a) Ain
19. L'évolution démographique ayant conduit à créer un siège dans ce département, le Gouvernement a choisi de diviser artificiellement la ville et l'agglomération de Bourg-en-Bresse sans, pour autant, parvenir à l'équilibre démographique le plus satisfaisant.
En effet, alors que le canton de Peronnas, qui appartient à la communauté d'agglomération de Bourg-en-Bresse et entretient avec cette dernière des liens étroits, en a cependant été dissocié, des communes étrangères à cette communauté d'agglomération ont été rattachées, pour des motifs exclusivement politiques, à la 1re circonscription.
Ceci ne serait que choquant à équilibre démographique identique, mais devient inconstitutionnel lorsque l'on constate que le résultat de cette anomalie est de produire des écarts de population de + 6,72 % et ― 6,42 % entre les circonscriptions les plus et moins peuplées, alors que ces mêmes écarts, corrigés de la même anomalie, n'eussent été que de + 5,70 % et ― 5,16 %.
Il y a donc lieu à censurer le découpage de ce département.
b) Aude
20. Ce département compte trois circonscriptions entre lesquelles le découpage actuel fait apparaître des déséquilibres importants qu'il convient de supprimer.
Ce n'est pourtant pas ce à quoi aboutit le découpage gouvernemental qui, alors que la Commission avait proposé le transfert du canton de Ginestas (14 761 habitants) de la 1re à la 2e circonscription, s'est refusé à le faire, lors même que ce transfert eût maintenu ce canton dans l'arrondissement qui est le sien, celui de Narbonne-ville.
Non seulement, donc, ce découpage artificiel laisse encore subsister des écarts par rapport à la moyenne départementale (+ 8,68 % pour la 1re, ― 8,98 % pour la seconde) qui sont très proches de ce qu'eussent été les écarts résultant d'un découpage naturel (+ 9,03 % et ― 9,33 %).
c) Calvados
21. Dans ce département où les évolutions démographiques rendaient indispensables des réajustements, le Gouvernement, comme souvent, en a choisis d'artificiels sans que cela se traduise par des résultats optimaux en matière d'équilibre démographique.
C'est ainsi que les communes de Lisieux et de Caen sont réparties entre plusieurs circonscriptions. De même, c'est sans la moindre utilité réelle que le canton de Lisieux-I a été scindé entre les 3e et 4e circonscriptions.
Pourtant, alors que le découpage alternatif qui est présenté en annexe aboutissait à six circonscriptions très équilibrées, les écarts maxima de population s'élevant à + 3,40 % et ― 3,98 %, le choix du Gouvernement les situe à + 7,87 % et ― 4,21 %, ce qui est sensiblement moins satisfaisant et inconstitutionnel à ce titre.
d) Gard
22. Une nouvelle circonscription a été créée dans ce département, qui passe donc de cinq à six députés. La chose promettait d'être d'autant plus aisée à réaliser qu'aucun canton n'atteint 40 000 habitants, ce qui facilite grandement le travail de découpage équilibré.
Pourtant, le résultat se caractérise par un écart de plus de 28 000 habitants entre les deux circonscriptions les plus et les moins peuplées, la seconde étant ainsi surreprésentée par rapport à la première de 28 %.
Bien sûr, cet écart demeure dans la fourchette que vous avez définie, de +/― 20 % par rapport à la moyenne départementale. Mais cet écart n'est qu'un maximum toléré, dans les cas où des spécificités locales ne permettent pas de faire mieux. En revanche, et en l'absence, comme ici, de telles particularités, la règle s'applique, que vous avez également définie, selon laquelle l'équilibre doit être respecté « au mieux ».
Or, la contreproposition que vous trouverez en annexe fait apparaître, toutes choses égales par ailleurs, un écart de seulement 20 000 habitants entre la 1re et la 2e circonscription, ramenant à seulement 19,56 % la surreprésentation de la première.
Nulle appréciation ici et simplement un constat : celui qui vous conduira à censurer à ce titre le découpage de ce département.
23. De plus, comme si cela ne suffisait pas, sept cantons sont déplacés entre les circonscriptions qui existaient au préalable, sans qu'aucune justification démographique le rendît nécessaire. C'est ainsi, par exemple, que la 4e circonscription, qui se trouvait presque exactement à la moyenne départementale, intégrerait un canton supplémentaire (18 465 habitants) et en perdrait trois (totalisant 20 412 habitants), sans autre motivation que les résultats politiques contrastés que produisent habituellement les quatre cantons concernés.
