IX. - Sur le dispositif de régulation des soins de ville
A. - La maîtrise des dépenses des professions de santé exerçant en ville est actuellement assurée par des dispositifs différents suivant les professions, fondés sur la combinaison d'un objectif de dépenses collectif, qui pour les médecins porte à la fois sur les honoraires et les prescriptions, et de mécanismes de contrôle individuels (références médicales obligatoires, plafonds d'activité pour certains paramédicaux).
Les objectifs de dépenses sont négociés entre les parties conventionnelles dans le cadre d'une annexe annuelle à la convention qui détermine également les tarifs des actes. La CNAMTS négocie ces objectifs dans le cadre de l'objectif des dépenses de soins de ville qui est déterminé chaque année dans l'avenant annuel à la convention d'objectifs et de gestion entre l'Etat et la CNAMTS, en fonction de l'ONDAM voté par le Parlement.
Le degré de contrainte résultant des objectifs pour les professionnels est différent suivant les professions et cette situation ne garantit pas le respect global des objectifs de dépenses :
- pour les paramédicaux, le non-respect de l'objectif interdit en général la revalorisation des tarifs l'année suivante (mais cette règle est de niveau conventionnel et ne figure pas dans la loi). Le dispositif en place n'assure donc pas le respect des objectifs fixés ;
- pour les biologistes, le non-respect de l'objectif conduit au reversement par la profession du « trop-perçu », une économie par rapport à l'objectif se traduisant à l'inverse par une dette de l'assurance maladie à l'égard de la profession. La pratique a montré les limites du dispositif mis en place ;
- pour les médecins, la situation juridique actuelle n'est pas satisfaisante. Le dépassement de l'objectif devait entraîner dans le dispositif initial introduit en 1996 le reversement pur et simple par les médecins d'une partie du trop-perçu en cas de dépassement de l'objectif (comprenant honoraires et prescriptions). La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 avait instauré un double mécanisme de gestion infra-annuelle de l'objectif et de prélèvement d'une contribution conventionnelle en cas de dépassement. Les dispositions relatives à la contribution conventionnelle ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 décembre 1998.
- Tirant les conséquences de cette situation, l'article 24 de la loi de financement de la sécurité sociale 2000 met en place un nouveau dispositif de régulation des soins de ville, fondée sur une responsabilité accrue de l'assurance maladie et des professionnels de santé.
L'article étend tout d'abord à l'ensemble des professionnels, notamment aux paramédicaux, les dispositions ouvertes aux conventions médicales dans la loi de financement 1999 pour favoriser la coordination des soins et le développement des réseaux de soins.
La loi met en place une procédure de délégation à l'assurance maladie qui s'appuie sur la définition, au sein de l'objectif des dépenses de soins de ville, d'un objectif de dépenses déléguées regroupant l'ensemble des honoraires des professionnels de santé exerçant en ville.
Les parties conventionnelles disposeront d'une large palette d'actions sur les pratiques professionnelles. En l'absence d'accord ou de convention, les caisses nationales pourront arrêter les mesures qu'elles estiment nécessaires dans ces domaines, après consultation des syndicats représentatifs. En cas de carence des partenaires, l'Etat pourra exercer des prérogatives de substitution. Ceci sera effectué trois fois dans l'année : en début d'année pour la fixation des objectifs, puis à l'occasion de l'examen des quatre et huit premiers mois de dépenses.
Enfin, le XIII de l'article 24 insère dans le code de la sécurité sociale un article L. 162-15-4 qui prévoit qu'à défaut de convention ou d'annexe annuelle applicable aux médecins spécialistes, ou à défaut d'accord en cours d'année entre ces médecins et ces caisses pour déterminer les mesures de nature à garantir en cours d'année le respect de l'objectif de dépenses, la CNAM et au moins une autre caisse nationale d'assurance maladie peuvent conclure, avec au moins une organisation syndicale nationale de médecins d'une spécialité ou d'un groupe de spécialités adhérente d'une organisation syndicale représentative pour l'ensemble du territoire des médecins spécialistes, deux types d'accords :
- un protocole relatif aux éléments de l'annexe mentionnée au I de l'article L. 162-15-2 du code de la sécurité sociale par spécialité ou groupe de spécialités, qui portera sur les tarifs des honoraires et les références professionnelles opposables ;
- un protocole relatif aux mesures de nature à garantir, en cas d'évolution trop rapide des dépenses en cours d'année, le respect de l'objectif de dépenses déléguées comportant, le cas échéant, des ajustements de tarifs.
