Sur les articles 26, 40 et 70
L'article 26 tend à modifier les dispositions de l'article L. 313-11 (11°) qui fixe les conditions d'obtention de plein droit d'un titre de séjour « vie privée et familiale » fondé sur des motifs médicaux. L'article 40 tend, lui, à tirer les conséquences de ces modifications sur les mesures d'éloignement visées à l'article L. 511-4 du CESEDA, et l'article 70 sur les mesures d'assignation à résidence visées à l'article L. 521-3 (5°) du même code.
En l'état du droit actuel, un titre de séjour est délivré de plein droit : « A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence, ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police. Le médecin de l'agence régionale de santé ou, à Paris, le chef du service médical de la préfecture de police peut convoquer le demandeur pour une consultation médicale devant une commission médicale régionale dont la composition est fixée par décret en Conseil d'Etat. »
Les trois dispositions en cause visent à revenir sur l'interprétation du membre de phrase « sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire » retenue par le Conseil d'Etat, et selon lequel sont visées les hypothèses dans lesquelles de « telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement » (arrêts du 7 avril 2010 n°s 301640 et 316625).
Il s'agissait pour le Conseil d'Etat avec cette interprétation de donner tout son sens à la condition d'effectivité de l'accès au soin prévue par la loi. Comme l'indiquait le rapporteur public Guyomar dans ses conclusions, « Le législateur n'a pas seulement exigé que l'étranger malade soit susceptible de bénéficier d'un traitement dans son pays d'origine, il a clairement marqué qu'il fallait aussi qu'il soit en mesure de le suivre. »
Dans un premier temps, à son initiative, l'Assemblée nationale avait adopté un amendement remplaçant le membre de phrase « qu'il ne puisse effectivement bénéficier », par « de l'indisponibilité » du traitement dans le pays d'origine.
Aussi contestable était cette disposition, du moins avait-elle le mérite de la clarté. Alors que la rédaction finalement retenue, à l'initiative du Sénat, est, quant à elle, d'une profonde complexité. Dorénavant ne serait plus éligible au bénéfice d'un titre de plein droit « l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée ».
D'un côté donc, l'on durcit les conditions en remplaçant l'indisponibilité du traitement par son absence, de l'autre, on l'assouplit en recourant à une formule de compromis particulièrement alambiquée et équivoque, manifestement contraire à « l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi », qui ne prémunira pas les étrangers contre un « risque d'arbitraire » dans l'application de la loi (n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, cons. 19), ni contre une atteinte à la vie privée des personnes concernées via le risque de violation du secret médical (n° 2004-504 DC du 12 août 2004, cons. 5).
Quant à la notion de « circonstance humanitaire exceptionnelle » d'abord. Vous avez déjà eu l'occasion de juger que la notion d'association à « vocation humanitaire » était une notion « dont la définition n'a été précisée par aucune loi », et qu'elle comportait ainsi un risque d'arbitraire dans son application (n° 98-399 DC du 5 mai 1998, cons. 7). Ceci est à ce point vrai que lorsque le législateur a introduit dans la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 une procédure d'admission exceptionnelle au séjour fondée notamment sur des « considérations humanitaires » ou des « motifs exceptionnels », il a confié à une commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour le soin de préciser ces notions en formulant des avis, précisément « afin de réduire l'imprécision des critères ainsi édictés » (rapport n° 239, p. 109).
Il est évident qu'en l'absence de critères objectifs, les étrangers feront l'objet d'un traitement distinct fondé moins sur des considérations humanitaires que selon le ressort des préfectures dont ils dépendent.
Quant à la procédure retenue ensuite. L'appréciation desdites circonstances humanitaires exceptionnelles sera le fait du préfet, après avis du directeur général de l'agence régionale de santé. C'est-à-dire de deux autorités administratives non médicales. Comment donc ces autorités administratives pourraient-elles apprécier ces circonstances, alors même que, comme le rappelait le rapporteur Guyomar dans ses conclusions précitées, « le secret médical interdit au médecin de révéler des informations sur la pathologie de l'intéressé et la nature de ses traitements médicaux, fût-ce en portant une appréciation sur l'état du système de soins dans le pays d'origine », sauf précisément à porter atteinte audit secret médical ?