Enfin, la ville de Nîmes elle-même est répartie entre deux circonscriptions découpées de manière géographiquement, historiquement et sociologiquement absurde, et qui ne trouve de cohérence que dans la volonté de favoriser un camp politique : en effet, alors que les cantons de Nîmes-I et Nîmes-VI sont en continuité géographique, celui de Nîmes-III, situé à l'est de la ville, en est séparé. Ils forment pourtant ensemble la 1re circonscription, tandis que la 2e, étalée du nord au sud de la ville, hérite d'un tracé tout aussi discutable.
La Commission s'était d'ailleurs émue de tout cela dans son premier avis mais, étonnemment, n'a pas cru devoir le refaire ensuite, alors que rien pourtant n'avait changé.
A tous ces titres, le découpage de ce département, qui est loin de servir au mieux l'équilibre démographique, qui déplace des cantons dans un but exclusivement politique et qui ne respecte pas la continuité territoriale, sera censuré.
e) Haute-Garonne
24. Les dix circonscriptions de ce département présentent des déséquilibres dont la Commission n'a pas manqué de s'émouvoir, contrairement au Gouvernement qui les a pourtant maintenus.
C'est ainsi que sept cantons ont été scindés (Toulouse-VIII, Toulouse-IX, Toulouse-XI, Toulouse-XII, Toulouse-XIII, Toulouse-XIV et Muret), sans que ceci, et pour cause, soit « dûment justifié », ni même, d'ailleurs, que la moindre justification soit esquissée.
Or, cette multiplication d'artifices conduit néanmoins à ce que, par rapport à la moyenne départementale de population, trois circonscriptions aient un écart situé entre 5 et 10 % (3e, 9e, 10e), la plus peuplée soit supérieure de 13,02 %, la moins peuplée inférieure de 15,25 %.
Ceci est d'autant moins acceptable que la proposition alternative annexée démontre qu'un découpage beaucoup plus équilibré, pour toutes les circonscriptions, pouvait être obtenu qui n'eût fait apparaître que des écarts maxima de + 7,85 % (8e) et ― 7,14 % (7e).
Dans ces conditions, n'avoir pas retenu cette seconde formule qui était d'évidence est clairement contraire aux principes que vous-mêmes avez énoncés et sera censuré à ce titre.
f) Hérault
25. Où Eldrige Gerry avait dessiné sa célèbre salamandre, Alain Marleix a préféré l'étoile de mer pour ce département littoral, à moins qu'il ne s'agisse d'une chauve-souris à queue longue.
Premièrement, l'on doit constater deux fractionnements sans autre explication que politique : le canton de Frontignan est amputé de la commune de Villeneuve-lès-Maguelone (8 541 habitants seulement), et celui de Lunel perd sept communes ne regroupant que 7 102 habitants. Malgré ces prélèvements chirurgicaux, l'égalité démographique demeure sensiblement moins satisfaisante qu'elle aurait pu être et le Gouvernement a joué à une espèce de bonneteau avec onze cantons qui mutent sans nécessité autre qu'occulte, d'une circonscription à un autre.
A la 1re circonscription actuelle, il est retiré deux cantons et ajouté deux autres (tous d'une population allant de 25 000 à 30 000 habitants) sans que soit enregistré aucun progrès en matière d'équilibre démographique, mais avec des dividendes escomptés en termes politiques pour la majorité actuelle.
Deuxièmement, le découpage de Montpellier serait divertissant s'il n'était à ce point choquant. Représentatif d'un non-sens géographique et social, il aboutit à un tracé aberrant par sa forme, tandis que les cantons qui ne sont pas au cœur même de la ville sont soigneusement rattachés aux circonscriptions extérieures plus rurales dans lesquelles ils se fondent.
Ainsi le découpage antérieur est-il bouleversé sans autre nécessité que celle qui le texte n'exprime pas, en maintenant des écarts démographiques superflus et en fractionnant arbitrairement deux cantons, ce qui constitue autant de motifs de censure.
g) Isère
26. L'Isère gagne une circonscription. C'est dans le nord-est du département que l'évolution démographique a conduit à la dessiner. Mais, à cette fin, le Gouvernement a éclaté deux cantons, ceux de Roussillon et Vizille, ce qu'aucune exigence ni géographique ni démographique ne commandait.
