JORF n°0176 du 31 juillet 2013

Avis du

(Assemblée plénière du 27 juin 2013)

  1. En France, environ 273 000 mineurs sont pris en charge par les services de protection de l'enfance des conseils généraux et, parmi eux, environ 134 000 sont placés hors de leur milieu familial, en famille d'accueil ou en établissement, à la suite de décisions administratives ou judiciaires (1). Ces chiffres sont en augmentation depuis plusieurs années (2) et le nombre de mineurs placés en France est, en proportion, supérieur à celui de nombreux autres pays européens (3).

(1) Au 31 décembre 2010, derniers chiffres disponibles. Voir ONED, Huitième rapport annuel remis au Gouvernement et au Parlement, mai 2013. (2) Selon l'ONED, en 2003, il y avait 125 947 mineurs placés en 2003, soit 8,9 ‰ et 138 891 mineurs faisant l'objet d'une prise en charge en milieu ouvert, soit 9,8 ‰. En 2010, il y avait 133 671 mineurs placés, soit 9,3 ‰, et 146 727 mineurs faisant l'objet d'une prise en charge en milieu ouvert, soit 10,2 ‰. Voir ONED, Huitième rapport annuel remis au Gouvernement et au Parlement, mai 2013, p. 68. (3) D'après le rapport « Droits des enfants placés et en situation de risque », rédigé par Bragi Gudbrandson pour le Conseil de l'Europe en 2006, le pourcentage d'enfants placés varie de moins de 1 ‰ (Royaume-Uni, Norvège, Islande) à 5-7 ‰ (Danemark, Allemagne, France et Portugal). En Suède, en Finlande, en Irlande, en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie et en Espagne, les chiffres se situent entre 1,5 et 3 ‰. La France se situe donc dans le groupe des pays où le taux de placement est le plus élevé.

  1. En 2001 déjà, s'appuyant sur le droit de toute personne « au respect de sa vie privée et familiale » reconnu par la Convention européenne des droits de l'homme (article 8) et par divers textes internationaux dont la Convention internationale des droits de l'enfant (4), la CNCDH rappelait dans un avis, adopté le 6 juillet 2001, que « tout [devait] être fait pour permettre aux enfants d'être élevés par leurs parents, en raison de quoi les soutiens [devaient] être orientés d'abord vers l'ensemble de la famille ». Elle invitait les pouvoirs publics à donner priorité à la prévention, entendue comme un accompagnement des familles et rappelait l'exigence de respecter les droits des enfants et de leurs parents.

(4) Article 9 : « Les Etats parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. »

  1. La Commission constate que, depuis son précédent avis, un certain nombre de progrès ont été réalisés, notamment sur le plan législatif, ainsi :
    ― la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale prévoit un renforcement du droit des personnes prises en charge, la mise en place d'une recherche de qualité, un contrôle administratif renforcé et l'association des usagers au fonctionnement et à l'administration de l'établissement ou du service ;
    ― le décret n° 2002-361 du 15 mars 2002 qui autorise les parents à consulter les dossiers d'assistance éducative ;
    ― la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance prévoit un certain nombre de dispositifs en faveur de la prévention et vise à préserver, autant que possible, les liens familiaux. Elle énonce ainsi que la protection de l'enfance « a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives, d'accompagner les familles et d'assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs ». L'article L. 311-9 du code de l'action sociale et des familles (CASF) déclare que les services de l'aide sociale à l'enfance « doivent rechercher une solution évitant la séparation ou, si une telle solution ne peut être trouvée, établir un projet propre à permettre leur réunion dans les plus brefs délais et à suivre ce projet jusqu'à ce qu'il aboutisse ».
  2. Pour autant, six ans après l'adoption de la loi du 5 mars 2007, la CNCDH constate que les principaux objectifs visés par la réforme n'ont toujours pas été atteints. Ainsi, si la prévention était le maître mot de la loi, depuis 2005, moins de 20 % des financements de l'aide sociale à l'enfance sont consacrés à des programmes de prévention (5). Les moyens consentis à la diversification des réponses et des modes d'accompagnement (AEMO avec hébergement, accueil à la journée, accueil périodique ou modulable, etc.) ― qui constituait un point clé de la réforme ― restent relatifs et très inégalement répartis sur le territoire national (6). Le placement et l'action éducative en milieu ouvert (AEMO) restent les modalités de prise en charge privilégiées, comme en témoigne la grande stabilité des chiffres depuis plusieurs années (7). Alors que la loi rend obligatoire l'élaboration d'un projet pour l'enfant (PPE), dès lors que ce dernier fait l'objet d'une décision de protection, on constate une grande diversité dans la mise en œuvre de cette démarche et la plupart des acteurs s'accordent pour dire qu'il est rarement mis en place de manière systématique (8). On note par ailleurs que, à la fin de l'année 2012, seuls 54 départements avaient installé un observatoire départemental de la protection de l'enfance (ODPE) (9) : comment alors mieux repérer les situations d'enfants en danger si le phénomène n'est pas évalué ? On constate par ailleurs que si depuis décembre 2011 tous les départements français disposent d'un dispositif centralisé de recueil, d'évaluation et de traitement des informations préoccupantes (CRIP), la composition, le fonctionnement et les moyens qui leur sont alloués sont extrêmement divers d'un département à l'autre (10). Plus généralement, la CNCDH s'inquiète des fortes disparités qui existent dans la mise en œuvre des dispositifs prévus par la loi d'un département à l'autre.

