JORF n°302 du 30 décembre 1999

II. - Sur le domaine des lois de financement

Trois parmi les articles les plus importants de la loi qui vous est déférée, placés en tête du texte, sont manifestement insusceptibles d'être rattachés d'une quelconque manière que ce soit au domaine des lois de financement de la sécurité sociale.

Celui-ci est précisément défini par l'article 34 de la Constitution aux termes duquel « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». L'article LO. 111-3 du code de la sécurité sociale précise, lui, dans son I, le contenu des lois de financement, et dispose, dans son III, qu' « outre celles prévues au I, les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale ».

Les dispositions des articles 5, 6 et 7 de la loi dont vous êtes saisis ne sont pas de celles qui peuvent figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale. Ces trois articles sont en effet destinés à organiser, directement ou indirectement, une partie du financement de la réduction du temps de travail ou à compenser les charges qu'elle fera naître. Ils se rattachent donc exclusivement à une mesure de politique de l'emploi et ne concernent pas les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale, ni les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale :

L'article 5 de la loi propose de créer un établissement public administratif, le « fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale », destiné à financer les mesures d'allègement de charges sociales sur les bas salaires, ainsi que les aides à la réduction du temps de travail. En effet, la création de ce fonds est étroitement liée au projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail, qui s'y réfère dans ses articles 2 et 11. Son objectif est de sauver les 35 heures en donnant des moyens à la réduction négociée du temps de travail, et notamment une aide structurelle de 4 000 F par salarié et par an, et en accroissant les allègements de cotisations sociales. Il s'agit bien de financer - très partiellement - le surcoût du travail, conséquence des 35 heures obligatoires ;

L'article 6 qui institue une contribution sociale sur les bénéfices des sociétés (CSB) affectée à ce fonds, ne peut non plus être considéré comme relevant du domaine des lois de financement de la sécurité sociale. En effet, il ne s'agit pas de prendre en compte un élément nouveau dans le calcul des cotisations patronales mais d'instaurer, de manière permanente, une imposition supplémentaire des entreprises en vue de financer une politique de l'emploi. En instituant cet impôt au moyen de la loi de financement, le Gouvernement s'est manifestement livré à un détournement de procédure afin d'éviter le passage par le budget de l'Etat d'une disposition ayant pour effet d'augmenter le taux de l'impôt sur les sociétés. Or la contribution en question est affectée au financement de ce qui est sans aucun doute possible une politique nationale ;

L'article 7, enfin, étend l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et l'affecte au fonds créé à l'article 5.

Le projet initial du Gouvernement prévoyait qu'une ponction serait opérée sur les organismes de protection sociale pour alimenter le fonds créé par l'article. Devant la levée de boucliers suscitée par cette mise à contribution autoritaire, le Gouvernement a dû renoncer à cette partie de son projet. En conséquence, la présence des articles 5, 6 et 7 dans la loi de financement est sans logique juridique ni organique.

Or le juge constitutionnel ne peut permettre que les lois de financement de la sécurité sociale, qui sont un instrument législatif encore relativement neuf, deviennent des lois « fourre-tout », au mépris de la lettre et de l'esprit de la Constitution. La réforme des méthodes d'examen et d'adoption des dispositions relatives au financement de la sécurité sociale avait en effet un double objectif : il s'agissait de permettre une maîtrise des dépenses tout en garantissant la sincérité et la lisibilité de l'engagement social de la Nation et l'effectivité du contrôle du Parlement. Accepter que le domaine des lois de financement perde tout contour clair irait donc directement à l'encontre de l'objet de la révision constitutionnelle.

Les articles litigieux ne se rattachent pas à ce domaine mais sont en revanche clairement de ceux qui devraient figurer dans la loi de finances de l'année. Admettre leur conformité aux dispositions précitées de la Constitution et de la loi organique ferait de la loi de financement une annexe au budget de l'Etat, sa raison d'être propre étant perdue de vue. Ainsi qu'il a été dit au cours de la discussion parlementaire, « ce texte devient de fait un instrument de gestion des finances publiques puisqu'il inclut désormais des dépenses qui relevaient du budget de l'Etat et qu'il lève de nouveaux impôts pour financer les 35 heures, dont il camoufle le coût au sein d'un fonds social dans le seul but de faire échapper ces dépenses à la comptabilité budgétaire ».

A deux reprises déjà, vous avez été amenés à préciser le domaine des lois de financement de la sécurité sociale tel qu'il est défini par la loi organique. Vous avez ainsi jugé que tout ce qui concourt « de façon significative » à l'équilibre financier des régimes obligatoires de la sécurité sociale entre dans le champ des lois de financement. Dans votre décision 98-404 DC (paragraphe 29) relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, vous avez ainsi censuré un « cavalier social » en déclarant que subordonner l'autorisation de changement du lieu d'implantation d'un établissement de santé à des engagements de modération des dépenses remboursables par l'assurance maladie « ne concourt pas de façon significative aux conditions générales de l'équilibre financier de l'assurance maladie » et que cette mesure « est dès lors ... étrangère au domaine des lois de financement de la sécurité sociale ». Aujourd'hui, la nécessité de préciser le périmètre de ces lois est toujours aussi vive.

De même, les articles 5, 6 et 7 de la loi de financement dont vous êtes saisis par le présent recours ne peuvent donc qu'être considérés comme étrangers au domaine des lois de financement et donc non conformes à la Constitution. A défaut, les nouvelles modalités du financement de la sécurité sociale seraient l'occasion d'un recul très net de votre jurisprudence sur les cavaliers budgétaires, qui est le fruit d'une construction progressive dont la rigueur juridique et la précision ont permis le respect des grands principes budgétaires propres à garantir le contrôle démocratique sur les finances publiques.


