- Absence de disposition législative sur le sort et le contrôle des enveloppes et bulletins de vote durant leur transfert de l'étranger au bureau de vote à Paris
Le projet de loi ne dit rien du sort ou du contrôle des enveloppes et bulletins de vote du départ de la valise diplomatique qui les contiendra jusqu'au moment où ils seront apportés à Paris dans la salle du scrutin. Ils disparaissent du paysage législatif comme si le législateur ne pouvait ni ne devait s'y intéresser, laissant au seul pouvoir exécutif le soin de pallier au grave silence de la loi, comme si le législateur devait s'effacer devant l'administration légiférante.
2.1. Caractère législatif de ces dispositions
Le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur le caractère réglementaire des modalités d'application du vote par correspondance. Seuls le principe de ce mode de votation et la définition des cas où il pouvait y être recouru relevaient du domaine législatif. Le Gouvernement estimait, dans le projet de loi initial, que l'ensemble des modalités d'application de la nouvelle forme de vote relevait du domaine réglementaire. Il raisonnait par analogie, par assimilation pure et simple du nouveau mode de vote au vote par correspondance. Or, une telle assimilation n'est pas possible. En effet, comme l'a rappelé à plusieurs reprises M. Jean-Yves Leconte, rapporteur de la commission des lois du Sénat, lors des séances de la Haute Assemblée des 18 et 19 mars 2013, le vote par remise en mains propres sous enveloppe fermée ou vote par anticipation est complètement distinct du vote par correspondance qui présentait, selon lui, des risques supérieurs au nouveau mode de vote prévu par l'article 33 octies (3e alinéa).
On notera que, dans l'épisode rappelé ci-dessus des « urnes baladeuses » en 1977, M. Léon Jozeau-Marigné, président de la commission des lois du Sénat, devenu par la suite membre du Conseil constitutionnel, déclarait que les matières comparables à celles que l'article 33 octies (3e alinéa) renvoie à un décret relevaient du domaine législatif : « Si notre commission a proposé le rejet, comme nous l'avons fait savoir tout à l'heure, c'est parce que nous tenons à ce que soient respectés les domaines respectifs de la loi et du décret. S'il n'en était pas ainsi, vos services, dont nous connaissons la compétence, élaboreraient les décrets d'application et, même si notre rapporteur assistait aux séances de travail, il ne pourrait faire prévaloir ses idées. Or, s'agissant d'un problème aussi important, nous tenons à ce que la décision appartienne au pouvoir législatif (7). »
Cette matière relève, en effet, éminemment du domaine législatif, car, outre le fait qu'il n'est pas possible de raisonner par analogie avec le vote par correspondance, il s'agit non pas de simples mesures d'application mais de questions substantielles qui ne peuvent être résolues par un décret, même pris en Conseil d'Etat. C'est, d'ailleurs, la partie législative du code électoral qui règle le sort des enveloppes et bulletins de vote avec un luxe de détails depuis le moment où l'électeur entre dans la salle de vote jusqu'au dépouillement du scrutin :
― article L. 60 : les enveloppes électorales (couleur, lieu de mise à disposition, comparaison du nombre d'enveloppes et du nombre des inscrits, modalités de remplacement des enveloppes réglementaires, inscription du remplacement au procès-verbal) ;
― article L. 62 : l'obligation pour l'électeur de prendre une enveloppe. ― Obligation pour l'électeur de passer dans un isoloir ; constatation par le président du bureau de vote du port par l'électeur d'une seule enveloppe et vérification de l'introduction de cette enveloppe dans l'urne ; dispositions relatives au nombre d'isoloir par électeurs et à l'emplacement des isoloirs ;
― article L. 62-1 : liste d'émargement et inscription de chaque vote sur cette liste ;
― article L. 63 : dispositions relatives à l'urne électorale (transparence, ouverture, deux serrures, dont les clés ne sont pas confiées à un fonctionnaire mais seulement aux élus ou assesseurs désigné par les candidats ou listes) (président ou assesseur) ;
― article L. 65 : dispositions très détaillées sur le dépouillement (ouverture de l'urne, vérification du nombre des enveloppes, modalités de désignation des scrutateurs, dépouillement par tables, cas de nullité de certains bulletins) ;
― article L. 66 : cas de nullité des bulletins ;
― article L. 67 : droit général de contrôle des candidats et listes.
Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'il n'appartient qu'au législateur de fixer :
― les règles selon lesquelles les enveloppes contenant les bulletins de vote émis doivent être conservées tant dans les postes diplomatiques et consulaires qu'à Paris, à leur arrivée au bureau de vote ;
― les règles selon lesquelles doit être désigné le porteur et gardien desdites enveloppes ; les responsabilités encourues par celui-ci ;
― les règles selon lesquelles une surveillance doit être exercée sur les enveloppes durant toute la durée du transport et la permanence de cette surveillance ;
― les règles selon lesquelles doit se faire le transport des enveloppes depuis le véhicule utilisé jusqu'au bureau de vote, notamment les délais de présentation des enveloppes.
(7) Sénat, M. Léon Jozeau-Marigné, président de la commission des lois, p. 1176.
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