispositions relatives à la lutte contre l'impunité : les articles 4 et 6 qui portent sur les peines (a) et l'article 5 relatif à un cas de compétence extraterritoriale des juridictions pénales françaises (b).
2.1. Les peines
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L'article 4 érige en circonstance aggravante la commission de certaines infractions contre les membres du personnel " des organisations non gouvernementales ou des associations humanitaires ". Cette disposition vise à " signifier aux auteurs [d'infractions commises] à dessein contre les personnels humanitaires (…) [que leur commission] constitue une cause d'aggravation de la peine encourue " (49). Quant à l'article 6, il érige en circonstance aggravante la même qualité, cette-fois de l'auteur, pour certaines infractions, principalement à caractère sexuel. Cet article tend " à renforcer la protection des populations destinataires de l'aide humanitaire en augmentant les peines encourues pour la commission de certaines infractions (…) lorsque l'auteur abuse de sa qualité de personnel humanitaire " (50). La CNCDH partage les préoccupations exprimées dans l'exposé des motifs de la proposition de loi (51), mais s'interroge sur l'opportunité et l'efficacité de ces dispositions pour y répondre.
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Concernant la protection du personnel humanitaire, la CNCDH s'est prononcée sur " la création de circonstances aggravantes pour certains actes de violence commis [à son encontre] en dehors des situations de conflits armés ", qu'elle avait recommandée d'envisager dans un avis de 2014 (52). Plus récemment, en 2020 (53), la CNCDH a précisé qu'elle n'est pas opposée à l'extension, au personnel humanitaire, de circonstances aggravantes, mais à condition qu'elles soient déjà prévues par le code pénal pour certaines atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique, liées aux fonctions ou missions exercées par la victime (54). En revanche, la création ex nihilo de telles circonstances aggravantes liées à une qualité spécifique de la victime pour des infractions actuellement dépourvues de causes similaires d'aggravation (55) pourrait porter atteinte à la lisibilité et à la cohérence du code pénal déjà parfois mises à mal par des réformes trop ponctuelles. En conséquence, la CNCDH ne recommande pas d'ajouter de circonstance aggravante lorsque les infractions concernées ne sont pas déjà assorties, dans le code pénal, de causes d'aggravation liées aux fonctions ou missions exercées par la victime.
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Quant à la création de circonstances aggravantes pour des infractions commises par le personnel humanitaire, la CNCDH dresse un constat similaire (56). La CNCDH considère que l'article 6 de la proposition de loi est non seulement inopportun mais inutile. En l'occurrence, les dispositions actuelles du code pénal paraissent suffisantes pour s'assurer d'une aggravation de la peine dans des circonstances pouvant également s'appliquer pour le personnel humanitaire, par exemple lorsqu'il " abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions " (57), mais aussi lorsque la victime est un mineur ou une personne particulièrement vulnérable en raison de sa précarité économique ou sociale (58).
Recommandation n° 10 : La CNCDH recommande de limiter la création de circonstances aggravantes aux seules infractions déjà assorties de causes similaires d'aggravation liées aux fonctions ou missions exercées par d'autres catégories de victimes déjà protégées.
Recommandation n° 11 : La CNCDH recommande de ne pas créer dans le code pénal de circonstances aggravantes liées à la qualité de personnel humanitaire de l'auteur d'infractions, dès lors que des circonstances aggravantes déjà existantes, notamment liées à l'abus d'autorité, permettent de parvenir au même résultat.
2.2. La compétence
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S'agissant de la compétence extraterritoriale des juridictions pénales françaises (59), l'article 5 de la proposition de loi prévoit de créer un nouvel article 689-15 du code de procédure pénale afin de poursuivre et de juger toute personne coupable des infractions relevant des [quatre Conventions de Genève] et de [leurs trois] protocoles additionnels (60), dès lors que celle-ci se trouve en France (61). Cette disposition viendrait ainsi s'ajouter aux cas, limités, de compétence extraterritoriale prévus pour l'application de plusieurs conventions internationales, dans lesquels la seule présence de l'auteur sur le territoire français suffit à déclencher la compétence des juridictions pénales françaises pour certaines infractions, même si elles sont commises hors du territoire français et sans considération de la nationalité de la victime ou de l'auteur (62).
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La CNCDH se félicite, sur le plan des principes, que l'article 5 de la proposition de loi consacre expressément la place des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels dans le corpus juridique français, ce qu'elle réclame depuis longtemps (63). Cette insertion est conforme à l'accent mis par la France sur le respect du droit international humanitaire. Elle serait d'autant plus opportune que le juge français ne leur reconnaît toujours pas d'effet direct (64).
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Toutefois, la rédaction proposée soulève plusieurs difficultés, tant juridiques (65) que pratiques. La CNCDH s'interroge en particulier sur l'articulation entre le nouvel article 689-15 proposé et l'actuel article 689-11 du code de procédure pénale. L'article 689-11 fixe les conditions dans lesquelles une personne peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises pour les crimes relevant du Statut de la Cour pénale internationale (CPI) du 17 juillet 1998, à savoir le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Or ces conditions sont bien plus strictes que celle envisagée à l'article 689-15 proposé. Ce dernier exigerait en effet comme unique condition la présence en France de la personne suspectée d'avoir commis une " infraction " relevant des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels, alors que l'article 689-11 impose, notamment pour les crimes de guerre, la résidence habituelle en France, prévoit le monopole des poursuites du procureur de la République antiterroriste, l'exigence de la double incrimination et l'absence de poursuite diligentée par la Cour pénale internationale. Cette différence de traitement est d'autant plus problématique que de nombreux crimes peuvent à la fois être qualifiés de crimes de guerre (66) et d'infractions (ou de violations) graves (67) au sens des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels. En l'état actuel de la rédaction de l'article 5 de la proposition de loi, que ferait le juge saisi d'une infraction relevant de ces deux qualifications, tels que l'homicide intentionnel visant des personnes protégées par le droit international humanitaire (68) : ferait-il jouer la seule condition de présence sur le territoire français du nouvel article 689-15 ou les conditions, beaucoup plus restrictives, de l'actuel article 689-11 du code de procédure pénale ? Cette ambiguïté doit être levée par le législateur.
