- Sur la réouverture des comptes 2000
de la sécurité sociale
L'article 12 du présent projet de loi procède à divers aménagements du régime juridique et comptable du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC) en vue de son fonctionnement effectif.
Le I de cet article dispose que les recettes fiscales encaissées au titre du FOREC par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) à compter du 1er janvier 2001 sont transférées au fonds et comptabilisées par cet établissement public sur l'exercice 2001.
Le II de l'article donne une base légale à la répartition des recettes comptabilisées par l'ACOSS au titre du FOREC pour l'année 2000. Il régularise la répartition ainsi effectuée, au prorata des exonérations de cotisations à la charge des régimes concernés, et dans la limite des ressources comptabilisées au titre du FOREC en 2000, soit 59 milliards de francs.
Toutefois, les recettes ne couvrent pas l'intégralité des exonérations de cotisations qui sont à la charge du FOREC, soit un déficit de 16,1 milliards de francs qui représente une dette du FOREC à l'égard des régimes de sécurité sociale.
Ce déficit est contraire aux dispositions de l'article 5 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 qui prévoit l'équilibre financier du FOREC, ou, à défaut, la mise en jeu de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale qui dispose que « toute exonération de cotisations sociales donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l'Etat durant toute la durée de son application ».
Or, au mépris de ces règles, le Gouvernement a décidé d'annuler la dette du FOREC et d'autre part impute la perte correspondante des régimes de sécurité sociale sur leurs comptes de l'exercice 2000, ceux-ci étant « modifiés pour tenir compte de cette annulation ».
Ce faisant, le Gouvernement procède à une modification des comptes 2000 des régimes de sécurité sociale alors que ceux-ci sont clos et ont été approuvés par les autorités de tutelle.
Le premier président de la Cour des comptes dans une note du 7 novembre 2001 a vivement critiqué cette disposition, estimant que « les écritures comptables visant à annuler la créance inscrite dans les comptes 2000 des régimes de sécurité sociale au titre des montants d'allégements de charges non compensées par les réaffectations de recettes reçues par le FOREC devraient être passées en 2001, sans modification des comptes adoptés par les conseils d'administration de l'ACOSS et des caisses nationales ».
Cette modification soulève un certain nombre d'interrogations au regard de sa compatibilité avec plusieurs exigences constitutionnelles.
D'une part, le choix de la modification rétroactive d'un exercice clos est contraire à toutes les règles comptables et ne doit pas constituer un précédent.
Dans sa décision no 98-404 DC du 18 décembre 1998, le Conseil constitutionnel a strictement encadré la notion de rétroactivité à propos des dispositions fiscales en rappelant qu'elles ne sont autorisées « qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ».
En l'espèce, la réouverture des comptes 2000 de la sécurité sociale ne paraît pas relever d'un motif d'intérêt général, sachant qu'il fait passer celui-ci d'une situation excédentaire à une situation déficitaire.
Surtout, elle obère la capacité de contrôle du Parlement sur les comptes de la sécurité sociale dans la mesure où les parlementaires qui ont été invités à se prononcer en 2001 sur l'état des comptes de 2000 n'ont pu le faire en connaissance de cause.
Le droit de contrôle du Parlement sur les lois de financement de la sécurité sociale relève de la même nature que celui qu'il exerce sur les lois de finances, qui se trouve au fondement du régime démocratique et qui bénéficie d'une surveillance toute particulière (cf. la décision no 64-27 DC du 18 décembre 1964, rappelée dans la décision no 94-351 DC du 29 décembre 1994). Le cadre constitutionnel impose donc de respecter la réalité du contrôle du Parlement sur les comptes de la sécurité sociale.
Par ailleurs, cette réouverture des comptes 2000 est contraire au principe de l'annualité qui régit l'examen des lois de financement de la sécurité sociale et qui se traduit notamment par l'adoption d'un objectif annuel de recettes pour l'exercice considéré. Or, dans le cas particulier, l'annulation de la créance des régimes de sécurité sociale sur le FOREC ne peut s'accompagner de la révision corrélative de l'objectif de recettes de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, cet objectif étant depuis longtemps clos et révolu.
Or, le juge constitutionnel a rappelé dans la décision no 2001-448 du 25 juillet 2001 à propos de la loi de finances que le principe de l'annualité qui découle de l'article 47 de la Constitution s'applique dans le cadre de l'année civile, qui participe « au double impératif d'assurer la clarté des comptes de l'Etat et de permettre un contrôle efficace du Parlement ». Par extension, il est clair que ce principe d'annualité s'applique également à la loi de financement de la sécurité sociale, conformément à l'article 47-1 de la Constitution.
Enfin, l'annulation de la dette du FOREC compromet gravement l'équilibre financier du régime général pour l'exercice 2000 puisqu'il passe en droits constatés d'un excédent de + 4,3 milliards de francs à un déficit de - 10,7 milliards de francs. Ce faisant, le Gouvernement ignore l'exigence constitutionnelle qui s'attache à l'équilibre financier de la sécurité sociale, rappelée dans la décision no 97-393 DC du 18 décembre 1997.
Pour toutes ces raisons, l'article 12 doit être déclaré non conforme à la Constitution.
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