En conséquence, d'une part, la 5e circonscription s'est trouvée affectée par la césure du canton de Vizille, héritant d'une fraction de ce dernier par suite de laquelle elle aurait une population sensiblement plus élevée que la moyenne départementale dont elle était pourtant très proche. D'autre part, les 7e et 10e circonscriptions se voient dotées d'un tracé singulier, tout en longueur, qui les distingue de façon pour le moins suspecte de toutes leurs voisines.
Or, tout ceci est d'autant plus troublant qu'aucun gain substantiel n'est accompli, même au prix de ces acrobaties, en termes d'équilibre démographique puisque les 3e, 5e et 6e circonscriptions présenteraient un écart de population de plus de 10 % en valeur absolue.
La contre-proposition annexée fait apparaître des écarts à la moyenne départementale sensiblement meilleurs (+ 7,51 % ; ― 10,43 %) sans découper aucun canton.
Le découpage de ce département sera donc également censuré, notamment pour avoir scindé des cantons sans pouvoir dûment le justifier comme l'exige le considérant n° 26 de votre décision précitée (supra, 18).
h) Loiret
27. L'existence, dans ce département, d'une 2e circonscription hypertrophiée avait conduit la Commission à souhaiter que le canton d'Orléans-Carmes fût transféré à la 6e, laquelle pourrait perdre celui de Lorris au profit de la 3e.
Loin de retenir cette solution de bon sens, le Gouvernement a préféré bâtir un Lego incohérent. D'une part, le canton de Fleury-les-Aubrais, gare de la ville d'Orléans située dans la continuité de celle-ci, a été basculé dans la circonscription rurale où elle retrouve les cantons de la Beauce. D'autre part, l'agglomération nouvelle, qui forme le canton d'Orléans-La Source, est dissociée du reste de la ville, versé dans la 6e circonscription.
Comme souvent, on pourrait se borner à ne voir là que des bizarreries géographiques qui n'ont d'explications que partisanes. Mais, comme souvent aussi, cette orientation inacceptable s'aggrave encore de ce qu'elle crée des déséquilibres géographiques superflus et, partant, inconstitutionnels.
Là, en effet, où la proposition alternative qui figure en annexe réduisait à + 7,91 % et ― 3,34 % les écarts maxima par rapport à la moyenne départementale, le texte adopté les porte respectivement à + 14,55 % et ― 9,88 %, passant ainsi d'une amplitude de 11,24 % à une de 24,43 %, soit sensiblement plus du double. La censure est donc inévitable.
i) Mayenne
28. Comme l'avait souligné la Commission, un rééquilibrage important était nécessaire entre les 1re et 2e circonscriptions. Pourtant, on a commencé par apporter à la 3e circonscription un canton (Loiron) traditionnellement orienté en faveur de la majorité actuelle, pour le substituer à un autre (Laval Nord-Est), plus réfractaire.
Surtout, l'occasion était donnée d'attribuer un siège à l'agglomération dont l'unité serait ainsi respectée et de découper deux circonscriptions plus rurales, l'une et l'autre homogènes.
A ceci, qui eût aisément abouti à un équilibre démographique satisfaisant (un écart de 3 000 habitants seulement eût existé entre les deux circonscriptions les plus et moins peuplées), on a préféré réaffecter quatre cantons sans autre logique que purement politique, donc purement condamnable.
j) Meurthe-et-Moselle
29. Comptant aujourd'hui 725 302 habitants, ce département perd un siège. On s'attendait à ce que la 3e, très déficitaire, fût supprimée pour que ses cantons vinssent renforcer celles qui sont circonvoisines. Il n'en fut rien, pour des raisons que seule l'ingénuité peut rendre mystérieuses. C'est, au contraire la 2e circonscription, pourtant très proche de la nouvelle moyenne départementale, que l'on a choisi de dépecer.
S'en trouve particulièrement affecté le canton de Tomblaine. Celui-ci compte douze communes qu'une logique de bassin fait tourner vers l'agglomération nancéenne. Les quatre plus importantes font partie de la communauté urbaine du Grand Nancy. On y trouve, outre l'aéroport, le stade de football de l'équipe professionnelle de l'ASNL, une piscine du Grand Nancy et bien d'autres infrastructures.
Dès lors, faire basculer ce canton vers la 4e circonscription, le Lunévillois, est naturellement perçu par la population comme une aberration qui n'a d'autre objet que partisan. En outre, on peut rappeler pour l'anecdote que le ministre avait pris l'engagement qu'aucun député-maire ne verrait sa commune quitter sa circonscription : c'est pourtant très exactement ce qui se produirait ici.