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Mais surtout, la CNCDH relève que subsisteraient, s'agissant des crimes relevant du Statut de Rome, les conditions qui font aujourd'hui obstacle à l'exercice d'une compétence universelle. Pourtant, la CNCDH n'a cessé d'appeler l'attention du Gouvernement et du Parlement sur l'absence de conformité à la lettre et l'esprit du Statut de Rome des conditions d'activation de la compétence extraterritoriale des juridictions pénales françaises. La Commission, qui est particulièrement vigilante dans le long processus d'adaptation du droit français audit Statut depuis sa ratification en l'an 2000 (69), déplore que, plus de 20 ans après celle-ci, ce processus reste inabouti et que la question des conditions d'exercice de la compétence des juridictions françaises pour les crimes qu'il définit cristallise toujours d'importantes divergences. Certes, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (70) a apporté des modifications à l'article 689-11 du code de procédure pénale, mais elle a laissé subsister les principaux " verrous " à l'exercice de la compétence universelle (71). La CNCDH regrette que plusieurs amendements visant à les lever aient de nouveau (72) été récemment rejetés, dans le cadre des discussions sur la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée (73) ou du projet de loi n° 4507 pour la confiance dans l'institution judiciaire (74).
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Dans une réponse du 5 août 2021 à une question écrite déposée par un sénateur (75), le ministère de la justice expose à nouveau les arguments du Gouvernement, expliquant que l'actuel " dispositif paraît (…), au total, à la fois équilibré et efficace ". Il affirme que la condition de résidence habituelle permettrait de concilier la répression des auteurs des crimes relevant du Statut de Rome qui ont voulu se réfugier en France et la préservation de l'action diplomatique de la France " d'une instrumentalisation politique de nos juridictions " (76). Or cette condition conduit, comme la CNCDH l'a déjà souligné à de nombreuses reprises, à une incohérence non seulement interne, mais également externe (77). L'incohérence interne découle de la différence de traitement entre, d'une part, les victimes de torture, de terrorisme ou de disparition forcée et, d'autre part, les victimes d'autres crimes internationaux (78), alors même qu'il s'agit des " crimes les plus graves touchant l'ensemble de la communauté internationale " (79). L'incohérence externe résulte de ce que la France s'écarte des pratiques actuelles de nombreux États qui n'assortissent pas la compétence extraterritoriale de leurs juridictions de conditions aussi restrictives (80). De plus, aux dires mêmes des praticiens, la notion de résidence habituelle est vague (81). La CNCDH recommande ainsi depuis longtemps que toute personne soupçonnée d'avoir commis un des crimes visés par le Statut de Rome puisse être poursuivie et jugée par les juridictions françaises dès lors qu'il existe des éléments suffisants laissant supposer qu'elle se trouve sur le territoire français (82), tant pour des raisons de principe qu'à la lumière des difficultés pratiques (83).
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Quant au monopole des poursuites du procureur de la République antiterroriste, le ministère de la justice indique que ce ministère public est " le mieux à même de défendre l'intérêt général auquel portent atteinte les crimes internationaux " (84). Pourtant, si la spécialisation et la centralisation de ce contentieux sont opportunes (85), l'exclusion de l'engagement de l'action publique par une plainte avec constitution de partie civile crée " une atteinte grave aux droits des victimes à un recours effectif " et déroge au principe d'égalité d'accès à la justice (86).
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De même, si le ministère de la justice note que les conditions de mise en œuvre de la condition d'absence de poursuite diligentée par la Cour pénale internationale ont été facilitées par la loi du 23 mars 2019 (87), la CNCDH répète qu'il s'agit d'une interprétation erronée du principe de complémentarité qui établit au contraire la primauté des juridictions nationales, rappelant ainsi la responsabilité première qui incombe aux États dans la lutte contre l'impunité des crimes relevant du Statut de la CPI (88).
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Le ministère de la justice invoque également, de manière surprenante, le fait que l'exigence de double incrimination constitue " un principe fondamental du droit international auquel il n'est possible de déroger que de façon exceptionnelle " (89). Or, s'il s'agit d'un principe de coopération répressive qui se comprend en matière d'entraide répressive, d'extradition ou de mandat d'arrêt européen, cette exigence est " sans objet " pour la répression des crimes les plus graves (90), dès lors qu'elle conduit à conditionner la poursuite par la France de ces crimes à leur incrimination par une loi nationale étrangère, alors même que la France est partie à la Convention internationale qui définit et punit ces crimes (91). La position du ministère est encore plus surprenante sur la justification de la suppression de cette exigence pour le seul crime de génocide (92), alors même que le Statut de Rome ne fait aucune distinction entre les différentes catégories de crimes qu'il régit et les soumet au même régime juridique (93). Pour cette même raison, la CNCDH réitère sa recommandation (94) d'inscrire dans le code pénal le principe d'imprescriptibilité des crimes de guerre imposé par le droit international coutumier (95) ainsi que le Statut de Rome (96), comme c'est le cas pour le génocide et le crime contre l'humanité (97).
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La CNCDH ne voit donc aucune raison valable de maintenir les conditions restrictives imposées pour la compétence extraterritoriale des juridictions pénales françaises pour les crimes relevant du Statut de la CPI. Cette absence de mise en cohérence du droit français avec ses engagements internationaux étonne d'autant plus que la France joue un rôle moteur dans le développement du droit international humanitaire et du droit international pénal. N'est-il pas en effet paradoxal de contribuer à l'organisation d'une répression universelle des crimes réputés les plus graves et, dans le même temps, de multiplier les obstacles de fond et de forme à l'exercice de cette compétence par les juridictions nationales ? La CNCDH recommande au législateur de saisir l'opportunité de l'examen de cette proposition de loi pour la renforcer et la préciser en levant ces obstacles.
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La mention expresse des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels envisagée par l'article 5 de la proposition de loi est bienvenue pour renforcer leur assise normative nationale et se conformer à l'obligation qu'ils imposent de prévoir une compétence universelle pour les infractions graves au droit international humanitaire. Cette précision ne devrait toutefois pas creuser encore davantage les différences de traitement existant à propos de la compétence extraterritoriale pour différents crimes internationaux réputés d'égale gravité.
