D'expérience, j'affirme qu'en matière de territoire, les élus comptent plus que les structures. Si l'on veut clarifier les procédures, il faut regrouper les responsables élus en deux groupes et deux groupes seulement : les élus communaux et des élus territoriaux.
Les premiers gèrent les communes et les intercommunalités. Ils sont confirmés dans ce rôle, la responsabilité intercommunale étant affichée sur la liste des candidats d'une commune.
Nouveaux venus, les conseillers territoriaux gèrent les départements avec le souci de la proximité et du quotidien. Ils conduisent le débat régional en confrontant leurs expériences, mais dans les deux cas en séparant les missions qui ne doivent plus se concurrencer, même si elles peuvent s'épauler.
Les conseillers territoriaux ont vocation à remplacer les 4 000 conseillers généraux et les 2 000 conseillers régionaux.
Le débat est ouvert : à 3 000, ils peuvent tous gérer les départements et les régions. A plus de 4 000 il faudra distinguer ceux qui ne siégeraient qu'au département et ceux qui siégeraient dans les deux assemblées, comme le font les conseillers " PLM " (Paris, Lyon, Marseille).
En contrepartie de la diminution de leur nombre, ils devraient être plus disponibles, et donc mieux indemnisés.
Mais il est désormais impossible d'animer les territoires départementaux et régionaux avec le seul esprit de clocher de l'élu trop local pour les uns ou la dépendance politique d'une proportionnelle régionale et l'éloignement pour les autres.
Cette réforme est la clé de la cohérence des actions territoriales. Le statu quo c'est au mieux l'indifférence des niveaux entre eux, au pire la concurrence et les guerres de harcèlement.
Enfin, mon respect de la réalité communale et des immenses qualités de cette cellule de base de la démocratie n'interdit pas de constater que nos compatriotes vivent dans une commune, mais travaillent dans une seconde, dépensent dans d'autres encore.
De même les commerces et les industries se concentrent en un nombre réduit de communes, mieux servies mais moins nombreuses. La mutualisation des ressources est donc un devoir. Ce devoir a une limite : celles des collectivités qui font un effort ne peuvent pas en être totalement privées. La décentralisation dans un pays en mouvement ne doit pas ériger des forteresses financières surveillant et neutralisant des déserts économiques, ni, au contraire, banaliser l'effort et la bonne gestion en mobilisant toutes les richesses sur la base d'une répartition strictement égalitaire.
Enfin l'Etat, au-delà du débat parlementaire annuel sur l'évolution de la dépense politique locale, doit afficher sa conception de son partenariat avec les collectivités et en particulier organiser ses services et ses interventions budgétaires en fonction des responsabilités des deux couples communes/intercommunalités et départements/régions.
Je répète que la France n'est pas une simple addition de territoires. La République est un projet collectif à la réalisation duquel les collectivités libres et responsables apportent leur contribution en recherchant simultanément leur propre réussite. La pénurie des moyens financiers, le souci légitime du maximum d'équité entre les territoires, l'aspiration des Français à une certaine égalité excluent un système totalement compétitif. La loi doit fixer des cadres de compétences au sein desquels le savoir-faire de chaque collectivité puisse s'exprimer. L'organisation du territoire, ce n'est pas une géométrie, c'est une dynamique.
Observations personnelles
de MM. Jean-Claude Casanova et Jean-Ludovic Silicani
Notre comité s'est prononcé sur la désignation, à partir de 2014 et par une même élection, des conseillers régionaux et des conseillers départementaux. Nous approuvons cette proposition. Elle renforcerait la coopération entre l'assemblée de la région et celles des départements, puisque ne siègeraient à l'assemblée régionale que des membres des assemblées départementales sans que tous les membres des assemblées départementales ne siègent à l'assemblée régionale.
La question du mode de scrutin est essentielle pour assurer la légitimité, l'autorité et la stabilité d'une assemblée. Notre comité retient, pour cette élection, le scrutin de liste proportionnel à deux tours, assorti d'une prime majoritaire. Nous considérons que le mode de scrutin proposé n'est ni le seul ni le meilleur qui réponde à la volonté de désigner par une même élection les conseillers régionaux et départementaux.
