Le comité de règlement des différends et des sanctions,
Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 25 août 2014, sous le numéro 20-38-14, présentée par la société Bio Cogelyo Normandie, société par actions simplifiée au capital de 23 000 000 euros, dont le siège social est situé 2, rue de la Touche-Lambert, 35510 Cesson-Sévigné, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Rennes sous le numéro B 499 532 638, représentée par son président en exercice.
Il ressort des pièces du dossier que la société Bio Cogelyo Normandie (ci-après « BCN ») est une société relevant du groupe GDF Suez (aujourd'hui « ENGIE ») qui a notamment pour activité la production d'électricité et de vapeur à travers l'exploitation d'installations de cogénération.
Cette société a répondu à l'appel d'offres « CRE 2 » n° 2006/S 235-251239 du ministère en charge de l'énergie, publié le 9 décembre 2006 et portant sur les installations de production d'électricité à partir de biomasse pour une puissance supplémentaire maximale installée de 300 MW, répartie en deux tranches.
A l'issue de cet appel d'offres, la société BCN a été sélectionnée pour la première tranche avec le projet SAIPOL CRE II.
Le projet retenu correspond à une centrale de production d'électricité à partir de biomasse d'une puissance de 9 000 kW située à Grand-Couronne, en Seine-Maritime.
La centrale biomasse est implantée sur le site industriel de la société SAIPOL (spécialisée dans la fabrication d'huiles à partir d'oléagineux) et est raccordée au réseau électrique privé du site de SAIPOL qui est lui-même relié au réseau public de transport d'électricité (depuis début 2011).
L'intégralité de l'électricité produite par la centrale biomasse est consommée sur le site de SAIPOL.
La centrale biomasse a conclu un contrat de prestations annexes en décompte avec la société RTE, gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, le 27 octobre 2011. Ce contrat permet d'isoler le comptage de l'énergie injectée et soutirée par la centrale biomasse sur un site comprenant plusieurs installations.
La production électrique de la centrale biomasse est vendue en totalité à la société EDF dans le cadre du mécanisme d'obligation d'achat, à travers un contrat d'achat de l'énergie produite par des installations lauréates de l'appel d'offres « installations de production à partir de biomasse de décembre 2006 » conclu le 23 novembre 2011.
A ce titre, la centrale biomasse est intégrée dans le périmètre d'équilibre du responsable d'équilibre EDF.
A la suite des résultats de l'appel d'offres, BCN s'est rapprochée d'EDF et de RTE afin de mettre en place le dispositif contractuel permettant l'achat de l'énergie produite par la centrale biomasse.
Au cours de ces échanges, EDF a fait état de la mise en œuvre d'un coefficient forfaitaire de pertes à la production mesurée de la centrale biomasse pour déterminer les volumes d'électricité facturés et payés au titre du contrat d'obligation d'achat.
Le 14 septembre 2011, la société BCN a sollicité par courrier RTE afin d'obtenir des explications sur l'application, dans le cadre du projet de contrat de prestations annexes, du coefficient de pertes à la centrale biomasse exigé par EDF et retenu par RTE.
Le 30 septembre 2011, RTE a répondu qu'il était envisageable de retenir au cas d'espèce un coefficient différent du coefficient standard prévu par la trame type du contrat de prestations annexes, sous réserve de l'accord écrit de SAIPOL, en tant que client de tête, du responsable d'équilibre du site de cette dernière et d'EDF, en qualité de responsable d'équilibre de la centrale biomasse.
A défaut d'accord des personnes intéressées et pour ne pas retarder la mise en service de la centrale biomasse au-delà des engagements de BCN liés à l'appel d'offres « CRE 2 », le contrat de prestations annexes a été signé avec le coefficient prévu par RTE le 27 octobre 2011, de même que le contrat d'obligation d'achat avec EDF l'a été le 23 novembre 2011.