Recommandation n° 12 : La CNCDH recommande qu'au lieu de créer un nouvel article dans le code de procédure pénale portant spécifiquement sur les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, le législateur modifie l'article 689-11 dudit code, d'une part, pour inclure une référence expresse à ces instruments et, d'autre part, pour supprimer les conditions faisant obstacle à l'exercice d'une compétence universelle pour les crimes relevant du Statut de Rome.
Proposition d'amendement de la CNCDH à l'article 5 de la proposition de loi :
" L'article 689-11 du chapitre Ier du titre IX du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :
Article 689-11. - Hors les cas prévus au sous-titre Ier du titre Ier du livre IV pour l'application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale, signée à Rome le 17 juillet 1998, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, dans les conditions prévues à l'article 689-1, toute personne soupçonnée d'avoir commis à l'étranger l'une des infractions suivantes :
1° Le crime de génocide défini au chapitre Ier du sous-titre Ier du titre Ier du livre II du code pénal ;
2° Les autres crimes contre l'humanité définis au chapitre II du même sous-titre Ier ;
3° Les crimes et les délits de guerre définis aux articles 461-1 à 461-31 du même code ;
4° Les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949 et au Protocole additionnel I du 8 juin 1977, autres que celles prévues aux 1° à 3° ci-dessus ".
- En conclusion, la CNCDH encourage vivement les groupes parlementaires et le Gouvernement à inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour du Parlement, afin de susciter un débat parlementaire sur ces questions clés relatives à la mise en œuvre du droit international humanitaire et, plus largement, à la préservation de l'espace humanitaire, " patrimoine commun " (98), dans un contexte de besoins humanitaires sans précédent (99). La CNCDH estime que, sous réserve des modifications recommandées dans le présent avis, cette proposition de loi favoriserait un meilleur respect des obligations internationales de la France en la matière et contribuerait à concrétiser, au niveau national, les nombreux engagements qu'elle a pris en ce sens au niveau multilatéral (100). Le moment est d'autant plus opportun eu égard à l'intention de la France de porter ce sujet lors de sa prochaine présidence du Conseil de l'Union européenne par l'organisation, conjointement avec la Commission européenne, du premier Forum humanitaire européen, afin de répondre au " rétrécissement alarmant de l'espace humanitaire " et de " mieux coordonner [les] efforts pour permettre aux acteurs humanitaires de poursuivre leur engagement au service des populations affectées par les crises " (101).
Recommandations de la CNCDH
Recommandation n° 1 : La CNCDH recommande l'inscription de la proposition de loi relative à la préservation de l'espace humanitaire à l'ordre du jour du Parlement.
Recommandation n° 2 : La CNCDH recommande aux membres du Parlement et du Gouvernement de soutenir l'introduction, dans le code pénal, de dispositions rendant inapplicables les règles relatives à la complicité de terrorisme aux actions d'aide et d'assistance accomplies par le personnel d'organisations humanitaires impartiales.
Recommandation n° 3 : La CNCDH recommande que l'exclusion prévue à l'article 1 de la proposition de loi s'applique explicitement aux organisations humanitaires impartiales indépendamment de la qualification de la situation dans laquelle elles interviennent.
Recommandation n° 4 : La CNCDH recommande de supprimer la référence à la reconnaissance par le droit international, y compris par le droit international humanitaire, pour désigner les organisations humanitaires impartiales visées par la proposition de loi, ainsi que la suppression de la mention d'activités " exclusivement " humanitaires.
Recommandation n° 5 : La CNCDH recommande de prévoir expressément dans le code pénal que l'exercice d'une activité de caractère médical conforme à la déontologie est exclusive de toute qualification pénale, tel que le propose l'article 1.2° de la proposition de loi.
Recommandation n° 6 : La CNCDH recommande l'introduction d'une disposition spécifique dans la proposition de loi visant à exclure les organisations humanitaires impartiales du champ d'application de l'article L. 562-4 du code monétaire et financier, sauf concertation frauduleuse avec la personne au profit de laquelle les fonds ou ressources économiques ont été mis à disposition ou utilisés. Elle recommande également que cette disposition précise que les transactions et opérations interdites en application de l'article L. 562-5 du code monétaire et financier, qui sont destinées à la conduite des activités des organisations humanitaires impartiales, de leurs employés et contractants, sont autorisées, en l'absence de concertation frauduleuse.
Recommandation n° 7 : La CNCDH recommande que l'article 3 de la proposition de loi, qui vise à créer un nouvel article L. 561-34-1 au sein du code monétaire et financier, précise que l'assistance dans la préparation ou la réalisation d'une transaction apportée aux organisations visées par cette disposition doit être apportée dans un délai favorisant la célérité des transferts bancaires et n'entravant pas les activités humanitaires conduites dans le respect des principes humanitaires.
Recommandation n° 8 : La CNCDH recommande à la France de renoncer à toute clause dite de criblage imposant aux organisations humanitaires destinataires d'un financement une sélection des bénéficiaires finaux de leurs actions.
Recommandation n° 9 : La CNCDH recommande à la France de mettre en œuvre fidèlement et de soutenir les clauses de sauvegarde du droit international humanitaire et d' exemptions humanitaires dans tous les régimes internationaux de sanctions.
Recommandation n° 10 : La CNCDH recommande de limiter la création de circonstances aggravantes aux seules infractions déjà assorties de causes similaires d'aggravation liées aux fonctions ou missions exercées par d'autres catégories de victimes déjà protégées.
Recommandation n° 11 : La CNCDH recommande de ne pas créer dans le code pénal de circonstances aggravantes liées à la qualité de personnel humanitaire de l'auteur d'infractions, dès lors que des circonstances aggravantes déjà existantes, notamment liées à l'abus d'autorité, permettent de parvenir au même résultat.