Le mode de scrutin proposé est mixte puisqu'il est à la fois proportionnel et majoritaire. L'importance de la prime majoritaire déterminera s'il s'agit d'un scrutin proportionnel corrigé (avec une prime majoritaire faible) ou d'un scrutin majoritaire avec représentation des minorités (dans le cas d'une prime majoritaire forte). Les circonscriptions seraient découpées à l'intérieur des départements. Le découpage cantonal, dont découlait le scrutin uninominal des conseils généraux, disparaîtrait.
Il existe d'autres façons de conjuguer le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel qui seraient plus appropriées. Elles consistent à combiner le scrutin uninominal et le scrutin de liste. Le scrutin uninominal assure le contact personnel et direct entre les candidats, l'élu et les électeurs. Le scrutin de liste, s'il est proportionnel, assure une juste représentation des opinions. La recherche d'une relation directe entre un élu et les électeurs d'un territoire est légitime, surtout lorsque ce territoire est caractéristique du point de vue de la géographie et de l'histoire. Mais, il est tout aussi légitime de rechercher la représentation de toutes les opinions, car cela est juste. Or, de ce point de vue, le scrutin uninominal majoritaire est injuste puisque les électeurs minoritaires ne sont pas représentés et qu'ils sont donc privés de leur droit à être représentés. Dès lors, peut-on satisfaire à ces deux objectifs contradictoires sans sacrifier totalement l'un ou l'autre ?
Un mode de scrutin mixte qui combinerait le scrutin de liste et le scrutin uninominal serait concevable et applicable, en l'espèce, au moins de deux façons.
Dans le premier cas la mixité serait partielle, dans le second elle serait complète. C'est cette dernière solution qui a notre préférence.
- La mixité partielle consisterait à diviser le département, ou la région, en zones urbaines et en zones rurales, en fonction de la densité territoriale de la population. Aux zones urbaines on appliquerait le scrutin de liste et aux zones rurales le scrutin uninominal. Le mode de scrutin du Sénat s'inspire de cette division. Il est vrai que les habitants des territoires urbains peuvent être plus indifférents à la relation directe et personnelle entre l'élu et les électeurs que les habitants des territoires ruraux, comme le montre le faible intérêt des électeurs des grandes villes pour les élections cantonales. En revanche, les zones moins peuplées, et notamment les territoires à forte personnalité historique ou géographique, paraissent attachées à cette représentation, et même à cette forme d'identification personnelle. Dans ce cas, l'assemblée départementale serait composée d'une part de conseillers, ceux qui seraient élus sur des listes à la proportionnelle dans la partie urbanisée et ceux qui serait élus au scrutin uninominal dans la partie moins peuplée.
Laissons le problème juridique, souvent invoqué mais rarement expliqué, que poserait cette différence dans les modes de désignation des élus. Il faut en tout état de cause que cette solution soit applicable. Or, elle ne peut l'être qu'a deux conditions. Il faut, d'abord, que la répartition des populations dans la région et le département permette des équilibres satisfaisants. Evidemment, si la région et les départements connaissent une répartition à peu près égale des deux types de population, les conseils départementaux seront composés pour moitié d'élus des deux catégories. Mais, seul un examen attentif de la démographie territoriale permettrait de savoir comment cette règle pourrait être appliquée partout.
Reste la seconde condition. Comment composer l'assemblée régionale ? Si elle ne comprenait que les élus des listes, ou plutôt ceux placés en tête des listes, les territoires ruraux, représentés au scrutin uninominal dans l'assemblée départementale, ne seraient pas représentés au niveau régional par le même scrutin. Il faudrait prévoir un scrutin complémentaire. Ce scrutin supplémentaire, qu'il soit uninominal ou de liste, dissocierait l'élection régionale et l'élection départementale. S'il était de liste, l'assemblée régionale serait homogène par son mode de désignation mais elle ne serait plus entièrement composée d'élus siégeant également dans l'assemblée départementale.
