II. - Sur le rattachement de certaines dispositions
au domaine des lois de financement de la sécurité sociale
A. - Selon les auteurs des saisines, plusieurs articles de la loi adoptée y auraient été insérés en méconnaissance des dispositions régissant le domaine des lois de financement de la sécurité sociale.
Tel serait d'abord le cas des articles 5, 6 et 7 relatifs au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale et à ses ressources. Il en irait de même pour l'article 23, qui tend à doter les centres de santé d'un dispositif conventionnel permettant d'en maîtriser les dépenses, et pour l'article 31 relatif à la mise sur le marché de spécialités génériques.
A l'appui de leurs conclusions dirigées contre ces dispositions, les requérants font essentiellement valoir qu'elles ont été adoptées en méconnaissance des prescriptions de l'article 34 de la Constitution et de l'article LO 111-3, dont le III prévoit que la loi de financement ne peut contenir, outre celles prévues au I du même article, que des dispositions « affectant directement l'équilibre financier » des régimes ou « améliorant le contrôle du Parlement sur l'application » de ces lois. Ils considèrent également que les dispositions relatives au fonds auraient dû figurer en loi de finances, en application de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
B. - Ces griefs ne peuvent être accueillis.
- S'agissant du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale et de ses ressources, le Gouvernement entend souligner, à titre liminaire, que son insertion dans la loi de financement de la sécurité sociale a pour fondement, outre les dispositions du III de l'article LO 111-3, celles du 2o du I du même article qui rangent au nombre des dispositions devant figurer dans un telle loi, celles qui prévoient les recettes, non seulement de l'ensemble des « régimes obligatoires de base », mais aussi « des organismes créés pour concourir à leur financement ».
Il avait donc bien sa place dans la présente loi et ne relevait pas du domaine exclusif des lois de finances.
a) En premier lieu, en effet, le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales est un organisme créé pour concourir au financement des régimes obligatoires de base. Il a pour objet de financer les allégements structurels de cotisations patronales de sécurité sociale en faveur des bas salaires, d'une part, des entreprises réduisant la durée du travail, d'autre part. A cet effet, il permet de substituer, à un financement traditionnel par cotisations, un financement par des ressources nouvelles, engageant ainsi une réforme de la structure des ressources. Les recettes seront affectées, à titre principal, au régime général de sécurité sociale et, à titre secondaire, aux autres régimes entrant dans le champ des allégements structurels de charges (régime agricole, notamment).
b) En deuxième lieu, il convient d'observer que les dépenses que le fonds a pour mission de financer affectent sans conteste directement l'équilibre financier de ces régimes : les dépenses du fonds sont estimées à plus de 60 milliards en 2000, plus de 100 milliards à terme. A titre de comparaison, les dépenses du fonds de solidarité vieillesse, qui est aussi un organisme concourant au financement des régimes obligatoires de base, s'élèvent à environ 75 milliards.
A cet égard, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, le fait que le fonds ait pour objet de financer des mesures associées à la politique de l'emploi est sans incidence sur la régularité de l'insertion des dispositions le concernant dans la loi de financement de la sécurité sociale. De telles dispositions y ont tout autant leur place que, par exemple, celles des articles 5 (relatif aux exonérations de cotisations patronales afférentes à l'emploi d'une aide à domicile) et 6 (relatif aux exonérations de cotisations patronales attachées à l'embauche d'un premier salarié) de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.
c) En troisième lieu, la circonstance que les dispositions concernant les ressources du fonds soient accompagnées de précisions relatives à la détermination de l'assiette et du taux, et même aux modalités de recouvrement des impositions affectées à cet établissement public, n'est pas de nature à rendre irrégulière leur insertion dans la loi de financement.
On rappellera, en effet, qu'il est bien établi, depuis la décision no 96-384 DC du 19 décembre 1996, que des dispositions qui, en elles-mêmes, seraient étrangères au domaine des lois de financement, y ont néanmoins leur place lorsqu'elles constituent, avec d'autres dispositions qui en relèvent, les éléments indivisibles d'un dispositif d'ensemble.
Tel est bien le cas des dispositions critiquées, dès lors qu'elle ne font que permettre - comme celles relatives au recouvrement de la CSG en cause dans la décision précitée de 1996 - que les recettes qui permettront de financer la réforme des cotisations patronales soient effectivement perçues.
d) Enfin on ne voit pas à quel titre les recettes de ce fonds qui, comme il a été souligné plus haut, est un organisme créé pour concourir au financement de la sécurité sociale, auraient dû figurer dans la loi de finances.
C'est en particulier à tort que les requérants se prévalent de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
Sans doute les débats auxquels la question de la régularité de l'affectation de la TGAP en loi de financement de la sécurité sociale a donné lieu ont-ils conduit le Gouvernement, dans un souci d'apaisement, à faire voter un amendement de coordination dans le projet de loi de finances, sous la forme d'un article 27 bis. Mais sur le plan constitutionnel, le Gouvernement considère que la loi de financement de la sécurité sociale se suffit, sur ce point, à elle-même.
Il convient à cet égard de rappeler qu'il est de jurisprudence constante qu'aucun principe de valeur constitutionnelle n'interdit d'affecter un impôt à un établissement public et que les prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 ne concernent que l'affectation de recettes de l'Etat à des dépenses de l'Etat. Il s'en déduit qu'une disposition affectant une recette fiscale à un établissement public ne doit pas nécessairement figurer dans une loi de finances.
De très nombreuses décisions du Conseil constitutionnel vont en ce sens (no 82-132 DC du 16 janvier 1982 ; no 82-140 DC du 28 janvier 1982 ; no 98-403 DC du 29 juillet 1998 ; no 98-405 DC du 29 décembre 1998). Le Conseil constitutionnel a notamment eu l'occasion de valider l'affectation à la CNAM de contributions sur les tabacs et les alcools instituées par une loi portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale (no 82-152 DC du 14 janvier 1983).
Il n'apparaît pas que la décision no 93-328 DC du 16 décembre 1993, rendue à propos de la loi quinquennale relative à l'emploi et à la formation professionnelle, conduise à remettre en cause cette analyse.
L'article censuré élargissait pour certaines personnes les possibilités de cumul emploi-retraite et prévoyait que les pertes entraînées par cette mesure pour les caisses d'assurance vieillesse seraient compensées par un relèvement des droits sur les tabacs.
Le raisonnement du Conseil constitutionnel semble avoir été le suivant :
- ces droits sont des recettes fiscales de l'Etat qui doivent figurer au budget dans leur intégralité ;
- l'article en cause, tel qu'il est rédigé, n'a pas pour objet ni pour effet d'en modifier la nature ou la destination ;
- en conséquence, il signifie que l'Etat doit verser une compensation aux caisses et que cette compensation est financée par un relèvement des droits sur les tabacs ;
- une telle disposition constitue une affectation de recettes à des dépenses spécifiques au sein du budget de l'Etat, non conforme aux prescriptions de l'article 18 de l'ordonnance organique de 1959 parce qu'elle n'est pas inscrite dans une loi de finances.
Au regard de ce précédent, le Gouvernement entend souligner que les dispositions relatives à la TGAP qui figurent dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 ne sont en rien comparables aux dispositions censurées par le Conseil constitutionnel en 1993.
Leur objet explicite est en effet d'attribuer une recette fiscale à un organisme extérieur à l'Etat créé sous forme d'établissement public. Cette affectation n'est donc pas de celles que régit l'article 18 de l'ordonnance organique et elle ne se différencie pas des nombreuses affectations de recettes fiscales à des établissements publics validées par le Conseil constitutionnel. Le fait que la TGAP soit un impôt dont le produit était précédemment attribué à l'Etat ne modifie pas le raisonnement à cet égard.
La TGAP, en réalité, ne doit plus être regardée comme une recette de l'Etat, dès lors qu'elle est entièrement affectée à une personne publique autre que l'Etat et qu'elle lui sera versée sans passage par le budget de l'Etat.
Il n'était donc pas obligatoire de prévoir une mesure de « désaffectation » qui, par parallélisme avec la règle prévue à l'article 18 de l'ordonnance organique en matière d'affectation de recettes à des dépenses, relèverait du domaine exclusif des lois de finances. En effet, la TGAP ne faisait jusqu'à présent l'objet d'aucune affectation au sens de cet article 18, qui ne vise que les dispositifs dérogatoires au principe d'universalité applicable au budget de l'Etat : le produit de la TGAP était simplement versé dans la masse des recettes du budget général.
On ajoutera qu'il y aurait quelque paradoxe à considérer que seule la loi de finances peut transférer une recette fiscale de l'Etat à une autre personne publique, alors que la compétence fiscale du législateur ordinaire est pleine et entière, comme le Conseil constitutionnel l'a maintes fois reconnu, notamment dans sa décision no 91-298 DC du 24 juillet 1991 : les lois autres que les lois de finances peuvent, conformément à l'article 34 de la Constitution et à l'ordonnance organique de 1959, créer ou supprimer des impôts, qu'ils soient affectés ou non à l'Etat, et en modifier l'assiette, le taux et les règles de recouvrement, même si ces mesures ont un effet sur les conditions d'exécution du budget de l'exercice en cours.
Enfin, le raisonnement vaut, a fortiori, pour l'affectation d'une partie du droit de consommation visé à l'article 403 du code général des impôts, que les sénateurs requérants critiquent également sur le fondement de l'article 18 de l'ordonnance de 1959 : cette imposition étant auparavant affectée au fonds de solidarité vieillesse, la LFSS pour 2000 se borne à transférer une recette d'un établissement public à un autre, ce qui est encore plus manifestement étranger aux dispositions de l'article 18 relatives aux affectations auxquelles la loi de finances peut procéder au sein du budget de l'Etat.
