Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000
En réponse aux saisines des députés et sénateurs déposées devant le Conseil constitutionnel et portant sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 (loi n°99-1140 du 29 décembre 1999), le Gouvernement formule les observations suivantes:
I. - Sur la procédure d'adoption de la loi
Les requérants soutiennent que la loi a été votée selon une procédure contraire aux prescriptions de l'article 47-1 de la Constitution. Mais le Gouvernement rappelle que l'article 47-1 ne fixe aucune obligation quant à la date de transmission, à l'Assemblée nationale, du texte examiné par le Sénat en première lecture. Il affirme, en se referant à une jurisprudence du Conseil constitutionnel, qu'il n'y aurait irrégularité de nature à vicier la procédure que si l'une ou l'autre des deux assemblées n'avait pas disposé du délai que lui garantit la Constitution pour statuer en première lecture.
Comme l'Assemblée nationale et le Sénat ont pu disposer chacun, respectivement, des délais de vingt jours et de quinze jours prévus par le deuxième alinéa de l'article 47-1, le moyen ne peut qu'être écarté.
II. - Sur le rattachement de certaines dispositions
au domaine des lois de financement de la sécurité sociale
Selon les auteurs des saisines, les articles 5, 6 et 7 relatifs au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale et à ses ressources, ainsi que l'article 23, qui tend à doter les centres de santé d'un dispositif conventionnel permettant d'en maîtriser les dépenses, et l'article 31 relatif à la mise sur le marché de spécialités génériques, violeraient l'article 34 de la Constitution et l'article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale
Le Gouvernement souligne que les dépenses que le fonds a pour mission de financer affectent sans conteste directement l'équilibre financier de ces régimes. Le fait que le fonds ait pour objet de financer des mesures associées à la politique de l'emploi est sans incidence sur la régularité de l'insertion des dispositions le concernant dans la loi de financement de la sécurité sociale. La circonstance que les dispositions concernant les ressources du fonds soient accompagnées de précisions relatives à la détermination de l'assiette et du taux n'est pas de nature à rendre irrégulière leur insertion dans la loi de financement. Le Gouvernement rappelle que ces dispositions constituent, avec d'autres dispositions qui relèvent du domaine des lois de financement, les éléments indivisibles d'un dispositif d'ensemble. En effet, elles permettent que les recettes finançant la réforme des cotisations patronales soient effectivement perçues.
Le Gouvernement fait valoir qu'il est de jurisprudence constante qu'aucun principe de valeur constitutionnelle n'interdit d'affecter un impôt à un établissement public et que les prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, dont les requérants se prévalent, ne concernent que l'affectation de recettes de l'Etat à des dépenses de l'Etat. Il s'en déduit qu'une disposition affectant une recette fiscale à un établissement public ne doit pas nécessairement figurer dans une loi de finances.
Concernant les dispositions relatives à la TGAP qui figurent dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, le Gouvernement tient a souligner que leur objet explicite est d'attribuer une recette fiscale à un organisme extérieur à l'Etat créé sous forme d'établissement public. Dès lors, cette affectation n'est donc pas de celles que régit l'article 18 de l'ordonnance organique et elle ne se différencie pas des nombreuses affectations de recettes fiscales à des établissements publics validées par le Conseil constitutionnel. Donc, la TGAP ne doit plus être regardée comme une recette de l'Etat, dès lors qu'elle est entièrement affectée à une personne publique autre que l'Etat et qu'elle lui sera versée sans passage par le budget de l'Etat.
Le Gouvernement affirme que les dispositions de l'article 23 relatives au conventionnement des centres de santé relèvent tout autant du champ de la loi de financement de la sécurité sociale. Cet article contribue à une meilleure maîtrise des dépenses de santé: Il crée un nouveau dispositif qui permet de rationaliser les dépenses des centres de santé, et qui est de nature à avoir une influence directe et significative sur leurs dépenses.