- La mixité complète consisterait à découper les départements en circonscriptions qui seraient a peu près, mais pas rigoureusement, égales démographiquement. Ces circonscriptions éliraient au scrutin uninominal un nombre de conseillers départementaux composant la moitié de l'assemblée départementale. Parallèlement, le même jour, une élection au scrutin de liste départemental se déroulerait dans les départements et désignerait les élus siégeant à l'assemblée régionale et à l'assemblée départementale.
Dans cette hypothèse, l'assemblée régionale se composerait uniquement d'élus au scrutin de liste départemental. Et les assemblées départementales seraient composées pour moitié d'élus au suffrage uninominal majoritaire dans les circonscriptions découpant le département et, pour l'autre moitié, des élus au scrutin de liste départemental. L'électeur disposerait donc de deux bulletins dont la signification de chacun est claire. Par l'un, il choisit son représentant à l'assemblée départementale pour le territoire dans lequel il vit. Par l'autre, il choisit une liste départementale représentative de son opinion et dont, en fonction de la proportion des voix qu'elle obtient, les élus siègeront à la fois à l'assemblée régionale et à l'assemblée départementale.
Prenons un exemple. Supposons une région comprenant quatre départements de populations à peu près égales. Les assemblées départementales comprendraient 40 membres chacune, dont 20 seraient élus au scrutin uninominal à deux tours, dans les 20 circonscriptions, et 20 élus au scrutin de liste proportionnel à l'échelon du département. L'assemblée régionale comprendrait 80 membres qui ont tous été élus au scrutin de liste dans les départements. Ces 80 membres de l'assemblée régionale seraient, en même temps, membres de leur assemblée départementale. L'assemblée régionale représenterait, à la fois, les départements qui composent la région et les opinions dans ces départements. L'assemblée départementale représenterait, à la fois, les territoires qui composent historiquement et géographiquement le département et les opinions qui existent dans tout le département.
Nous ne présentons ici que des principes. L'ingénierie électorale offre un nombre considérable de combinaisons autres que celle-ci ou plus détaillées qu'elle. Nous pensons simplement que ce mode de scrutin mixte, et complètement mixte, satisfait à trois objectifs. Il rend cohérente la représentation dans la région et dans les départements. Il assure, par le scrutin uninominal, la représentation directe et personnelle de tous les territoires. Il assure, enfin, par le scrutin proportionnel de liste, la juste représentation de tous les citoyens de la région et des départements.
Observations personnelles de M. Jacques Julliard
Ceci est une explication de vote. Je me suis associé ― à l'exception d'un vote contre et d'une abstention ― aux propositions contenues dans le rapport du comité Balladur, parce que j'estime qu'elles constituent le meilleur compromis possible entre un statu quo désormais indéfendable et des propositions irréalistes, telles que, par exemple, la suppression du département, préconisée ailleurs. Mais pour que ces propositions soient suivies d'effet, il est nécessaire que le compromis technique ainsi réalisé s'accompagne d'un compromis politique. Il faut en particulier qu'aucun soupçon de manipulation ou d'instrumentalisation ne pèse sur des propositions inspirées par le souci de l'intérêt général. A cet effet, le rapport recommande que toutes les propositions entraînant des opérations électorales ne soient applicables qu'au-delà des échéances actuelles, soit pour l'essentiel à partir de 2014.
Je tiens à préciser ici que mon approbation du texte est rigoureusement subordonnée au respect de cette clause, qui a valeur de neutralité politique pour le projet, et que je ne me reconnaîtrais pas dans un projet de loi qui s'en affranchirait. Une telle réforme, essentielle pour la vie quotidienne de nos concitoyens, doit en effet mettre de son côté toutes les chances d'être assumée et soutenue par le plus grand nombre possible de ceux-ci, indépendamment de leurs préférences politiques.
Observations personnelles de Mme Elisabeth Lulin
Au cours des quatre mois de débats et d'auditions qui ont nourri ses conclusions, notre Comité a évoqué à de nombreuses reprises les enjeux économiques, en termes d'investissement, de croissance ou encore d'équilibre des finances publiques, qui s'attachent à l'action des collectivités territoriales, à leur budget et à leur fiscalité.