Or, il ressort de votre jurisprudence que le droit au respect de la vie privée « requiert que soit observée une particulière vigilance dans la collecte et le traitement de données à caractère personnel de nature médicale » (n° 2004-504 DC du 12 août 2004, cons. 5). En l'espèce, pourtant, cette particulière vigilance est méconnue dès lors que les dispositions en cause ne sont pas assorties des garanties et précisions suffisantes pour assurer la certitude d'une stricte confidentialité des informations à caractère médical.
En effet, en prévoyant dans les dispositions d'un même article, d'une part, une procédure pour raison médicale, impliquant l'intervention du médecin de l'agence régionale, et, d'autre part, une procédure d'appréciation par le préfet après avis du directeur général de l'agence régionale de santé d'une éventuelle « circonstance humanitaire exceptionnelle », le législateur n'a pas prévu les garanties suffisantes pour s'assurer que, à l'occasion de ces procédures mixtes, la transmission des informations médicales à caractère personnel ne devait se faire que vers les seules autorités médicales et dans le strict respect du secret médical. Ainsi, s'il était loisible au législateur de modifier l'ancien dispositif, il ne pouvait le faire en privant de garanties légales les exigences constitutionnelles d'intelligibilité de la loi et de protection de la vie privée, sauf à encourir votre censure (n° 2010-622 DC du 28 décembre 2010, cons. 33).
Sur l'article 33
En l'état actuel du droit, l'article L. 623-1 du CESEDA prévoit que : « Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »
L'article 33 qui vous est ici soumis tend à compléter cette disposition par la phrase : « Ces peines sont également encourues lorsque l'étranger qui a contracté mariage a dissimulé ses intentions à son conjoint. »
En d'autres termes, il s'agit de viser spécialement l'étranger qui se marie aux seules fins « d'obtenir » sa régularisation ou la nationalité française et d'écarter du dispositif les nationaux qui auraient contracté mariage aux seules fins de « faire obtenir » la régularisation ou la nationalité française à leur conjoint. Cette différence de traitement constitue une rupture manifeste d'égalité entre les nationaux et les étrangers.
En effet, il n'existe ici pas de différence de situation entre les nationaux et les étrangers qui justifieraient que « le législateur règle de façon différente des situations différentes » (n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, cons. 8).
Certes, lorsque le législateur adopte des dispositions relatives au séjour des étrangers, et dès lors qu'il n'existe pas de « droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national », les étrangers se trouvent placés, dans ce cadre juridique précis, « dans une situation différente de celle des nationaux » (n° 93-325 DC du 13 août 1993, cons. 2).
Ainsi est-il loisible au législateur d'imposer aux étrangers « la détention, le port et la production des documents attestant la régularité de leur entrée et de leur séjour en France » (ibid. cons. 14-15).
Mais, s'il ressort de votre jurisprudence que la rupture d'égalité entre nationaux et étrangers ne peut pas être invoquée contre des dispositions qui sont commandées par le fait même qu'une personne est étrangère, à l'inverse, le principe d'égalité s'impose lorsqu'un comportement peut être appréhendé indépendamment de la nationalité de son auteur.
Dans la même décision, vous aviez ainsi jugé que le législateur ne pouvait pas instaurer de régime de contrôles d'identité spécifique à l'égard des étrangers (cons. 16), et rappelé que « les droits de la défense constitu[aient] pour toutes les personnes, qu'elles soient de nationalité française, de nationalité étrangère ou apatrides, un droit fondamental à caractère constitutionnel » (cons. 84).