(5) DRESS, dépenses d'aide sociale départementale en 2010, Séries statistiques, n° 169, juin 2012. Structure des dépenses de l'ASE en 2010 : ― actions éducatives à domicile et en milieu ouvert : 6 % ; ― allocations mensuelles (bourses, secours, autres aides financières) : 5 % ; ― mesures de prévention spécialisée : 4 % ; ― autres (subventions, actions en faveur de l'enfance) : 6 %. (6) CNAPE et UNIOPSS, Etat des lieux de la mise en œuvre de la réforme de la protection de l'enfance par les associations, octobre 2011. Direction générale de la cohésion sociale, Actes du séminaire du 5 mars 2012. La loi du 5 mars 2007 a-t-elle amélioré la qualité de la prise en charge des enfants confiés en protection de l'enfance ? Il convient de noter qu'en la matière l'environnement législatif, politique et économique de ces dernières années a freiné la diversification des modes de prise en charge. Les réformes successives dans le champ social, les réformes au sein des collectivités territoriales, la RGPP entraînent une perception d'écrasement, de limitation de l'initiative et amènent des messages contradictoires, voire négatifs, à l'encontre des acteurs de la prise en charge. (7) ONED op. cit. Au 31 décembre 2010, 49 200 enfants étaient placés en établissement, 68 700 en famille d'accueil, et 144 400 enfants bénéficiaient d'une AEMO. (8) CNAPE et UNIOPSS, op. cit. Défenseur des droits, « Enfants confiés, enfants placés : défendre et promouvoir leurs droits », novembre 2011. (9) ONED op. cit. (10) Voir ONED, septième rapport annuel remis au Gouvernement et au Parlement, mars 2012.

  1. Les auditions des différents acteurs de la protection de l'enfance ont mis en évidence des distorsions entre les textes et la pratique et le manque de mise en œuvre des recommandations des organes internationaux, notamment les directives des Nations unies du 30 octobre 2009 concernant les modes non traditionnels de prise en charge des enfants et la recommandation du 16 mars 2005 du Conseil de l'Europe relative aux droits des enfants vivant en institution. La CNCDH constate que plusieurs recommandations formulées en 2001 n'ont pas été retenues et restent pourtant d'actualité.
  2. Il convient de rappeler ici que l'aide sociale à l'enfance, décentralisée depuis 1986, se doit de concilier le droit de l'enfant au respect de sa vie privée et familiale (articles 7 et 9 de la CIDE, article 8 de la CEDH), et le droit à être protégé quand il est en danger, négligé ou victime de maltraitance, de violences sexuelles, ou confronté à des difficultés liées à des problèmes des parents (handicap, problèmes de santé ou psychiatriques) (article 19 de la CIDE). Le présent avis a pour objet de rappeler aux pouvoirs publics un certain nombre de principes à prendre en compte afin de trouver un équilibre entre ces deux droits.
  3. La CNCDH ne remet pas en cause le principe des placements d'enfants, ces derniers se révélant légitimes et nécessaires en cas de maltraitance. Toutefois, d'après le rapport Naves-Cathala de 2000 (11), confirmé par les propos de Pierre Naves, inspecteur général des affaires sociales en février 2012, 50 % des placements pourraient être évités. La CNCDH a donc souhaité étudier quelles autres formes de soutiens auraient pu être envisagés pour y pallier, dans le cadre des engagements internationaux de la France et de la loi interne.

