La loi de finances pour 2002, adoptée le 19 décembre 2001, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de soixante sénateurs et par plus de soixante députés. Les requérants adressent à la loi plusieurs séries de critiques qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :
I. - Sur les critiques adressées à l'ensemble de la loi
A. - Les députés, auteurs du second recours, formulent deux séries de critiques mettant en cause l'ensemble de la loi.
Ils font d'abord valoir que le niveau des recettes fiscales serait manifestement surévalué en raison d'une surévaluation des hypothèses de croissance. En outre, l'évaluation de ces recettes serait critiquable en raison d'une affectation de recettes au FOREC qui contreviendrait aux articles 1er et 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959. Enfin, plusieurs charges auraient été sous-estimées.
Par ailleurs, selon les même requérants, l'équilibre défini par la loi de finances serait erroné, certaines réductions de crédits destinées à financer des mesures nouvelles en faveur de la police et de la gendarmerie ayant affecté des articles ou lignes de crédits qui n'apparaissaient pas dans le projet de loi de finances pour 2002.
B. - Le Conseil ne saurait faire sienne l'argumentation des requérants.
- En ce qui concerne la sincérité des prévisions de recettes, le Gouvernement ne peut que rappeler, comme il a déjà eu l'occasion de le faire en réponse à de semblables critiques - et en dernier lieu à propos de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 - la nécessité de bien distinguer ce qui relève des débats d'experts ou de l'appréciation politique de ce qui peut mettre en cause la conformité à la Constitution de la loi de finances au regard du principe de sincérité.
Les chiffres retenus par le Gouvernement, et sur lesquels repose la loi adoptée, peuvent évidemment faire l'objet de débats, mais au plan juridique, seule une surévaluation manifeste, certaine et volontaire des prévisions dénaturant la signification du contrôle parlementaire sur ces prévisions pourrait donner prise à un contrôle de constitutionnalité. Or, tel n'est pas le cas, le Gouvernement s'étant fondé sur des projections étayées par des travaux d'experts, présentées à la Commission économique de la Nation du mois de septembre.
Il faut également rappeler que le principe de sincérité s'applique ici à un exercice de prévision qui est marqué par des aléas importants. Il s'agit en effet d'évaluer, avant que l'année soit achevée, les recettes de l'ensemble de l'année suivante ; à ce titre, la prévision des recettes pour l'année 2002 comporte encore plus d'incertitudes que celle de recettes de l'année en cours.
Les hypothèses macro-économiques retenues dans le Rapport économique, social et financier (RESF) associé au projet de loi de finances pour 2002 tablent sur une croissance française de 2,3 % en 2001 et 2,5 % en 2002, avec la possibilité d'un point bas à 2,1 % en 2001 et à 2,25 % en 2002 compte tenu des incertitudes notamment liées aux attentats du 11 septembre. Ces hypothèses rejoignaient celles de l'ensemble des prévisionnistes au début du mois de septembre. A cette date, le consensus des prévisionnistes internationaux (« Consensus Forecast ») envisageait ainsi une croissance française de 2,4 % en 2001 et de 2,5 % en 2002.
Par ailleurs, il n'existe pas à ce jour de résultat statistique invalidant ces prévisions. En tout état de cause, les résultats publiés jusqu'à l'adoption du projet de loi de finances étaient cohérents avec elles :
- les comptes trimestriels du troisième trimestre 2001 publiés par l'INSEE le 23 novembre dernier mettent en évidence une hausse de 0,5 % du PIB au troisième trimestre, après 0,2 % au deuxième trimestre. L'acquis de croissance à la fin du troisième trimestre pour l'année 2001 (c'est-à-dire la croissance en moyenne annuelle en 2001 qui serait obtenue si la croissance du PIB s'avérait nulle au dernier trimestre) s'inscrit ainsi à 2,1 %, en cohérence avec les prévisions du RESF ;
- la consommation des ménages en produits manufacturés est restée dynamique aux mois d'octobre et de novembre. D'après les derniers chiffres publiés par l'INSEE, à fin novembre, elle présente un acquis de croissance de 2,9 %, là encore cohérent avec les prévisions du RESF.
Enfin, les incertitudes sur les conséquences des attentats du 11 septembre restent fortes. Les prévisions plus récentes sur-réagissent peut-être à l'événement et sont, en tout état de cause, entachées d'incertitudes plus fortes qu'à l'accoutumée.
Il importe de rappeler que c'est sur la base de ces mêmes éléments que le Conseil constitutionnel a écarté des critiques identiques dans sa décision no 2001-453 DC du 18 décembre 2001.
- Par ailleurs, l'argument selon lequel l'affectation au FOREC d'une partie de la taxe sur les conventions d'assurance serait contraire aux articles 1er et 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ne saurait être retenu par le Conseil.
En effet, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il est loisible au législateur d'affecter à une autre personne publique que l'Etat des recettes fiscales auparavant affectées à ce dernier. La portée des articles 1er et 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ne va pas au-delà de l'exigence que les ressources affectées au budget de l'Etat soient évaluées par la loi de finances. Au cas d'espèce, il ne peut être prétendu que la taxe sur les conventions d'assurance serait par nature une recette revenant à l'Etat, et dont le produit devrait, en totalité, être pris en compte par le budget de l'Etat. Ainsi, la loi de finances pour 2002, en évaluant la seule part de la taxe sur les conventions d'assurance revenant à l'Etat en 2002, a fait une exacte application des articles 1er et 4 de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
- S'agissant du moyen tiré d'une sous-estimation de certaines charges dans la loi de finances pour 2002, il ne peut, lui aussi, qu'être écarté.
a) En effet, contrairement à ce qui est affirmé, le financement de l'augmentation du traitement des fonctionnaires au 1er mars prochain a été pris en compte dans les crédits pour 2002 : les budgets des ministères intègrent le coût de la revalorisation de 0,5 % au 1er mars annoncée par le Gouvernement en mai 2001. Le financement des autres mesures à intervenir sera assuré en gestion à partir du chapitre 31-94 du budget des charges communes, destiné à financer les mesures générales intéressant le secteur public.
b) L'assertion concernant les crédits de relance de la politique de la ville n'est pas davantage fondée :
- le titre VI du budget de la ville prévoit une augmentation des autorisations de programme de 52 MEuro entre la loi de finances pour 2001 et celle de 2002 au titre de l'accélération de la politique de la ville à travers les investissements du fonds d intervention pour la politique de la ville (FIV), au titre de l'accélération des grands projets de ville (GPV) et des opérations de renouvellement urbain (ORU), dont les nouvelles ORU décidées dans le cadre du dernier comité interministériel des villes (CIV) ;
- le titre IV du budget de la ville connaît également une augmentation de 19 MEuro, hors effet de modification de nomenclature, qui prend en compte la relance de la politique de la ville à travers les interventions du FIV.
Le budget de l'urbanisme et du logement connaît, quant à lui, une augmentation de ses crédits au titre de la politique de démolition, dont l'amplification a été annoncée lors du dernier CIV (76 MEuro d'AP dans la présente loi à ce titre contre 26 MEuro d'AP en 2001) et une augmentation des crédits au titre de la qualité de services dans le parc HLM (47 MEuro d'AP en 2002 sur l'article 02 du ch. 65-48 habituellement non doté en loi de finances).
- Enfin l'argument tiré du caractère prétendument erroné de l'équilibre défini par la loi de finances ne saurait non plus être retenu, car il manque en fait.
Il résulte en effet des termes de l'ordonnance du 2 janvier 1959, et en particulier de son article 43, que le caractère limitatif des crédits, et donc leur disponibilité, s'apprécient non pas au niveau des articles, niveau réglementaire de la nomenclature, mais au niveau des chapitres. Le fait que les exposés sommaires des amendements portant réduction de crédits aient pu comporter, dans les éléments d'information fournis relativement aux articles affectés, des erreurs matérielles, est ainsi sans influence sur la réalité des réductions de crédits opérées et sur la justesse de l'équilibre défini à l'article 51.
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