En adoptant le premier alinéa de l'article L. 623-1 du CESEDA, le législateur avait ainsi tiré pleinement les conséquences de ce principe. Le délit pouvait être commis par l'étranger qui cherchait seul à « obtenir » des papiers, ou par le Français qui cherchait seul à « faire obtenir » des papiers.
Au contraire, ici, le législateur ne vise plus que l'étranger qui a cherché à obtenir sa régularisation en France, et plus la personne française qui a cherché à lui faire obtenir sa régularisation. Or, les deux délits pouvant être commis indépendamment de la nationalité de leurs auteurs, il n'y avait pas lieu de les traiter différemment selon leur nationalité.
En l'absence donc de différence de situation entre les étrangers et les nationaux qui commanderait que les uns soient punis et pas les autres, il vous appartiendra de censurer ce dispositif.
Sur l'article 37
Les requérants font ici porter leurs griefs sur les II (§ 1) et III (§ 2) de l'article L. 511-1 du CESEDA dans sa rédaction issue de l'article 37 de la loi qui vous est déférée.
- Quant à l'article L. 511-1-II
L'article L. 511-1-II établit la liste des hypothèses dans lesquelles peut être prononcée une obligation de quitter le territoire français (OQTF) non assortie d'un délai de départ volontaire.
La directive « retour » en son article 7 prévoit un nombre de cas déterminés dans lesquels les Etats peuvent procéder à une mesure d'éloignement sans délai.
Conformément à son paragraphe 4, c'est le cas : « S'il existe un risque de fuite, ou si une demande de séjour régulier a été rejetée comme étant manifestement non fondée ou frauduleuse, ou si la personne concernée constitue un danger pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale, les Etats membres peuvent s'abstenir d'accorder un délai de départ volontaire ou peuvent accorder un délai inférieur à sept jours. »
Or, comme l'a indiqué le Conseil d'Etat dans son avis du 21 mars 2011, les dispositions de l'article 7 sont « inconditionnelles et suffisamment précises » (n°s 345978 et 346612). En d'autres termes, hors les hypothèses qui y figurent, aucune autre ne saurait justifier que soit adoptée une OQTF sans délai de départ volontaire.
Les points 1 et 2 de l'article L. 511-1-Il du CESEDA reprennent les termes de la directive, en prévoyant l'absence de délai en cas de « menace pour l'ordre public » et en cas de demande « manifestement infondée ou frauduleuse ».
Le point 3 quant à lui tend à transposer la notion de « risque de fuite ». Ce risque serait ainsi établi :
« a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
« b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;
« c) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;
« d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ;
« e) Si l'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ;
« f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 ».
Or, les requérants considèrent, comme le rapporteur de la commission des lois du Sénat d'ailleurs, que ces critères relèvent « sans doute d'une interprétation assez large de la notion de "risque de fuite” évoquée par la directive "retour” » (rapport n° 239, p. 131), et qu'ils méconnaissent par conséquent l'« exigence constitutionnelle » de transposition en droit interne des directives communautaires qui résulte de l'article 88 de la Constitution (n° 2004-497 DC du 1 juillet 2004, cons. 18).
C'est notamment le cas pour les points a, b, et c qui reprennent les points 1°, 2° et 4° du II de l'actuel article L. 511-1 du CESEDA et à propos desquels le Conseil d'Etat, dans son avis précité, a considéré qu'ils ne méconnaissaient pas la directive « retour », à condition que la mesure soit « assortie d'un délai de retour approprié à la situation de l'intéressé et supérieur à sept jours ». En d'autres termes, cela signifie que les points a, b et c de la disposition ici en cause ne présentent pas de lien avec la notion de « risque de fuite » et ne sauraient donc justifier l'adoption d'une OQTF sans délai de départ.
Les requérants considèrent que c'est également le cas pour le point f qui est nouveau par rapport à l'ancienne rédaction de l'article L. 551-1 et qui n'est pas non plus directement lié à la notion de « risque de fuite ».