(11) NAVES Pierre, CATHALA Bruno, DEPARIS Jean-Marie, « Accueils provisoires et placements d'enfants et d'adolescents : des décisions qui mettent à l'épreuve le système français de protection de l'enfance et de la famille », ministère de l'emploi et de la solidarité, juin 2000.

  1. La commission tient également à préciser que les éléments traités dans le présent avis ne constituent qu'une part limitée des problématiques relevant de la protection de l'enfance, dont le champ est extrêmement vaste. La commission a retenu les principaux éléments soulevés lors des auditions qu'elle a réalisées (voir liste en annexe), éléments qui lui semblent importants au regard des droits de l'homme.

A. ― Champ de la protection de l'enfance

  1. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a redéfini les objectifs et le champ de la protection de l'enfance en proposant une définition large qui va de la prévention des difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontées dans l'exercice de leurs responsabilités parentales jusqu'à la substitution familiale (article L.AA2-3 du code de l'action sociale et des familles [CASF]). La loi a également opéré un changement de vocabulaire juridique en introduisant la notion d'« enfance en danger ou en risque de l'être » et en supprimant la notion de maltraitance. Dès lors les situations qui peuvent conduire à l'intervention de l'aide sociale à l'enfance, et éventuellement déboucher sur un placement de l'enfant, sont extrêmement variées (situation sociale difficile de la famille, problèmes socio-économiques, situation médicale des parents qui entraîne une incapacité à s'occuper des enfants, famille qui rencontre des difficultés éducatives face à des enfants ayant des comportements difficiles ou déroutants, situation de maltraitance, violences sexuelles, etc.). La notion d'« information préoccupante » a été créée, sans avoir été définie précisément. La différence avec le « signalement » n'est pas claire. Dans ce cadre imprécis, il semble de plus en plus difficile pour les professionnels d'évaluer une situation. Les travailleurs sociaux éprouvent des difficultés à effectuer leur travail d'aide et d'accompagnement auprès des enfants et des familles. Le champ d'intervention de la protection de l'enfance est aujourd'hui tellement large que la masse des évaluations à produire nuit à l'évaluation rapide et complète des situations. La loi n'a pas défini les notions clés qui doivent fonder la protection de l'enfance, en particulier celles du danger ou de l'intérêt de l'enfant. Cette absence de définition place les travailleurs sociaux et les acteurs de la protection de l'enfance dans des situations très complexes. Cette absence, conjuguée au manque de critères d'évaluation et d'indicateurs de séparation, conduit trop souvent au non-respect de l'intérêt supérieur de l'enfant, et ce de deux manières contradictoires :
    ― les informations préoccupantes adressées aux conseils généraux peuvent concerner tant des suspicions de maltraitance que des situations relatives à des difficultés socio-éducatives, leur traitement est de ce fait rendu difficile. Les situations de maltraitance sont plus difficilement identifiées et leur traitement intervient souvent trop tard, lorsque la situation s'est détériorée et que l'enfant est gravement en danger ;
    ― à l'inverse, pour des situations de négligence ou de carences de la part des parents, qui constituent la majorité des situations connues dans le champs de la protection de l'enfance (12), le recours au placement, hors de la cellule familiale, va être décidé sans que soit recherchées d'autres solutions sur le long terme. Ainsi, selon Pierre Naves, inspecteur général des affaires sociales, en février 2012, 50 % des placements d'enfant auraient pu être évités.
    Afin de prévenir ces situations, la CNDH rappelle qu'il revient au législateur de définir clairement les objectifs et les moyens de la politique publique de protection de l'enfance et d'en préciser les missions, ce qui pourrait être élaboré par une conférence de consensus sur la protection de l'enfance, cherchant à comprendre ce qui a conduit à des dysfonctionnements et ainsi en éviter la reproduction.
    La CNCDH recommande pour tous les professionnels de l'enfance et de la famille (justice, éducation nationale, santé, social...) des formations communes afin de développer une culture du travail interdisciplinaire permettant d'avoir une vision la plus complète possible et de parer aux risques de conflits d'approches disciplinaires concurrentielles.

(12) Voir note précédente.

