b) Violation des principes constitutionnels du droit à l'information et d'égalité de traitement des électeurs :
Les électeurs ont un droit à une information exhaustive sur l'ensemble du processus électoral. Le droit commun des élections, droit républicain, tel qu'il a été élaboré au cours du xixe siècle et dans la première moitié du xxe siècle, avant même la promulgation de la Constitution du 26 octobre 1946, a prévu les éléments indispensables de l'information des électeurs. Il a aussi prévu un traitement égal des électeurs dans la diffusion des documents de propagande.
Les électeurs sont informés par la parution des décrets ou arrêtés de convocation des électeurs. Ils le sont aussi par la transmission d'un matériel électoral complet, comprenant les circulaires des candidats ou listes et même des bulletins de vote. Ils reçoivent tous, enfin, les mêmes documents de propagande : l'administration n'en fait pas une sélection ou un tri, les candidats ou listes étant tenu de lui communiquer tous les éléments de la propagande : circulaires et bulletins de vote.
Plusieurs lois de la République ont posé les principes de cette information de l'électeur et en ont défini les modalités :
― loi organique du 30 novembre 1875 sur l'élection des députés (art. 3 relatif aux circulaires et professions de foi) ;
― loi du 20 octobre 1919 concernant l'envoi et la distribution des bulletins de vote et des circulaires électorales ;
― loi du 20 mars 1924 concernant l'envoi et la distribution des bulletins de vote, des circulaires électorales et des cartes électorales ;
― ordonnance n° 45-458 du 17 mars 1945 tendant à réglementer l'affichage électoral et la distribution des bulletins de vote ;
― ordonnance n° 45-1838 du 17 août 1945 portant réglementation de la propagande électorale ;
― loi du 21 juillet 1927 portant rétablissement du scrutin uninominal pour l'élection des députés (art. 8 et 9 relatifs à la transmission des bulletins de vote et des circulaires).
Toutes ces lois prévoient la communication aux électeurs de l'ensemble du matériel électoral. Il existe donc un principe fondamental reconnu par les lois de la République du droit à l'information exhaustive des électeurs par la communication à tous les électeurs des bulletins de vote et des circulaires électorales.
L'article 29 nonies viole le droit à l'information exhaustive de l'électeur à un double titre :
― en dispensant l'administration de communiquer aux électeurs la circulaire électorale et les bulletins de vote de chaque candidat ou liste par voie imprimée ; elle permet ainsi à des électeurs de voter sans connaître les programmes des candidats ou listes, ce qui est un comble à une époque où toutes les fois qu'un candidat se présente dans les médias, il reproche souvent aux journalistes de plus s'intéresser à des problèmes de personne qu'à son programme,
― et, s'agissant d'une transmission par voie dématérialisée, en dispensant l'administration de communiquer aux électeurs les circulaires de tous les candidats ou listes en présence dès lors qu'il n'est pas fait obligation à tous les candidats ou listes de lui transmettre le texte des circulaires.
Le Gouvernement s'est excusé de ces lacunes durant les travaux parlementaires en invoquant la modernité des moyens techniques de communication et de la diffusion générale d'internet et de l'informatique. Mais, les électeurs, dont il faut rappeler qu'ils ne résident pas en France ni même pour une grande partie en Europe, sont loin de tous posséder un ordinateur ou de pouvoir y accéder, particulièrement dans de nombreux pays en voie de développement. Beaucoup d'électeurs âgés ne disposent pas d'internet ou ne connaissent pas son fonctionnement. Les scrutins précédents qui ont permis aux Français établis hors de France de voter par internet ont révélé aussi de nombreux dysfonctionnements récurrents à chaque élection, qui ont privé les électeurs du droit de vote, particulièrement ceux qui disposaient d'un système Apple ou qui ont eu des difficultés pour télécharger une application java nécessaire pour le vote. L'article 29 nonies écarte donc du droit à l'information un nombre important d'électeurs.
c) Violation du principe constitutionnel d'égalité des candidats ou listes :
Comme il a été dit plus haut, l'administration n'est tenue de mettre en ligne sous forme dématérialisée que les circulaires des candidats ou listes qui ne lui en ont pas transmis le texte. L'administration serait donc exposée à ne mettre en ligne qu'une partie des circulaires électorales, la loi n'obligeant pas les candidats à lui remettre le texte des circulaires. Dès lors, le texte déféré a créé un cas de rupture potentielle d'égalité entre les candidats.
En matière de propagande électorale, en effet, le droit électoral prévoit, depuis le xixe siècle, des garanties précises d'égalité de traitement entre l'ensemble des candidats ou listes de candidats. D'une part, le matériel électoral doit être mis à la disposition des électeurs, d'autre part, il comprend les circulaires des candidats ou listes. Ces garanties ont été confirmées par plusieurs lois républicaines.
B. ― Violation de plusieurs principes constitutionnels concernant le déroulement du scrutin pour les élections sénatoriales, notamment du secret du vote (art. 33 octies, [50] 3e alinéa)
Plusieurs modalités du scrutin pour l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France sont contraires à la Constitution.
Le troisième alinéa de l'article 33 octies dispose que : « Les membres du collège électoral peuvent également voter le deuxième samedi précédant le scrutin dans leur circonscription d'élection, auprès de l'ambassadeur ou du chef de poste consulaire de leur circonscription électorale. Ce dernier leur remet le matériel de vote. Après passage dans l'isoloir, l'électeur remet en mains propres à l'ambassadeur ou au chef de poste consulaire un pli contenant son bulletin de vote dans une enveloppe. L'électeur signe ce pli ainsi que la liste d'émargement sur laquelle figure le numéro du pli. Il est remis à l'électeur un récépissé sur lequel figurent le nom du votant et le numéro du pli. Les conditions de l'enregistrement, de la conservation et du transfert du pli au bureau de vote, de nature à respecter le secret du vote et la sincérité du scrutin, sont définies par décret en Conseil d'Etat. »
- Création d'un nouveau mode de vote inédit, transgressant de nombreux principes du droit électoral commun : le vote par anticipation ou par remise en mains propres à l'administration de l'enveloppe de scrutin
Les articles 29 decies (22) (§ II) et 33 octies (50) (3e alinéa) inventent une nouvelle forme de vote, qualifiée par le rapporteur du projet de loi au Sénat, M. Jean-Yves Leconte, de « vote par anticipation » ou « vote par remise en mains propres sous enveloppe fermée (2) ». Ce nouveau mode de vote consiste en la remise par l'électeur de son bulletin de vote à l'ambassadeur ou au chef de poste consulaire suivie de son transport de l'ambassade ou du consulat au bureau de vote dans des conditions inconnues. Pendant le temps du transfert, aucun contrôle comparable à celui qui existe en France pour s'assurer de l'intégrité du vote n'est prévu.
Ce mode de vote est prévu pour l'élection des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger et pour l'élection des sénateurs représentant les Français de l'étranger, d'où son importance.
(2) Sénat, séances des 18 et 19 mars 2013.
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