Dès lors, il vous appartiendra de déclarer les points a, b, c et f non conformes à l'article 88-1 de la Constitution, au motif qu'ils sont « manifestement incompatibles avec la directive qu'[ils ont] pour objet de transposer » (n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, cons. 20 et n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, cons. 9).
- Quant à l'article L. 511-1-III
L'article L. 511-1-III prévoit la possibilité d'assortir les OQTF d'une interdiction de retour valable pour l'ensemble de l'espace Schengen (a) ainsi que les règles relatives à l'abrogation de cette interdiction (b). Ce sont ces deux aspects que les auteurs de la saisine mettent ici en cause.
A titre liminaire, les requérants rappellent que les dispositions ici en cause ne sauraient être regardées comme se bornant « à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises » de l'article 11 de la directive « retour » (n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, cons. 9) et donc que votre examen n'est pas limité au respect « d'une règle ou principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France » (n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, cons. 19), dès lors qu'elles ne constituent pas la « conséquence exacte et nécessaire de la transposition » (commentaires aux Cahiers de la décision n° 2004-496 DC), le législateur ayant en effet utilisé la marge de manœuvre que lui offrait le point 3 de l'article 11.
a) L'interdiction de retour.
L'article L. 511-1-III prévoit la possibilité pour l'administration de prononcer une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans « lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire » ou « lorsqu'un délai de départ volontaire a été accordé à l'étranger obligé de quitter le territoire français » et de trois ans « lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger obligé de quitter le territoire français ».
Les requérants n'ignorent pas que vous aviez validé la possibilité pour l'autorité administrative de recourir à de pareilles mesures de police sans recours au juge judiciaire, à condition, toutefois, de ne pas « porter atteinte aux garanties juridictionnelles applicables » (n° 93-325 DC du 13 août 1993, cons. 45).
En revanche, et toujours dans la même décision, vous aviez rappelé qu'il résultait des dispositions de l'article 8 de la Déclaration de 1789, « comme des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, qu'une peine ne peut être infligée qu'à la condition que soient respectés le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ainsi que les droits de la défense », et que ces exigences ne concernaient « pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle » (cons. 47-48).
C'est ainsi que vous aviez censuré l'instauration d'une interdiction du territoire d'un an attachée à tout arrêté de reconduite à la frontière, au regard de son caractère automatique, de sa durée, d'absence d'« égard à la gravité du comportement ayant motivé cet arrêté », et de l'impossibilité d'en dispenser l'intéressé ni même d'en faire varier la durée (cons. 49).
En l'espèce, le législateur s'est finalement gardé de prévoir l'automaticité de l'interdiction de retour et a bien prévu la possibilité de la moduler. En revanche, il n'a pas jugé bon d'établir de lien entre la gravité du comportement de l'étranger et la durée de l'interdiction de retour. Tout au plus a-t-il précisé que : « L'interdiction de retour et sa durée sont décidées par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. »
Si la prise en compte de ces éléments ne manque pas d'intérêt, elle ne saurait néanmoins être assimilée à la prise en compte de la gravité du comportement qui a conduit à l'adoption d'une OQTF à l'égard des étrangers. Or la disproportion entre la gravité des comportements et l'interdiction de retour est manifeste.
Pour s'en convaincre, il suffit de se référer notamment au point f de l'article L. 511-1 qui autorise l'adoption d'une OQTF sans délai départ volontaire (12) et par voie de conséquence une interdiction de retour de trois ans. En effet, c'est en vain que vous chercherez en quoi le fait de ne pas présenter de garanties de représentation suffisantes constitue un comportement d'une gravité telle qu'elle appellerait une sanction si lourde. Ce raisonnement est d'ailleurs en tout point transposable aux interdictions de retour adoptées à la suite d'une OQTF sans délai de départ volontaire prononcée en vertu des points a, b et c.