- Les dispositions de l'article 23 relatives au conventionnement des centres de santé relèvent tout autant du champ de la loi de financement de la sécurité sociale.
Il a, en effet, été constaté que les dépenses d'assurance maladie induites par l'activité de ce secteur (2,6 milliards de francs en 1998) étaient en progression très rapide depuis plusieurs années, à un rythme de 10 %, très supérieur à celui de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Or, l'état actuel du droit ne permettait pas d'assurer une régulation de ce secteur en l'absence de tout dispositif à caractère national, tandis qu'il n'était pas cohérent, au regard de l'objectif constitutionnel de maîtrise des dépenses sociales, de tenir les centres de santé à l'écart du dispositif de régulation des soins de ville prévu par cette loi.
Tirant les conséquences de cette situation, l'article 23 contribue à un double titre à une meilleure maîtrise des dépenses de santé.
a) En premier lieu, il crée un nouveau dispositif qui permet de rationaliser les dépenses des centres de santé.
La loi donne ainsi aux partenaires un nouvel outil de régulation sous la forme d'un accord négocié entre les organismes d'assurance maladie et les organisations représentatives des centres de santé. Cet accord va permettre d'appliquer à ces structures certains outils de la maîtrise médicalisée déjà mis en oeuvre pour les professionnels libéraux, par exemple, les références médicales opposables. Il pourra également déterminer les mesures propres à favoriser l'accès aux soins des assurés sociaux et à garantir la qualité et la coordination des soins ainsi que des modes de rémunération autres que le paiement à l'acte. Ce dispositif est ainsi de nature à avoir une influence directe et significative sur leurs dépenses : en prenant pour hypothèse une croissance des dépenses ramenée de 10 à 5 %, l'économie serait de 130 MF.
C'est ce que le Conseil constitutionnel avait souligné, lorsqu'il avait été saisi de dispositions analogues contenues, d'une part, dans l'article 22 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 qui ouvrait le champ de compétence des conventions médicales à la détermination de nouvelles conditions d'exercice propres à favoriser la coordination des soins, et de modes de rémunération autres que les paiement à l'acte, d'autre part, dans l'article 34 de cette même loi relatif aux établissements pour personnes âgées dépendantes en tant qu'il ouvrait également la possibilité de définir des modes de rémunération autres que le paiement à l'acte.
b) En second lieu, la vocation sociale des centres de santé amène à considérer que leur développement est susceptible d'avoir un impact sur la consommation de soins. Les populations soignées dans ces structures sont en effet celles qui ont souvent un recours tardif aux soins et sont contraintes de se diriger vers l'hôpital du fait de pathologies aggravées. On peut dès lors estimer que le développement des centres de santé pourrait avoir dans cette mesure une incidence sur les dépenses d'hospitalisation.
Les dispositions introduites dans le code de la sécurité sociale par l'article 23 concourent ainsi à la maîtrise des dépenses d'assurance maladie pour les centres de santé et donc de façon significative aux conditions générales de l'équilibre financier de l'assurance maladie. Elles sont dès lors au nombre des dispositions qui peuvent figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale.
- Quant aux dispositions de l'article 31 relatives à la mise sur le marché de médicaments génériques, c'est également à tort que les sénateurs, auteurs de la seconde saisine, soutiennent qu'elles n'ont pas leur place dans la présente loi.
Il est clair, en effet, que le développement de ce type de médicaments, dont le coût est moins élevé, est de nature à avoir un impact significatif sur les comptes de l'assurance maladie. En prévoyant que l'autorisation de mise sur le marché peut être délivrée avant l'expiration des droits de propriété intellectuelle qui s'attachent à la spécialité de référence concernée, tout en précisant que la commercialisation ne peut intervenir avant cette date, la nouvelle rédaction donnée par l'article 31 à l'article L. 601 du code de la santé publique vise à réduire les délais qui séparent actuellement le moment où le brevet tombe dans le domaine public et celui où une mise sur le marché peut être autorisée. Par là même, cette disposition contribuera directement au développement des spécialités génériques, ce qui était également l'un des objectifs poursuivis par l'article 22 de la LFSS pour 1999 dont le Conseil constitutionnel a admis la conformité aux dispositions de l'article LO 111-3 par sa décision, déjà citée, du 18 décembre 1998.
On remarquera enfin que si les sénateurs requérants critiquent également le dernier alinéa de l'article 31 qui précise que certaines études liées au développement de ces spécialités sont considérées comme des actes accomplis à titre expérimental, au sens de l'article L. 613-5 du code de la propriété intellectuelle, ils se bornent à faire état d'une prétendue incompatibilité avec les engagements internationaux de la France. Or, il résulte d'une jurisprudence constante qu'une telle argumentation est étrangère au contrôle de constitutionnalité. Par ailleurs, ces dispositions permettront de mener ces études de manière plus précoce et contribueront aussi, de ce fait, au développement des médicaments génériques. Elles sont donc également de nature à concourir à la maîtrise des dépenses médicales.
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