- Sur les dispositions relatives au nom de famille
6.1. L'article 11 de la loi déférée modifie la règle de dévolution du nom de famille posée à l'article 311-21 du code civil. Depuis la loi du 4 mars 2002, l'article 311-21 du code civil ouvre une faculté de choix du nom de l'enfant lorsque celui-ci est l'objet d'un double lien de filiation établi de façon simultanée. Les parents choisissent : soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit les deux noms accolés. Le choix résulte d'une déclaration conjointe des parents mentionnant le nom de l'enfant. En revanche, lorsque cette déclaration fait défaut, l'enfant porte le nom de son père.
Or, l'article 11 entend ajouter à ces dispositions une nouvelle option, « en cas de désaccord entre les parents, signalé, le cas échéant avant la naissance, par l'un d'eux à l'officier d'état civil », alors l'enfant prendra leurs deux noms, « dans la limite du premier nom de famille pour chacun d'eux, accolés selon l'ordre alphabétique. »
6.2. Cette nouvelle rédaction pose plusieurs problèmes selon les requérants.
Contrairement aux affirmations figurant dans l'exposé des motifs du texte, la loi ne fait pas qu'étendre au profit des couples de personnes de même sexe des solutions initialement prévues pour des couples formés d'un homme et d'une femme sans rien modifier à la situation de ces derniers. La loi déférée modifie les règles de dévolution du nom de famille pour toutes les familles, tous les couples.
En effet, en droit positif, lorsque les parents sont en désaccord sur le choix du nom, il ne leur est pas possible de procéder à la déclaration conjointe, prévue par l'article 311-21 : par conséquent, le désaccord emportant absence de déclaration, le nom transmis est celui du père. Cette solution est conforme à un principe de dévolution du patronyme résultant d'un usage qui prévaut encore.
Or, désormais, le désaccord se résoudra par la dévolution arbitraire des noms des parents accolés dans l'ordre alphabétique. Cette solution est incongrue et montre le caractère illisible du chapitre III de la loi déférée, alors même que les dispositions relatives à la dévolution du nom de famille ont un caractère complexe, ce qui aurait dû imposer au législateur de vérifier au préalable la portée des dispositions existantes.
L'article 11 de la loi déférée modifie ainsi artificiellement les règles qui prévalent en matière de dévolution du nom de famille pour tenter de trouver une solution à l'établissement de filiations artificielles. En raison de leur complexité, ces dispositions conduiront inévitablement à une multiplication des noms de famille double, et faisant ainsi disparaître des noms patronymiques en fin d'alphabet.
6.3. De plus, l'article 11 prévoit les règles de détermination du nom de famille propres aux enfants adoptés, en modifiant l'article 357 du code civil.
Cette modification porte atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la loi ainsi qu'au principe, qui en résulte, d'égalité des enfants, quelles que soient les conditions de l'établissement de leur filiation.
Le principe d'égalité des filiations énoncé à l'article 310 du code civil, selon lequel « tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun d'eux » constitue un principe structurant. Il commande ainsi de reconnaître à l'enfant adopté les mêmes droits et obligations à l'égard de ses parents que ceux qui sont reconnus à l'enfant biologiquement lié à ses parents.
Au titre des droits qui lui sont ainsi reconnus, le code civil prévoit, dans son article 357, que « l'adoption confère à l'enfant le nom de l'adoptant » et précise que « en cas d'adoption par deux époux, le nom conféré à l'enfant est déterminé en application des règles énoncées à l'article 311-21 », montrant ainsi l'égalité de traitement entre les enfants adoptés et non adoptés.
Or, la loi déférée méconnaît le principe d'égalité des filiations et d'égalité de traitement, puisque le nom de famille de l'enfant adopté résultera, selon l'article 11 de la loi déférée, de dispositions spécifiques, dérogatoires.
6.4. Les dispositions de l'article 12, relevant de la même logique que celle de l'article 11, les requérants demandent à votre Conseil la censure de ces dispositions inintelligibles et qui violent le principe d'égalité résultant de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
- Sur les dispositions générales de coordination
Selon le nouvel article 6-1 du code civil inséré par l'article 13 de la loi déférée : « Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l'exclusion du titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de même sexe ou de sexe différent ».