Pour autant, la discussion sur ces sujets n'a jamais été poursuivie très avant, pour tout un ensemble de raisons :
― d'abord parce qu'elle aurait rapidement débordé du cadre de la mission impartie au Comité, venant alors à traiter de sujets plus vastes de pilotage de l'économie française ou de modèle économique et social souhaitable pour notre pays ;
― ensuite parce que la crise économique actuelle, dont l'ampleur s'est révélée peu à peu au cours des mois passés, créait un contexte peu propice à une réflexion sereine en la matière ― le caractère exceptionnel de la situation présente et l'urgence à agir pour y remédier semblant reléguer au second plan un examen plus posé des grands équilibres souhaitables à long terme ;
― en troisième lieu parce que, du fait de la méfiance persistante entre l'Etat et les collectivités territoriales, il s'est avéré que toute proposition tendant à modérer la dépense locale était immédiatement interprétée comme une critique de la gestion conduite par les élus locaux, voire une accusation de gabegie, appelant inévitablement en réplique une dénonciation des dérives de gestion de l'Etat (qui ne sont pas moindres), de ses transferts de charges dissimulés, de ses demandes illégitimes de financements croisés et du poids que ses décisions normatives (depuis le taux d'encadrement des enfants dans les crèches jusqu'à la sécurité des installations sportives) font peser sur la dépense locale ;
― enfin parce que l'effet combiné des deux principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales, d'une part, et d'autonomie financière de ces collectivités, d'autre part, rend très fragile juridiquement toute proposition un tant soit peu contraignante en matière de maîtrise de la dépense ou de la fiscalité.
Au total, notre Comité s'est donc borné à s'assurer que ses propositions ne créaient pas d'incitation supplémentaire à la dépense publique locale, voire allaient plutôt dans le sens de la modération en diminuant par des regroupements divers et variés le nombre de collectivités habilitées à dépenser, en limitant par la spécialisation les domaines de compétences des unes et des autres, en encourageant une certaine responsabilisation via l'instauration d'un objectif national de dépense ou encore via une transparence accrue de la fiscalité locale.
En ce sens j'y souscris pleinement.
En même temps, je souhaiterais ici affirmer ma conviction que le problème de la maîtrise de la dépense publique, dont la dépense locale est une partie certes minoritaire mais en forte croissance, et corrélativement des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises et les ménages français reste entier et urgent.
Les recommandations de notre Comité ne sauraient être tenues pour des propositions de solution en ce sens. Tel n'était pas le mandat du Comité et telle ne fut pas, pour les raisons expliquées ci-dessus, l'orientation de ses débats. J'espère simplement qu'en contribuant à clarifier le champ des acteurs concernés et les règles du jeu devant régir leur comportement, nous aurons apporté un préalable utile.
Observations personnelles de M. Michel Verpeaux
Supprimer la clause générale de compétence en faveur (plutôt " au détriment ") des départements et des régions apparaît a priori comme une réponse évidente et logique au besoin de répartir de manière lisible et rationnelle les compétences entre les différents niveaux d'administration territoriale, ainsi qu'un moyen de maîtriser la dépense publique locale. Les exemples du développement économique, de l'enseignement supérieur, de la culture ou du tourisme plaident pour une répartition plus simple de ces compétences.
Cette solution apparemment satisfaisante semble néanmoins fragile. Le rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales propose de ne réserver cette clause qu'aux seules communes ou à l'échelon intercommunal. S'il est souhaitable et possible de rechercher une spécialisation des compétences par niveau de collectivités, selon une technique souple de " blocs de compétences ", cette volonté se heurte à des obstacles d'ordre pratique, historique, politique et juridique.
Dresser une liste exhaustive des compétences peut présenter deux inconvénients : d'une part, établir une liste générale et imprécise des compétences revient à une forme déguisée de compétence générale qui n'ose pas dire son nom. D'autre part, s'efforcer, en sens inverse, d'identifier de manière détaillée toutes les compétences attribuées à tel niveau de collectivités ne supprime pas les risques d'oublis, voire les vides, et ne permet pas de faire face aux besoins nouveaux des populations. Le relatif échec ― sur ce point ― de la méthode utilisée dans les lois de 1983 de répartition des compétences est de nature à laisser planer le doute sur son efficacité.