Concernant les dispositions de l'article 31 relatives à la mise sur le marché de médicaments génériques, le Gouvernement estime que c'est également à tort que les sénateurs, auteurs de la seconde saisine, soutiennent qu'elles n'ont pas leur place dans la présente loi.. Il affirme que cette disposition contribuera directement au développement des spécialités génériques, ce qui était également l'un des objectifs poursuivis par l'article 22 de la LFSS pour 1999
III. - Sur la contribution sociale
sur les bénéfices des sociétés
Les députés requérants soutiennent que les dispositions du 1° du I de l'article 6 méconnaissent l'égalité des contribuables devant l'impôt et, de manière générale, les exigences déduites de l'article 13 de la Déclaration de 1789.Les auteurs de la saisine invoquent une discrimination entre les sociétés, selon qu'elles sont ou non constituées sous forme de groupe, permettant ainsi à une société holding, dont aucune filiale ne dépasse le seuil, d'échapper à l'impôt.
Le Gouvernement rappelle qu'il résulte d'une jurisprudence constante qu'il est loisible au législateur de fixer l'assiette d'un impôt par référence à un autre impôt (n° 81-133 DC du 30 septembre 1981 ; n° 86-223 DC du 29 décembre 1986) et que rien ne s'oppose à ce que la loi crée des catégories homogènes de contribuables, même très réduites.
IV. - Sur la taxe générale sur les activités polluantes
Concernant l'article 7 (extension de la taxe générale sur les activités polluantes : TGAP), les requérants affirment qu'il porterait une atteinte sans nuance au principe du consentement à l'impôt et serait entaché d'incompétence négative. Le Gouvernement répond que les requérants ont confondu le débat d'ordre politique, sur l'opportunité d'affecter à la sécurité sociale une recette spécifique, et le débat juridique, ne pouvant porter que sur la conformité à la Constitution des choix de la représentation nationale. Ensuite, à propos de l'affectation, le Gouvernement fait valoir qu'aucune norme constitutionnelle n'exige qu'une recette spécifique soit affectée au financement de dépenses particulières ayant un lien avec le prélèvement en cause
Sur le grief tiré de l'incompétence négative, le Gouvernement affirme que la compétence que le législateur tient de cet article, pour fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions, n'implique pas que le régime applicable à une imposition soit entièrement contenu dans des dispositions législatives. D'autre part, il souligne que le respect de l'article 34 de la constitution est assuré dès lors que le renvoi au pouvoir réglementaire fait l'objet d'un encadrement suffisant.
V. - Sur la sincérité des prévisions
Les requérants mettent en doute la sincérité des prévisions issues de l'article 12 de la loi déférée. Le Gouvernement répond que les ressources du fonds de financement sont bien prises en compte dans les prévisions de recettes. De plus, la sincérité des prévisions retracées par l'article 12 n'est pas affectée par une prétendue inadéquation entre les recettes du fonds de financement et ses dépenses. Enfin la loi de financement prend bien en compte celles des dispositions votées en loi de finances qui peuvent avoir une incidence sur les prévisions qui lui incombent.
VI. - Sur la garantie de ressources de la branche famille
Les requérants estiment que le dispositif crée par l'article 15 (le bénéfice d'une garantie de ressources pour la CNAF du 01/01/1998 au 31/12/2002) enfreint le principe d'annualité budgétaire puisqu'il porte sur une période de 5 ans. Le gouvernement souligne qu'il ne résulte ni de la Constitution, ni de l'article LO 111-3 issu de la loi organique du 22 juillet 1996, qu'il existerait un principe d'annualité pouvant se distinguer des règles que le législateur organique a adoptées pour définir le champ des lois de financement de la sécurité sociale. Le Gouvernement met l'accent sur le fait que la garantie de ressources affecte directement l'équilibre financier de la branche famille en 2000, puisqu'elle impose au Gouvernement de ne pas prendre des mesures telles qu'elles compromettraient le respect de la garantie en fin de période.
VII. - Sur la contribution de la Caisse des dépôts
et consignations au fonds de réserve pour les retraites
Les sénateurs auteurs du second recours soutiennent que le V de l'article 16 a le caractère d'une affectation d'une recette du budget de l'Etat opérée en méconnaissance des prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance organique relative aux lois de finances.
