JORF n°302 du 30 décembre 1999

III. - Sur la contribution sociale

sur les bénéfices des sociétés

L'article 6 de la loi institue une nouvelle imposition additionnelle à l'impôt sur les sociétés, la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés (CSB), en insérant un article 235 ZC et un article 1668 D dans le code des impôts. Cette taxe, affectée au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales créé par l'article 5, sera due par les redevables de l'impôt sur les sociétés ayant réalisé un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions de francs. Son taux est fixé à 3,3 % de l'impôt sur les sociétés : il s'agit donc d'un impôt sur l'impôt.

Au-delà de ce qui a été dit sur le fait que cette disposition avait un caractère étranger au domaine des lois de financement de la sécurité sociale, sa conformité aux principes dégagés par la jurisprudence du juge constitutionnel ne peut que faire l'objet de grandes réserves.

Tout d'abord, la CSB est un impôt extrêmement concentré puisque moins de 2 % des entreprises fourniront plus des trois quarts de son rendement, ce qui n'était pas le cas de la contribution temporaire sur l'impôt sur les sociétés, plus équitablement répartie entre les entreprises. Aussi apparaît-il clairement que la CSB porte en germe une rupture trop importante de l'égalité des contribuables devant l'impôt.

Les effets de seuil massifs de cette contribution méconnaîtront le principe de justice fiscale posé par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ». Vous avez en effet estimé, à plusieurs reprises, que de cet article découlait nécessairement le principe de progressivité de l'imposition globale du revenu des personnes physiques (89-268 DC, 29 décembre 1989 ; 90-285 DC, 28 décembre 1990 ; 93-320 DC, 21 juin 1993 ; 97-388 DC, 20 mars 1997). En l'espèce, la progressivité est nulle jusqu'au seuil de 50 millions de chiffre d'affaires.

Le principe constitutionnel de la contribution de tous les citoyens en raison de leurs facultés est donc méconnu.

Certes, le principe de l'égale répartition de la contribution en raison des facultés n'interdit pas au législateur de fairesupporter à certaines personnes physiques ou morales des charges particulières ; mais il s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques de tous les citoyens (85-200 DC du 16 janvier 1986).

Ainsi, le législateur peut prendre en compte la situation particulière de certaines entreprises, mais il ne peut soumettre une catégorie particulière de contribuables à un régime différent des autres catégories que s'ils sont placés dans des situations différentes (81-136 DC, 31 décembre 1981 ; 83-164 DC, 29 décembre 1983 ; 84-184 DC, 29 décembre 1984). Enfin, il résulte de votre jurisprudence qu'il doit déterminer l'assiette et le taux de l'impôt en fondant son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés (83-164 DC précitée ; 91-298 DC, 24 juillet 1991 ; 97-390 DC, 19 novembre 1997). Ces principes sont méconnus en l'espèce, puisque la loi fixe un seuil arbitraire et porteur d'effets brutaux de discrimination. Comment justifier qu'une entreprise dont le chiffre d'affaires est de 50 MF paye la taxe quand sa concurrente dont le chiffre d'affaires est à peine inférieure en est exonérée ? Il s'agit bien de contribuables placés dans des conditions quasiment identiques que le législateur fiscal ne peut traiter différemment (86-209 DC, 3 juillet 1986, paragraphe 26).

La CSB serait également à l'origine d'une discrimination peu justifiable entre les sociétés selon le type d'organisation qu'elles ont choisi. En effet, une société appartenant à un groupe, ou qui a des filiales, a un chiffre d'affaires beaucoup moins important qu'une entreprise dont l'activité et les résultats sont comparables aux siens, mais qui est organisée d'une manière très intégrée. La CSB est ainsi à l'origine d'une distorsion de concurrence qu'il est impossible de justifier, selon la technique que vous appliquez classiquement, par une référence à l'objet de la loi. Une société holding qui possède plusieurs filiales dont aucune ne dépasse le seuil de 50 millions échappera à la taxe, quand une entreprise n'ayant pas choisi de filialiser ses activités devra l'acquitter. En outre, une société appartenant à un groupe, qu'il s'agisse de la société mère ou d'une filiale, pourra jouer sur les prix et les mécanismes de facturation interne qui la lient à des sociétés du même groupe pour réduire son chiffre d'affaires.

Ce risque de discrimination est si clair que le législateur a entendu lui faire obstacle, dans l'article 30 de la présente loi de financement, s'agissant de la contribution exceptionnelle des entreprises pharmaceutiques. Le paragraphe I de cet article prévoit en effet que sont exonérées de cette contribution les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 100 millions de francs, sauf lorsqu'elles sont filiales à au moins 50 % d'une entreprise ou d'un groupe dont le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions de francs.

Aussi la CSB, qui rompt l'égalité entre des entreprises comparables d'un point de vue économique mais dont les choix en matière de structure juridique et d'organisation n'ont pas été les mêmes, entache-t-elle d'inconstitutionnalité l'article 6 de la loi de financement.

Ce risque de discrimination est d'autant plus important, en l'espèce, que la contribution ne revêt pas un caractère transitoire ou exceptionnel : son terme n'est pas fixé par la loi. Autrement dit, une forte augmentation de son taux dans les années à venir ne peut qu'être anticipée. Dans ce cas, la discrimination sera intenable. En instituant la CSB comme un prélèvement permanent sans limitation de durée, le Gouvernement a méconnu le principe constitutionnel d'annualité qui veut que les impositions de toute nature doivent être autorisées chaque année.