  1. Par ailleurs, bien que les études chiffrées fassent défaut, de nombreux professionnels évoquent l'existence d'un lien entre pauvreté des familles et placement de leurs enfants. S'il faut se garder de toute généralisation hâtive qui assimilerait pauvreté et placement ― la précarité seule ne motive jamais la décision de placement ― on constate que la précarité des familles a une influence sur le placement (13). En effet, la précarisation des familles liée à des instabilités professionnelles et/ou de logement et une fragilité du réseau relationnel et de solidarité ont des conséquences lourdes sur la qualité des relations parents-enfants. Les préoccupations liées à la pauvreté conduisent certains parents à ne plus pouvoir assumer correctement leurs responsabilités parentales. La pauvreté entraîne le cumul d'échecs : exclusion sociale, difficultés de logement, de se vêtir ou de se nourrir, difficultés d'accès aux soins. Enfin, le caractère extrême de ces situations peut parfois pousser les adultes à des comportements addictifs ou violents. Certains professionnels s'inquiètent de la mise en place d'une approche qui serait stigmatisante pour les publics cibles et qui conduirait à développer une surveillance accrue des personnes en situation de précarité. La CNCDH attire l'attention sur le fait que les actions de protection de l'enfance sont vouées à l'échec si elles ne sont pas accompagnées de mesure de lutte contre la pauvreté, conformément à l'article 27 de la CIDE.

(13) Lettre de l'ODAS, novembre 2007, présentation des résultats de l'enquête 2007 sur les facteurs de danger pour l'enfant : 15 % des enfants signalés l'auraient été pour « chômage, précarité, difficultés financières » des parents. « En revanche, il est observé cette année une augmentation du facteur de la précarité économique, puisque le nombre d'enfants concernés passe de 12 600 à 16 100 entre 2005 et 2006 représentant 16 % du total des signalements. Un constat qui corrobore la nécessité de repenser les mécanismes de lutte contre la pauvreté, au moment où un emploi créé sur deux est un emploi à temps partiel ou précaire et alors que subsistent de nombreux freins à la reprise d'une activité professionnelle (modes de garde...). »

B. ― L'obligation positive d'accompagnement :
de la prévention à l'intervention éducative

  1. La CNCDH insiste sur la priorité qui doit être donnée à la prévention entendue comme une proposition d'accompagnement et non comme le renforcement d'un contrôle (14). La prévention doit être développée dans le sens d'une recherche de la promotion des familles par l'effectivité de leurs droits fondamentaux et par la mise en œuvre d'actions qui allient soutiens individuels et soutiens collectifs, dispensés par des équipes pluridisciplinaires. Ces soutiens à la famille doivent être apportés même lorsqu'un placement est intervenu, pour permettre aux parents de retrouver le plus rapidement possible les bonnes conditions d'un retour de leur(s) enfant(s) au sein de la famille.
    La CNCDH estime qu'il faut soutenir et imaginer des programmes globaux orientés vers la famille. Si des dispositifs existent sur le territoire national, ils sont très loin d'être généralisés. La commission recommande la mise en œuvre auprès des familles en difficulté des plans d'action intégrant de manière coordonnée l'ensemble des dispositifs de soutien (traitement du mal-logement, soutien à la parentalité, accompagnement en économie sociale et familiale, emploi, etc.)

(14) A ce sujet, voir notamment les arrêts de la CEDH : ― arrêt RMS c/Espagne du 18 juin 2013 ; ― arrêt Amanala Chioai c/Roumanie du 26 mai 2009.

  1. Dans la loi du 5 mars 2007, la prévention se traduisait par la mise en place d'une approche des situations difficiles en amont du danger par des professionnels qualifiés et expérimentés, l'enjeu étant d'intervenir le plus précocement possible en s'appuyant sur tous les acteurs. Malgré la volonté affichée d'améliorer les conditions de soutien et de collaboration avec les familles, prévues par la loi (approches collectives, soutiens à la parentalité, mais aussi de manière plus globale aides financières et aides à domicile), la réalité est autre. La logique préventive devrait conduire à conclure un accord préparé en concertation entre parents et professionnels et que chacune des parties s'engage à respecter.
  2. La CNCDH a constaté que dans la pratique il existe peu d'échanges autour du projet personnalisé pour l'enfant (PPE) (art. L. 223-1 du CASF), les familles n'étant que rarement associées à l'élaboration de ce projet. Beaucoup de familles ont le sentiment qu'elles n'ont pas le choix et que ce qui leur est présenté comme des mesures de prévention sont des mesures imposées, voire un renforcement du contrôle, plus qu'un véritable accompagnement.
    La CNCDH rappelle qu'un projet pour l'enfant (PPE) doit systématiquement être élaboré, et ce dès le début de la mise en œuvre de la mesure d'assistance éducative. Ce projet qui a pour but de construire et de rassembler les objectifs et les modalités des différentes interventions socio-éducatives au regard des besoins de l'enfant et de sa famille doit être élaboré avec les parents et ne doit pas être un document qui s'impose à eux.
  3. Afin d'aider de manière adéquate et effective une famille se trouvant en difficulté, les travailleurs sociaux ont besoin de temps pour rencontrer chacun des membres de la famille et essayer de comprendre le fonctionnement du milieu familial, ses manques et ses ressources. L'institution d'une relation de confiance entre le professionnel et la famille est essentielle pour construire un véritable projet avec la famille et qui ne peut se réaliser que dans la durée. Or dans la pratique, les professionnels, en nombre insuffisant, manquent du temps nécessaire pour soutenir de manière adéquate et effective une famille se trouvant en difficulté.
    La CNCDH recommande que les formations initiales et continues des professionnels de la protection de l'enfance intègrent des modules de sensibilisation au travail avec les publics en difficulté, permettant à la fois d'apprendre à s'appuyer sur les projets et compétences des familles et à travailler sur les préjugés et les peurs de part et d'autre (15). Ce travail devrait permettre de limiter les risques de malentendu entre les professionnels et les familles et favoriser la participation et l'implication des familles.

(15) A ce sujet, voir : ― les travaux de Laurent Sochard sur la place des parents en protection de l'enfance ; ― les expériences de coformation entre professionnels et usagers (partenariat ATD Quart Monde ― CNFPT).

  1. Les prises en charge des familles en difficulté sont souvent fractionnées (CCAS, PMI, ASE, PJJ, juge des enfants, juge aux affaires familiales, etc.), trop espacées, tardives, et donc perdent en efficacité, avec le risque d'aboutir à l'aggravation des situations et la mise en danger des enfants, entraînant un placement qui aurait pu être évité par une réelle action de prévention.
    La CNCDH recommande de formaliser les procédures d'évaluation de la situation et du fonctionnement de la famille, en veillant à favoriser aussi souvent que possible l'approche collégiale et pluridisciplinaire, en concertation avec les parents. Le schéma départemental d'organisation sociale et médico-sociale constitue l'instrument de cette formalisation.

C. ― Respect des droits de l'enfant et respect des droits des parents
dans les procédures judiciaires d'assistance éducative

Le droit à un procès équitable
16. La Cour européenne des droits de l'homme considère que les Etats, en cas d'ingérence nécessaire dans le droit au respect de la vie familiale, n'assurent un respect suffisant de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme que si les parents ont pu participer de « manière adéquate » au processus décisionnel. Sur le fondement de l'article 8, la Cour fait peser sur l'Etat l'obligation positive procédurale de mettre à la disposition du parent, même s'il n'en fait pas la demande, toutes les informations invoquées par les autorités pour justifier la mesure de protection (16).

(16) Pour la Cour, il convient de « déterminer en fonction des circonstances de chaque espèce, et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requisse de leurs intérêts ; dans la négative il y a manquement au respect de la vie familiale et l'ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour nécessaire au sens de l'article 8 », voir arrêt W c/Royaume-Uni du 8 juillet 1987 et arrêt TP et KM c/Royaume-Uni du 10 mai 2001.