Recommandation n° 12 : La CNCDH recommande qu'au lieu de créer un nouvel article dans le code de procédure pénale portant spécifiquement sur les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, le législateur modifie l'article 689-11 dudit code, d'une part, pour inclure une référence expresse à ces instruments et, d'autre part, pour supprimer les conditions faisant obstacle à l'exercice d'une compétence universelle pour les crimes relevant du Statut de Rome.
(1) La proposition de loi n° 4354 présentée M. Fabien Gouttefarde, avec plus de trente co-signataires, est disponible sous https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4354_proposition-loi#.
(2) L'espace humanitaire, notion qui n'a pas de définition juridique, " peut se concevoir comme un espace symbolique de liberté d'intervention, caractérisé par des modalités de travail et le respect de principes préservant la nécessaire flexibilité, l'indépendance et l'impartialité de l'action humanitaire. Sa finalité est la sécurité et la protection des populations touchées par les crises et l'accès à l'aide essentielle à leur survie " (définition proposée par le groupe URD, disponible sous https://www.urd.org/fr/thematique/espace-humanitaire/).
(3) Voir par exemple la note de cadrage pour la réunion du Conseil de sécurité organisée sous présidence française, le 16 juillet 2021, qui fait le constat d'un " rétrécissement sans précédent de l'espace humanitaire ", " de plus en plus menacé par les violences dont sont la cible les humanitaires et par les obstacles qui entravent leurs activités " (S/2021/618). Dans le même sens : voir le compte-rendu des débats de cette réunion sur la préservation de l'espace humanitaire (S/PV.8822), ainsi que la déclaration du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, lors d'une réunion ministérielle le 20 septembre 2021 en marge de l'Assemblée générale des Nations Unies.
(4) https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/action-humanitaire-d-urgence/actualites-et-evenements/article/conference-nationale-humanitaire-cnh-17-12-20#sommaire_1.
(5) Voir en particulier l'" appel à l'action humanitaire " (Humanitarian Call for Action), lancé conjointement avec l'Allemagne en 2019 dans le cadre de l'Alliance pour le multilatéralisme, endossé par 51 Etats et par l'Union européenne (octobre 2021) (voir les informations disponibles sous https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/la-france-et-les-nations-unies/l-alliance-pour-le-multilateralisme/appel-a-l-action-humanitaire/).
(6) Recommandations formulées notamment dans : CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, Assemblée plénière du 14 décembre 2020, JORF n° 0307 du 20 décembre 2020, texte n° 86.
(7) Exposé des motifs de la proposition de loi, op. cit., §8.
(8) Voir notamment : CNCDH, Avis sur l'incidence de la législation relative à la lutte contre le terrorisme sur l'action humanitaire, Assemblée plénière du 2 octobre 2018, JORF n° 0238 du 14 octobre 2018, texte n° 97, §§14 et s. ou les ressources disponibles sous https://pilac.law.harvard.edu/counterterrorism-and-humanitarian-engagement-project/ (Counterterrorism and Humanitarian Engagement Project (CHE Project), Harvard Law School).
(9) Les principes humanitaires - d'humanité, d'impartialité, de neutralité et d'indépendance - ont été adoptés sous leur forme actuelle lors de la XXème Conférence internationale de la Croix-Rouge en 1965 et réaffirmés comme fondement de l'action humanitaire, indépendamment de la circonstance d'un conflit armé (voir notamment la résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies du 19 décembre 1991, " Renforcement de la coordination de l'aide humanitaire d'urgence de l'Organisation des nations Unies " (A/RES/46/182) et la résolution A/RES/48/114 du 17 décembre 2003 qui a ajouté le principe d'indépendance). Ces principes régulièrement réaffirmés par l'Assemblée générale, ont été incorporés dans la Norme humanitaire fondamentale de qualité et de redevabilité (Core Humanitarian Standard) adoptée en 2015.
(10) Circulaire du garde des Sceaux du 27 juillet 2021 relative à la lutte contre les atteintes portées aux travailleurs humanitaires à l'étranger et à la spécificité des missions des organisations exerçant des activités humanitaires, NOR : JUSD2123311C, CRIM 2021-07/G1-26/07/2021 et son annexe sur les principes applicables aux activités des organisations fournissant de l'aide humanitaire. Cette circulaire fait suite à l'engagement pris en ce sens par le Président de la République lors de la conférence nationale humanitaire (op. cit., note 4).
(11) La circulaire mentionne également qu'" il apparaît (…) indispensable que les organisations humanitaires, dans le cadre de leurs missions légitimes, puissent agir en toute sérénité et apporter une aide d'urgence, sans discrimination, aux populations les plus vulnérables " (op. cit.).
(12) Sont mentionnés le paiement de péages ou de " bakchichs ", auquel les organisations humanitaires impartiales peuvent parfois être contraintes de procéder pour réaliser leurs missions.
(13) Article 16§1 du Protocole additionnel I ; article 10§1 du Protocole additionnel II.
(14) CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, 14 décembre 2020, op. cit., recommandation (reco.) n° 5.
(15) En effet, " le droit international (…) a maintenant évolué au point où le consentement [à une offre de service adressée par un organisme humanitaire impartial] ne peut désormais pas être refusé pour des motifs arbitraires " (CICR, Commentaire de la Première Convention de Genève, 2020, commentaire de l'article 3 commun, §§834 et s.). " Ainsi, toute entrave aux activités humanitaires doit être fondée sur des motifs valables " et [l]orsqu'une partie (…) est réticente ou incapable de répondre aux besoins humanitaires essentiels, le droit international exige qu'elle accepte [cette offre] " (ibid.). Il en va de même s'agissant des conflits armés internationaux (ibid., commentaire de l'article 9 commun, §§1173 et s.). Voir également la règle 55 de l'étude du CICR sur le Droit international humanitaire coutumier, Volume I, Règles, Bruylant, 2006, pp. 258 et s., disponible sous https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/other/icrc_001_pcustom.pdf, selon laquelle " [l]es parties au conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide et sans encombre de secours humanitaires destinés aux personnes civiles dans le besoin, de caractère impartial et fournis sans aucune distinction de caractère défavorable, sous réserve de leur droit de contrôle ".
(16) CICR, Commentaire de la Première Convention de Genève, article 3 commun, 2020, §811.
