IV. - Sur la taxe générale sur les activités polluantes
A. - L'article 7 de la loi insère plusieurs dispositions nouvelles dans le code des douanes et modifie l'article 17 de la loi no 76-663 du 19 juillet 1976, afin de procéder à une extension de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui a été créée par l'article 45 de la loi de finances pour 1999. Son produit sera désormais affecté au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales.
A l'appui de leur recours, les requérants font valoir que l'affectation de cette imposition « est juridiquement sujette à caution ». Elle en inverserait la vocation en la transformant en impôt de rendement. Ce changement porterait ainsi, selon eux, « une atteinte sans nuance au principe du consentement à l'impôt » garanti par l'article 14 de la Déclaration et l'article 34 de la Constitution. Ce faisant, le législateur aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences, sur le TGAP, de sa nouvelle affectation.
Les députés saisissants estiment en outre que l'article 7 est entaché d'incompétence négative, à double titre : d'une part, le 8o du D du I procéderait à un renvoi trop large au pouvoir réglementaire pour les règles d'assiette ; d'autre part, le nouvel article 266 terdecies du code des douanes, créé par le F du I de l'article 7, ne précise pas suffisamment les règles de recouvrement des éléments de la TGAP relevant des services chargés de l'inspection des installations classées.
B. - Pour sa part, le Gouvernement considère que l'article 7 est conforme à la Constitution.
- En premier lieu, l'argumentation des requérants repose sur une confusion entre, d'une part, le débat d'ordre politique qui a naturellement eu sa place au Parlement sur l'opportunité d'affecter à la sécurité sociale tel ou tel type de recette spécifique qui avait pu, à l'origine, être créée dans un autre contexte et, d'autre part, le débat juridique qui ne peut porter, dans le cadre de l'article 61 de la Constitution, que sur la conformité à celle-ci des choix que fait la représentation nationale.
Au cas particulier, le Parlement a été parfaitement informé des raisons qui conduisaient le Gouvernement à lui proposer de choisir cette recette pour contribuer au financement de la réforme des cotisations patronales. On voit donc mal comment le consentement à l'impôt dont le principe est énoncé à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme pourrait s'en trouver affecté.
De même est-ce à tort que les députés saisissants critiquent l'affectation de cette imposition en se fondant sur son objet. Cet objet est certes spécifique dans la mesure où il consiste à appréhender une matière imposable déterminée, en tenant compte de l'impact sur l'environnement des activités qui sont ainsi mises à contribution. Cette mise à contribution, parfois désignée sous la dénomination d'« écotaxe », s'inscrit d'ailleurs dans une démarche commune à l'ensemble des pays de la Communauté européenne.
Elle ne peut être utilement contestée sur le plan constitutionnel dès lors, d'une part, que la détermination de l'assiette de cette taxe spécifique repose sur des critères objectifs et rationnels, d'autre part, qu'elle est destinée, comme tout impôt, à financer des dépenses d'intérêt général.
Tout autre est la question de l'affectation : aucune norme constitutionnelle n'exige qu'une recette spécifique soit affectée au financement de dépenses particulières ayant un lien avec le prélèvement en cause. Le principe est plutôt, au contraire, celui de l'universalité, auquel le législateur peut toutefois déroger, sous la réserve que pose l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 : lorsqu'une affectation est prévue au sein du budget de l'Etat - ce qui comme on l'a souligné plus haut n'est pas le cas en l'espèce - elle ne peut procéder que de la loi de finances.
Lorsqu'il décide de déroger au principe d'universalité pour affecter une recette fiscale à une dépense de l'Etat ou d'une autre personne publique, le législateur peut se déterminer en fonction de considérations purement financières : aucune exigence constitutionnelle, ni aucune disposition de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 ne lui imposent de rechercher une corrélation ou une adéquation entre l'objet du prélèvement, qu'il soit existant ou nouveau, et l'objet de la dépense. De nombreux exemples, dans le domaine des comptes d'affectation spéciale notamment, en témoignent : ainsi, le fonds national pour le développement des adductions d'eau est, de longue date, alimenté par un prélèvement sur le pari mutuel sur les hippodromes et le fonds national pour le développement du sport, de même que le fonds national pour le développement de la vie associative est alimenté par un prélèvement sur les jeux de hasard ; le budget annexe des prestations sociales agricoles, quant à lui, bénéficie de l'affectation d'une fraction du produit de la TVA. Le Conseil constitutionnel, au demeurant, a eu l'occasion de valider des dispositifs prévoyant qu'une même recette serait pour partie affectée au budget général, c'est-à-dire non affectée, et pour partie affectée à un autre attributaire (décision no 94-351 DC du 29 décembre 1994).
Le Conseil constitutionnel ne pourra donc qu'écarter comme inopérante l'argumentation tirée de ce que la TGAP et, auparavant, les impositions qui ont été regroupées sous cette dénomination avaient, à l'origine, été créées dans un autre but.
- En second lieu, c'est également à tort que le recours des députés fait grief au législateur d'être demeuré en deçà de la compétence que lui assigne l'article 34 de la Constitution.
