Par la présente saisine, 60 députés défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la chasse adoptée par l'Assemblée nationale le 28 juin 2000. Ils articulent leur recours en inconstitutionnalité autour de quatre moyens.
- Ils dénoncent, d'abord, des violations des règles de valeur constitutionnelle relatives à la procédure parlementaire.
1° Premièrement, relevant que l'article 3 de la loi visée résulte de l'adoption, lors de la nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, d'un amendement de rédaction globale du Gouvernement nonobstant l'adoption préalable, dans les mêmes termes, du texte par les deux Assemblées, ils dénoncent cette démarche comme contraire aux dispositions combinées des articles 39, 42, 44 et 45 de la Constitution. S'appuyant sur plusieurs décisions du Conseil Constitutionnel, ils soulignent que l'adoption d'amendements portant sur des dispositions déjà votées dans des termes identiques par les deux assemblées n'est conforme à la Constitution que lorsque les amendements n'ont pour objet que " d'affecter " ces dispositions. En l'espèce, le texte étant modifié dans ses caractères essentiels et non simplement affectés, il leur semble que la modification apportée au texte en cours de discussion excède manifestement les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement. Ainsi, cette violation du règlement, qui relève d'un détournement de procédure dans sa lettre comme dans son esprit, porte atteinte au cadre constitutionnel du bicamérisme législatif défini à la fois par l'article 34, alinéa premier, de la Constitution, qui dispose que c'est le Parlement, et non l'Assemblée nationale seule qui vote la loi, ainsi que par son article 45, qui précise les conditions dans lesquelles un texte de loi peut être adopté après l'échec d'une commission mixte paritaire.
2° En second lieu, les députés pensent avoir relevé des atteintes aux règles constitutionnelles régissant la procédure parlementaire en matière financière. Le paragraphe XIII de l'article 17 de la loi dispose que le montant et les conditions de recouvrement des redevances cynégétiques sont fixés annuellement par la loi de finances. Cette disposition constitue une injonction dont ils estiment qu'elle méconnaît le droit d'initiative réservé au Gouvernement, en matière de lois de finances, par les dispositions des articles 39, 40 et 47 de la Constitution. Les taxes de plan de chasse (dont le régime est défini par l'article L. 225-4 du code rural modifié par l'article 31 de la loi) doivent être regardées soit comme des impositions de toute nature, pour lesquelles l'article 34 de la Constitution impose la compétence exclusive du législateur pour fixer les règles concernant leur assiette, leurs taux, leurs modalités de recouvrement, soit comme des cotisations relevant, pour leur fixation, des assemblées générales des fédérations et non du pouvoir réglementaire. Dès lors, en renvoyant à un arrêté la fixation des taux d'une imposition de toute nature, le législateur méconnaîtrait la compétence qui est la sienne en vertu de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) de 1789 et de l'article 34 de la Constitution.
3° En troisième lieu, les députés dénoncent des cas d'incompétence négative du législateur. Sur deux points, la loi relative à la chasse méconnaîtrait le domaine constitutionnellement réservé au législateur par l'article 34 de la Constitution. Tout d'abord, les requérants estiment que l'imprécision des dispositions de l'article L. 224-13 du code rural créé par l'article 23 de la loi, combinée avec l'habilitation très large donnée au Gouvernement par l'article L. 224-14 du même code (créé par le même article) ne correspond pas à la compétence réservée au législateur par l'article 34 de la Constitution. De même, l'imprécision des dispositions de l'article L. 225-5 du code rural dans sa rédaction issue de l'article 32 de la loi conduit à donner au Gouvernement une habilitation jugée excessive. Le Gouvernement pourrait en effet, par la fixation d'un prélèvement maximal, remettre en cause l'exercice du droit de chasse qui est l'une des composantes du droit de propriété.
- Le second moyen, le plus central à l'argumentation avancée, s'intéresse aux atteintes au droit de propriété et à la liberté individuelle. Au fondement se trouvent les articles 2 et 17 de la DDHC de 1789, dont la portée a été affirmée avec force par le Conseil Constitutionnel -- notamment dans sa décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 au sujet des nationalisations. Arguant de cette pleine valeur constitutionnelle, les requérants opposent à la loi les griefs suivants.
1° D'abord, les contours juridiques incertains des " usages non appropriatifs de la nature " (dernière phrase du quatrième alinéa de l'article 2). Elle dispose en effet que : " la chasse s'exerce dans des conditions compatibles avec les usages non appropriatifs de la nature, dans le respect du droit de propriété ". Or, la notion des usages non appropriatifs de la nature serait autant imprécise que contradictoire en elle-même. D'une part, les implications juridiques d'un tel dispositif seraient plus qu'incertaines, d'autre part, la notion constituerait une atteinte indéniable au droit de propriété. En effet, les députés estiment, sur le plan de la théorie de la propriété, qu'il n'existe pas d'autres usages de la nature que des usages appropriatifs. Il n'y aurait donc pas d'espaces naturels qui n'appartiennent à personne puisqu'ils relèvent soit du domaine privé, soit du domaine public. En conséquence, la notion même d'usages non appropriatifs de la nature porterait une atteinte au droit de propriété, qu'aucune nécessité publique ne justifie et qu'aucune indemnisation juste et préalable, quoiqu' exigée par l'article 17 de la DDHC, n'accompagne.