7.1. Les requérants estiment que cet article porte atteinte à l'exigence constitutionnelle d'intelligibilité et de prévisibilité de la loi.
En effet, comment faire comprendre que, lorsqu'il demeure écrit « père » et « mère » dans un texte, il peut être lu comme désignant aussi deux hommes ou deux femmes ? Comment identifier juridiquement la « mère » mentionnée dans un texte dans le cas d'un « couple » d'hommes, ou identifier juridiquement le « père » mentionné dans un texte dans le cas d'un « couple » de femmes ?
Ce questionnement, longuement débattu lors de la discussion parlementaire, montre le caractère inintelligible de la loi et souligne la parfaite incohérence de ces dispositions.
7.2. Certes, le législateur peut préciser le sens juridique d'un mot, dans un sens parfois différent de son sens habituel, mais cette opération a pour objectif une plus grande précision et donc une plus grande clarté. Dans le cas précis, il s'agit non de préciser le sens de mots imprécis dans leur extension, mais de dire que des termes parfaitement compréhensibles et précis, à savoir les termes de « père » et « mère », peuvent viser deux hommes ou deux femmes. Un tel usage des mots, contraire à leur signification courante, est source d'inintelligibilité de la loi.
Ainsi, des termes aussi importants pour la relation sociale fondatrice qu'est la filiation, deviennent désormais relatifs et prennent des sens différents selon la branche du droit dans laquelle ils se trouveront énoncés.
Le mot « père » pourra alors désigner une seconde femme, alors que dans le titre VII du livre Ier du code civil, il continuera de désigner seulement l'homme à l'égard duquel la paternité est établie. Il en va de même du mot « mère ». L'exception affirmée du « titre VII du livre Ier du code civil » est donc révélatrice du caractère inopérant de la clé d'interprétation inventée par la loi déférée.
De plus, le terme « parents », surtout quand il ne s'agit pas du mariage mais de toute une série de dispositions concernant l'état civil, peut effectivement désigner la parenté, mais aussi beaucoup d'autres liens.
7.3. Le caractère inextricable de l'article 6-1 nouveau est avéré par le fait que des dispositions du titre VII du livre Ier du code civil sont en partage pour tous les enfants, quel que soit le mariage d'où ils sont issus, et notamment au regard de l'article 310 du code civil, selon lequel « Tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun d'eux ». Il sera dès lors difficile à quiconque de comprendre pourquoi ces dispositions ne sont pas applicables à tous les enfants.
7.4. Enfin, la loi déférée fait évoluer le sens de la filiation, en ce qu'elle admet l'adoption plénière par des conjoints de même sexe. Cette modification a de fortes répercussions mécaniques sur le titre VII du livre Ier du code civil relatif à la filiation, alors même que ce dernier n'est pas explicitement modifié. La loi déférée néglige de procéder aux adaptations du droit de la filiation qu'une telle évolution exigerait.
Le droit de la filiation devient inintelligible, des concepts deviennent incompréhensibles et imprévisibles dès lors que la loi admet des parents de même sexe. Ainsi, les articles 320, 333, 336, 336-1 du code civil manient des concepts en référence à une définition de la filiation vraisemblable. Dès lors que les parents peuvent être de même sexe, la référence à la vraisemblance de la filiation devient inopérante et la signification de ces concepts devient douteuse et imprévisible, ce qui nuit au principe d'égalité.
7.5. Alors que les requérants ont démontré que les modifications de l'article 1er de la loi déférée sont de nature constitutionnelle, les dispositions ainsi introduites par l'article 13 le sont tout autant puisqu'elles modifient le droit de la filiation comme il vient d'être démontré. Les requérants demandent donc la censure de l'article 13, en tant que disposition inintelligible.