Il appartiendra ensuite aux caisses d'inclure ou non, en fonction de la nature des mesures, celles qui pourront entrer dans l'exercice de leur pouvoir de substitution.
Tel est le nouveau dispositif défini par la loi déférée.
- Pour contester ces mesures, les députés requérants font valoir qu'elles imposent une méthode unique de régulation, celle des « lettres clés flottantes », qui revient à instaurer un système de sanctions collectives pénalisant les praticiens les plus vertueux. Ce mécanisme méconnaîtrait l'égalité devant la loi, pour les mêmes raisons que celles que le Conseil constitutionnel a retenues pour censurer le mécanisme qu'instaurait la loi de financement pour 1999.
Par ailleurs, le dispositif instauré par l'article 24 méconnaîtrait les principes de proportionnalité et de personnalité des sanctions et des peines ainsi que la présomption d'innocence.
Enfin, les sénateurs, auteurs de la seconde saisine, contestent le mécanisme prévu par le XIII de l'article 24 en qualifiant les protocoles mentionnés par cette disposition d'« accords conventionnels de substitution ». Ils soutiennent qu'à la différence des accords conventionnels, ces protocoles ne sont soumis à aucune approbation ministérielle. Ils font en outre valoir que la conclusion de tels accords avec des organisations syndicales de médecins de certaines spécialités, qui ne sont pas reconnues représentatives, est contraire à la Constitution.
B. - Ces griefs reposent sur une interprétation erronée du dispositif contesté.
- En premier lieu, il ne repose nullement sur un système automatique de « lettre clé flottante ».
La loi a en effet prévu une large palette d'actions dont les tarifs ne sont qu'une composante. Les parties conventionnelles peuvent agir sur les pratiques professionnelles : information, évaluation, promotion de référentiels de bonne pratique. Des ajustements des cotations de la nomenclature sont également possibles, qui permettent des actions ciblées sur certains professionnels ou certaines catégories d'actes. Par ailleurs, la variation de la valeur des lettres clés est un outil dont l'utilisation peut être fine et ajustée en fonction des objectifs déterminés.
De plus, la loi ne prévoit aucun ajustement automatique des lettres clés en cas de dérapage et se borne à offrir cette faculté. Ce mécanisme d'ajustement n'a, de même, aucun caractère systématique, puisqu'il ne concerne pas nécessairement toutes les lettres clés, mais peut ne porter que sur certaines d'entre elles.
Dans le domaine des prescriptions, le rôle des parties aux conventions médicales est accru : des accords peuvent être conclus pour la mise en oeuvre d'actions thématiques spécifiques dont les fruits pourront être partagés avec les médecins, les professionnels pourront adhérer individuellement à des contrats de bonne pratique sur des engagements précis.
La possibilité d'ajuster la valeur des lettres clés s'insère donc dans un mécanisme d'ensemble dont l'objectif global est la régulation des dépenses. Il n'a donc en rien le caractère d'un mécanisme de sanctions collectives.
- En deuxième lieu, il est tout aussi inexact de prétendre que la CNAMTS aurait le pouvoir de décider seule de la valeur des lettres clés et des cotations.
L'intervention unilatérale de la CNAMTS n'a été prévue, en ultime recours, que lorsque les possibilités de négociation ont été épuisées. De plus, le pouvoir de la CNAMTS est un pouvoir de substitution strictement encadré et soumis à l'approbation des ministres. Il est par ailleurs cohérent avec la délégation à la CNAMTS, au sein de l'objectif soins de ville, d'un objectif de dépenses déléguées regroupant l'ensemble des honoraires des professionnels de santé exerçant en ville.