Mais, on l'aura compris, l'essentiel est ailleurs : il est dans le fait que, tout en maintenant des écarts de population importants entre les circonscriptions (les écarts vont de ― 13,48 % à + 7,57 % dans le projet gouvernemental et sont ramenés à ― 5,61 % et + 5,54 % dans la contre-proposition annexée) et, partant, sans pouvoir se prévaloir d'un progrès sur ce plan, le découpage scinderait inutilement des territoires géographiquement, sociologiquement, économiquement, historiquement homogènes, ce qui est l'une des nombreuses définitions que l'on pourrait donner du terme charcutage. La censure est donc certaine.
k) Moselle
30. Où le Gouvernement a tantôt usé de la hache, tantôt du scalpel, c'est au laser qu'il opère ici sa microchirurgie singulière. Certes, il lui fallait procéder à l'ablation d'un siège, ce qui est toujours délicat.
L'on s'attendait à ce que cela se fît dans le sud et l'est du département, moins peuplés, mais le projet préféra s'attaquer au nord, à la démographie beaucoup plus dynamique et, surtout, aux sympathies majoritaires pour l'opposition affirmées.
La Commission s'en est étonnée, le Conseil d'Etat à sa suite, sans que cela fît sourciller l'autorité de découpage, tout à sa tâche et qui se borna à des engagements non suivis d'effets.
Le résultat est déroutant. Trois cantons sont scindés (Metz-I, Metz-III, Yutz). Ce dernier se trouve amputé de la commune de Terville dont la taille modeste (6 000 habitants) pourra fournir un appoint bienvenu dans la circonscription voisine. Une partie de Metz-III volera au secours du député de la majorité élu dans la circonscription de Metz-I. Plus précisément, ce découpage se résume en une permutation au profit de la 1re circonscription de treize bureaux de vote les plus à gauche de la ville contre onze bureaux de vote très à droite. Enfin, plus étrange encore et cas unique semble-t-il, ce sont des bureaux de vote et non, comme à l'accoutumée, des communes qui permutent d'une circonscription à une autre. Ces bureaux de vote ne recensant, par définition, que des électeurs, l'on ignore donc les chiffres des populations ainsi contraintes au nomadisme. Rappelons que l'aptitude à dissocier des ensembles n'est pas conçue pour la commodité de ceux qui l'exercent, mais seulement pour permettre que soient réglées des difficultés particulières qui ne pourraient l'être autrement.
Si ces tracés capricieux étaient le prix à payer pour un découpage harmonieux et démographiquement équilibré, ils ne cesseraient pas d'être troublants mais pourraient au moins se prévaloir de ces qualités. Or, bien loin de cela, la 5e circonscription demeure inchangée alors qu'elle présente un écart de population de ― 13,03 % par rapport à la moyenne départementale, et la 9e de + 11,38 %.
La contre-proposition adoptée en commission des lois le 22 décembre dernier remédie à tous ces griefs et respecte les critères qui sont les vôtres.
Cumuler à ce point la volonté partisane et la maladresse démographique n'est certes pas respecter « au mieux l'égalité devant le suffrage ». La censure s'ensuivra.
l) Nièvre
31. Il n'est, ici, que de contempler la carte du découpage de ce département pour en saisir l'artifice. L'on y découvre en effet une circonscription que sa forme en L rend déjà suspecte. On constate ensuite qu'au choix d'une circonscription rurale et d'une autre plus urbaine, intégrant l'ensemble de l'agglomération de Nevers, on a préféré amputer cette dernière de l'un de ses cantons pour le verser dans l'autre circonscription.
Cette option est d'autant moins compréhensible, sauf politiquement, que le découpage naturel eût abouti à un équilibre géographique et démographique (respectivement 112 976 et 109 244 habitants dans la proposition alternative qui apparaît en annexe) beaucoup plus satisfaisant.
L'artifice devra donc être censuré comme n'entrant pas dans les objectifs de la Constitution.
m) Pas-de-Calais
32. Quoi qu'il ait dû s'y reprendre à plusieurs fois, le Gouvernement n'a suscité qu'un avis défavorable de la Commission, qui l'explique par l'entêtement des auteurs du découpage à maintenir des choix démographiquement irrationnels.
Ainsi, premièrement, du canton de Norrent-Fontès, maintenu dans la 6e circonscription au lieu de prendre sa place géographiquement et socialement naturelle dans la 9e circonscription, avec comme conséquence que cette dernière compte un écart de population, par rapport à la moyenne départementale, de 14,74 % alors qu'il n'eût été que de 1,37 % si elle avait reçu ce canton.