Dans le cadre des discussions qui se sont poursuivies sur le bien-fondé d'un coefficient de pertes pour tenir compte des éventuelles pertes en ligne et de transformation, EDF a produit un courrier de la Commission de régulation de l'énergie en date du 6 février 2013 indiquant que : « Il n'appartient pas à la CRE, mais bien aux gestionnaires de réseaux de définir la méthode de calcul des données de comptage et, notamment, la prise en compte des pertes, le cas échéant, lorsque le point de comptage de l'installation de production n'est pas situé au niveau du point de livraison. »
Une réunion avec l'ensemble des parties (les sociétés RTE et EDF) sous l'égide de la CRE n'ayant pu être organisée au cours de l'année 2013 malgré la demande de BCN, celle-ci a adressé, le 19 février 2014, à la société RTE un courrier soulignant que l'intégralité de l'électricité produite par la centrale biomasse est consommée directement sur le réseau privé auquel l'installation de cogénération est raccordée.
La société BCN sollicite en conséquence que la société RTE, d'une part, constate qu'il n'y a pas lieu de corriger les données de comptage calculées à la sortie de la centrale et, d'autre part, accepte de modifier le coefficient de pertes prévu par le contrat de prestations annexes en décompte.
Après relance, la réponse de RTE est intervenue par un courrier en date du 18 juillet 2014. La société RTE confirme que des coefficients différents des coefficients standards mentionnés dans les modèles de contrat d'accès au réseau et de prestations annexes peuvent être appliqués du fait des particularités des installations et qu'ainsi, au cas présent, un coefficient de 0,987 a été retenu. Cela étant, RTE considère que la formule de décompte est cohérente avec le cahier des charges de l'appel d'offres « CRE 2 » et les modèles de contrat d'obligation d'achat d'EDF. Le gestionnaire de réseau renvoie donc à une éventuelle modification du contrat d'obligation d'achat avec EDF la possibilité de faire évoluer le mode de décompte de l'électricité tiré du contrat de prestations annexes.
La société BCN n'ayant pas obtenu de réponse positive à sa demande, elle a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions (ci-après le « CoRDiS ») du traitement de son différend avec RTE.
Dans ses observations enregistrées le 25 août 2014, la société Bio Cogelyo Normandie estime que le raccordement indirect de son installation, à travers le réseau électrique privé de la société SAIPOL, est autorisé par le cahier des charges de l'appel d'offres « CRE 2 » dès lors que ce même cahier des charges de l'appel d'offres vise la puissance installée de l'installation telle que définie à l'article 1er du décret n° 2000-877 du 7 septembre 2000 relatif à l'autorisation d'exploiter des installations de production d'électricité, soit la puissance brute à la sortie du groupe turbo-alternateur.
La société BCN indique que la consommation d'électricité sur le réseau privé de la société SAIPOL est très supérieure à la production de son installation et qu'à aucun moment l'électricité produite par elle n'est injectée sur le réseau public de transport d'électricité. Elle ajoute que cet état de fait est acté tant dans la convention de raccordement du 6 janvier 2011 que dans la convention d'exploitation du 20 avril 2011 conclues entre les sociétés SAIPOL et RTE.
La société BCN soutient, s'agissant d'une éventuelle application automatique d'un coefficient de pertes, que le cahier des charges, les conditions générales du contrat d'obligation d'achat et le contrat de prestation de service en décompte prévoient bien que le coefficient de pertes ne trouve à s'appliquer que lorsqu'une correction est nécessaire au vu du fonctionnement de l'installation. Elle en conclut que l'application d'un coefficient de pertes est dépendante des spécificités du site.