La disproportion est d'autant plus manifeste pour l'interdiction de retour attachée à une OQTF sans délai de départ que, contrairement à l'OQTF avec délai, elle ne peut faire l'objet de l'abrogation automatique prévue au dernier alinéa de l'article L. 511-1-III.
Et donc, en ce que cette disposition rend possible l'adoption d'une interdiction de retour de trois ans indépendamment de la gravité des comportements qui ont motivé l'adoption de l'OQTF, elle encourt votre censure.
Mais, par surcroît, et en ce que, de manière générale, elle ne prévoit ni l'audition des étrangers, ni aucune procédure contradictoire pour le prononcé d'une telle mesure punitive par une autorité administrative, elle méconnaît manifestement les droits de la défense des étrangers concernés et le principe du contradictoire (n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, cons. 7) qui « implique[nt] le droit de toute personne de présenter des observations et défendre ses droits au cours d'une procédure qui la concerne directement » (commentaire aux Cahiers de la décision n° 2011-126 QPC). Et c'est donc l'ensemble du point III de l'article L. 511-1 que vous serez amenés à censurer.
b) L'abrogation de l'interdiction.
L'article L. 511-1-III prévoit, en outre, que : « L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction de retour. Lorsque l'étranger sollicite l'abrogation de l'interdiction de retour, sa demande n'est recevable que s'il justifie résider hors de France. Cette condition ne s'applique pas :
« 1° Pendant le temps où l'étranger purge en France une peine d'emprisonnement ferme ;
« 2° Lorsque l'étranger fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence prise en application des articles L. 561-1 ou L. 561-2. »
Cette condition de non-résidence en France s'applique ainsi à tous les autres cas dans lesquels un étranger entendrait solliciter l'abrogation de l'interdiction de retour, y compris lorsque, persécuté, il souhaiterait déposer une demande d'asile.
Une telle disposition méconnaît ainsi par elle-même le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958, dont le quatrième alinéa dispose que : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République. »
De cette disposition vous avez déduit que « si certaines garanties attachées à ce droit ont été prévues par des conventions internationales introduites en droit interne, il incombe au législateur d'assurer en toutes circonstances l'ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle » et que, « s'agissant d'un droit fondamental dont la reconnaissance détermine l'exercice par les personnes concernées des libertés et droits reconnus de façon générale aux étrangers résidant sur le territoire par la Constitution, la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » (n° 93-325 DC du 13 août 1993, cons. 81).
De même aviez-vous considéré que « le respect du droit d'asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d'une manière générale que l'étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande » (cons. 84).
Or, en l'espèce, ce n'est pas le droit de demeurer sur le territoire qui est mis en cause, mais l'accès au territoire lui-même ! Cela est particulièrement vrai pour les personnes qui n'auront pas bénéficié d'un délai de départ volontaire et qui ne peuvent donc prétendre à l'abrogation automatique de l'interdiction de retour prévue au dernier alinéa de l'article L. 511-1-III. Difficile de concevoir une contrariété plus flagrante avec l'exercice effectif du droit d'asile. Dans son rapport sur l'immigration clandestine du 6 avril 2006, la commission d'enquête du Sénat ne rappelait-elle d'ailleurs pas que la « Convention de Genève prévoit expressément le droit des réfugiés d'entrer sans autorisation sur le territoire des pays d'accueil » ? (n° 300 [n° 2005-2006], p. 150).
Par ailleurs, cette disposition est également manifestement incompatible avec le cinquième paragraphe de l'article 11 de la directive « retour » qu'elle a pour objet de transposer qui, lui, prévoit expressément que les mesures d'interdiction de retour « s'appliquent sans préjudice du droit à la protection internationale ».
Aussi, loin de rendre plus effectif le respect du droit d'asile, le législateur l'a ici, bien au contraire, privé de toute garantie légale en méconnaissance manifeste de votre jurisprudence. A ce titre encore, votre censure est encourue.
(12) Dont il a, par ailleurs, été démontré qu'il était contraire à la Constitution supra a.