Deuxièmement, le tracé des 7e à 12e circonscriptions disloque délibérément le bassin houiller d'une manière qui le dénature complètement.
Troisièmement, et surtout, l'amplitude par rapport à la moyenne départementale va encore de + 9,53 % à ― 14,74 % alors que la proposition alternative démontre qu'il était aisé non seulement de faire sensiblement mieux, mais encore de le faire dans le respect des solidarités géographiques, historiques, économiques et sociales traditionnelles.
n) Puy-de-Dôme
33. Ce département sera celui où la moyenne d'habitants par siège sera la plus élevée en France (124 693), de sorte que les 1re et 4e circonscriptions, les plus peuplées dans le découpage gouvernemental, se situeront respectivement très au-dessus de la moyenne nationale.
Mais surtout, alors que la 1re circonscription présente un écart de presque 10 % supérieur à la moyenne départementale, la 2e circonscription, elle, présente un nombre d'habitants inférieur de 12,39 % à cette même moyenne.
Pourtant, les aménagements simples et logiques que fait apparaître la proposition alternative que vous trouverez en annexe eussent permis de ramener les écarts maxima à + 6,53 % et ― 11,20 %. C'est donc eux qu'il convenait d'adopter pour respecter au mieux l'équilibre démographique, et le texte qui ne l'a pas fait sera censuré en conséquence.
o) Bas-Rhin
34. De nouveau, des cantons (Strasbourg-VI, Illkirch-Graffenstaden, Bischwiller) sont découpés sans autre motif que partisan, ce qui laisse néanmoins subsister des écarts allant de + 8,04 % à ― 10,04 %.
Aucun intérêt général ne s'attachait donc à ces scissions dont il était aisé de faire l'économie au prix du simple transfert d'un ou deux cantons qui aurait évité tout bouleversement suspect des circonscriptions existantes.
p) Rhône
35. L'ordonnance introduit une rupture territoriale au sein de l'actuelle 13e circonscription. Ainsi, l'unité territoriale du canton et de la cinquième commune du département du Rhône qu'est Saint-Priest n'est pas respectée. Cette entité est scindée en deux parties administratives distinctes qu'aucune réalité sociologique, historique ou humaine ne justifie. L'ordonnance bafoue ainsi le principe énoncé par le Conseil constitutionnel de respect de l'intégrité des cantons.
Un autre découpage des circonscriptions, au sein de ce département, permettait de respecter au mieux la continuité territoriale, sans porter atteinte à l'unité des cantons. Pour ces raisons, ce découpage sera là encore censuré.
q) Saône-et-Loire
36. Fait assez surprenant : alors que la Commission avait donné un avis favorable au découpage de ce département, le Gouvernement jugea néanmoins opportun de le remettre en cause.
Le résultat est choquant en ceci que la géographie et la démographie dictaient ici un découpage naturel qui aboutissait à un équilibre presque miraculeux : trois circonscriptions de 110 000 habitants, une à 112 000 et une à 105 000, produisant des écarts maxima de + 1,54 % et ― 3,86 %.
Au lieu de cela, qui est présenté en annexe, le Gouvernement a choisi, sans qu'aucune considération d'intérêt général puisse le motiver, de faire des échanges arbitraires de cantons, d'en associer de disparates et tout juste contigus pour, en fin de compte, aboutir à une situation dans laquelle les écarts par rapport à la moyenne départementale se situent à + 15 % et ― 10,2 %, niveaux qui sont ici aussi incompréhensibles qu'injustifiables et, partant, inconstitutionnels.
r) Seine-Maritime
37. Ici, le Gouvernement a exploité sans vergogne et sans nécessité les souplesses que vous n'avez tolérées qu'au profit d'exigences d'intérêt général. C'est ainsi qu'une circonscription présente un écart de population, par rapport à la moyenne départementale, de ― 8,72 %, tandis qu'une autre est à + 17,40 %, la plus peuplée de notre pays !
Au passage, on note que Rouen est inutilement amputée de ses quartiers de renouvellement urbain, que le découpage du Havre est tout à fait artificiel, tandis que l'une des rares circonscriptions qui se trouvait à la nouvelle moyenne départementale fait quand même l'objet d'un échange de cantons que ne vient expliquer rien d'avouable.