Le Gouvernement estime que cette critique repose sur une interprétation erronée, tant de la disposition contestée que de celles qui régissent les lois de financement de la sécurité sociale. Il affirme qu'il n'existe aucun lien entre le montant figurant au budget général, dans le projet de loi de finances pour 2000, au titre des produits des participations de l'Etat dans des entreprises financières, et le prélèvement visé par le V de l'article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Ce dernier a simplement le caractère d'une recette prélevée sur un organisme déterminé - en l'espèce, la Caisse des dépôts et consignations - en vue de concourir au financement du fonds de réserve pour les retraites, qui a le caractère d'une ligne budgétaire au sein de l'établissement public qu'est le fonds de solidarité vieillesse.
VIII. - Sur les transferts de l'Etat
vers l'assurance maladie
les requérants estiment que les articles 21 et 22 sont contraires à la Constitution, puisque le financement des centres de dépistage anonyme et gratuit, et plus encore celui relatif aux cures de désintoxication, apparaissent, d'après eux, comme étant au nombre des dépenses qui relèvent par nature du budget de l'Etat et qu'elles n'entrent pas dans le champ des missions de l'assurance maladie. Elles constitueraient une débudgétisation non conforme aux principes d'unité et d'universalité budgétaire.
Le Gouvernement affirme que les requérants confondent les charges qui incombent à l'Etat par nature et celles qu'il n'assume que par détermination de la loi. Concernant les charges visées par l'article 21, il note que les activités sont d'ores et déjà en partie assumées par l'assurance maladie, à hauteur de 85 % par les CDAG et de 70 % pour les CPEF. La prise en charge de ce type d'activités, relèverait donc bien du champ d'intervention de l'assurance maladie et n'aurait en rien le caractère d'une dépense qui devrait, par nature, incomber à l'Etat.
IX. - Sur le dispositif de régulation des soins de villes
Concernant l'article 24, qui met en place un nouveau dispositif de régulation des soins de ville, fondée sur une responsabilité accrue de l'assurance maladie et des professionnels de santé, les requérants font valoir qu'il instaure un système de sanctions collectives pénalisant les praticiens. Ainsi, l'article 24 méconnaîtrait l'égalité devant la loi, les principes de proportionnalité et de personnalité des peines, de même que la présomption d'innocence. Enfin, les sénateurs estiment que les protocoles mentionnés à cet article ne sont soumis à aucune approbation ministérielle et que la conclusion de tels accords serait contraire à la constitution. Le Gouvernement précise que le dispositif ainsi contesté ne repose pas sur un système automatique de "lettre clé flottante". Il ajoute que la loi a prévu une large palette d'action dont les tarifs ne sont qu'une composante. De plus, le mécanisme d'ajustement prévu par la loi n'a aucun caractère systématique. Le Gouvernement ajoute que cet ajustement s'insère dans un mécanisme d'ensemble dont l'objectif global est la régulation des dépenses. Il souligne que le mécanisme tarifaire s'applique de manière objective sans avoir à prendre en considération la personne ou l'activité. Il n'y aurait donc pas de rupture de l'égalité devant la loi.
Concernant les protocoles, le Gouvernement précise qu'il s'agit d'actes concertés conclu avec les médecins de certaines spécialités, lorsqu'aucun accord conventionnel n'a pu être conclu. Il ne s'agit donc pas d'"accords conventionnels".
X. - Sur la motivation des arrêts de travail
et des prescriptions de transport
Les députés requérants soutiennent que les dispositions de l'article 25 sont contraires à la Constitution en ce qu'elles portent atteinte au secret médical et au respect de la vie privée.
Le Gouvernement rappelle que l'obligation faite aux médecins d'indiquer sur la feuille de soins les éléments d'ordre médical justifiant leurs prescriptions d'arrêts de travail et de transports, vise précisément à permettre au service du contrôle médical, dont l'avis s'impose à l'organisme payeur, de se prononcer en toute objectivité et connaissance de cause quant au caractère médicalement justifié de la prestation en cause.
