2.2. Atteinte au principe constitutionnel de secret du vote
L'article 33 octies (3e alinéa) ne respecte pas le principe de secret du vote, en raison même de l'absence de toute garantie lors du transfert des enveloppes de scrutin de l'étranger à Paris. En effet, le secret du vote est un principe constitutionnel. Il implique notamment, outre les règles relatives à l'entrée dans l'isoloir et à l'insertion du bulletin dans une enveloppe de scrutin, qu'aucune enveloppe de scrutin ne peut être soustraite au contrôle démocratique des bureaux de vote composés exclusivement d'élus ou de magistrats, mais en aucun cas, de fonctionnaires soit de l'Etat, soit des collectivités territoriales (b).
a) Le secret du vote est un principe constitutionnel :
Le secret du vote est un principe constitutionnel qui soit est inclus dans le droit constitutionnel de suffrage, soit constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République consacré par plusieurs lois républicaines :
― l'article 5 (2e alinéa) de la loi organique du 30 novembre 1875 sur l'élection des députés qui dispose explicitement que « le vote est secret. »
― les articles 3 à 6 et 8 de la loi du 29 juillet 1913 ayant pour objet d'assurer le secret et la liberté du vote ainsi que la sincérité des opérations électorales, articles détaillant les modalités par lesquelles est garanti le secret du vote : vote sous enveloppes (art. 3), existence d'isoloirs (art. 4), passage obligatoire par l'isoloir (ib.), garanties d'intégrité de l'urne électorale (art. 5), garanties au moment du dépouillement du scrutin (art. 8), répression du secret du vote (art. 12) ;
― les articles 3, 4 et 5 de la loi du 31 mars 1914, portant modification des articles 1er, 3, 4, 5 et 11 de la loi du 29 juillet 1913, ayant pour objet d'assurer le secret et la liberté du vote, ainsi que la sincérité des opérations électorales : vote sous enveloppe (art. 3), dispositions relatives à l'isoloir (art. 4), intégrité de l'urne électorale (art. 5).
b) Le principe constitutionnel de secret du vote implique l'interdiction de soustraire les enveloppes de scrutin au contrôle démocratique du bureau de vote à partir du moment où l'électeur sort de l'isoloir :
Il résulte de l'ensemble des dispositions précitées du code électoral (art. L. 60 et suivants) qui proviennent, pour l'essentiel, de lois de la IIIe République, qu'à partir de l'entrée d'un électeur dans la salle du scrutin aucun vote émis (enveloppe et bulletin) ne peut être soustrait au contrôle démocratique du bureau de vote et des délégués des candidats et listes. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat déclarent ainsi illégales toute tentative de sortie des urnes et bulletins de vote et toute interruption du scrutin autrement que dans des circonstances exceptionnelles. L'interdiction de soustraire des enveloppes et votes émis au contrôle démocratique du bureau de vote et des représentants des candidats ou listes constitue sans aucun doute un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
2.3. Atteinte au principe de participation des élus et magistrats au contrôle des opérations de vote et à celui de leur soustraction au contrôle des administrations
Il ne s'agit pas ici de mettre en cause la probité et l'honorabilité des personnels diplomatiques ou consulaires chargés de ces opérations.
Notre position relève non de la contestation de leurs mérites et vertus mais d'un principe républicain : toute l'œuvre du législateur sous les différentes Républiques (IIe et IIIe) a consisté à soustraire le déroulement même des scrutins au contrôle des administrations pour les mettre sous le seul contrôle des élus du suffrage universel, des électeurs et magistrats, particulièrement en ce qui concerne la composition des bureaux de vote chargés de s'assurer du respect du secret et de l'intégrité du vote et le recensement des votes (commissions de recensement des votes). Nous estimons qu'il s'agit là d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Ce principe résulte de plusieurs lois républicaines :
― loi électorale du 15 mars 1849 (art. 34 à 36 sur la composition des bureaux de vote, uniquement des magistrats, des élus municipaux ou des électeurs sachant lire et écrire) ;
― loi organique du 2 août 1875 sur les élections des sénateurs (art. 12 sur la composition des bureaux de vote, uniquement des magistrats et des électeurs) ;
― loi organique du 30 novembre 1875 sur l'élection des députés (art. 5, 1er alinéa renvoyant au décret réglementaire du 2 février 1852, dont l'article 12 fixe la composition des bureaux de vote, composé uniquement d'élus et d'électeurs) ;
― l'intervention des représentants des candidats ou listes a été prévue aussi par une loi de la IIIe République en matière de dépouillement du scrutin (art. 8 de la loi du 29 juillet 1913).
A cet égard, on observe une double violation de ce principe constitutionnel.
L'article 33 octies a prévu, dans son troisième alinéa, la présence de représentants des candidats ou listes au ministère des affaires étrangères, et dans les postes diplomatiques ou consulaires où le vote a lieu.
Mais, elle ne l'a prévu que pour les élections sénatoriales et non pour les élections à l'Assemblée des Français de l'étranger : l'article 29 decies (§ II, dernier alinéa) ne fait référence qu'au troisième alinéa de l'article 33 octies relatif aux élections sénatoriales et non au quatrième ainsi conçu : « Chaque liste peut désigner, auprès du bureau de vote réuni au ministère des affaires étrangères ainsi que dans chaque ambassade ou poste consulaire où le vote a lieu, un délégué chargé de suivre l'ensemble des opérations de vote. » La loi déférée exclue donc de façon formelle tout contrôle des opérations par les candidats ou listes pour les élections à l'AFE. Il s'agit là, pour les élections à l'AFE, d'une grave atteinte aux principes démocratiques, dès lors que toutes les opérations de conservation et de transfert sont sous l'unique contrôle de l'administration.
En outre, aucun contrôle démocratique des opérations de transfert n'est prévu pendant les opérations de transfert, rappelant l'épisode des « urnes baladeuses » (cf. § B, I c ci-dessus).
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Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les sénateurs auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.