- Sur le recours au recours aux ordonnances
8.1. Les requérants s'interroge sur le bien-fondé de l'utilisation de l'article 38 de la Constitution, car en l'espèce, le texte de l'article 14 de la loi déférée habilite le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnances sur une série de textes qui n'ont pas été visés par la loi déférée que le Parlement a examinée.
Avec la procédure ainsi choisie, le Gouvernement aura la possibilité de légiférer sur des sujets qui touchent aux fondements mêmes de notre organisation sociale.
8.2. Même si les requérants connaissent les contours de l'article 38 de la Constitution qui a introduit des conditions très strictes pour encadrer le recours aux ordonnances, ils restent néanmoins hostiles à cette méthode pour le sujet traité puisque celui-ci relève, comme ils l'ont démontré préalablement, d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, étant à la base du contrat social de l'Etat, que seule une révision constitutionnelle pouvait modifier.
8.3. De plus, cette habilitation est issue d'un amendement gouvernemental déposé durant l'examen du texte par la commission des lois du Sénat. Le Gouvernement a motivé le recours à l'ordonnance en affirmant qu'elle permettrait « la modification exhaustive de toutes les dispositions législatives devant faire l'objet d'une mesure de coordination, afin de tirer l'ensemble des conséquences de l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe » et il a ajouté que cette ordonnance « a pour objet de répondre à l'exigence constitutionnelle d'accessibilité et de l'intelligibilité qui ne peut être effective que si les citoyens ont une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ».
Si le Gouvernement a le monopole de l'initiative en matière d'habilitation, votre Conseil a cependant admis que « il a la faculté de le faire en déposant soit un projet de loi, soit un amendement à un texte en cours d'examen ».
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application de l'article 39 de la Constitution prévoient que : « Les dispositions des projets de loi par lesquelles le Gouvernement demande au Parlement, en application de l'article 38 de la Constitution, l'autorisation de prendre des mesures par ordonnances sont accompagnées, dès leur transmission au Conseil d'Etat, des documents visés aux deuxième à septième alinéas et à l'avant-dernier alinéa de l'article 8. Ces documents sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi comprenant les dispositions auxquelles ils se rapportent ».
De plus, votre Conseil juge de façon constante que l'article 38 de la Constitution « fait obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention » (20).
Le Conseil exige du Gouvernement, lorsqu'il sollicite l'habilitation du Parlement qu'il indique avec précision à ce dernier la « finalité des mesures qu'il se propose de prendre » (n° 76-72 DC ; n° 2004-506 DC ; n° 2009-584 DC). De même le Gouvernement doit faire connaître au Parlement le « domaine d'intervention » des ordonnances qu'il se propose de prendre (n° 86-207 DC ; n° 2006-534 DC ; n° 2009-579 DC ; n° 2010-618 DC).
8.4. C'est ainsi que l'emploi de l'expression « ensemble des dispositions législatives en vigueur à l'exception de celles du code civil » employée à l'article 14 de la loi déférée est beaucoup trop vague quant au champ d'application législatif concerné, quant au domaine d'intervention des ordonnances, ce que n'éclaire nullement l'exposé des motifs de l'amendement gouvernemental déposé devant le Sénat. Ainsi, le domaine législatif concerné peut être le plus large qui soit, en couvrant toute la législation sociale, fiscale, le droit de la fonction publique, sans que la demande d'habilitation ne vienne préciser le champ des dispositions concernées. Cette imprécision est d'ailleurs autant génératrice d'incompétence négative du législateur que contraire aux principes constitutionnels de l'habilitation de l'article 38 de la Constitution. En toute hypothèse, aucune urgence ne justifie, en ce domaine, le recours à la procédure des ordonnances de l'article 38 de la Constitution.
8.5. Les requérants constatent donc que la procédure ainsi énoncée par la loi organique et les obligations issues de la jurisprudence de votre Conseil n'ont en rien été respectées à l'occasion de la discussion parlementaire de ce texte et qu'en conséquence l'habilitation ainsi accordée est contraire à toutes les exigences constitutionnelles, et donc à l'article 38 de la Constitution.
(20) N° 99-421 DC du 16 décembre 1999.
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