La société BCN estime que son installation bénéficie d'un dispositif de comptage propre, objet de la convention de prestation en décompte, qui permet de déterminer son injection sur le réseau privé, sachant que l'électricité produite n'est à aucun moment acheminé sur le réseau public. Elle considère qu'il n'est pas nécessaire de ramener l'énergie produite au point de connexion situé sur le réseau public pour établir le volume d'énergie produite. La société BCN s'estime fondée à considérer que le point de livraison soit le point de comptage de l'énergie produite, conformément à l'appel d'offres, c'est-à-dire le point de comptage choisi par elle avec RTE et le responsable d'équilibre, la société EDF.
La société Bio Cogelyo Normandie demande au comité de règlement des différends et des sanctions :
- de confirmer que la société RTE est bien compétente, au titre du contrat de prestations annexes, pour déterminer un éventuel coefficient de pertes sur le réseau privé de la société SAIPOL ;
- de constater qu'il n'y a pas lieu au cas présent, eu égard à la configuration physique du site et aux textes en vigueur, d'appliquer un coefficient de pertes à la production de la centrale biomasse comptabilisée par le compteur 3 ;
- d'inviter RTE à proposer à BCN un avenant au contrat de prestations annexes pour supprimer en conséquence le coefficient de pertes issu de l'article 3.1.3.2 du contrat.
Vu les observations en défense, enregistrées le 31 octobre 2014, présentées par la société Réseau de transport d'électricité (RTE), société anonyme à directoire et conseil de surveillance, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro 444 619 258, dont le siège social est situé 1, terrasse Bellini, TSA 41000, 92919 La Défense Cedex, représentée par son président, ayant pour avocat Me, cabinet Vogel & Vogel, 30, avenue d'Iéna, 75116 Paris.
La société RTE souligne que si la société BCN indique qu'« il n'est absolument pas nécessaire de ramener l'énergie au point de connexion situé sur le réseau public pour établir le volume d'énergie produite », cela ne permet pas de résoudre la question de savoir où cette énergie est livrée à la société EDF, acheteur obligé.
La société RTE indique qu'en application du décret n° 2003-588 du 27 juin 2003 le point de livraison peut être contractuellement défini au point de raccordement, au point de comptage ou à tout autre endroit.
Elle précise que les articles 2 et 5 des conditions générales du contrat d'achat de la société EDF assimilent expressément point de raccordement (c'est-à-dire le point frontière entre le réseau public et l'installation de l'utilisateur) et point de livraison. La société RTE en conclut que, pour mesurer l'énergie livrée par la société BCN à la société EDF, acheteur obligé, il est nécessaire de prendre en considération les pertes qui résultent du transport de l'électricité entre le point de comptage et le point de raccordement. Elle indique que cela implique de mettre à la charge de la société BCN les pertes résultant du transport de l'énergie sur le réseau privé de la société SAIPOL.
La société RTE ajoute que, la société BCN étant indirectement raccordée au réseau public de transport, elle bénéficie d'une prestation de service en décompte pour l'accès au marché, il n'y a donc pas lieu de se référer au point de livraison de cette installation.
La société RTE indique que le coefficient de perte normatif proposé par défaut dans le contrat de prestation de service en décompte est appliqué en fonction de la distance électrique entre l'installation en décompte et le réseau public et en fonction des caractéristiques du ou des transformateurs présents sur le réseau privé. Elle ajoute qu'il est envisageable de modifier ce coefficient, compte tenu par exemple de spécificités électriques du site, mais qu'une telle modification ne relève pas de sa compétence dès lors que son rôle est de fournir la donnée de comptage certifiée en sortie d'installation de production.
La société RTE demande au comité de règlement des différends de la Commission de régulation de l'énergie :
- de débouter la société Bio Cogelyo Normandie de toutes ses demandes ;
- de constater qu'il y a lieu de déterminer un coefficient de pertes visant à tenir compte des pertes résultant du transport de l'électricité produite par Bio Cogelyo Normandie entre le point de comptage n° 3 situé en sortie de l'installation et le point de comptage n° 1 situé au point de connexion entre le site industriel de SAlPOL et le réseau public de transport ;
- de constater que le contrat conclu le 27 octobre 2011 prend déjà en compte les spécificités de l'installation pour définir le coefficient de pertes pertinent ;
- de dire et juger en tout état de cause qu'une modification de ce coefficient impliquerait un accord entre SAIPOL, Bio Cogelyo Normandie et leurs responsables d'équilibre.
Vu les observations en réplique, enregistrées le 12 décembre 2014, présentées par BCN.
La société BCN entend rappeler que l'article 6.1 du cahier des charges de l'appel d'offres prévoit explicitement la participation des installations indirectement raccordées et qu'il ne peut donc être contesté que les installations comme la sienne peuvent valablement participer au dispositif d'obligation d'achat sans revêtir les caractéristiques d'une installation directement raccordée au réseau public de transport d'électricité, c'est-à-dire, notamment, sans livrer leur production sur ce même réseau.
La société BCN relève tout d'abord que la société RTE elle-même souligne qu'en tant que gestionnaire de réseau elle compense les pertes liées à l'acheminement de l'énergie sur son réseau. Elle en conclut que la notion de pertes n'a de sens que sur le réseau public.
La société BCN ajoute que la société RTE admet dans ses écritures que le coefficient de pertes doit correspondre à la réalité physique d'un site. Elle soutient donc que, compte tenu des particularités du fonctionnement de son installation, une adaptation du coefficient de pertes est nécessaire.
La société BCN demande à ce que le coefficient de pertes figurant dans le contrat de prestations annexes en décompte soit adapté afin de prendre en compte l'absence de pertes sur le réseau public résultant du fonctionnement de son installation.
La société Bio Cogelyo Normandie persiste dans ses précédentes conclusions et demande au comité de règlement des différends et des sanctions :
- de confirmer que la société RTE est bien compétente, au titre du contrat de prestations annexes, pour déterminer un éventuel coefficient de pertes sur le réseau privé de la société SAIPOL ;
- de constater qu'il n'y a pas lieu au cas présent, eu égard à la configuration physique du site et aux textes en vigueur, d'appliquer un coefficient de pertes à la production de la centrale biomasse comptabilisée par le compteur 3 ;
- d'inviter RTE à proposer à BCN un avenant au contrat de prestations annexes pour supprimer en conséquence le coefficient de pertes tiré de l'article 3.1.3.2 du contrat.
Vu les observations en duplique, enregistrées le 22 janvier 2015, présentées par la société RTE.
La société RTE considère que la société BCN entretient volontairement la confusion entre l'énergie consommée sur le réseau privé de la société SAIPOL et l'énergie achetée par la société EDF, acheteur obligé, en soutenant que l'installation de production n'achemine aucune électricité sur le réseau public dès lors qu'elle est intégralement consommée sur le site.
La société RTE fait valoir que l'article 2 du contrat d'obligation d'achat conclu entre la société EDF et la société BCN prévoit bien que le point de livraison contractuellement pertinent pour l'obligation d'achat est défini au point de connexion de l'installation au réseau public de transport.
Elle précise enfin que le coefficient de pertes retenu dans le contrat de prestation de service en décompte prend déjà en compte la réalité physique du site de SAIPOL, en particulier l'existence de transformateurs spéciaux et de lignes sur le site de la société SAIPOL.
La société RTE persiste dans ses précédentes conclusions.
Vu la mesure d'instruction du 20 juillet 2015 par laquelle le rapporteur, chargé de l'instruction du dossier, a demandé à la société RTE si des conventions de raccordement et d'exploitation avaient été conclues avec la société Bio Cogelyo Normandie s'agissant de l'installation de production d'électricité à partir de biomasse située à Grand-Couronne (Seine-Maritime) et, le cas échéant, de les lui communiquer.
Vu la lettre, enregistrée le 28 juillet 2015, de la société RTE aux termes de laquelle elle a indiqué que « la société BCN étant un producteur en décompte d'un site de consommation, celle-ci n'est pas directement raccordée au réseau » et que « par conséquent, aucune convention de raccordement ou d'exploitation n'a été signée » avec la société BCN.
Vu les observations récapitulatives, enregistrées le 4 août 2015, présentées par la société RTE.
La société RTE persiste dans ses précédentes écritures et conclusions.
Vu les observations récapitulatives, enregistrées le 19 août 2015, présentées par BCN.
BCN persiste dans ses précédentes écritures et conclusions.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'énergie, notamment ses articles L. 134-19 et suivants ;
Vu la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz ;
Vu le décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu le décret n° 2015-206 du 24 février 2015 relatif au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu la décision du 20 février 2009 relative au règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu la décision ministérielle du 7 août 2009 fixant la date d'entrée en vigueur des tarifs des prestations annexes réalisées sous le monopole des gestionnaires de réseaux publics d'électricité ;
Vu la décision du 28 août 2014 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie relative à la désignation d'un rapporteur pour l'instruction de la demande de règlement de différend enregistrée sous le numéro 20-38-14 ;
Vu la décision du 11 mars 2015 relative au règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu la décision du 17 juillet 2015 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie fixant la date de clôture de l'instruction relative au différend qui oppose la société Bio Cogelyo Normandie à la société RTE.
Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique, qui s'est tenue le 7 septembre 2015, du comité de règlement des différends et des sanctions, composé de Mme Monique LIEBERT-CHAMPAGNE, président, Mme Françoise LAPORTE, M. Roland PEYLET et M. Claude GRELLIER, membres, en présence de :
Mme Alexandra BONHOMME, directrice juridique et représentant le directeur général empêché ;
M. Thibaut DELAROCQUE, rapporteur, et M. Didier LAFFAILLE, rapporteur adjoint ;
Me Paul RAVETTO, représentant la société Bio Cogelyo Normandie ;
Me Xavier HENRY, représentant la société RTE ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Thibaut DELAROCQUE, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de Me Paul RAVETTO pour la société BCN ; la société BCN persiste dans ses moyens et conclusions ;
- les observations de Me Xavier HENRY pour la société RTE ; la société RTE persiste dans ses moyens et conclusions ;
Aucun report de séance n'ayant été sollicité,
Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré après que les parties, le rapporteur, le public et les agents des services se sont retirés.
Sur l'application d'un coefficient de pertes à la production de la centrale de BCN :
La société Bio Cogelyo Normandie demande au comité de confirmer que la société RTE est bien compétente, au titre du contrat de prestations annexes, pour déterminer un éventuel coefficient de pertes sur le réseau privé de la société SAIPOL, de constater qu'il n'y a pas lieu au cas présent, eu égard à la configuration physique du site et aux textes en vigueur, d'appliquer un coefficient de pertes à la production de la centrale biomasse et d'inviter RTE à lui proposer un avenant au contrat de prestations annexes pour supprimer en conséquence le coefficient de pertes.
Sur la compétence de la société RTE pour déterminer un coefficient de pertes :
L'article L. 111-91 du code de l'énergie dispose qu'un « droit d'accès aux réseaux publics de transport et de distribution est garanti par les gestionnaires de ces réseaux pour assurer :
1° Les missions de service public définies à l'article L. 121-5 ;
2° L'exécution des contrats d'achat d'électricité ;
3° L'exécution des contrats d'exportation d'électricité conclus par un producteur ou par un fournisseur installés sur le territoire national.
II. - Pour mettre en œuvre les dispositions du I, des contrats sont conclus entre les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution concernés et les utilisateurs de ces réseaux ».
L'article L. 321-9 du code de l'énergie prévoit que « pour assurer techniquement l'accès au réseau public de transport, prévu à l'article L. 111-91, le gestionnaire du réseau met en œuvre les programmes d'appel et les programmes d'approvisionnement préalablement établis.