Depuis que la loi, par des textes successifs, a créé et consacré les collectivités territoriales, elle a proclamé en même temps la règle selon laquelle les conseils de ces collectivités règlent, par leurs délibérations, les affaires de la collectivité concernée. C'est d'abord au bénéfice des communes en 1884 que la loi a proclamé ce principe, qui a été repris en 1982 pour les départements et les régions avec une disposition identique. Comme si cela ne suffisait pas, la loi du 7 janvier 1983 a posé cette règle sous une forme générale qui s'applique à l'ensemble des collectivités, codifiée à l'article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales. Cette règle est baptisée en doctrine " clause de compétence générale " ou " clause générale de compétence ", sans que le débat sur cette dénomination soit tranché. Parler de " compétence générale " est sans doute la manière la plus simple d'envisager la question.
Les collectivités n'ont ainsi acquis leur autonomie par rapport à l'Etat, dans un lent et parfois difficile processus historique ― ce qui caractérise l'idée même de décentralisation ―, que par l'affirmation de cette compétence générale alors que les dispositions législatives antérieures enfermaient les collectivités dans des limites et bornes étroites. Reprendre la compétence générale aux départements et régions apparaîtrait alors comme un retour en arrière par rapport à ce mouvement historique. Il serait difficile de ne pas voir dans ce retrait une forme de recentralisation et d'une certaine dépossession des citoyens. En outre, établir une spécialisation des compétences ne pourrait que renforcer le contrôle de l'Etat quant au nécessaire respect de cette répartition et ouvrir un champ potentiel conséquent de contentieux.
Sur le plan politique, la compétence générale apparaît ensuite comme une conséquence de l'élection au suffrage universel direct d'une assemblée en charge de la gestion des affaires locales. Les élections locales ayant été légitimement considérées comme des élections politiques, il serait peu compréhensible par les citoyens et les élus que les collectivités territoriales, quels que soient leur niveau ou leur taille, ne puissent pas se saisir des affaires survenant sur leur territoire. Parmi les quelques conditions qui définissent ce qu'est une collectivité territoriale, figure l'exigence constitutionnelle d'un conseil élu au suffrage universel. Supprimer la compétence générale aurait enfin l'effet indirect de priver l'Etat de la possibilité de demander aux collectivités territoriales leur concours, notamment financier, afin de contribuer à la réalisation de missions ou de projets qu'il ne peut mener seul à bien. Une définition spécialisée des compétences des départements et des régions permettrait à ceux-ci de s'abriter derrière celle-là pour refuser leur participation, par exemple dans le domaine des grandes infrastructures. Est-ce souhaitable ?
La clause générale est enfin ce qui permet de distinguer, sur le terrain juridique, les établissements publics des collectivités territoriales. Les premiers fonctionnent en effet selon le principe de spécialité qui les cantonne aux seuls domaines qui leur ont été confiés par le texte institutif, tandis que les secondes connaissent une compétence a priori non étroitement délimitée. Reconnaître la compétence générale aux seules communes entraînerait alors une rupture au sein même de la notion de collectivité territoriale, entre celles qui disposeraient de la compétence générale et celles qui n'en bénéficieraient pas. Sans vouloir pousser au-delà de toute mesure le principe d'égalité ou d'uniformité, les catégories juridiques ont besoin, pour être opératoires, d'une certaine cohérence et plus personne ne se retrouverait dans une notion aussi élastique.
Certes la compétence générale ne saurait signifier que les collectivités peuvent tout faire et qu'elles pourraient rivaliser avec l'Etat qui dispose seul, dans un Etat unitaire, de la compétence de sa compétence. Penser l'inverse serait confondre compétence générale et souveraineté, dont dispose seul, évidemment, l'Etat. Celui-ci ne constitue pas, malgré certaines opinions ou appréciations contraires, une collectivité territoriale.