(17) La CNCDH rappelle que même dans le cadre d'un conflit armé, pour qu'une organisation soit qualifiée " d'organisme humanitaire impartial " au sens de l'article 3 ou de l'article 9 communs aux Conventions de Genève, " il n'est pas nécessaire que le champ de ses activités se limite à des activités humanitaires " (ibid., §790).
(18) Les articles 1, 2, 3, 4 et 6 de la proposition de loi se réfèrent aux " organisations non gouvernementales et aux associations humanitaires impartiales reconnues par le droit international, y compris le droit international humanitaire ".
(19) Selon le considérant 38 du préambule de la directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme, " [l]es activités humanitaires menées par des organisations humanitaires impartiales reconnues par le droit international, y compris le droit international humanitaire, ne relèvent pas du champ d'application de la présente directive (…) " (nous soulignons).
(20) Le Conseil de sécurité " prie instamment les Etats, lorsqu'ils élaborent et appliquent des mesures visant à lutter contre le financement du terrorisme, de tenir compte des effets qu'elles pourraient avoir sur les activités exclusivement humanitaires, y compris médicales, menées par des acteurs humanitaires impartiaux, de manière conforme au droit international humanitaire ", sans faire référence à la reconnaissance par le droit international des organisations concernées (S/RES/2462/2019, 28 mars 2019, §24).
(21) Cette notion est employée par la directive (UE) 2017/541 précitée. Les Conventions de Genève utilisent quant à elles l'expression d'" organisme humanitaire impartial " (articles 3 et 9 communs aux Conventions de Genève).
(22) La proposition de loi fait tantôt référence aux " organisations non gouvernementales et [aux] associations humanitaires ", tantôt aux " organisations non gouvernementales ou [aux] associations humanitaires " (articles 1 à 3).
(23) La CNCDH recommande d'aligner la rédaction du nouvel article 422-8 alinéa II du code pénal sur l'alinéa I, un territoire ne pouvant faire l'objet, en tant que tel, de sanctions internationales.
(24) Ces dispositions sont libellées comme suit : §1 : " Nul ne sera puni pour avoir exercé une activité de caractère médical conforme à la déontologie, quels qu'aient été les circonstances ou les bénéficiaires de cette activité ".
(25) Voir, à propos de ce risque de poursuites (qui existe également pour les institutions financières) : CNCDH, Avis sur l'incidence de la législation relative à la lutte contre le terrorisme sur l'action humanitaire, 2 octobre 2018, op. cit., §20. Dans le même sens : exposé des motifs de la proposition de loi, op. cit., §§5 à 7.
(26) Ordonnance n° 2020-1342 du 4 novembre 2020 renforçant le dispositif de gel des avoirs et d'interdiction de mise à disposition sur les organisations humanitaires, JORF n° 0269 du 5 novembre 2020, texte n° 10 (dite " ordonnance sur le gel des avoirs ").
(27) A savoir de vérifier de ne pas mettre à disposition, directement ou indirectement, ni d'utiliser des fonds et ressources économiques au profit de personnes dont les fonds ou ressources économiques font l'objet d'une mesure de gel (article L. 562-5 du code monétaire et financier). Par ailleurs, aux termes de l'article 421-2-2 du code pénal, le financement du terrorisme est caractérisé par le seul fait de fournir des fonds en sachant qu'ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre un acte de terrorisme.
(28) Le nouvel article L. 562-4 du code monétaire et financier, tel qu'il résulte de l'ordonnance du 4 novembre 2020, concerne en effet toute personne physique se trouvant sur le territoire national et toute personne morale constituée ou établie selon le droit national ou réalisant une opération sur le territoire national. Sont en outre également couvertes les activités réalisées à l'étranger.
(29) Les organisations humanitaires et de solidarité internationales françaises ont également alerté les membres du Gouvernement et du Parlement sur l'impact de cette ordonnance sur leurs activités.
(30) Celui-ci est disponible sous https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl20-541.html. En outre, le Conseil constitutionnel a reconnu aux ordonnances du Gouvernement non ratifiées par le Parlement, passé le délai d'habilitation, une valeur législative au sens de l'article 61-1 de la Constitution (relatif à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)) (Décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020 ; décision n° 2020-851 QPC du 3 juillet 2020).
(31) L'article L. 574-3 du code monétaire et financier fait référence aux peines prévues à l'article 459 du code des douanes, pouvant aller d'une amende jusqu'à cinq ans d'emprisonnement.
(32) Pour une rédaction similaire, voir par exemple l'article L. 561-22 du code monétaire et financier.
(33) Voir en ce sens la déclaration du ministre de l'Europe et des affaires étrangères du 20 septembre 2021, op. cit. Le Groupe d'Action Financière (GAFI) a par ailleurs révisé sa recommandation relative aux organismes à but non lucratif et fait désormais explicitement référence à la proportionnalité et à l'approche fondée sur les risques (reco. n° 8, Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération. Les recommandations du GAFI, adoptées en février 2012, mises à jour en octobre 2016).
(34) Discours du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies du 16 juillet 2021, op. cit., p. 8 (S/PV.8822).
(35) Ibid.
(36) Ministère de l'économie, des finances et de la relance, direction générale du Trésor, " Vade-mecum sanctions et financement du terrorisme sur les opérations humanitaires en zones sensibles ", disponible sous https://www.tresor.economie.gouv.fr/Institutionnel/Niveau3/Pages/13d1cb87-cf27-49ca-ad57-dc2855a2b26e/files/1e9c2eaf-0a75-4e15-a4f5-92baceb398a9.
(37) Voir en ce sens : CNCDH, Avis sur l'incidence de la législation relative à la lutte contre le terrorisme sur l'action humanitaire, 2 octobre 2018, op. cit., reco. n° 4.
(38) La CNCDH rappelle sa recommandation de préférer le terme d'" organisation humanitaire impartiale ".
(39) La proposition de loi fait référence aux " bénéficiaires effectifs ", terminologie que l'on retrouve dans le code monétaire et financier (voir par exemple l'article L. 561-2-2). Mais les organisations humanitaires emploient généralement les termes de " bénéficiaires finaux " dans ce contexte.
(40) Les banques pourraient choisir de refuser d'assister les organisations humanitaires impartiales plutôt que de s'exposer à d'éventuels risques supplémentaires.
(41) Voir en ce sens la contribution de plusieurs ONG à l'évaluation de la directive (UE) 2017/541, disponible sous https://www.coordinationsud.org/wp-content/uploads/ONG-francaises_Contribution-a-evaluation-directive-UE-2017-541_VF-1.pdf.
(42) Sur la garantie de la régularité des flux bancaires vers les organisations humanitaires, voir CNCDH, Avis sur l'incidence de la législation relative à la lutte contre le terrorisme sur l'action humanitaire, 2 octobre 2018, op. cit., reco. n° 4.
(43) Voir la règle 55 de l'étude du CICR sur le Droit international humanitaire coutumier à propos de cette obligation incombant aux parties à un conflit armé (op. cit.).
(44) CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, 14 décembre 2020, op. cit., §7.
(45) Discours du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies du 16 juillet 2021, op. cit., p. 9 (S/PV.8822).
(46) Voir en ce sens la contribution de plusieurs ONG françaises à l'évaluation de la directive (UE) 2017/541, op. cit. ou l'appel de 19 organisations à la protection de l'espace humanitaire, lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies du 16 juillet 2021.
(47) CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, 14 décembre 2020, op. cit., reco. n° 4.
(48) Ibid, §7, reco. n° 7.
(49) Proposition de loi n° 4354 relative à la préservation de l'espace humanitaire, op. cit., §19.
(50) Ibid., §20.
(51) Voir par exemple, s'agissant de la nécessité de répondre à la recrudescence de crimes perpétrés à l'encontre du personnel humanitaire ou du besoin de renforcer la confiance de la population bénéficiaire de l'aide humanitaire dans les dispensateurs de celle-ci : CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, Assemblée plénière du 14 décembre 2020, op. cit., §2 ; CNCDH, Avis sur le respect et la protection des travailleurs humanitaires, Assemblée plénière du 22 mai 2014, JORF n° 0136 du 14 juin 2014, texte n° 71, §§2-3, §7 ; CNCDH, Avis sur l'incidence de la législation relative à la lutte contre le terrorisme sur l'action humanitaire, 2 octobre 2018, op. cit., note 31.
(52) CNCDH, Avis sur le respect et la protection des travailleurs humanitaires de 2014, op. cit., reco. n° 2.6 ; recommandation reprise, parmi d'autres, dans le rapport de la mission d'information parlementaire sur le droit international humanitaire à l'épreuve des conflits, du 4 décembre 2019, présenté par M. Moetai Brotherson et M. Jean-François Mbaye (Assemblée nationale, Rapport d'information n°2484, reco. n° 12).
(53) CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, Assemblée plénière du 14 décembre 2020, op. cit., §§20 et s.
(54) Le code pénal prévoit des circonstances aggravantes lorsqu'elles sont commises notamment contre un sapeur-pompier professionnel ou volontaire ou contre un professionnel de santé, dont les missions peuvent être rapprochées, par leur mobile gratuit et désintéressé, de celles exercées par le personnel humanitaire pour le meurtre (article 221-4 4° ou 4° bis du code pénal), les tortures et actes de barbarie (article 222-3 4° ou 4° bis), les différentes violences volontaires graduées en fonction du préjudice subi par la victime (4° et 4° bis des articles 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du code pénal). Une circonstance aggravante est également prévue pour l'embuscade, mais pour les sapeurs-pompiers et non pour les professionnels de santé (article 222-15-1 du code pénal) (CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, Assemblée plénière du 14 décembre 2020, op. cit., reco. n° 16).
(55) Il en va ainsi du viol et des autres agressions sexuelles pour lesquels le code pénal ne prévoit aucune circonstance aggravante liée aux fonctions ou à la mission exercées par la victime (articles 222-22 et s. du code pénal). Il en va de même pour l'enlèvement et la séquestration (articles 224-1 et s. du code pénal) (CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, Assemblée plénière du 14 décembre 2020, op. cit., note 62).
(56) L'article 6 de la proposition de loi vise à créer des circonstances aggravantes pour certaines infractions commises par ce personnel, non assorties de circonstances aggravantes liées à une fonction ou une mission particulière exercée par son auteur : voir les circonstances aggravantes déjà prévues par le code pénal pour le viol (article 222-24), l'agression sexuelle (article 222-28), l'agression sexuelle - autre que le viol - commise contre des personnes d'une particulière vulnérabilité (article 222-30), la traite des êtres humains (article 225-4-2), le proxénétisme (article 225-7), le recours à la prostitution (article 225-12-2) ainsi que l'atteinte sexuelle sur un mineur de moins de 15 ans (article 227-26) et de plus de 15 ans (article 227-27 du code pénal). Parmi ces infractions, seule la traite des êtres humains et le proxénétisme prévoient des circonstances aggravantes liées aux fonctions lorsque l'infraction est commise " par une personne appelée à participer, par ses fonctions, à la lutte contre la traite ou au maintien de l'ordre public " (article 225-4-2 6°) ou " à la lutte contre la prostitution, à la protection de la santé ou au maintien de l'ordre public " (article 225-7 6°).
(57) Tel est le cas du viol (article 222-24 5°) et des autres agressions sexuelles (article 222-28 3°), y compris celles commises contre des personnes d'une particulière vulnérabilité (article 222-30 3°), mais aussi du proxénétisme (article 225-7 5°), du recours à la prostitution (article 225-12-2 3°), de l'atteinte sexuelle sur un mineur de moins de 15 ans (article 227-26 2°) et de plus de 15 ans (article 227-27 du code pénal 2°).
(58) Pourraient également s'appliquer les circonstances aggravantes liées à l'autorité de droit ou de fait exercée par l'auteur sur sa victime ou à d'autres critères de vulnérabilité de cette dernière.