Les programmes d'appel sont établis par les producteurs et par les personnes qui ont recours à des sources ayant fait l'objet de contrats d'acquisition intracommunautaire ou d'importation. Ils portent sur les quantités d'électricité que ces personnes prévoient de livrer au cours de la journée suivante. Ils précisent les propositions d'ajustement mentionnées à l'article L. 321-10.
Les programmes d'approvisionnement sont établis par les organismes en charge de la fourniture aux clients n'ayant pas exercé leur droit prévu à l'article L. 331-1, les propriétaires et les gestionnaires de réseaux ferroviaires ou de réseaux de transports collectifs urbains et les fournisseurs mentionnés à l'article L. 333-1. Ces programmes portent sur les quantités d'électricité qu'il est prévu de leur livrer et qu'ils prévoient de livrer au cours de la journée suivante.
Les programmes d'appel et les programmes d'approvisionnement sont soumis au gestionnaire du réseau public de transport qui s'assure avant leur mise en œuvre de leur équilibre avec ses prévisions de la consommation nationale.
La durée des contrats doit être compatible avec l'équilibre global des réseaux publics de transport et de distribution ».
Il ressort de ces dispositions qu'il appartient au gestionnaire de réseau, en l'espèce la société RTE, de procéder à la mesure de la production de l'installation de la société BCN.
Sur la mesure de la puissance et de l'énergie électrique de l'installation de production de la société BCN :
Il ressort des pièces du dossier que l'installation de production de la société BCN n'est pas raccordée directement au réseau public de transport d'électricité de la société RTE, mais au réseau électrique privé du site industriel de la société SAIPOL.
L'article 0 (Définitions) des conditions générales du contrat d'achat de l'énergie électrique produite par des installations lauréates de l'appel d'offres « Installations de production à partir de biomasse de décembre 2006 » précise que la « fourniture (énergie ou puissance fournie) est l'énergie électrique (ou la puissance) produite par l'installation et achetée dans le cadre du présent contrat.
L'énergie fournie est alors calculée au point de livraison défini aux conditions particulières du présent contrat ».
L'article 3.2 des conditions particulières du contrat d'achat susmentionné prévoit que le « point de livraison et la limite de propriété sont définis dans le contrat de prestations annexes. Le producteur transmet à l'acheteur le schéma unifilaire faisant apparaître le point de livraison et l'emplacement des comptages. Ce document est annexé au présent contrat ».
L'article 5 de ces mêmes conditions générales ajoute que la « puissance et l'énergie électriques fournies à l'acheteur sont mesurées par un dispositif de comptage à courbe de charge et télérelevé, dont les caractéristiques sont conformes à la réglementation en vigueur.
Si le dispositif de comptage est installé sur des circuits à une tension différente de la tension de livraison ou s'il n'est pas situé au point de livraison, les quantités mesurées sont corrigées, avant facturation, des éventuelles pertes de réseau et appareillage, selon les modalités décrites dans le contrat d'accès au réseau ou dans la convention de service en compte ».
En application des termes du contrat d'achat, les éventuelles corrections à apporter à la mesure de la puissance ou de l'énergie électrique fournies à la société EDF, acheteur obligé dans le cadre de l'appel d'offres « CRE 2 » n° 2006/S 235-251239, sont nécessairement prévues dans le contrat de prestation annexe prévoyant un service en décompte dès lors que l'installation de production de la société BCN n'est pas raccordée directement à un réseau public d'électricité, mais au réseau privé d'électricité de la société SAIPOL.
Sur la définition du point de livraison utilisée dans le contrat de prestations annexes signé entre les sociétés BCN et RTE :
Il ressort des pièces du dossier que le service de décompte souscrit par la société BCN dans le cadre du contrat de prestations annexes conclu avec la société RTE ne prévoit pas de définition, ni de localisation du point de livraison de l'installation de production de la société BCN.
L'article 3.1.3.2 du contrat de prestations annexes prévoit ainsi que si les « installations de comptage sont installées sur des circuits à une tension différente de la tension de raccordement et/ou éloignés du point de connexion, les données télérelevées sont corrigées par application de coefficients correcteurs Ca (multiplicatif) pour l'énergie active, fixés à l'annexe n° 1 du présent contrat. Le cas échéant, le site producteur en décompte et le client de tête se mettent d'accord pour corriger les données de comptage et les communiquent à RTE ».
L'annexe générale (Définitions) du contrat de prestation annexe définit le point de connexion comme suit : « Le ou les points de connexion d'un utilisateur au réseau public d'électricité coïncident avec la limite de propriété entre les ouvrages électriques de l'utilisateur et les ouvrages électriques du réseau public et correspondent généralement à l'extrémité d'un ouvrage électrique, matérialisée par un organe de coupure. Par organe de coupure, on entend un appareil installé sur un réseau électrique et permettant d'interrompre un courant non nul qui circule entre les deux extrémités de cet appareil. »
L'installation de production de la société BCN n'étant pas raccordée directement à un réseau public d'électricité, le point de livraison ne peut être assimilé à la définition précitée établissant la localisation du point de connexion pour les ouvrages électriques de cette société.
Sur la localisation du point de livraison de l'installation de production de la société BCN :
La définition des éventuelles corrections à apporter à la puissance et à l'énergie électrique fournies à la société EDF, acheteur obligé dans le cadre de l'appel d'offres « CRE 2 » n° 2006/S 235-251239, nécessite de prévoir la localisation du point de livraison de l'installation de production de la société BCN.
Dans un arrêt n° 11-17344 du 12 juin 2012, la Cour de cassation a indiqué, s'agissant d'un différend opposant les sociétés Tembec Tarascon et Bioenerg à la société ERDF, qu'« en décidant que la société Bioenerg serait unilatéralement créancière d'une prestation de comptage de la part de la société ERDF, sans souscrire les conventions [de raccordement et d'exploitation] prévues par l'article 2 du décret [n° 2008-386 du 23 avril 2008 relatif aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement pour le raccordement d'installations de production aux réseaux publics d'électricité] et sans être tenue personnellement des normes de sécurité prescrites par ce décret, la cour a violé le texte susvisé ».
Dans un arrêt n° 2012-18468 du 12 décembre 2013, pris sur renvoi de la décision de la Cour de cassation du 12 juin 2012, la cour d'appel de Paris a estimé qu'« afin que l'installation [de production] en cause, indirectement raccordée au réseau, réponde aux exigences du décret du 23 avril 2008 (articles 2 et 9), qui précisément, pour éviter tout dommage aux infrastructures du réseau public et permettre au gestionnaire d'assurer sa mission de service public, subordonne tout raccordement à des conditions techniques et juridiques précises, il convient, ajoutant à la décision [n° 04-38-09 du comité de règlement de différends et des sanctions], de prévoir qu'ERDF devra préalablement adresser à la société Bioenerg une convention de raccordement et une convention d'exploitation ».
Dans un arrêt n° 12/02114 du 18 avril 2013, la cour d'appel a également rappelé que le « décret n° 2008-386 du 23 avril 2008 s'applique à toute opération de raccordement, fût-elle indirecte, d'une installation de production d'énergie électrique à un réseau public d'électricité, en vue de sa fourniture au client du producteur ; que l'article 2 de ce décret impose à celui qui entend bénéficier d'un raccordement au réseau public de distribution la conclusion d'une convention de raccordement et d'une convention d'exploitation et nécessite que le bénéficiaire s'engage personnellement à respecter les normes de sécurité prescrites par ce décret ».
Le raisonnement suivi par la Cour de cassation et par la cour d'appel de Paris en matière de raccordement indirect à un réseau public de distribution est transposable au raccordement indirect au réseau public de transport géré par la société RTE.
Dans un arrêt n° 2010-17039 du 12 juin 2010, la cour d'appel de Paris a ainsi estimé à propos d'un différend entre la société RTE et un producteur indirectement raccordé que « c'est également à tort que la société RTE prétend que le raccordement indirect […] impliquerait qu'un producteur puisse exploiter une installation de production sans signer une convention de raccordement, dès lors que l'article 23 de la loi du 10 février 2000, qui dispose qu'un droit d'accès aux réseaux publics de transport et de distribution est garanti par les gestionnaires de réseaux, précise ensuite : “à cet effet des contrats sont conclus entre les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution concernés et les utilisateurs de ces réseaux” ».
Le I de l'article 2 du décret n° 2008-386 du 23 avril 2008, modifié par le décret n° 2010-502 du 17 mai 2010, relatif aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement pour le raccordement d'installations de production aux réseaux publics d'électricité prévoit notamment qu'« il est établi une convention de raccordement […] pour une installation de production […] ».
Le I de l'article 9 du décret du 23 avril 2008 susmentionné prévoit, également, que la « convention de raccordement, établie entre le producteur et le gestionnaire du réseau public d'électricité, définit le point de livraison, mentionne les caractéristiques et les performances déclarées de l'installation de production qui sera raccordée et contient un descriptif de la solution technique retenue pour ce raccordement ».
Enfin, l'article 16 du décret du 23 avril 2008 susmentionné prévoit que les « dispositions des articles 2 et 15 […] s'appliquent à compter du 26 octobre 2008 à toute installation de production déjà raccordée à un réseau public d'électricité. Par dérogation, lorsqu'il existe des documents qui sont assimilés aux conventions prévues à l'article 2, leur éventuelle mise en conformité aux indications des articles 2 et 9 est exigée à l'occasion soit de la première modification intervenant sur l'installation, soit d'une remise en service de l'installation intervenant après un arrêt de plus de deux ans, soit en cas de changement d'exploitant. Lorsque cette mise en conformité est nécessaire et qu'elle n'est pas intervenue en vertu des dispositions qui précèdent, elle est effectuée au plus tard deux ans après la parution de l'arrêté mentionné à l'article 8 si la puissance de l'installation de production est supérieure à 100 MW ou cinq ans après la parution de cet arrêté dans les autres cas ».
Il ressort des pièces du dossier et de la mesure d'instruction du rapporteur qu'aucune convention de raccordement ou d'exploitation n'a été signée avec la société BCN.
L'article 2 du décret du 23 avril 2008 susmentionné prévoit que le point de livraison est défini dans la convention de raccordement. En conséquence, il appartient au comité de règlement de différends et des sanctions d'inviter la société RTE à communiquer à la société BCN, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, une convention de raccordement pour l'installation de production indirectement raccordée au réseau public de transport, précisant notamment la localisation du point de livraison.
S'agissant de la localisation du point de livraison de l'installation de production, qui fait l'objet d'un désaccord entre les parties, le comité considère que, sous réserve de l'accord à conclure entre la société RTE et la société BCN, le point de livraison pourrait être fixé, pour des motifs de rationalité économique et technique, en sortie de l'installation de production de la société BCN.
Le contrat de prestations annexes, conclu dans le cadre du service de décompte, contient, par définition, les engagements de RTE en matière de comptage de la production des installations indirectement raccordées et doit prévoir à ce titre les éventuelles corrections à apporter à la puissance et l'énergie électrique fournies à la société EDF si le dispositif de comptage n'est pas situé au point de livraison de l'installation de production. Ce contrat conclu par la société BCN devra donc, le cas échéant, être modifié.
Il appartient, en conséquence, au comité de règlement des différends et des sanctions d'inviter la société RTE à communiquer à la société BCN, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, un avenant au contrat de prestations annexes intégrant, le cas échéant, les corrections à apporter à la puissance et à l'énergie électrique fournies à la société EDF.
Décide :
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