En ce qui concerne les remboursements de frais de transport, le gouvernement souligne que la disposition contestée tend à responsabiliser les prescripteurs tant libéraux qu'hospitaliers, en leur demandant d'attester, sous leur responsabilité propre, que l'état du malade nécessite le recours à une telle prestation. Il n'y aurait pas d'atteinte au secret médical ou au respect de la vie privée puisque les caisses, tout comme les services médicaux qui leurs sont rattachés, sont tenues en toutes circonstances de garantir la stricte confidentialité des informations nominatives d'ordre médical nécessaires à l'accès aux prestations.
Le Gouvernement ajoute que la disposition attaquée n'a pas pour objet de demander au médecin de mentionner explicitement un diagnostic médical, mais de préciser, à l'intention du seul service du contrôle médical, les éléments pertinents d'ordre clinique rendant nécessaire l'interruption de travail ou entraînant l'impossibilité de se déplacer.
XI. - Sur l'ajustement de la clause de sauvegarde
sur le médicament
Les députés prétendent que l'article 29 définit un objectif national spécifique de dépenses pharmaceutiques qui serait, comme tel, contraire à l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. Le Gouvernement répond qu'il s'agit uniquement d'une modulation d'un dispositif déjà existant, et non de la création d'un objectif spécifique pour le médicament. Il ajoute que l'article 29, qui ne fait qu'adapter aux réalités observées un dispositif déjà existant, n'est en tout état de cause ni contraire aux dispositions de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, ni de nature à porter atteinte à la compétence du législateur organique, à supposer même que la création d'un objectif spécifique soit de son ressort exclusif
XII. - Sur la contribution exceptionnelle
des entreprises pharmaceutiques
L'article 30 crée une contribution exceptionnelle à la charge des laboratoires pharmaceutiques, destinée au financement de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés. Selon les requérants, ce dispositif aurait le caractère d'une validation législative déguisée, destinée à neutraliser les effets d'une décision de justice. L'article 30 porterait ainsi atteinte à la sécurité juridique et à la confiance légitime.
Le Gouvernement répond que la taxe instituée par l'article 30 ne saurait être qualifiée de validation, dès lors qu'elle ne remet en cause en aucune façon l'annulation par le Conseil d'Etat de la taxe mise en oeuvre par l'article 12 de l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996.
Cette nouvelle taxe porte sur les chiffres d'affaires réalisés en 1999 et non pas en 1995. Elle ne concerne pas les mêmes assujettis, ne retient pas la même assiette et ne prévoit pas les mêmes exonérations.
De plus, l'article 30 ne méconnaît pas l'autorité de la chose jugée et la portée de la décision du Conseil d'Etat, puisque les entreprises qui se sont acquittées de la précédente taxe seront intégralement remboursées des sommes qu'elles ont versées à l'ACOSS au titre de la contribution annulée.
Le Gouvernement observe enfin que le dispositif fixé par l'article 30 ne fait que tirer les conséquences de la décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998 par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé qu'il est loisible au législateur de prendre des mesures non rétroactives de nature à remédier aux conséquences financières d'une annulation.
XIII. - Sur la validation des actes
pris en application de l'arrêté du 28 avril 1999
Pour contester cette validation, issu du IX de l'article 33, les sénateurs font valoir qu'elle ne repose pas sur un intérêt général suffisant au sens de la jurisprudence constitutionnelle.
Le Gouvernement estime que cette validation est préventive dans la mesure où elle intervient alors que le Conseil d'Etat ne s'est pas encore prononcé sur la légalité de l'arrêté du 28 avril 1999. Or le caractère préventif d'une intervention rétroactive du législateur ne serait pas de nature à en affecter la conformité à la Constitution (n° 94-357 DC du 25 janvier 1995 ; n° 95-364 DC du 8 février 1995). Par ailleurs, la mesure de validation ne porterait pas sur l'acte susceptible d'être annulé par le Conseil d'Etat mais sur ses effets. Elle n'affecterait donc en rien l'autorité de la chose jugée.
Le Gouvernement tient à souligner que cette mesure de validation répond à un motif d'intérêt général suffisant, celui que constitue l'équilibre financier des régimes d'assurance maladie.
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En définitive, aucun des nombreux griefs invoqués à l'encontre de la loi déférée ne serait de nature à en justifier la censure. Aussi le Gouvernement estime-t-il que le Conseil constitutionnel ne pourra que rejeter les recours dont il est saisi.