(59) En dehors des hypothèses de compétence extraterritoriale prévues par le code de procédure pénale, la compétence des juridictions pénales françaises exige un lien de rattachement, soit territorial, soit personnel - actif ou passif (article 689 du code de procédure pénale ; articles 113-6 et 113-7 du code pénal).
(60) Les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, les deux Protocoles additionnels du 8 juin 1977 relatifs respectivement aux conflits armés internationaux (Protocole I) et aux conflits armés non internationaux (Protocole II), ainsi que le troisième Protocole additionnel du 8 décembre 2005 relatif à l'adoption d'un signe distinctif additionnel sont disponibles sous https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/vwTreaties1949.xsp.
(61) L'article 5 de la proposition de loi mentionne en effet " les conditions prévues à l'article 689-1 " du code de procédure pénale parmi lesquelles figure celle de la présence en France.
(62) Une telle compétence extra-territoriale est par exemple prévue pour les personnes coupables de torture au sens de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (article 689-2 du code de procédure pénale), de différents crimes et/ou délits terroristes selon les conditions énumérées (voir par exemple les articles 689-9 et 689-10) ou pour les personnes coupables de disparitions forcées au sens de l'article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées du 20 décembre 2006 (article 689-13) (CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, Assemblée plénière du 14 décembre 2020, op. cit., §17).
(63) La CNCDH appelle la France à assurer " l'intégration systématique " de toutes leurs dispositions dans le droit national, y compris celles relatives à la répression des infractions graves (voir par exemple CNCDH, Avis sur l'adaptation de la législation pénale française au Statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale, Assemblée plénière du 4 février 2010, p. 2 ou CNCDH, Avis sur la loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour Pénale Internationale, Assemblée plénière du 6 novembre 2008, §4).
(64) La jurisprudence considère que les Conventions de Genève " revêtent un caractère trop général pour créer directement des règles de compétence extraterritoriales en matière pénale " et " qu'en l'absence d'effet direct des dispositions (…) relatives à la recherche et à la poursuite des auteurs d'infractions graves, l'article 689 du Code de procédure pénale [qui fixe les conditions dans lesquelles les juridictions françaises sont compétentes pour poursuivre et juger les auteurs ou complices d'infractions commises hors du territoire de la République] ne saurait recevoir application " (Cour de cassation, chambre criminelle, 26 mars 1996, pourvoi n° 95-81.527, Bull. crim. 1996, n° 132, p. 379).
(65) La référence aux " infractions relevant desdites conventions et desdits protocoles additionnels " semble par exemple mettre sur le même plan les " infractions graves " prévues par les Conventions de Genève (articles 50, 51, 130 et 147 respectivement des Conventions de Genève I, II, III et IV) et le Protocole additionnel I (articles 11 et 85 PA I), dont la liste est exhaustive et qui ne s'appliquent qu'aux conflits armés internationaux, et les autres violations graves du droit international humanitaire applicables aux conflits armés non internationaux (régis notamment par le Protocole additionnel II et l'article 3 commun aux Conventions de Genève). Or, selon le CICR, " il est difficile de conclure que [l'élargissement du régime des infractions graves aux conflits armés non internationaux] relève désormais du droit international coutumier compte tenu de la rareté de la pratique des Etats et de l'opinio juris à cet égard " (CICR, Commentaire de la première Convention de Genève, décembre 2020, §2905). Un Etat reste toutefois tout à fait libre de faire le choix de cet élargissement, d'autant plus que les violations graves du droit international humanitaire constituent des crimes de guerre pour lesquels de nombreux Etats ont adopté des législations permettant d'exercer la compétence universelle à leur égard.
(66) Au sens des articles 461-1 à 461-31 du code pénal, qui reprennent, pour l'essentiel, la définition de l'article 8 du Statut de la CPI (voir la loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, JORF n° 0183 du 10 août 2010, texte n° 1). La CNCDH a adopté de nombreux avis sur la question de la conformité entre les définitions des incriminations du droit français et les définitions du droit international (voir en particulier la critique exprimée à l'égard de la distinction introduite entre crimes et délits, qui s'écarte du Statut de Rome : CNCDH, Avis sur le projet de loi adaptant la législation française au statut de la Cour pénale internationale, Assemblée plénière du 29 juin 2006, §§7 et 12).
(67) Sur la distinction entre " infractions graves " et " violations graves " du DIH, voir la note 63.
(68) L'article 8 al. 2 a) qualifie de crimes de guerre les infractions graves aux Conventions de Genève, " à savoir l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève ", parmi lesquels figurent l'homicide intentionnel ou le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l'intégrité physique ou à la santé ; qui font partie des " crimes et délits de guerre " définis dans le code pénal (voir en particulier les articles 461-2 à 461-5 sur les atteintes à la vie et à l'intégrité physique ou psychique).
(69) La CNCDH a adopté, notamment sur saisine, différents avis sur l'adaptation de la législation française au Statut de Rome notamment en 2001, 2002, 2003, 2006, 2008, 2010 et 2012, disponibles sous www.cncdh.fr.
(70) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018 - 2022 et de réforme pour la justice, JORF n° 0071 du 24 mars 2019, texte n° 2.
(71) Pour un rappel des modifications apportées par cette loi du 23 mars 2019, voir : CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, Assemblée plénière du 14 décembre 2020, op. cit., §15.
(72) Une proposition de loi tendant à modifier l'article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale [sic] du juge français concernant les infractions visées par le statut de la CPI, adoptée par le Sénat le 26 février 2013, n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale (celle-ci disponible sous http://www.senat.fr/leg/tas12-101.html).
(73) Voir l'amendement n°47 présenté par M. Jean-Pierre Sueur et d'autres sénateurs.
(74) Voir notamment l'amendement n°849 déposé par le groupe socialiste et l'amendement n°CL444 de M. Aurélien Taché et d'autres députés ou l'amendement n°125 présenté par M. Jean-Pierre Sueur et d'autres sénateurs. Voir la lettre ouverte publiée le 24 septembre 2021 par la Coalition française pour la CPI (CFCPI) en faveur de la levée des verrous à la mise en œuvre de la compétence universelle pour les crimes les plus graves, disponible sous https://www.amnesty.fr/presse/paris-le-24-septembre-2021--dans-le-contexte-de-lexamen.