Or, la proposition alternative annexée montre que l'on pouvait ramener les écarts considérables constatés à des proportions nettement plus raisonnables et moins systématiques. Pour ne l'avoir pas fait, le texte sera censuré.
s) Seine-et-Marne
38. Ce département passe de neuf à onze sièges à pourvoir. Qu'un découpage largement nouveau puisse en résulter n'a donc rien de surprenant. Est surprenante, en revanche, la nécessité que les auteurs de l'ordonnance ont découverte de scinder trois cantons ― Thorigny-sur-Marne, Dammartin-en-Goële, Lagny-sur-Marne ― sans même parvenir pour autant à un équilibre démographique satisfaisant.
Les écarts par rapport à la moyenne se trouveraient en effet à ― 16,77 % pour la moins peuplée et + 8,77 % pour la plus peuplée. Au contraire, dans la contre-proposition que vous voudrez bien trouver en annexe, ces écarts se situent à + ou ― 8 % par rapport à la moyenne départementale, sans découper aucun canton, toujours toutes choses égales par ailleurs bien sûr.
« Peut mieux faire » reste une annotation classique chez les enseignants, mais c'est aussi devenu une cause suffisante de censure constitutionnelle en matière d'équilibre démographique.
t) Somme
39. Abbeville privée de sa façade maritime, les deux villes les plus importantes du département réunies dans la même circonscription lors même qu'elles sont distantes de 45 km, des cantons très éloignés les uns des autres qui voteraient néanmoins ensemble, voilà quelques-unes des étrangetés de ce découpage aux contours très tourmentés.
Elles s'expliquent bien sûr si l'on prend en considération les intérêts partisans, ceux-là mêmes, justement, qui ne sauraient présider aux choix en la matière. C'est d'autant moins acceptable qu'une proposition alternative, incomparablement plus simple et démographiquement parfaitement équilibrée, était disponible. Le texte qui ne l'a pas retenue sera censuré à ce titre.
u) Tarn
40. Ce département perd un siège. Le nouveau découpage réalisé en conséquence fait subsister des écarts par rapport à la moyenne départementale sensiblement plus importants que nécessaire, allant de ― 9,27 % à + 6,05 %.
Au contraire, la contre-proposition qui figure en annexe, qui reprend celle faite par la Commission, d'une part, respecte les bassins de vie du département, autour d'Albi et Carmaux, de Castres et Mazamet (par fidélité aux mannes du doyen Vedel qui en était natif ?), d'autre part, aboutit à un équilibre démographique pleinement satisfaisant puisque les écarts maxima par rapport à la moyenne départementale se réduisent à ― 1,38 % et + 2,37 %.
Ce constat vaut condamnation de la partie pertinente de l'ordonnance.
v) Vaucluse
41. L'ordonnance entraîne la division de la ville de Carpentras sur deux circonscriptions, sans justification autre qu'un rééquilibrage de population conséquent à la perte du canton de Cadenet pour la 5e circonscription, alors que ce canton y trouverait sa place si la logique territoriale et administrative était respectée. Il n'y a aucune raison de diviser les cantons de Cadenet et de Pertuis dans deux circonscriptions distinctes, alors que les services de l'Etat comme les élus locaux travaillent au regroupement de ces communes, dans le cadre du SCOTT et dans une même structure intercommunale.
La division de Carpentras dans deux circonscriptions différentes s'ajoute à cette absurdité, que vous ne manquerez pas de censurer.
w) Seine-Saint-Denis
42. Loin de tirer les conséquences des obligations constitutionnelles, le projet du Gouvernement ne respecte pas les critères que vous avez fixés pour le département de Seine-Saint-Denis.
En l'espèce, le projet du Gouvernement entend supprimer la 3e circonscription du département (La Courneuve, Le Bourget, Aubervilliers Est et Ouest) alors que sa population correspond justement à la nouvelle norme des 125 000 habitants.
Par ailleurs, l'ordonnance laisse intacte la 8e circonscription qui ne comprend que 107 000 habitants, soit un écart de ― 13,74 % par rapport à la moyenne.
D'autres circonscriptions sont redécoupées alors qu'elles correspondent à la moyenne comprise dans l'écart de plus ou moins 7 % (les 3e, 6e, 9e circonscriptions).
Enfin, le projet du Gouvernement ne respecte pas les critères qu'il a lui-même annoncés comme étant la garantie du respect des obligations constitutionnelles : recomposer les circonscriptions en débutant par celles qui sont les moins peuplées, favoriser le fait que chaque ville et chaque canton fasse partie d'une même circonscription. Or, le projet du Gouvernement ne se base pas sur la recomposition des circonscriptions les moins peuplées. De plus, il laisse le canton du Bourget comme faisant partie de plusieurs circonscriptions. Enfin, il fait dépendre la ville de Bondy de deux circonscriptions, ce qui n'est pas le cas actuellement et ne l'a jamais été auparavant.
Dans son avis du 23 juin 2009, la Commission article 25 a constaté que la proposition de redécoupage du Gouvernement « laissait subsister un important déficit démographique (― 13,74 %) » en Seine-Saint-Denis. Suivant les recommandations du Conseil constitutionnel, la Commission a corrigé les déséquilibres démographiques en suggérant un nouveau découpage « plus satisfaisant sur le plan démographique » :
― elle recompose 6 circonscriptions sur 13 au lieu de 8 dans le projet du Gouvernement ;
― elle redécoupe les circonscriptions les moins peuplées qui ont le plus d'écart par rapport à la moyenne du département (les 4e, 7e, 8e et 10e circonscriptions).
La Commission ne touche pas aux circonscriptions qui sont dans la moyenne, comprises dans l'écart de plus ou moins 7 % (1re, 2e, 9e, 11e, 12e, 13e). La Commission mentionne particulièrement le maintien du découpage de 1986 pour la 9e circonscription.
Ces propositions corrigent les graves disproportions démographiques que laissait subsister le Gouvernement dans son projet initial.
De même, le Conseil d'Etat, reprenant les analyses de la Commission, a confirmé la nécessité de modifier le projet du Gouvernement pour le département de Seine-Saint-Denis dans son avis du 24 juillet 2009.
De surcroît, au moins une autre possibilité de redécoupage des circonscriptions existe qui respecte au mieux les équilibres démographiques et les bassins de vie, qui recompose les circonscriptions en partant de celles qui sont déficitaires et qui maintient l'unité des villes et des cantons dans une même circonscription.
Partant du projet du Gouvernement, ce redécoupage est obtenu en composant : la 4e circonscription des cantons d'Aubervilliers Est et Ouest ainsi que de celui de La Courneuve ; la 5e des cantons du Bourget, de Drancy et de Stains ; la 6e des cantons de Bobigny, Les Lilas, Pantin Est et Ouest ; la 8e des cantons de Gagny, Les Pavillons-sous-Bois, Rosny-sous-Bois et Villemomble ; la 9e des deux cantons de Bondy Nord-Ouest et Sud-Est et de ceux de Noisy-le-Sec et de Romainville (inchangée par rapport à aujourd'hui) ; la 10e des deux cantons d'Aulnay-sous-Bois Nord et Sud et de celui du Blanc-Mesnil.
Le Gouvernement n'a voulu entendre ni la Commission, ni le Conseil d'Etat, ni prendre en compte de contre-propositions. Il a eu tort en fait et surtout tort en droit puisque sa décision sera censurée en conséquence.
x) Guadeloupe
43. L'ordonnance laisse subsister de fortes disparités de population dans le département de la Guadeloupe puisque les 1re et 4e circonscriptions connaissent un écart à la moyenne départementale respectivement de + 16,76 % et ― 14,43 %.
Qui plus est, ces déséquilibres démographiques se font au prix de regroupements tout à fait discutables. Le rattachement des trois cantons de l'île de Marie-Galante n'est, par la nature insulaire de ces trois cantons (Saint-Louis, Capesterre-de-Marie-Galante et Grand-Bourg), imposé par aucune logique de continuité territoriale. L'ordonnance a pourtant opté pour le rattachement de ces trois cantons à la 1re circonscription, c'est-à-dire à la plus peuplée de tout le département. En retranchant les 12 000 habitants de ces trois cantons à la 1re circonscription et en les ajoutant soit à la 2e soit à la 4e on aurait atteint une logique démographique proche de la moyenne.
Un autre découpage des circonscriptions, au sein de ce département, permettrait de respecter au mieux les critères, notamment celui de l'équilibre démographique entre circonscriptions, énoncés par le Conseil constitutionnel. Le simple basculement du canton de Pointe-Noire de la 3e à la 2e circonscription, tout aussi logique sur le plan de la continuité territoriale que le choix fait par l'ordonnance, rééquilibrerait les populations de ces deux circonscriptions. Tel était d'ailleurs le sens de la proposition de la Commission de l'article 25 que le Gouvernement a décidé de ne pas suivre.
y) Français établis hors de France
44. Les écarts de populations sont ici considérables puisqu'ils vont de + 38,53 % pour l'Amérique du Nord à ― 30,83 % pour l'Amérique du Sud, en passant par ― 30,14 % pour Asie-Océanie et ― 17,01 % pour péninsule Ibérique et Monaco.
