JORF n°172 du 27 juillet 2000

  1. Les contours juridiques incertains

des « usages non appropriatifs de la nature »

A l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la chasse, le débat sur la partage des usages de la nature s'est posé avec acuité. Les dispositions relatives à la compatibilité entre l'exercice de la chasse et les usages non appropriatifs de la nature l'illustrent tout particulièrement et traduisent plus largement l'evolution du rôle joué par l'espace rural.

Depuis plusieurs années, le développement des nouvelles utilisations de l'espace rural, au travers notamment de la pratique des sports de pleine nature, a des incidences directes pour les propriétaires privés, qui se trouvent être les premiers concernés par ces nouvelles activités exercées sur leurs terrains.

La dernière phrase du quatrième alinéa de l'article 2 de la loi relative à la chasse apparaît à cet égard particulièrement contestable. Elle dispose en effet que : « la chasse s'exerce dans des conditions compatibles avec les usages non appropriatifs de la nature, dans le respect du droit de propriété ».

Or, la notion des usages non appropriatifs de la nature se révèle aussi imprécise que contradictoire en elle-même. D'une part, les implications juridiques d'un tel dispositif sont plus qu'incertaines, d'autre part, la notion constitue en réalité une atteinte indéniable au droit de propriété.

Ce dernier, selon une analyse juridique constante, recouvre en effet trois attributs essentiels : le fructus, l'usus et l'abusus. Or, ce qui est présenté comme des « usages non appropriatifs de la nature », dont aucune liste précise n'est donnée par le texte mais qui a été illustré, au cours des débats, par l'exemple du droit de se promener, de pratiquer le vélo tout terrain ou de ramasser des champignons, relève en fait du droit d'usus, constitutif du droit de propriété. De plus, le droit de chasse est, par essence, attaché au droit de propriété. Les chasseurs exercent, en effet, cette activité en étant, à un titre ou un autre, titulaires d'un droit d'usage sur le territoire sur lequel ils se trouvent : ils peuvent être propriétaires du terrain, membres d'une association de chasse, ou encore titulaires d'un bail de chasse.

En d'autres termes, il n'existe pas d'autres usages de la nature que des usages appropriatifs. Il n'y a pas, en outre, d'espaces naturels qui n'appartiennent à personne puisqu'ils relèvent soit du domaine privé, soit du domaine public.

En conséquence, la notion même d'usages non appropriatifs de la nature porte en réalité une atteinte au droit de propriété, qui n'est justifiée par aucun nécessité publique évidente et a fortiori qui n'est accompagnée d'aucun mécanisme d'indemnisation juste et préalable, comme l'exige l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Pour toutes ces raisons, les dispositions de l'article 2 qui prévoient que la chasse s'exerce « dans des conditions compatibles avec les usages non appropriatifs de la nature » doivent être déclarées contraires à la Constitution.


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Version 1

1. Les contours juridiques incertains

des « usages non appropriatifs de la nature »

A l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la chasse, le débat sur la partage des usages de la nature s'est posé avec acuité. Les dispositions relatives à la compatibilité entre l'exercice de la chasse et les usages non appropriatifs de la nature l'illustrent tout particulièrement et traduisent plus largement l'evolution du rôle joué par l'espace rural.

Depuis plusieurs années, le développement des nouvelles utilisations de l'espace rural, au travers notamment de la pratique des sports de pleine nature, a des incidences directes pour les propriétaires privés, qui se trouvent être les premiers concernés par ces nouvelles activités exercées sur leurs terrains.

La dernière phrase du quatrième alinéa de l'article 2 de la loi relative à la chasse apparaît à cet égard particulièrement contestable. Elle dispose en effet que : « la chasse s'exerce dans des conditions compatibles avec les usages non appropriatifs de la nature, dans le respect du droit de propriété ».

Or, la notion des usages non appropriatifs de la nature se révèle aussi imprécise que contradictoire en elle-même. D'une part, les implications juridiques d'un tel dispositif sont plus qu'incertaines, d'autre part, la notion constitue en réalité une atteinte indéniable au droit de propriété.

Ce dernier, selon une analyse juridique constante, recouvre en effet trois attributs essentiels : le fructus, l'usus et l'abusus. Or, ce qui est présenté comme des « usages non appropriatifs de la nature », dont aucune liste précise n'est donnée par le texte mais qui a été illustré, au cours des débats, par l'exemple du droit de se promener, de pratiquer le vélo tout terrain ou de ramasser des champignons, relève en fait du droit d'usus, constitutif du droit de propriété. De plus, le droit de chasse est, par essence, attaché au droit de propriété. Les chasseurs exercent, en effet, cette activité en étant, à un titre ou un autre, titulaires d'un droit d'usage sur le territoire sur lequel ils se trouvent : ils peuvent être propriétaires du terrain, membres d'une association de chasse, ou encore titulaires d'un bail de chasse.

En d'autres termes, il n'existe pas d'autres usages de la nature que des usages appropriatifs. Il n'y a pas, en outre, d'espaces naturels qui n'appartiennent à personne puisqu'ils relèvent soit du domaine privé, soit du domaine public.

En conséquence, la notion même d'usages non appropriatifs de la nature porte en réalité une atteinte au droit de propriété, qui n'est justifiée par aucun nécessité publique évidente et a fortiori qui n'est accompagnée d'aucun mécanisme d'indemnisation juste et préalable, comme l'exige l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Pour toutes ces raisons, les dispositions de l'article 2 qui prévoient que la chasse s'exerce « dans des conditions compatibles avec les usages non appropriatifs de la nature » doivent être déclarées contraires à la Constitution.