2° De plus, l'extension de l'exercice du droit de non-chasse à l'ensemble du territoire national (article 14) serait tout autant aussi avec le respect du droit de propriété et de la liberté individuelle, la limitant de manière abusive. La généralisation automatique du droit de non-chasse à l'ensemble du territoire national comporte, selon les requérants, une atteinte indirecte au droit de propriété, puisqu'elle pénalise injustement les propriétaires qui souhaitent ne pas accorder le droit de chasse sur une partie des parcelles dont ils sont propriétaires, mais l'ouvrir dans un autre secteur qui leur appartient. De plus, le droit d'objection de conscience cynégétique, qui est une déclinaison de la liberté individuelle, ou toute autre motivation dans l'exercice du droit de non-chasse, ne saurait relever que de la seule libre appréciation de celui qui en fait usage.
3° Corrélativement, les requérants voient dans l'instauration d'un jour de non-chasse (denier alinéa de l'article 24) une nouvelle atteinte au droit de propriété. Pour eux, l'institution d'un jour de non-chasse, fixé a priori du mercredi 6 heures au jeudi 6 heures, revient à priver le propriétaire de son droit de faire un libre usage de ses biens. Par ailleurs, en cas de location de terre pour exercer le droit de chasse, soit le propriétaire verra la valeur du loyer qu'il pouvait espérer retirer de son bien réduite d'une journée, soit le locataire sera privé de la libre jouissance des baux contractés pendant une journée. Or, aucune nécessité publique évidente, notamment en matière de sécurité publique, ne vient justifier une telle mesure de caractère aussi général. Là aussi, aucun mécanisme assurant une juste et préalable indemnité aux propriétaires qui se voient privés de la jouissance de leurs biens et dépossédés de leurs droits une journée par semaine n'ayant été prévue, la disposition leur paraît inconstitutionnelle.
4° Finalement, la participation des propriétaires de postes fixes à l'entretien des plans d'eau (5ème alinéa de l'article 28) leur semble juridiquement contestable. En effet, dans l'hypothèse où le propriétaire d'un tel poste fixe ne serait pas également propriétaire des plans d'eau situés à proximité de son installation, ce qui est loin d'être une hypothèse d'école, le respect de cette obligation le contraindrait à porter atteinte au droit de propriété d'autrui, en l'obligeant à pénétrer sur des terres sur lesquelles il ne dispose d'aucun droit.
- Prenant maintenant en considération la nature des fédérations de chasseurs, reconnues tout autant par le Conseil d'Etat, la Cour de Cassation que le Conseil Constitutionnel comme des établissements privés chargés d'une mission de service public, donc des association régies par la loi du 1er juillet 1901, les députés dénoncent différentes atteintes à la liberté d'association, principe fondamental reconnu par les lois de la République ayant valeur constitutionnelle.
1° en premier lieu, ils dénoncent le statut et les modalités de fonctionnement des fédérations comme contraires aux principes constitutionnels. En effet, le premier alinéa de l'article L. 221- 4 du code rural, que modifient les articles 5 et 7 de la loi, dispose que " les statuts des fédérations des chasseurs doivent être conformes à un modèle adopté par le ministre chargé de la chasse ". Or cette disposition semble contraire au principe constitutionnel de liberté d'association. En outre, ce même principe exige que la délégation de vote demeure libre en son sein. Tout membre d'une association doit être susceptible de recevoir une délégation de vote, qui ne saurait être réservée exclusivement au seul président de l'association. Or, la rédaction retenue par l'article 5 de la loi apparaît sur ce point ambiguë.
2° En second lieu, les contrôles administratifs et financiers semblent excessifs aux requérants. La rédaction de certains articles du code rural issue des articles 7 et 12 se révèleraient contraires à la Constitution dans la mesure où elles imposent à des associations des contrôles administratifs et financiers mettant en cause leur liberté de fonctionnement. Notamment, le contrôle a priori du préfet sur les fédérations départementales et sur les fédérations régionales (IV de l'article 7 et dernier alinéa de l'article 12), apparaît totalement dérogatoire aux règles applicables aux associations participant aux missions de service public, portant ainsi une atteinte disproportionnée au principe de la liberté d'associations. Le même problème se pose concernant la Fédération nationale, dès lors que la rédaction de l'article L. 221-9 du code rural prévue par l'article 12 de la loi soumet son budget à une approbation ministérielle. Au surplus, l'extension du contrôle a posteriori exercé par les chambres régionales des comptes et la Cour des comptes aux fédérations de chasse ne saurait se justifier dès lors que lesdites fédérations ne disposent d'aucun fonds public ni de cotisations légalement obligatoires et ne bénéficient d'aucun avantage financier.
3° Le dernier moyen porte sur les atteintes réputées au principe d'égalité, affirmé par la DDHC de 1789 et par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, reconnu par le Conseil Constitutionnel. Les requérants s'opposent d'abord à ce qui leur semble être une discrimination géographique manifeste dans l'exercice de la chasse de nuit (premier alinéa de l'article L. 224-4-1 du code rural créé par l'article 28). Celle-ci n'est autorisée que dans 21 départements. Or, d'autres départements répondraient à ce critère. D'après les requérants, selon le raisonnement tenu par le juge constitutionnel, le principe d'égalité imposerait que des situations comparables soient traitées de manière identique. Toute différence de traitement doit alors être en rapport avec l'objet de l'acte qui l'établit et proportionnée par rapport à l'objectif poursuivi et par rapport à la différence de situation. En l'espèce, les requérants n'observent aucune différence objective de situations entre les départements et aucun motif réel d'intérêt général à même de justifier les restrictions.
Pour toutes les raisons susmentionnées, les requérants demandent au Conseil constitutionnel de déclarer la loi non conforme à la constitution.