En effet, la compétence que le législateur tient de cet article pour fixer les règles concernant « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature » n'implique nullement que le régime applicable à une imposition soit entièrement contenu dans des dispositions législatives (cf. par exemple, en matière de taux, la décision no 87-239 DC du 30 décembre 1987). La Constitution n'interdit donc pas le renvoi à des dispositions réglementaires pour préciser les modalités d'application de la loi fiscale (no 80-126 DC du 30 décembre 1980). Elle permet, aussi, au législateur de se borner à poser le principe de l'application d'un régime fiscal spécifique dans des zones déterminées du territoire de la République et de laisser à un décret le soin de délimiter ces zones sur la base des critères énoncés par la loi (no 94-358 du 26 janvier 1995 ; no 98-403 DC du 29 juillet 1998).
Dans ces différentes hypothèses, le respect de l'article 34 de la Constitution est assuré dès lors que le renvoi au pouvoir réglementaire fait l'objet d'un encadrement suffisant.
Tel est bien le cas en l'espèce.
a) S'agissant du tarif applicable aux installation classées, on observera d'abord que le législateur s'est borné à reprendre les dispositions existantes de l'article 17 de la loi no 76-663 du 19 juillet 1976 modifiée relative aux installations classées pour la protection de l'environnement.
Ce texte a été modifié en dernier lieu par l'article 119 de la loi de finances pour 1990 (no 89-935 du 29 décembre 1989) qui a porté de 6 à 10 le coefficient multiplicateur de la redevance annuelle.
La délégation faite au pouvoir réglementaire est respectueuse des principes posés par l'article 34 de la Constitution : sur une échelle finie (1 à 10), le pouvoir réglementaire doit choisir le coefficient multiplicateur adéquat à appliquer au tarif de base, en rangeant les activités en fonction de deux critères objectifs définis par la loi avec une précision suffisante : la nature et le volume de l'activité.
En l'état actuel des textes, ce sont les décrets en Conseil d'Etat no 83-929 du 21 octobre 1983, no 93-1411 du 29 décembre 1993 et no 98-1043 du 18 novembre 1998, pris après avis du Conseil supérieur des installations classées, qui déterminent les coefficients applicables à chaque catégorie d'installation.
A cet égard, on soulignera que les principes qui encadreront l'exercice, par le Gouvernement, de la compétence qui lui est ainsi déléguée sont clairement énoncés par la loi, à travers les nouvelles dispositions que le A du I de l'article 7 ajoute à l'article 266 sexies du code général des impôts, et plus précisément au b du 8 du I de cet article, qui prescrit au décret en Conseil d'Etat de tenir compte des risques particuliers que l'activité de l'établissement imposé fait courir à l'environnement par sa nature ou par son volume.
La loi du 19 juillet 1976 contenait déjà une habilitation identique, qui est actuellement mise en oeuvre par le décret modifié du 21 octobre 1983. Conformément à la volonté du législateur de 1976, le décret a distingué, parmi les activités assujetties à cette imposition, plusieurs dizaines de rubriques correspondant à autant d'activités différentes par leur nature. Le cas échéant - c'est-à-dire dans la mesure où, pour chaque nature d'activité, le risque pour l'environnement dépend en outre de la capacité de l'établissement concerné - le tableau annexé au décret procède à la modulation que prescrit la loi en fonction de ce second critère.
Les choix faits à cet égard par le pouvoir réglementaire n'ont rien de discrétionnaire : ils sont directement conditionnés par la grille d'analyse résultant de la loi. En pareil cas, la jurisprudence considère que le renvoi à l'autorité administrative n'entache pas la loi d'incompétence négative (cf. par exemple, à propos des agréments fiscaux, la décision no 87-237 DC du 30 décembre 1987). Ainsi, la délégation consentie par le législateur de 1976 était parfaitement conforme à l'article 34 de la Constitution et celle, identique, à laquelle procèdent les dispositions contestées de l'article 7 l'est donc tout autant.
On ajoutera enfin qu'à partir du moment où cette formule était juridiquement possible, il était particulièrement opportun de la retenir, faute de quoi le législateur aurait dû consacrer de longs débats à se prononcer sur chacun des coefficients multiplicateurs permettant d'assigner, à chaque établissement, la taxe correspondant à l'objet de ce prélèvement en établissant des tableaux occupant de nombreuses pages du Journal officiel. C'est précisément pour éviter d'encombrer inutilement le Parlement avec de tels débats que la Constitution de 1958 a réparti le pouvoir normatif entre la loi et le règlement.
b) Quant aux règles de recouvrement de cette imposition, elles sont fixées sans ambiguïté par l'article 266 ter decies, introduit dans le code général des impôts par le F du I de l'article 7 de la loi déférée. A cet égard, on saisit mal en quoi serait contraire à la Constitution le fait que la part de la TGAP frappant les installations classées soit établie par des services compétents à l'égard de ce type d'activité, tout comme l'imposition qu'avait définie l'article 17 de la loi de 1976 et à laquelle la nouvelle taxe succède.
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