- En troisième lieu, l'utilisation de la lettre clé n'est pas davantage contraire au principe d'égalité devant la loi.
La loi aménage le dispositif existant. Il faut à cet égard noter qu'il est de la nature même d'un régime d'encadrement des tarifs comme celui des lettres clés de déterminer un prix moyen qui vaut pour tout médecin. Par construction, un tel mécanisme tarifaire s'applique de manière objective sans avoir à prendre en considération la personne ou l'activité.
Le comportement individuel des médecins n'intervient pas dans la détermination de la valeur de la lettre clé qui dépend de données macro-économiques liées notamment aux volumes des actes. Ceci vaut tant pour une hausse que pour une baisse des tarifs. L'évolution des tarifs étant liée au volume constaté des actes, elle s'applique à des personnes situées dans des conditions objectives au regard du conventionnement : il n'y a donc pas rupture de l'égalité devant la loi.
C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat, répondant à un grief analogue à propos du règlement conventionnel minimal du 11 août 1998, dans sa décision Fédération nationale des médecins radiologues et autres du 7 mai 1999, a reconnu que, eu égard à l'augmentation sensible du nombre d'actes de radiologie constaté, les ministres avaient pu, sans méconnaître le principe d'égalité, se borner à réduire la valeur monétaire de la lettre clé Z1.
Contrairement à ce que soutiennent les requérants, les conditions de la contribution mise à la charge des médecins par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 et de l'utilisation des lettres clés ne sont pas comparables. Il ne s'agit ici en aucune façon de reversement mais de déterminer un tarif qui garantit le respect des équilibres financiers de la sécurité sociale, dont on rappellera qu'il constitue une exigence constitutionnelle (décision no 97-393 DC du 18 décembre 1997).
La possibilité offerte aux parties conventionnelles de modifier la valeur des lettres clés se justifie ainsi par l'objet même de la loi qui est de maintenir l'évolution des dépenses dans un cadre cohérent avec la fixation de l'ONDAM et de l'objectif des soins de ville.
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Quant aux moyens tirés de la méconnaissance de divers principes régissant le droit répressif, ils sont inopérants dès lors que, comme il a été démontré plus haut, l'utilisation par les parties conventionnelles de la valeur des tarifs et des lettres clés ne peut en aucune manière être assimilée à une sanction.
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Enfin l'argumentation des sénateurs dirigée contre le XIII de l'article 24 ne peut davantage être accueillie. En effet, il convient de préciser tout d'abord que, contrairement à ce qui est soutenu, les protocoles institués par l'article L. 162-15-4 ne sont pas des « accords conventionnels », et ne sont pas destinés à s'y substituer. Il s'agit d'actes concertés conclus avec les médecins de certaines spécialités, lorsqu'aucun accord conventionnel n'a pu être conclu.
Ces protocoles n'ont pas vocation à remettre en cause les stipulations de la convention, lorsqu'elle existe, ni les mesures prises, à défaut de convention ou d'annexe, par la CNAM et au moins une autre caisse nationale, sur le fondement du dernier alinéa du I ou du quatrième alinéa du II de l'article L. 162-15-2 du code de la sécurité sociale : ces actes permettent seulement, dans le cadre défini par la convention ou les mesures unilatérales prises par la CNAM, de formaliser les résultats d'une concertation avec les spécialistes qui le souhaitent, portant sur l'ensemble des mécanismes de régulation les concernant. Le moyen tiré de ce que les protocoles devraient être approuvés par le ministre est donc sans portée dès lors que ces protocoles ne sont pas opposables.
Par ailleurs, et compte tenu de ce qui vient d'être dit quant à l'absence d'opposabilité de ces protocoles, le débat sur la représentativité des organisations syndicales qui les signeront est, en tout état de cause, sans incidence sur la constitutionnalité de la loi.
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