Certes encore, la compétence générale est attribuée pour seulement permettre à la collectivité territoriale de satisfaire un intérêt public, de répondre aux besoins de sa population, sans que ceux-ci soient nécessairement déterminés par le seul territoire de la collectivité, et sans s'immiscer dans un conflit qui la dépasse. Certes enfin, la compétence générale ne signifie pas que les différentes collectivités soient susceptibles d'intervenir sur les compétences des autres niveaux. Elle ne saurait être assimilée à une sorte de champ de bataille sur lequel chaque collectivité viendrait exercer librement ses compétences.
Mais l'attribution de la compétence générale est la condition qui permet de donner aux collectivités la souplesse nécessaire à leur action et la part de liberté qui constitue le cœur même de la libre administration. Même entendue de manière résiduelle, elle permet à la collectivité de s'affirmer non seulement comme un prestataire de services mais bien d'apparaître comme une collectivité humaine, dont la dimension politique au sens le plus noble du mot ne peut être négligée. En effet, et même si la question est l'objet de controverses doctrinales, il est possible de rattacher l'attribution de la compétence générale à la reconnaissance constitutionnelle du principe de libre administration. Remettre l'une en cause serait porter atteinte à l'autre.
Il n'est pas certain non plus que le retrait de la compétence générale serait parfaitement compatible avec les engagements souscrits par la France dans le cadre de la Charte européenne sur l'autonomie locale de 1985, même ratifiée tardivement. L'article 3 de cette Charte fait référence à la capacité des collectivités locales pour régler et gérer, " sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations ", " une part effective des affaires publiques ". L'article 4 de la Charte proclame en outre que " les collectivités territoriales ont toute latitude pour exercer leur initiative pour toute question qui n'est pas exclue de leur compétence ou attribuée à une autre autorité ". Cette dernière disposition correspond à la définition française de la compétence générale.
Paradoxalement, c'est au moment où la France a accepté de ratifier ce texte qui avait suscité bien des interrogations, qu'est envisagée, après vingt-cinq ans d'application des lois de décentralisation, une remise en cause du principe de compétence générale. C'est dire alors que cette remise en cause ne paraît ni une nécessité ni une opportunité.
A N N E X E S
ANNEXE 1
DÉCRET N° 2008-1078 DU 22 OCTOBRE 2008 PORTANT CRÉATION
DU COMITÉ POUR LA RÉFORME DES COLLECTIVITÉS LOCALES
MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR, DE L'OUTRE-MER
ET DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Décret n° 2008-1078 du 22 octobre 2008 portant création
du Comité pour la réforme des collectivités locales
NOR : IOCX0825075D
Le Président de la République,
Sur le rapport du Premier ministre et de la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales,
Le conseil des ministres entendu,
Décrète :
Art. 1er. ― Il est créé un Comité pour la réforme des collectivités locales. Il est chargé, conformément à la lettre du Président de la République annexée au présent décret, d'étudier les mesures propres à simplifier les structures des collectivités locales, à clarifier la répartition de leurs compétences et à permettre une meilleure allocation de leurs moyens financiers, et de formuler toute autre recommandation qu'il jugera utile.
Le comité peut entendre ou consulter toute personne de son choix.
Il remettra son rapport au Président de la République avant le 1er mars 2009.
Art. 2. ― M. Edouard Balladur, ancien Premier ministre, ancien député, est nommé président du comité institué par le présent décret.
Sont nommés membres du comité :
M. Daniel Canepa, préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris ;
M. Jean-Claude Casanova, membre de l'Institut, président de la Fondation nationale des sciences politiques ;
M. Jacques Julliard, historien ;
M. Gérard Longuet, ancien ministre, sénateur ;
Mme Elisabeth Lulin, inspectrice des finances, directrice générale de Paradigmes ;
M. Pierre Mauroy, ancien Premier ministre, sénateur ;
M. Dominique Perben, ancien ministre, député ;
M. Jean-Ludovic Silicani, conseiller d'Etat ;
M. André Vallini, député ;
M. Michel Verpeaux, professeur de droit public à l'université Paris-I (Panthéon-Sorbonne).
Participent aux travaux du comité avec voix consultative :
M. Edward Jossa, directeur général des collectivités locales ;
M. Philippe Josse, directeur du budget ;
Mme Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale.
