Saisine du Conseil constitutionnel en date du 3 décembre 1999 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 99-422 DC
La présente saisine reprend l'ensemble des griefs formulés par les députés saisissants à l'encontre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 (loi n°99-1140 du 29 décembre 1999)
I. - Sur l'ensemble de la loi
La loi de financement de la sécurité sociale a été adoptée au terme d'une procédure irrégulière en regard des exigences constitutionnelles. En effet, les délais déterminés par l'article 47-1 de la Constitution n'ont pas été respectés.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale a été enregistré à l'Assemblée nationale pour la deuxième lecture avec un jour de retard, ce qui entraîne nécessairement une réduction du délai dont dispose normalement l'Assemblée nationale.
II. - Sur le domaine des lois de financement
Trois parmi les articles les plus importants (articles 5, 6 et 7) de la loi, sont manifestement insusceptibles d'être rattachés au domaine des lois de financement de la sécurité sociale, qui est défini par l'article 34 de la Constitution et par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. A deux reprises déjà, le Conseil constitutionnel a été amené à préciser le domaine des lois de financement de la sécurité sociale tel qu'il est défini par la loi organique (décision 98-404 DC relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999).
III. - Sur la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés
L'article 6 de la loi institue une contribution sociale sur les bénéfices des sociétés (CSB). Cette taxe porte atteinte au principe d'égalité des contribuables devant l'impôt puisque moins de 2 % des entreprises fourniront plus des trois quarts de son rendement.
Le principe constitutionnel de la contribution de tous les citoyens en raison de leurs facultés est méconnu (article 13 de la DDHC de 1789). En effet, la loi fixe un seuil arbitraire. La CSB serait également à l'origine d'une discrimination entre les sociétés selon le type d'organisation qu'elles ont choisi : la filialisation peut permettre d'échapper à la taxe en jouant sur les effets de seuil .
Enfin, en instituant la CSB comme un prélèvement permanent sans limitation de durée, le Gouvernement a méconnu le principe constitutionnel d'annualité qui veut que les impositions de toute nature doivent être autorisées chaque année.
IV. - Sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)
L'affectation à laquelle procède l'article 7 de la loi est en contradiction avec l'objectif assigné à la TGAP. Adoptée comme un impôt environnemental à caractère dissuasif, la TGAP deviendrait un impôt de rendement.
Aussi l'article 7 de la loi porte-t-il une atteinte au principe du consentement à l'impôt (article 14 de la DDHC et article 34 de la Constitution). De plus, le législateur commet ainsi une erreur manifeste d'appréciation.
Cet article est également entaché d'une incompétence négative, à un double titre. Tout d'abord, l'article 7 attribue au pouvoir réglementaire une compétence que l'article 34 de la Constitution attribue au pouvoir législatif. Par ailleurs, les dispositions de l'article 7 relatives au recouvrement d'une partie de la TGAP, sont d'une précision insuffisante.
V. - Sur la sincérité des prévisions et de la loi de financement
L'article 12 de la loi de financement présente les ressources prévisionnelles pour 2000. Tout d'abord, la comptabilisation des ressources de la loi de financement est incomplète. Par ailleurs, il y a inadéquation entre certaines dépenses et les recettes qui leurs sont affectées: fruit d'une erreur manifeste d'appréciation..
Enfin, de grandes incohérences existent entre la loi de finances et la loi de financement. Le manque de sincérité entache la crédibilité de la présentation de l'ensemble des prévisions de la loi de financement et en tout cas de son article 12. Or, le Conseil constitutionnel se doit d'exercer en matière de loi de financement le contrôle de la sincérité budgétaire qu'il pratique pour le budget de l'Etat.
VI. - Sur la garantie de ressources pour la branche Famille
L'article 15 de la loi prévoit que la Caisse nationale des allocations familiales bénéficie d'une garantie de ressources pour une période de cinq années courant du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2002. Il enfreint donc le principe de l'annualité budgétaire, qui a été institué pour permettre au Parlement d'exercer un contrôle régulier sur les finances publiques.
VII. - Sur les transferts de l'Etat vers la CNAMTS
Les articles 21 et 22 de la loi de financement de la sécurité sociale transfèrent de l'Etat vers la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) la charge du financement de trois mesures, qui apparaissent comme étant au nombre des dépenses qui relèvent par nature du budget général. Ainsi, Ces articles organisent des débudgétisations contraires aux articles 1er et 16 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 et au principe de sincérité budgétaire.
VIII. - Sur les centres de santé
L'article 23 de la loi de financement intègre les centres de santé dans le code de la santé publique mais ne comporte aucun mécanisme de régulation des dépenses auquel ils seraient soumis. En conséquence, il ne se rattache en aucune manière à l'objet financier qui est celui des lois de financement de la sécurité sociale (cavalier social).
Aussi, de même que les articles 5, 6 et 7 de la loi, cet article ne respecte-t-il pas les conditions de recevabilité posées par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
IX. - Sur le mécanisme de régulation de l'évolution des dépenses de santé
L'article 24 de la loi établit uniformément pour toutes les professions de santé une méthode de régulation tarifaire que l'assurance maladie devra faire respecter. Le mécanisme des lettres clés flottantes que l'assurance maladie peut faire varier pour respecter l'objectif de dépenses constitue un système de sanctions collectives qui pénaliseront les médecins les plus vertueux.
Cet article méconnaît le principe constitutionnel d'égalité devant la loi. Et également, les principes de nécessité, de proportionnalité et de personnalité des sanctions et des peines (article 8 de la DDHC).
Enfin, Il méconnaît la présomption d'innocence car le mécanisme des lettres clés flottantes aboutit à sanctionner des médecins pour des manquements non avérés.
X. - Sur l'encadrement des dépenses d'indemnités journalières et des frais de transport
L'article 25, paragraphe I, de la loi a pour objet et pour effet de rendre obligatoire la motivation médicale des prescriptions d'arrêt de travail et de transport sanitaire, ce qui a pour effet de porter atteinte au secret médical. Or la jurisprudence du Conseil constitutionnel a consacré un droit au respect de la vie privée, dont le secret médical est l'une des composantes.
XI. - Sur la fixation d'un objectif de dépenses pour le médicament
L'article 29 de la loi définit, pour la contribution due au titre de l'an 2000 par les laboratoires pharmaceutiques non conventionnés avec le comité économique du médicament, un objectif national de dépenses pharmaceutiques de 2 %. Cet article est contraire aux dispositions de l'article LO 111-13 du code de la sécurité sociale, car l'opportunité de la fixation d'éventuels taux sectoriels relève de la seule compétence du législateur organique.
XII. - Sur la contribution exceptionnelle des entreprises pharmaceutiques au titre des spécialités remboursables
L'article 30 de la loi crée une nouvelle imposition qui a explicitement pour fonction de procurer à l'assurance maladie une ressource équivalente au montant qu'elle devra rembourser aux laboratoires. Or, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général qui doit être " suffisant ".
Le seul but de cette contribution est de neutraliser les conséquences financières d'une décision de justice. L'article 30 porte une atteinte importante à l'exigence de sécurité juridique (articles 2 et 16 de la DDHC de 1789) et de confiance légitime des contribuables, qui doivent savoir à quoi s'en tenir sur les règles du jeu fiscal. Il viole aussi l'égalité devant l'impôt.