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II. - Sur le domaine des lois de financement

Trois parmi les articles les plus importants de la loi qui vous est déférée, placés en tête du texte, sont manifestement insusceptibles d'être rattachés d'une quelconque manière que ce soit au domaine des lois de financement de la sécurité sociale.

Celui-ci est précisément défini par l'article 34 de la Constitution aux termes duquel « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». L'article LO. 111-3 du code de la sécurité sociale précise, lui, dans son I, le contenu des lois de financement, et dispose, dans son III, qu' « outre celles prévues au I, les lois de financement de la sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale ».

Les dispositions des articles 5, 6 et 7 de la loi dont vous êtes saisis ne sont pas de celles qui peuvent figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale. Ces trois articles sont en effet destinés à organiser, directement ou indirectement, une partie du financement de la réduction du temps de travail ou à compenser les charges qu'elle fera naître. Ils se rattachent donc exclusivement à une mesure de politique de l'emploi et ne concernent pas les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale, ni les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale :

L'article 5 de la loi propose de créer un établissement public administratif, le « fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale », destiné à financer les mesures d'allègement de charges sociales sur les bas salaires, ainsi que les aides à la réduction du temps de travail. En effet, la création de ce fonds est étroitement liée au projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail, qui s'y réfère dans ses articles 2 et 11. Son objectif est de sauver les 35 heures en donnant des moyens à la réduction négociée du temps de travail, et notamment une aide structurelle de 4 000 F par salarié et par an, et en accroissant les allègements de cotisations sociales. Il s'agit bien de financer - très partiellement - le surcoût du travail, conséquence des 35 heures obligatoires ;

L'article 6 qui institue une contribution sociale sur les bénéfices des sociétés (CSB) affectée à ce fonds, ne peut non plus être considéré comme relevant du domaine des lois de financement de la sécurité sociale. En effet, il ne s'agit pas de prendre en compte un élément nouveau dans le calcul des cotisations patronales mais d'instaurer, de manière permanente, une imposition supplémentaire des entreprises en vue de financer une politique de l'emploi. En instituant cet impôt au moyen de la loi de financement, le Gouvernement s'est manifestement livré à un détournement de procédure afin d'éviter le passage par le budget de l'Etat d'une disposition ayant pour effet d'augmenter le taux de l'impôt sur les sociétés. Or la contribution en question est affectée au financement de ce qui est sans aucun doute possible une politique nationale ;

L'article 7, enfin, étend l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et l'affecte au fonds créé à l'article 5.

Le projet initial du Gouvernement prévoyait qu'une ponction serait opérée sur les organismes de protection sociale pour alimenter le fonds créé par l'article. Devant la levée de boucliers suscitée par cette mise à contribution autoritaire, le Gouvernement a dû renoncer à cette partie de son projet. En conséquence, la présence des articles 5, 6 et 7 dans la loi de financement est sans logique juridique ni organique.

Or le juge constitutionnel ne peut permettre que les lois de financement de la sécurité sociale, qui sont un instrument législatif encore relativement neuf, deviennent des lois « fourre-tout », au mépris de la lettre et de l'esprit de la Constitution. La réforme des méthodes d'examen et d'adoption des dispositions relatives au financement de la sécurité sociale avait en effet un double objectif : il s'agissait de permettre une maîtrise des dépenses tout en garantissant la sincérité et la lisibilité de l'engagement social de la Nation et l'effectivité du contrôle du Parlement. Accepter que le domaine des lois de financement perde tout contour clair irait donc directement à l'encontre de l'objet de la révision constitutionnelle.

Les articles litigieux ne se rattachent pas à ce domaine mais sont en revanche clairement de ceux qui devraient figurer dans la loi de finances de l'année. Admettre leur conformité aux dispositions précitées de la Constitution et de la loi organique ferait de la loi de financement une annexe au budget de l'Etat, sa raison d'être propre étant perdue de vue. Ainsi qu'il a été dit au cours de la discussion parlementaire, « ce texte devient de fait un instrument de gestion des finances publiques puisqu'il inclut désormais des dépenses qui relevaient du budget de l'Etat et qu'il lève de nouveaux impôts pour financer les 35 heures, dont il camoufle le coût au sein d'un fonds social dans le seul but de faire échapper ces dépenses à la comptabilité budgétaire ».

A deux reprises déjà, vous avez été amenés à préciser le domaine des lois de financement de la sécurité sociale tel qu'il est défini par la loi organique. Vous avez ainsi jugé que tout ce qui concourt « de façon significative » à l'équilibre financier des régimes obligatoires de la sécurité sociale entre dans le champ des lois de financement. Dans votre décision 98-404 DC (paragraphe 29) relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, vous avez ainsi censuré un « cavalier social » en déclarant que subordonner l'autorisation de changement du lieu d'implantation d'un établissement de santé à des engagements de modération des dépenses remboursables par l'assurance maladie « ne concourt pas de façon significative aux conditions générales de l'équilibre financier de l'assurance maladie » et que cette mesure « est dès lors ... étrangère au domaine des lois de financement de la sécurité sociale ». Aujourd'hui, la nécessité de préciser le périmètre de ces lois est toujours aussi vive.

De même, les articles 5, 6 et 7 de la loi de financement dont vous êtes saisis par le présent recours ne peuvent donc qu'être considérés comme étrangers au domaine des lois de financement et donc non conformes à la Constitution. A défaut, les nouvelles modalités du financement de la sécurité sociale seraient l'occasion d'un recul très net de votre jurisprudence sur les cavaliers budgétaires, qui est le fruit d'une construction progressive dont la rigueur juridique et la précision ont permis le respect des grands principes budgétaires propres à garantir le contrôle démocratique sur les finances publiques.