La Commission s'en est émue, d'autant plus à juste titre que les libertés déjà prises, par ailleurs, avec la continuité géographique auraient évidemment permis, moyennant un petit effort, de rééquilibrer substantiellement ces circonscriptions et de faire disparaître les écarts considérables qu'elles présentent et qui sont autant d'atteintes exorbitantes à l'égalité devant le suffrage.
La répartition que vous trouverez en annexe permet de mieux respecter l'équilibre démographique des circonscriptions, notamment entre les deux circonscriptions nord-américaines qui représenteraient respectivement 125 000 et 120 000 habitants, et la continuité territoriale avec le rattachement de Beyrouth, Abou Dhabi et Tel-Aviv à la huitième circonscription, ce qui en ferait la circonscription du Proche-Orient.
Pour ne pas avoir cherché à réduire la différence de population à des écarts raisonnables, l'ordonnance sera, bien entendu, censurée.
V. ― Observations finales
- Au terme de cette analyse, dont vous voudrez bien pardonner la longueur inusuelle, il ne fait aucun doute que la loi déférée sera censurée pour avoir prétendu ratifier une ordonnance manifestement contraire à la Constitution.
Vous pouvez ainsi décider de condamner toute l'ordonnance, ce qui serait tout à fait justifié. Mais vous pouvez également préférer ne la condamner qu'en ce qu'elle a irrégulièrement découpé certaines circonscriptions. Seraient alors concernées :
― celles sur lesquelles la procédure a été irrégulière : départements de Loir-et-Cher, de Paris et du Val-d'Oise, d'une part, des Hautes-Alpes, de l'Aube, du Calvados, d'Indre-et-Loire, des Landes, de la Mayenne, du Morbihan, de l'Essonne et des Hauts-de-Seine, d'autre part (supra, 5) ;
― celles incluses dans des départements qui eussent obtenu un nombre de sièges différent si ce dernier avait été attribué selon la méthode appropriée : Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Ariège, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Cantal, Corse-du-Sud, Haute-Corse, Jura, Loire, Loire-Atlantique, Lot, Pas-de-Calais, Rhône, Paris, Seine-Maritime, Var, Vosges, Territoire de Belfort, Essonne, Hauts-de-Seine, Martinique, Polynésie française (supra, 9) ;
― celles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin et, par voie de conséquence, de la Guadeloupe (supra, 15) ;
― celles des départements dont le découpage a été irrégulier au fond, soit (après élimination des doubles occurrences) : Ain, Aude, Gard, Haute-Garonne, Hérault, Isère, Loiret, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Nièvre, Puy-de-Dôme, Bas-Rhin, Rhône, Saône-et-Loire, Seine-et-Marne, Somme, Tarn, Vaucluse, Seine-Saint-Denis, Guadeloupe, Français établis hors de France (supra, IV).
- En tout état de cause, à la suite de la censure que vous n'allez pas manquer de prononcer, le Gouvernement, la Commission et le Parlement disposeront de tout le temps nécessaire pour projeter et adopter un découpage conforme à la Constitution pour tous les lieux où celui que ratifie la loi déférée aura été déclaré non conforme. Ainsi le pays disposera-t-il d'un nouveau découpage avant la fin de 2010.
Celui-ci sera constitutionnellement irréprochable car si le Gouvernement a pu traiter assez cavalièrement les avis de la Commission prévue à l'article 25, il ne pourra faire preuve de la même légèreté à l'égard de la décision que vous-mêmes aurez prise et de ses conséquences de droit.
Enfin, pour contribuer à cette issue heureuse, les saisissants déposeront, sur tous les lieux qui seront concernés par votre décision, une proposition de loi procédant à leur découpage selon les solutions alternatives qui vous ont été communiquées, proposition de loi qui sera naturellement soumise à la Commission avant d'être, en tant que de besoin, inscrite à l'ordre du jour. Une telle démarche, on l'aura compris, évitera que le Gouvernement puisse tarder à seule fin de faire survivre encore une fois le découpage inconstitutionnel de 1986.
Nous vous prions, monsieur le président, mesdames et messieurs les conseillers, d'agréer l'expression de notre haute considération.