JORF n°0169 du 23 juillet 2013

c) Un précédent éloquent : le système des « urnes baladeuses » en 1977 :
Le transport d'une quantité qui pourrait être non négligeable de bulletins de l'étranger en France n'est pas sans rappeler « le système des urnes baladeuses » préconisé en 1977 par le Gouvernement, pour le vote des Français de l'étranger aux élections législatives. Ce système a été heureusement rejeté par le Parlement.
Là encore, le Gouvernement de l'époque renvoyait à un simple décret en Conseil d'Etat la définition des garanties à apporter. Le Sénat avait adopté, par voie d'amendements, tout un ensemble de garanties. Le vote devait être émis dans des urnes qui ne devaient pas être ouvertes dans les bureaux ou centres de vote à l'étranger. Ces urnes devaient être « scellées et obstruées ». Elles étaient, dès lors, pour tout le transport de l'étranger au bureau de vote en France, placées sous la surveillance non de fonctionnaires mais de magistrats de l'ordre judiciaire chargés de veiller à la régularité des opérations.
L'Assemblée nationale avait aussitôt supprimé ce mode de vote, qualifié de manière humoristique d'« urnes baladeuses ». M. Jean Foyer, alors président de la commission des lois de l'Assemblée, avait fait cette remarque judicieuse : « Quand les urnes auront des ailes ! » suscitant l'émoi amusé de toute l'Assemblée.
Reprenant les arguments initiaux de la commission des lois du Sénat, le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. André Fanton, jugeait à juste titre que « le sentiment de ceux à qui l'habitude du suffrage universel » est « que moins les urnes se promènent plus grande est la sécurité (4) ». Le raisonnement vaut a fortiori pour des bulletins placés dans une enveloppe.
Le rapporteur de l'Assemblée nationale avait ensuite analysé dans le détail les conditions du transport des urnes : « Les urnes seront donc transportées par avion, escortées par des magistrats. Il y aura forcément beaucoup d'urnes, monsieur le ministre, parce qu'il est impossible de faire entrer dix mille enveloppes dans une seule. Que fera-t-on alors de toutes ces urnes ? Faudra-t-il les mettre dans la soute de l'avion ou feront-elles le voyage à côté du magistrat ? Question intéressante, mais qui peut laisser rêveur.
« Et, quand ces urnes arriveront à Paris, où iront-elles ? Au Conseil d'Etat, enfin je veux dire dans ses locaux où on installera la commission de dépouillement, celle qui est chargée de dépouiller les votes émis à l'étranger lors de l'élection présidentielle et qui est composée de trois magistrats de haute qualité, présidents de chambre honoraires de la cour d'appel ou présidents de chambre honoraires de la Cour de cassation, c'est-à-dire des magistrats auxquels nous pouvons faire confiance, mais qui vont se trouver ― c'est le moins qu'on puisse dire ― devant une situation difficile. (...)
« Si ce phénomène se reproduit à plusieurs reprises et s'il avait, même, par une sorte de miracle ― mais les miracles peuvent arriver ― comme résultat de changer la majorité de cette Assemblée, on risquerait de s'interroger, monsieur le ministre, non sur la validité du vote des Français de l'étranger, qui sont égaux aux Français de métropole ou d'outre-mer, mais sur les conditions dans lesquelles ces votes ont été obtenus, sur les conditions de surveillance du scrutin.
« (...) En définitive, le ministre ou l'élu auront beau assurer que tout s'est passé normalement, l'opinion publique pourra croire que ces scrutins se déroulant à l'étranger ne sont pas sincères. C'est la raison pour laquelle la commission des lois, à l'unanimité ― je dis bien à l'unanimité ― propose la suppression de tous les articles de cette deuxième partie du projet, sans aucune exception (5). »
Le représentant du groupe socialiste dans ce débat, M. Forni, s'était lui aussi opposé à ce mode de vote par transport des bulletins de l'étranger à Paris : « au-delà des difficultés matérielles, le principal reproche que l'on puisse formuler à l'encontre de ce texte est son anticonstitutionnalité (6) ... ». M. Forni avait souligné à cet égard les risques de violation du secret du vote.

(4) Assemblée nationale, 3e séance du 28 juin 1977, p. 4346. (5) Ibid. (6) Assemblée nationale, 3e séance du 28 juin 1977, p. 4350.


Historique des versions

Version 1

c) Un précédent éloquent : le système des « urnes baladeuses » en 1977 :

Le transport d'une quantité qui pourrait être non négligeable de bulletins de l'étranger en France n'est pas sans rappeler « le système des urnes baladeuses » préconisé en 1977 par le Gouvernement, pour le vote des Français de l'étranger aux élections législatives. Ce système a été heureusement rejeté par le Parlement.

Là encore, le Gouvernement de l'époque renvoyait à un simple décret en Conseil d'Etat la définition des garanties à apporter. Le Sénat avait adopté, par voie d'amendements, tout un ensemble de garanties. Le vote devait être émis dans des urnes qui ne devaient pas être ouvertes dans les bureaux ou centres de vote à l'étranger. Ces urnes devaient être « scellées et obstruées ». Elles étaient, dès lors, pour tout le transport de l'étranger au bureau de vote en France, placées sous la surveillance non de fonctionnaires mais de magistrats de l'ordre judiciaire chargés de veiller à la régularité des opérations.

L'Assemblée nationale avait aussitôt supprimé ce mode de vote, qualifié de manière humoristique d'« urnes baladeuses ». M. Jean Foyer, alors président de la commission des lois de l'Assemblée, avait fait cette remarque judicieuse : « Quand les urnes auront des ailes ! » suscitant l'émoi amusé de toute l'Assemblée.

Reprenant les arguments initiaux de la commission des lois du Sénat, le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. André Fanton, jugeait à juste titre que « le sentiment de ceux à qui l'habitude du suffrage universel » est « que moins les urnes se promènent plus grande est la sécurité (4) ». Le raisonnement vaut a fortiori pour des bulletins placés dans une enveloppe.

Le rapporteur de l'Assemblée nationale avait ensuite analysé dans le détail les conditions du transport des urnes : « Les urnes seront donc transportées par avion, escortées par des magistrats. Il y aura forcément beaucoup d'urnes, monsieur le ministre, parce qu'il est impossible de faire entrer dix mille enveloppes dans une seule. Que fera-t-on alors de toutes ces urnes ? Faudra-t-il les mettre dans la soute de l'avion ou feront-elles le voyage à côté du magistrat ? Question intéressante, mais qui peut laisser rêveur.

« Et, quand ces urnes arriveront à Paris, où iront-elles ? Au Conseil d'Etat, enfin je veux dire dans ses locaux où on installera la commission de dépouillement, celle qui est chargée de dépouiller les votes émis à l'étranger lors de l'élection présidentielle et qui est composée de trois magistrats de haute qualité, présidents de chambre honoraires de la cour d'appel ou présidents de chambre honoraires de la Cour de cassation, c'est-à-dire des magistrats auxquels nous pouvons faire confiance, mais qui vont se trouver ― c'est le moins qu'on puisse dire ― devant une situation difficile. (...)

« Si ce phénomène se reproduit à plusieurs reprises et s'il avait, même, par une sorte de miracle ― mais les miracles peuvent arriver ― comme résultat de changer la majorité de cette Assemblée, on risquerait de s'interroger, monsieur le ministre, non sur la validité du vote des Français de l'étranger, qui sont égaux aux Français de métropole ou d'outre-mer, mais sur les conditions dans lesquelles ces votes ont été obtenus, sur les conditions de surveillance du scrutin.

« (...) En définitive, le ministre ou l'élu auront beau assurer que tout s'est passé normalement, l'opinion publique pourra croire que ces scrutins se déroulant à l'étranger ne sont pas sincères. C'est la raison pour laquelle la commission des lois, à l'unanimité ― je dis bien à l'unanimité ― propose la suppression de tous les articles de cette deuxième partie du projet, sans aucune exception (5). »

Le représentant du groupe socialiste dans ce débat, M. Forni, s'était lui aussi opposé à ce mode de vote par transport des bulletins de l'étranger à Paris : « au-delà des difficultés matérielles, le principal reproche que l'on puisse formuler à l'encontre de ce texte est son anticonstitutionnalité (6) ... ». M. Forni avait souligné à cet égard les risques de violation du secret du vote.

(4) Assemblée nationale, 3e séance du 28 juin 1977, p. 4346. (5) Ibid. (6) Assemblée nationale, 3e séance du 28 juin 1977, p. 4350.