  1. Lors des auditions qu'elle a réalisées, la CNCDH a pu noter la faible effectivité du principe du contradictoire dans les procédures d'assistance éducative. Elle a notamment pu constater que peu de parents et très peu d'enfants bénéficiaient de l'assistance d'un avocat dans les procédures civiles.
  2. Les services d'aide sociale à l'enfance et les juges des enfants constatent que très peu de familles consultent leur dossier au greffe du tribunal, non par manque d'intérêt, mais à cause des conditions d'accès lourdes et inadaptées : horaires de consultation contraignants, manque d'accompagnement pour la compréhension des documents juridiques et le plus souvent parce que les rapports des services sociaux arrivent la veille ou le jour même de l'audience devant le juge. La possibilité d'accès aux documents est donc souvent un leurre qui met à mal le principe du contradictoire garant d'un procès équitable.
  3. Par ailleurs, l'article 1189 du code de procédure civile dispose que le juge des enfants peut entendre « toute personne dont l'audition lui paraît utile ». Or la Commission a pu noter que des tiers tels que les assistants familiaux n'étaient que très rarement entendus lors des procédures, alors que ce sont eux, bien plus que le référent de l'ASE, qui connaissent les enfants.
    En application des textes internationaux, la CNCDH recommande donc, en matière d'assistance éducative :
    ― la modification du code civil et du code de l'action sociale et des familles afin que l'enfant et ses parents puissent bénéficier de l'assistance d'un avocat dont la présence serait obligatoire à l'audience, pour le soutien et la défense de leurs intérêts. Cet avocat pourrait également participer aux réunions de synthèse des services de l'ASE, notamment quand le juge leur délègue les modalités de mise en œuvre de ses décisions.
    ― que les familles aient la possibilité de se faire accompagner dans l'accès et la lecture de leur dossier : outre les avocats, cet accompagnement pourra être effectué par des associations ou organismes habilités ;
    ― que les avocats sollicités dans le cadre des procédures d'assistance éducative bénéficient d'une formation en droit de la famille et en droit des mineurs et soient sensibilisés aux problématiques spécifiques touchant les personnes en situation de précarité (puisqu'elles sont majoritaires dans ces procédures) ;
    ― que le greffe transmette systématiquement les rapports (d'expertise, sociaux, psychologiques...) à l'avocat (des parents et/ou de l'enfant), et ce en temps utile pour assurer l'effectivité du principe du contradictoire à l'audience ;
    ― que soit expérimenté, sur le modèle belge (17), la transmission aux intéressés des rapports les concernant, auxquels ils sont invités à apporter leur contribution ;
    ― que le magistrat, avant de prendre sa décision, puisse entendre, outre le représentant des services éducatifs, l'assistant familial qui s'occupe de l'enfant ou tout tiers connaissant bien la famille et l'enfant.

(17) Pour l'exemple belge, se reporter à www.mouvement-lst.org/2012-6_video_vos_ecrits_nous_regardent.html.

  1. La Cour européenne des droits de l'homme et le droit interne précisent que les décisions de placement constituent une ingérence grave dans le droit au respect de la vie privée et familiale. Mais la CNCDH a constaté que les jugements de placement en première instance étaient assortis, quasi systématiquement et sans être motivés, de l'exécution provisoire, et ce de façon non conforme à la loi (art. 514 à 526 du code de procédure civile). Or, lorsque l'enfant a fait l'objet d'une décision de placement éxécutée, il paraît bien plus difficile, pour le magistrat d'appel, de revenir sur cette décision (18). Il convient de rappeler que les exécutions provisoires lorsqu'elles ne sont pas de plein droit ne doivent pas être systématiques. Elles s'appliquent aux cas pour lesquels la situation de danger est telle qu'il n'est pas possible d'attendre que la Cour statue pour préserver la protection de l'enfant.
    La CNCDH rappelle que l'exécution provisoire lorsqu'elle n'est pas de plein droit doit faire l'objet d'un véritable débat à l'audience et doit être motivée si elle est prononcée.

(18) Audition de Me Pierre Verdier, qui affirme que 95 % des arrêts en cour d'appel confirment la décision initiale.

D. ― Les mesures d'assistance éducative

Diversification des modes de prise en charge et alternatives au placement
21. La loi du 5 mars 2007 a prévu de « diversifier les modes d'intervention auprès des enfants et de leur famille pour mieux répondre à leur besoin en matière de suivi éducatif, de conditions d'accueil et de prise en charge ». Mais, selon un enquête menée par l'ONED (19), il apparaît que très peu de départements ont mis en place les dispositifs alternatifs crées par la loi : AEMO avec hébergement, accueil de jour, placement au domicile, accueil séquentiel... Le retrait de l'enfant de sa famille doit être considéré comme une mesure de dernier recours. Or, on constate que le placement en foyer ou en famille d'accueil est souvent privilégié en première intention, sans même avoir préalablement envisagé des solutions avec l'environnement proche connu de l'enfant (grands-parents, tiers digne de confiance...), qui sont moins stigmatisantes et traumatisantes.
La CNCDH recommande que les modes de prise en charge soient adaptés aux situations particulières des enfants et des familles et que les conseils généraux mettent en œuvre sur leurs territoires des solutions alternatives et diversifiées.

