- Sur l'article 20 relatif à la taxe
sur la publicité pharmaceutique
L'article 20 modifie par un relèvement des barèmes la taxe sur la publicité pharmaceutique instituée par l'article 3 de la loi no 83-25 du 19 janvier 1983 dont les dispositions sont codifiées aux articles L. 245-1 à L. 245-6 du code de la sécurité sociale. Plus précisément, le paragraphe I de l'article 11 augmente les taux des trois dernières tranches d'imposition qui s'appliquent en fonction du pourcentage représenté par le rapport entre l'assiette de la contribution et le chiffre d'affaires hors taxes réalisé par les laboratoires concernés au titre des spécialités remboursables et agréées aux collectivités.
Il résulte des travaux préparatoires que ce « nouvel alourdissement du taux de la contribution sur les dépenses promotionnelles devrait avoir un effet dissuasif sur les dépenses promotionnelles (...) et permettre de renforcer les comptes de la CNAMTS » (cf. avis de M. le député J. Cahuzac, AN, première lecture doc. 2001 no 3319, p. 72).
S'il appartient au législateur, lorsqu'il institue ou modifie une imposition, d'en déterminer librement le taux et l'assiette sous réserve du respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, il doit, en particulier pour assurer le respect du principe d'égalité, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts qu'il s'assigne. Or, tel n'est pas le cas dans l'article 20.
En ce qui concerne les taux de contribution :
La détermination des taux de contribution qui résulte d'un quotient proportionnel aux dépenses de promotion (dividende) et inversement proportionnel au chiffre d'affaires des entreprises redevables (diviseur) ne prend en compte ni les différences de situations objectives et appréciables existant entre elles, ni leurs capacités contributives respectives.
En effet la prise en compte des dépenses de promotion comme dividende du rapport déterminant le taux d'imposition n'est pas fondée sur un critère en rapport avec les capacités contributives des redevables dès lors que ces dépenses principalement composées des frais de visite médicale sont exposées pour des niveaux similaires par toutes les entreprises redevables quel que soit leur chiffre d'affaires et sans que soient pris en compte la structure de leur chiffre d'affaires et la nature de leurs produits.
En outre, ce critère n'est pas davantage rationnel puisqu'une part prépondérante desdits frais est consacrée à la rémunération des visiteurs médicaux, de sorte que la taxe et le niveau d'imposition atteint constituent une incitation forte à la réduction des personnels affectés aux activités de prospection, et portent atteinte par suite au droit au travail de ces salariés proclamé par l'alinéa 5 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Par ailleurs, le choix du chiffre d'affaires comme diviseur du quotient déterminant le taux d'imposition ne répond pas à l'exigence de rationalité de la loi fiscale puisqu'il avantage indubitablement les redevables réalisant les plus gros chiffres d'affaires, et incite en outre les laboratoires pharmaceutiques à augmenter leur chiffre d'affaires, contredisant par là même l'objectif que s'est fixé le législateur de maîtrise des dépenses de santé.
Enfin, en augmentant les trois derniers taux d'imposition de la taxe sur la publicité sans étendre les tranches auxquelles ces taux correspondent, le législateur crée des effets de seuil massifs et rompt, au prix d'une excessive progressivité, le principe d'égale répartition de l'impôt à raison des facultés contributives de chaque redevable inscrit à l'article 13 de la Déclaration du 26 août 1789 et rappelé par le juge constitutionnel dans sa décision no 93-320 DC du 21 juin 1993.
En définitive, en accentuant à ce point la progressivité des taux d'imposition, l'article 20 de la présente loi de financement de la sécurité sociale crée une discrimination non seulement injustifiée au détriment des plus petits contribuables mais surtout contraire à l'objectif qu'il s'est assigné.
En ce qui concerne l'assiette de la contribution :
La définition de l'assiette de la taxe ne répond pas à l'exigence de rationalité, ni à celle d'intelligibilité de la loi ; en effet, le législateur crée un nouvel abattement de 3 % « au titre de l'activité de pharmacovigilance des visiteurs médicaux », alors que cette activité est totalement étrangère à celle de « prospection et d'information des prescripteurs » qui est censée définir l'assiette de la contribution (en effet, l'activité de pharmacovigilance consiste en l'information donnée en retour par les prescripteurs aux visiteurs médicaux sur les effets secondaires nocifs éventuels des médicaments).
En s'abstenant de définir ces frais de « prospection et d'information » et en laissant au pouvoir réglementaire le soin de préciser l'assiette de la taxe (cf. art. R. 245-2 du code de la sécurité sociale), le législateur est resté en deçà de sa compétence fixée au deuxième alinéa de l'article 34 de la Constitution, selon lequel « la loi fixe les règles concernant (...) l'assiette (...) des impositions de toute nature ».
Au surplus, l'incompétence négative du législateur est aggravée par le fait que la taxe considérée a pour effet, eu égard aux taux d'imposition retenus, de restreindre l'exercice des libertés de communication, de publicité, de réunion et d'entreprendre dont les limites ne peuvent être fixées, en application de l'article 34, deuxième alinéa, de la Constitution, que par la loi.
En effet, la pénalisation fiscale des dépenses de promotion des entreprises pharmaceutiques a pour effet de restreindre leur liberté de communiquer des informations médicales ainsi que la liberté des prescripteurs de recevoir celles-ci. Ces restrictions ne sont justifiées que par l'objectif de régulation des dépenses d'assurance maladie, qui passe déjà par d'autres mécanismes de régulation pesant sur les mêmes entreprises (clause de sauvegarde, conventionnement des prix).
Au surplus, l'exercice des libertés constitutionnelles en cause participe à une démarche de santé publique et comme telle à la protection constitutionnelle de la santé visée à l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. En définitive, le principe de nécessité de l'impôt n'est pas respecté.
Il résulte de ce qui précède que l'article 20 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 doit être déclaré contraire à la Constitution.