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III. - Sur la contribution sociale

sur les bénéfices des sociétés

L'article 6 de la loi institue une nouvelle imposition additionnelle à l'impôt sur les sociétés, la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés (CSB), en insérant un article 235 ZC et un article 1668 D dans le code des impôts. Cette taxe, affectée au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales créé par l'article 5, sera due par les redevables de l'impôt sur les sociétés ayant réalisé un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions de francs. Son taux est fixé à 3,3 % de l'impôt sur les sociétés : il s'agit donc d'un impôt sur l'impôt.

Au-delà de ce qui a été dit sur le fait que cette disposition avait un caractère étranger au domaine des lois de financement de la sécurité sociale, sa conformité aux principes dégagés par la jurisprudence du juge constitutionnel ne peut que faire l'objet de grandes réserves.

Tout d'abord, la CSB est un impôt extrêmement concentré puisque moins de 2 % des entreprises fourniront plus des trois quarts de son rendement, ce qui n'était pas le cas de la contribution temporaire sur l'impôt sur les sociétés, plus équitablement répartie entre les entreprises. Aussi apparaît-il clairement que la CSB porte en germe une rupture trop importante de l'égalité des contribuables devant l'impôt.

Les effets de seuil massifs de cette contribution méconnaîtront le principe de justice fiscale posé par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ». Vous avez en effet estimé, à plusieurs reprises, que de cet article découlait nécessairement le principe de progressivité de l'imposition globale du revenu des personnes physiques (89-268 DC, 29 décembre 1989 ; 90-285 DC, 28 décembre 1990 ; 93-320 DC, 21 juin 1993 ; 97-388 DC, 20 mars 1997). En l'espèce, la progressivité est nulle jusqu'au seuil de 50 millions de chiffre d'affaires.

Le principe constitutionnel de la contribution de tous les citoyens en raison de leurs facultés est donc méconnu.

Certes, le principe de l'égale répartition de la contribution en raison des facultés n'interdit pas au législateur de fairesupporter à certaines personnes physiques ou morales des charges particulières ; mais il s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques de tous les citoyens (85-200 DC du 16 janvier 1986).

Ainsi, le législateur peut prendre en compte la situation particulière de certaines entreprises, mais il ne peut soumettre une catégorie particulière de contribuables à un régime différent des autres catégories que s'ils sont placés dans des situations différentes (81-136 DC, 31 décembre 1981 ; 83-164 DC, 29 décembre 1983 ; 84-184 DC, 29 décembre 1984). Enfin, il résulte de votre jurisprudence qu'il doit déterminer l'assiette et le taux de l'impôt en fondant son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés (83-164 DC précitée ; 91-298 DC, 24 juillet 1991 ; 97-390 DC, 19 novembre 1997). Ces principes sont méconnus en l'espèce, puisque la loi fixe un seuil arbitraire et porteur d'effets brutaux de discrimination. Comment justifier qu'une entreprise dont le chiffre d'affaires est de 50 MF paye la taxe quand sa concurrente dont le chiffre d'affaires est à peine inférieure en est exonérée ? Il s'agit bien de contribuables placés dans des conditions quasiment identiques que le législateur fiscal ne peut traiter différemment (86-209 DC, 3 juillet 1986, paragraphe 26).

La CSB serait également à l'origine d'une discrimination peu justifiable entre les sociétés selon le type d'organisation qu'elles ont choisi. En effet, une société appartenant à un groupe, ou qui a des filiales, a un chiffre d'affaires beaucoup moins important qu'une entreprise dont l'activité et les résultats sont comparables aux siens, mais qui est organisée d'une manière très intégrée. La CSB est ainsi à l'origine d'une distorsion de concurrence qu'il est impossible de justifier, selon la technique que vous appliquez classiquement, par une référence à l'objet de la loi. Une société holding qui possède plusieurs filiales dont aucune ne dépasse le seuil de 50 millions échappera à la taxe, quand une entreprise n'ayant pas choisi de filialiser ses activités devra l'acquitter. En outre, une société appartenant à un groupe, qu'il s'agisse de la société mère ou d'une filiale, pourra jouer sur les prix et les mécanismes de facturation interne qui la lient à des sociétés du même groupe pour réduire son chiffre d'affaires.

Ce risque de discrimination est si clair que le législateur a entendu lui faire obstacle, dans l'article 30 de la présente loi de financement, s'agissant de la contribution exceptionnelle des entreprises pharmaceutiques. Le paragraphe I de cet article prévoit en effet que sont exonérées de cette contribution les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 100 millions de francs, sauf lorsqu'elles sont filiales à au moins 50 % d'une entreprise ou d'un groupe dont le chiffre d'affaires consolidé est supérieur à 100 millions de francs.

Aussi la CSB, qui rompt l'égalité entre des entreprises comparables d'un point de vue économique mais dont les choix en matière de structure juridique et d'organisation n'ont pas été les mêmes, entache-t-elle d'inconstitutionnalité l'article 6 de la loi de financement.

Ce risque de discrimination est d'autant plus important, en l'espèce, que la contribution ne revêt pas un caractère transitoire ou exceptionnel : son terme n'est pas fixé par la loi. Autrement dit, une forte augmentation de son taux dans les années à venir ne peut qu'être anticipée. Dans ce cas, la discrimination sera intenable. En instituant la CSB comme un prélèvement permanent sans limitation de durée, le Gouvernement a méconnu le principe constitutionnel d'annualité qui veut que les impositions de toute nature doivent être autorisées chaque année.