(19) ONED, « Sixième rapport annuel remis au Gouvernement et au Parlement », juin 2011.

Le maintien des liens avec la famille
22. Comme l'a rappelé la CEDH à de multiples reprises, le but d'un placement est « d'unir à nouveau le parent et l'enfant » (20). Dès lors, sauf dans des cas très précis, la durée du placement doit être la plus courte possible et tout doit être mis en œuvre pour maintenir les liens familiaux et faciliter le retour de l'enfant au sein de sa famille (21).

(20) A ce titre, voir notamment la jurisprudence de la CEDH : arrêt Olsson c/Suède, 24 mars 1988. (21) A ce titre, voir notamment la jurisprudence de la CEDH : arrêt Ignaccolo-Zenide c/ Roumanie, 25 janvier 2000.

  1. Pourtant, plusieurs études ou témoignages tendent à montrer que toutes les conditions ne sont pas mises en œuvre pour maintenir ou rétablir les liens parents-enfants et que sont souvent invoquées des raisons d'ordre organisationnel compromettant le retour dans le foyer d'origine :
    ― les droits de visite et d'hébergement ne sont pas toujours respectés et facilités par les services de l'ASE ;
    ― l'absence d'information des parents en cas d'absence ou de fugue de leur enfant ;
    ― des horaires de visite non adaptés aux horaires de travail des parents et aux activités des enfants ;
    ― le recours aux visites médiatisées est de plus en plus fréquent, sans que le recours à la médiatisation soir motivé et alors que pour certains parents la présence d'un tiers trouble le dialogue avec leur enfant ;
    ― des lieux de placement éloignés du domicile des parents, bouleversant la vie scolaire, sociale, culturelle des enfants et limitant les possibilités d'exercice du droit de visite pour les parents ;
    ― le placement d'enfants d'une même fratrie dans des lieux différents et éloignés ;
    ― l'insuffisance des lieux d'accueil permettant aux parents d'exercer, dans de bonnes conditions, leur droit d'hébergement de fin de semaine ou pendant les vacances.
  2. Il convient aussi de rappeler qu'en cas de placement les parents conservent généralement les attributs de l'autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec la mesure : autorisation de soins, orientation scolaire, sorties du territoire, etc. Or on constate que c'est l'institution qui en prend le plus souvent la charge et exclut les parents des actes usuels concernant leur enfant, contrairement à ce que prévoit la loi. Les services sociaux invoquent le manque de temps ou de disponibilité pour impliquer les parents. Mais le fait que les parents soient exclus des décisions concernant leur enfant pose problème en termes de respect des droits des parents et surtout constitue un affaiblissement de leur rôle auprès de leur enfant, qui contribue à distendre plus encore les liens familiaux. Force est de constater que les fratries sont encore souvent séparées, non dans l'intérêt des enfants, mais du fait de contraintes matérielles et de service. Le maintien des liens entre les enfants séparés est souvent difficile.
    La CNCDH demande que, conformément à l'article 375-7 du code civil, le juge fixe la nature et la fréquence des droits de visite et d'hébergement et ne laisse ce soin aux services qu'après s'être assuré de l'accord des parents. Il doit aussi être garant du respect par les services sociaux des droits et responsabilités des parents et du droit pour les enfants à la non-séparation des frères et sœurs (art. 371 du code civil).
    Enfin, en application de l'article L. 311-5 du code de l'action sociale et des familles, la CNCDH rappelle que la famille doit pouvoir recourir à l'assistance d'un médiateur en cas de conflit avec les services d'aide sociale à l'enfance et qu'elle doit être informée de cette possibilité.
  3. La Commission constate par ailleurs que les décisions de maintien ou de levée de la mesure sont parfois examinées tardivement, repoussant ou compromettant le retour de l'enfant dans sa famille. De surcroît, des décisions de placement sont prolongées alors que les mesures d'assistance appropriée à la famille n'ont pas ou ont été incomplètement mises en œuvre, souvent en raison du trop grand nombre de dossiers gérés par chaque travailleur social.
  4. La Commission s'inquiète également d'une proposition de loi actuellement débattue visant à supprimer les allocations familiales aux parents dont les enfants sont placés en famille d'accueil ou en institution. Or, confisquer les allocations, c'est fragiliser la famille : compromettre parfois le paiement du loyer, le paiement des transports pour exercer le droit de visite, la possibilité de nourrir les enfants quand ils les reçoivent le week-end, le maintien des liens familiaux par l'achat du cartable à la rentrée, ou un cadeau à Noël ou aux anniversaires, etc. Par ailleurs, le transfert automatique des allocations familiales au conseil général serait une erreur sur le plan économique : la charge financière pour les départements sera d'autant plus lourde si la séparation de l'enfant de sa famille se prolonge (22).
    La CNCDH recommande, sauf décision motivée du juge des enfants, le maintien des diverses allocations liées aux enfants, afin de limiter la durée des placements et de garantir la préservation des liens pour la famille.

