C. - L'article 48 mettant à la charge d'opérateurs privés le coût des investissements nécessaires aux interceptions est contraire à la Constitution
L'article 48 de la loi déférée, modifiant l'article L. 35-6 du code des postes et télécommunications, met à la charge des opérateurs le coût des investissements nécessaires à la pratique, notamment sur les nouveaux réseaux, des interceptions téléphoniques. Il limite le financement par l'Etat à une simple participation aux charges d'exploitation, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat.
Si la pratique de telles interceptions peut être justifiée par la nécessité d'assurer la protection de la sécurité publique, de ce fait même, son coût est une charge publique par définition. Celle-ci ne saurait, en conséquence, être transférée, en tout ou en partie, sur des personnes privées sans méconnaître plusieurs règles ou principes de valeur constitutionnelle.
Cette disposition, en premier lieu, est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques, puisqu'elle opère une discrimination très importante au détriment des opérateurs.
Leur activité n'est, en elle-même, porteuse d'aucun danger pour la sécurité. Ils ne tirent aucun profit de la pratique des interceptions, et leurs clients moins encore. Dès lors, s'ils sont titulaires d'une autorisation, cette circonstance ne saurait avoir pour effet de les placer, au regard de l'objet de la loi (rendre possibles les interceptions que l'Etat juge nécessaires à la protection de la sécurité publique) dans une situation particulière qui les distinguerait des autres personnes physiques ou morales.
Il n'existe pas non plus d'intérêt général suffisant pour justifier qu'il soit dérogé au principe d'égalité. En effet, si le développement des réseaux complique la tâche de ceux qui souhaitent les intercepter, cela ne saurait justifier le transfert à des personnes privées d'une charge qui ne trouve d'origine que dans les seuls intérêts de l'Etat. Au demeurant, l'objectif poursuivi par la puissance publique dans l'article 48 est exclusivement financier, et la jurisprudence constitutionnelle a déjà eu l'occasion de rappeler que « la seule considération d'un intérêt financier » n'est pas de nature à justifier qu'il soit porté atteinte à des règles de valeur constitutionnelle (décision du 28 décembre 1995 précitée).
Ainsi, cette disposition traduit-elle une rupture d'égalité au moins aussi grave que celle qui a déjà été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 85-198 DC du 13 décembre 1985.
En deuxième lieu, l'article 48 porte atteinte à des situations légalement acquises et prive de garanties légales des exigences de valeur constitutionnelle.
Afin notamment de ne pas entraver le développement de nouveaux réseaux, qui traduit un développement corrélatif de la liberté de communication, le législateur a formellement consacré, en 1996, le principe selon lequel les opérateurs bénéficieraient d'une « juste rémunération » pour les coûts d'investissement et de fonctionnement occasionnés par les écoutes téléphoniques. C'est au vu de cette garantie que les opérateurs ont pris leurs décisions d'investissements concernant les nouveaux réseaux, de sorte que la supprimer aujourd'hui mettrait gravement en cause des situations légalement acquises.
En troisième lieu, l'article 48 de la loi de finances rectificative pour 2000 est entaché d'incompétence négative. S'il est vrai qu'il envisage une participation de l'Etat, il renvoie au décret en Conseil d'Etat le soin d'en déterminer les conditions, sans même prendre la précaution d'évoquer aucune de celles-ci, ni même de prévoir la moindre corrélation entre le prix de revient des prestations et le niveau de participation de l'Etat dans leur financement.
Non conforme à la Constitution, cette carence prend un relief d'autant plus grave que, d'une part, le droit de propriété lui-même est en cause et que, d'autre part, les termes dans lesquels la loi est rédigée rendent juridiquement inopérantes les fonctions tant consultatives que juridictionnelles du Conseil d'Etat, qui ne pourrait que s'incliner devant le caractère totalement discrétionnaire du cadre défini pour l'exercice du pouvoir réglementaire.
Enfin, les dispositions de l'article 48 ne comportent pas de garanties suffisantes quant à l'usage qui sera fait d'équipements dont les opérateurs privés seront propriétaires : ce texte peut donc constituer une grave atteinte aux libertés et droits fondamentaux protégés par le Conseil constitutionnel.
Ainsi, l'article 48 de la loi de finances rectificative pour 2000 doit être déclaré non conforme à la Constitution.
Pour l'ensemble de ces motifs, et pour tout autre qu'il plairait au juge constitutionnel de soulever d'office, les auteurs de la présente saisine demandent au conseil de déclarer non conforme à la Constitution la loi de finances rectificative pour 2000.
(Liste des signataires : voir décision no 2000-441 DC.)