(75) Question écrite n°22233 de M. Gilbert Roger ; réponse du ministère de la justice, JO Sénat, 5 août 2021, p. 4878.
(76) Ibid.
(77) Voir notamment : CNCDH, Avis sur le projet de loi…, Assemblée plénière du 29 juin 2006, op. cit., §20.
(78) En ce sens, voir notamment CNCDH, Avis sur la loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, Assemblée plénière du 6 novembre 2008, §4.
(79) Préambule du Statut de Rome de la CPI, alinéa 4. Cette différence de traitement est d'autant plus paradoxale qu'elle n'a pas été retenue s'agissant des crimes relevant de la compétence des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda.
(80) CNCDH, Avis sur la loi…, Assemblée plénière du 6 novembre 2008, op. cit., §4.
(81) CNCDH, Avis relatif au projet de Convention internationale sur les crimes contre l'humanité, Assemblée plénière du 27 mars 2018, JORF n° 0077 du 1er avril 2018, texte n° 47, §31. Le tribunal pénal fédéral suisse a d'ailleurs considéré qu'" une interprétation trop stricte de la condition de la présence sur le sol suisse reviendrait à laisser décider l'auteur de l'infraction de la poursuite de celle-ci " (Tribunal pénal fédéral suisse, A. c. Ministère public de la Confédération, jugement du 25 juillet 2012, §3.1 ; affaire citée par le CICR, Commentaire de la première Convention de Genève, décembre 2020, §2867, note 114).
(82) La simple présence ou suspicion de présence de l'auteur des crimes sur le territoire français au jour de l'engagement des poursuites devrait donc suffire. Sur la distinction entre la présence présumée de l'auteur des faits et la " résidence habituelle " en France, voir : KOERING-JOULIN Renée, " Compétence universelle et crime contre l'humanité ", in COTTE Bruno et a. (dir.), 70 ans après Nuremberg. Juger le crime contre l'humanité, Dalloz, 2017, pp. 75 et s.
(83) Voir notamment : CNCDH, Avis sur l'adaptation de l'ordre juridique français aux conventions de droit humanitaire, Assemblée plénière du 16 février 1998, §§3 et 4 ; CNCDH, Avis sur l'adaptation du droit interne au Statut de la Cour pénale internationale, Assemblée plénière du 23 novembre 2001, §11 ou CNCDH, Avis sur l'avant-projet de loi portant adaptation de la législation française au Statut de la Cour pénale internationale, Assemblée plénière du 15 mai 2003, p. 6.
(84) Réponse du ministère de la justice du 5 août 2021, op. cit.
(85) Dans un avis de 2012, la CNCDH se félicitait de la création d'un pôle judiciaire au sein du TGI de Paris spécialisé dans les crimes de génocide, contre l'humanité, de guerre et de torture, qui devrait faciliter les enquêtes et les poursuites de ces crimes en France. Elle recommandait toutefois " une augmentation significative des moyens de ce pôle, en adéquation avec le nombre et la complexité des affaires qui y seront traitées " (CNCDH, Avis sur la Cour pénale internationale, Assemblée plénière du 23 octobre 2012).
(86) Voir notamment CNCDH, Avis sur l'avant-projet de loi portant adaptation de la législation française au Statut de la Cour pénale internationale, Assemblée plénière du 15 mai 2003, p. 1 et p. 6 ou CNCDH, Avis sur la loi …, Assemblée plénière du 6 novembre 2008, op. cit., §4.
(87) Réponse du ministère de la justice du 5 août 2021, op. cit. Le ministère public n'a plus à s'assurer auprès de la CPI qu'elle décline expressément sa compétence.
(88) En ce sens : CNCDH, Avis sur la loi…, Assemblée plénière du 6 novembre 2008, op. cit., §4 ; CNCDH, Avis sur la CPI, Assemblée plénière du 23 octobre 2012, op. cit., §6.
(89) Réponse du ministère de la justice du 5 août 2021, op. cit.
(90) KOERING-JOULIN Renée, " Compétence universelle et crime contre l'humanité ", op. cit., pp. 75 et s.
(91) CNCDH, Avis sur la loi…, Assemblée plénière du 6 novembre 2008, op. cit., §4.
(92) Le ministère de la justice se réfère à la " spécificité absolue de ce crime ", régie par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 et qualifiée de norme impérative du droit international par la Cour internationale de justice (Réponse du ministère de la justice du 5 août 2021, op. cit.).
(93) CNCDH, Avis sur l'avant-projet de loi…, Assemblée plénière du 15 mai 2003, p. 1.
(94) Voir notamment : CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, Assemblée plénière du 14 décembre 2020, op. cit., reco. n° 13. Voir également ses avis précités de 2001, de 2003 (p. 5) ou de 2006 (§9), dans lesquels la CNCDH rappelle que l'article 29 du Statut de la CPI a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
(95) Règle 160 de l'étude du CICR sur le Droit international humanitaire coutumier, op. cit., pp. 816 et s.
(96) Article 29 du Statut de Rome.
(97) L'imprescriptibilité en droit français ne couvre en effet, à ce jour, que le génocide et les autres crimes contre l'humanité , tels que définis respectivement par les articles 211-1 et 212-1 du code pénal (article 7 dernier alinéa du code de procédure pénale).
(98) Voir le discours du Président de la République française prononcé à l'Assemblée générale des Nations Unies le 22 septembre 2020.
(99) OCHA, Aperçu humanitaire mondial 2021, disponible sous https://gho.unocha.org/fr.
(100) Voir les exemples cités en introduction. L'annonce récente du secrétaire général des Nations Unies de la nomination d'un conseiller spécial pour la protection de l'espace et de l'accès humanitaires illustre par ailleurs toute l'attention portée par la communauté internationale à ces sujets (Conseil de sécurité, réunion du 16 juillet 2021, S/PV.8822, p. 4).
(101) Voir les informations sur le Forum humanitaire européen, qui se tiendra du 24 au 26 janvier 2022, disponibles sous https://ec.europa.eu/echo/events/european-humanitarian-forum_fr.
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