(22) Pour exemple : la confiscation des allocations d'une famille de deux enfants ne rapporterait que 1 524 euros au Conseil général alors que le « placement » d'un enfant lui coûte 34 000 euros par an.

Les conditions d'accueil et de suivi des enfants placés
Lors d'auditions, la CNCDH a constaté de fréquentes carences dans le suivi des enfants placés en famille d'accueil. Il ressort qu'en matière éducative, très souvent, l'éducateur référent rencontre peu le jeune ; certains ne voient leur éducateur qu'à l'occasion d'une audience. De plus, la plupart des jeunes ont besoin d'un suivi psychologique, or les centres médico-psychologiques (CMP) sont surchargés, les délais pour un premier rendez-vous peuvent aller de trois à six mois d'attente. Les familles d'accueil sont amenées alors à gérer seules des enfants au lourd passé et en grande difficulté sociale, psychologique et parfois même psychiatrique.
La CNCDH considère qu'une prise en charge efficiente de l'enfant est indispensable. C'est en effet la qualité de l'accueil, tant en institution qu'en famille d'accueil, qui permettra, notamment, un maintien des liens entre l'enfant et ses parents et la préparation au retour en famille. Si un tel retour n'est pas possible, en particulier dans des situations de maltraitance, la prise en charge doit être, dans la mesure du possible, sans faille afin de donner à l'enfant un nouveau cadre de vie, une nouvelle chance et des repères.
La CNCDH recommande que :
― les travailleurs sociaux et les assistants familiaux travaillent conjointement pour garantir une prise en charge et un suivi éducatif rapproché et effectif ;
― les bilans annuels soient systématisés, comme le prévoit la loi, en réunissant l'enfant, l'éducateur référent, le psychologue, les parents, l'assistant familial, le chef de service et un référent de l'école selon les situations ;
― des moyens (formations, recrutements) soient déployés pour permettre un suivi psychologique et psychiatrique et ainsi répondre dans les meilleurs délais aux besoins des enfants et adolescents.
Le droit de l'enfant à la stabilité affective
27. La CNCDH attire l'attention sur la pratique néfaste qui consiste à changer un enfant de famille d'accueil dès qu'un attachement trop fort se manifeste. Or cet attachement est nécessaire au développement et à l'épanouissement de l'enfant et doit pouvoir être vécu sans concurrence avec la famille d'origine à laquelle l'enfant est également attaché. Pour ce faire, l'enfant devra être élevé dans la compréhension claire de la place de chacun.
La CNCDH recommande :
― que la décision d'un changement de lieu de vie ne soit pas imposée à l'enfant sans être motivée ni préparée et que seul le juge puisse en décider ;
― que soit plus clairement défini le statut de l'assistant familial (fin de la précarisation, droit à la formation continue, accompagnement et suivi de la part de l'ASE...).
La prise en charge des jeunes majeurs
28. La CNCDH a également pu constater que la préparation de la sortie de placement est un point faible de la protection de l'enfance pour les jeunes atteignant leur majorité. Par manque de financement, de nombreux jeunes majeurs quittent l'ASE sans accompagnement, dès l'âge de 18 ans, avec tous les risques que cela entraîne (errance, prostitution, délinquance, addictions...). L'entrée dans la majorité ne devrait pas signifier la fin systématique, le jour des 18 ans, de la prise en charge.
A cet effet, la CNCDH recommande d'anticiper la majorité par un accompagnement spécifique, de renforcer les dispositifs de soutien aux jeunes majeurs, possibles jusqu'à l'âge de 21 ans, et de les systématiser tant que le jeune n'est pas autonome.
(Avis adopté à l'unanimité.)

Rapport du groupe de travail « familles vulnérables, enfance et réussite éducative », Pour une politique de l'enfance au service de l'égalité de tous les enfants, conférence nationale de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, décembre 2012.