Est nommé rapporteur général du comité : M. Hugues Hourdin, conseiller d'Etat.
Art. 3. ― Le comité sera complété sur proposition de son président par la nomination d'autres personnalités.
Art. 4. ― Le Premier ministre, la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, le secrétaire d'Etat à l'intérieur et aux collectivités territoriales et le secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de l'application du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 22 octobre 2008.
Nicolas Sarkozy
Par le Président de la République :
Le Premier ministre,
François Fillon
La ministre e l'intérieur,
de l'outre-mer et des collectivités territoriales,
Michèle Alliotd-Marie
La ministre de l'économie,
de l'industrie et de l'emploi,
Christine Lagarde
Le ministre du budget, des comptes publics
et de la fonction publique,
Eric Woerth
Le secrétaire d'Etat à l'intérieur
et aux collectivités territoriales,
Alain Marleix
Le secrétaire d'Etat
chargé de l'outre-mer,
Yves Jégo
*
* *
A N N E X E
Le Président de la République
Paris, le 22 octobre 2008.
Monsieur le Premier ministre,
Le temps de mettre à l'étude et de décider une profonde réforme de l'administration locale est venu. Chacun s'accorde à reconnaître que la situation actuelle n'est pas satisfaisante : prolifération des échelons de décision, confusion dans la répartition des compétences, absence de netteté dans la répartition des moyens, qu'il s'agisse de recettes fiscales ou des concours de l'Etat, uniformité des règles appliquées à toutes les collectivités quelle que soit leur situation, complication résultant de tous les efforts faits à juste titre pour inciter les collectivités à coopérer les unes avec les autres. Il en résulte de multiples inconvénients : lourdeur des procédures, aggravation des coûts, inefficacité des interventions publiques et, finalement, éloignement des citoyens.
Nous ne pouvons attendre plus longtemps pour y porter remède. C'est pourquoi j'ai souhaité que soit constitué, sous votre présidence, un comité pour la réforme des collectivités locales. Vous avez bien voulu l'accepter et je vous en remercie.
Il vous appartiendra naturellement d'évoquer toutes les modifications d'ordre administratif, juridique ou fiscal qui vous paraîtront utiles. Je souhaite que soient, par priorité, mises à l'étude la modification des structures en vue de leur simplification, la répartition des compétences en vue de leur clarification, l'allocation des moyens financiers en vue de leur emploi le plus économe possible.
L'objectif à atteindre est clair : il s'agit de mieux prendre en compte les besoins des collectivités locales en leur permettant, grâce à des modalités d'organisation plus diverses, d'appliquer celles qui correspondent le mieux à leur situation particulière ; je pense notamment au cas de l'Ile-de-France qui appelle des solutions appropriées. Il y a lieu également de faire en sorte que les structures des collectivités territoriales favorisent une meilleure gestion des deniers publics et que les responsabilités de chacun apparaissent plus clairement à nos concitoyens. Enfin, il faut que, dans le cadre de compétences mieux définies, soient non seulement préservées mais approfondies les libertés locales.
Votre comité, qui procédera à une large consultation des représentants élus des collectivités territoriales, devrait pouvoir me remettre ses conclusions et ses propositions à la fin du mois de février 2009. Bien entendu, dans l'attente de ces conclusions, et dans le souci de vous permettre de mener sans aucune confusion des études aussi sereines qu'approfondies, il est désirable que les pouvoirs publics s'abstiennent de toute initiative qui entrerait dans le champ de compétence du comité.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Premier ministre, l'assurance de mes sentiments respectueux.
Nicolas Sarkozy
M. Edouard Balladur
Ancien Premier ministre
Président du Comité pour la réforme des collectivités locales
55, rue Saint-Dominique, 75007 Paris.
ANNEXE 2
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
- Ministres (53) :
M. Christian Blanc, secrétaire d'Etat chargé du développement de la région capitale.
M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire.
__________
(53) Le Comité a également rencontré M. François Fillon, Premier ministre, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, M. Alain Marleix, secrétaire d'Etat à l'intérieur et aux collectivités territoriales, et M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer.