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Enquête de la CRE sur les pratiques commerciales d'EDF Trading Limited et EDF Trading Markets Limited en matière de REMIT
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Le comité de règlement des différends et des sanctions,
Une saisine, introduite par le président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), a été enregistrée le 15 juin 2018 sous le numéro 02-40-18, à l'encontre des sociétés EDF Trading Limited (EDFT) et EDF Trading Markets Limited (EDFM).
Elle est relative au non-respect, par les sociétés EDFT et EDFM, du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence du marché de gros de l'énergie (le règlement REMIT).
- Procédure suivie par la Commission de régulation de l'énergie
1.1. Demandes d'informations de la Commission de régulation de l'énergie dans le cadre de sa mission de surveillance des marchés de gros
Dans le cadre de sa mission de surveillance des marchés de gros prévue à l'article L. 131-2 du code de l'énergie (1), la CRE a analysé les actions incluant les opérations de négoce de la société Electricité de France (EDF) et de ses filiales de trading, les sociétés EDFT et EDFM, dans un contexte de hausse significative des prix de gros de l'électricité sur le marché à terme à partir du mois de septembre 2016, en lien avec les indisponibilités nucléaires planifiées ou fortuites pour l'hiver 2016-2017.
Par un courrier du 18 octobre 2016, par application de l'article L. 134-18 du code de l'énergie (2), le président de la CRE a demandé à la société EDF de lui communiquer des informations relatives à ses publications sur l'état de ses installations nucléaires et à son comportement sur les marchés de gros de l'électricité en France, dans un contexte de forte indisponibilité du parc nucléaire français et de remontée des prix de gros de l'électricité. Dans ce courrier, la CRE a demandé à la société EDF de lui fournir tous les ordres et transactions effectués par la société EDFT depuis le 1er avril 2016 jusqu'au 15 octobre 2016, ainsi que de lui transmettre « des éléments de clarification sur la communication d'EDF concernant les anomalies affectant les générateurs de vapeur de 18 réacteurs nucléaires, notamment à la suite des termes employées par la presse spécialisée qui évoquent une « fuite » d'informations. » La CRE a également demandé à la société EDF « de transmettre aux services de la CRE toutes les communications publiques d'EDF, notamment au titre de la communication financière, et leur chronologie horodatée précise relatives à ce sujet ». La CRE a en outre demandé à la société EDF de transmettre « les publications d'indisponibilité, publiées sur le site de RTE au titre des obligations de transparence prévues par l'article 4 du Règlement REMIT, des unités de production nucléaires, y compris leur mise à jour, depuis le 1er avril 2016. Lorsqu'elles sont liées aux anomalies susmentionnées, toutes les informations ayant permis d'établir les hypothèses de durée d'indisponibilité et des dates de retour ».
Le 31 octobre 2016, la société EDF a produit à la CRE des premiers éléments quantitatifs et qualitatifs en réponse à la demande d'informations du 18 octobre 2016, notamment les ordres et les transactions réalisés par la société EDFT, la stratégie d'EDFT sur les produits pour livraison en 2017 et les communications publiques de la société EDF quant à la situation du parc nucléaire. La société EDF a également fourni à la CRE un dossier « Publication » comprenant les fichiers de l'ensemble des publications réalisées dans le cadre de l'application du règlement REMIT du 1er avril au 15 octobre 2016 sur le site de la société RTE, société gestionnaire du réseau public de transport français d'électricité, concernant les unités de productions nucléaires ainsi qu'un tableau des références des éléments ayant permis, selon la société EDF, d'établir les durées d'arrêt et les dates de retour pour les publications relatives aux unités concernées par les anomalies affectant les générateurs de vapeur.
1.2. Ouverture d'une enquête en application de l'article L. 135-3 du code de l'énergie et désignation d'un agent enquêteur
Les informations ainsi transmises par la société EDF ont conduit la CRE à ouvrir une enquête en application de l'article L. 135-3 du code de l'énergie, afin de déterminer si les sociétés EDF, EDFT et EDFM s'étaient livrées, depuis le 1er avril 2016, à des pratiques susceptibles de constituer des manquements aux articles 3 et 4 du règlement REMIT.
Par décision du 1er décembre 2016, le président de la CRE a désigné M. Craplet, chargé de mission au sein du département de la surveillance des marchés de gros, afin de procéder à cette enquête.
1.3. Demandes de l'agent enquêteur
1.3.1. Première demande
Le 12 janvier 2017, l'agent enquêteur a demandé aux sociétés EDFT et EDFM, sur le fondement de l'article L. 135-4 du code de l'énergie (3), de lui fournir un document présentant les liens entre EDFT et EDFM ainsi que les missions de chacune, une série des donnés transactionnelles, un indicateur quantitatif permettant d'indiquer les positions d'EDFT et EDFM sur les marchés à terme, ainsi qu'une série d'informations concernant la stratégie et les prises de positions d'EDFT et EDFM.
Les sociétés EDFT et EDFM ont répondu à cette demande le 21 février 2017 puis ont transmis des éléments complémentaires le 7 mars 2017.
1.3.2. Désignation d'un nouvel agent enquêteur et deuxième demande
Le 3 avril 2017, M. Bortot a indiqué avoir été désigné par le président de la CRE en remplacement de M. Craplet, en qualité d'agent-enquêteur aux fins de procéder à l'enquête et a transmis une nouvelle demande d'informations aux sociétés EDFT et EDFM afin d'obtenir des données transactionnelles complémentaires à celles fournies le 21 février 2017.
Le 2 mai 2017, les sociétés EDFT et EDFM ont transmis les éléments de réponse.
1.3.3. Troisième demande
Le 22 mai 2017, l'agent-enquêteur a transmis une nouvelle demande d'informations aux sociétés EDFT et EDFM. Il leur a indiqué que « la société EDFT a transmis le 2 mai 2017 les ordres et transactions passées sur les marchés à terme pour livraison en Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas, Suisse et Espagne » mais que « les données transmises concernant les transactions effectuées sur des bourses ne permettent cependant pas de déterminer de façon automatique et sans ambiguïté la zone de livraison liée à la transaction ». Il a aussi demandé à la société EDFT d'adresser « les transactions effectuées par EDFM entre le 1er avril 2016 et le 28 février 2017 sur toutes les bourses pour livraison en 2017 en Allemagne, Angleterre, Italie, Belgique, Pays-Bas, Suisse ou Espagne pour tous les produits hors produits spot en précisant la zone de livraison liée à la transaction ».
Le 2 juin 2017, les sociétés EDFT et EDFM ont transmis des éléments de réponse.
1.3.4. Quatrième demande
Le 12 juillet 2017, l'agent-enquêteur, après avoir indiqué que « dans le cadre de la communication des résultats financiers du groupe EDF pour l'année 2016 du 14 février 2017, EDF a indiqué que le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (EBITDA) de sa filiale EDFT sur l'exercice 2016 s'élevait à environ 729 millions d'euros », a demandé aux sociétés EDFT et EDFM de lui transmettre certaines de ses données financières, des informations relatives à l'organisation du trading au 31 décembre 2016 ainsi que des données transactionnelles.
Le 17 août 2017, les sociétés EDFT et EDFM ont transmis les éléments de réponse.
1.3.5. Cinquième demande
Le 2 novembre 2017, l'agent-enquêteur a demandé aux sociétés EDFT et EDFM de compléter les éléments relatifs aux données de gain et de pertes (PnL) globales des différents desks de trading d'EDFT, au pas de temps journalier, sur la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016, et a demandé des informations supplémentaires, dont notamment :
- les PnL au pas de temps journalier, sur la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016, pour tous les desks de trading d'EDFT ventilés par plateforme de trading, échéance de livraison et zone de marché ;
- les raisons qui ont poussé la société EDFT à effectuer certaines transactions bilatérales et les justifications de leur niveau de prix éloigné du prix de marché ;
- toutes les communications écrites et/ou téléphoniques, accompagnées de leurs retranscriptions, entres les personnes d'EDFT basées à Londres, et occupant certains postes, et le personnel d'EDFT Paris, d'EDF-DOAAT ou d'EDF en dehors la DOAAT pour les journées du 21 au 28 septembre, du 14 au 18 octobre ainsi que du 23 novembre au 5 décembre 2016.
L'agent-enquêteur a en outre indiqué qu'il ressortait des données transactionnelles transmises par les sociétés EDFT et EDFM que les plateformes d'intermédiation utilisées pour échanger des produits à terme pour livraison physique n'étaient pas des plateformes de trading multilatéral au sens de la Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d'instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (MIFID 1), mais des plateformes « non-MTF ». En conséquence, il a demandé aux sociétés EDFT et EDFM d'adresser leur appréciation sur ce point et de compléter les données transactionnelles transmises le 21 février 2017 et le 17 août 2017 en ajoutant « pour chaque transaction un champ précisant le nom exact de la plateforme où a eu lieu cette transaction, et selon vous, la nature de la plateforme (MTF ou non MTF) et de la transaction (instrument financier ou non instrument financier) ».
L'agent enquêteur a en outre informé les sociétés EDFT et EDFM de l'élargissement du périmètre de l'enquête afin d'inclure l'article 5 du règlement REMIT relatif à l'interdiction des manipulations de marché.
Le 22 novembre 2017, la société EDFT a transmis des éléments de réponse le 22 novembre 2017 et a apporté des éléments complémentaires le 29 novembre 2017.
1.3.6. Sixième demande
Le 14 février 2018, l'agent enquêteur a demandé aux sociétés EDFT et EDFM de lui transmettre toutes les transactions effectuées par EDFM entre le 1er janvier 2016 et le 1er janvier 2017 sur la plateforme Nasdaq Commodities, en faisant figurer clairement la zone de livraison liée à la transaction et le type de produit.
Le 23 février 2018, les sociétés EDFT et EDFM ont transmis des éléments de réponse.
1.4. Notification d'un procès-verbal établi en application des dispositions de l'article L. 135-12 du code de l'énergie
Compte tenu des réponses apportées par les sociétés EDFT et EDFM aux demandes d'informations qui leur ont été adressées entre le 12 janvier 2017 et le 14 février 2018, l'agent enquêteur a établi le procès-verbal n° CRE-12-2016-NC du 16 avril 2018, en application de l'article L. 135-12 du code de l'énergie (4).
Le procès-verbal expose le contexte de l'exploitation du parc nucléaire, marqué par les annonces d'indisponibilité des réacteurs nucléaires du parc d'EDF en lien avec les contrôles imposés par l'ASN à la suite de la découverte d'un phénomène de « ségrégation carbone » sur des générateurs de vapeur de réacteurs nucléaires, ainsi que les évolutions constatées sur le marché de gros de l'électricité et, notamment, l'évolution des prix.
Le procès-verbal présente, ensuite, une analyse approfondie de l'objet de l'enquête, centrée sur la période allant de juillet 2016 à janvier 2017 au regard du comportement des sociétés EDF, EDFT et EDFM et des réponses apportées par ces sociétés.
Au terme de cette analyse, et à l'égard d'EDFT et EDFM, l'agent enquêteur a estimé « que :
2. EDF Trading Limited et EDF Trading Markets Limited ont méconnu les obligations relatives à l'article 4 de REMIT s'agissant de :
- l'Information 2 relative au besoin d'EDF de [SDA] GW d'achats à réaliser sur le premier trimestre 2017 partagée entre EDF et EDF Trading Limited et EDF Trading Markets Limited dès le 27 septembre 2016 matin ;
- l'Information 3c relative à la lettre de réponse du 17 octobre 2016 midi d'EDF à l'ASN confirmant la décision d'arrêt par EDF des réacteurs mentionnés par l'ASN en y rajoutant également Tricastin 4 ;
- l'Information 4 relative à la marge de prudence de [SDA] GW appliquée par EDF entre le 4 juillet 2016 et le 23 janvier 2017 sur sa position sur le marché à terme sur des produits pour livraison en 2017 ;
[…]
4. EDF Trading Limited et EDF Trading Markets Limited ont méconnu les dispositions de l'article 3 de REMIT sur l'ensemble des transactions effectuées :
- le 27 et 28 septembre 2016 en lien avec l'indication donnée par EDF de son besoin relatif à l'Information 2 ([SDA] GW sur le premier trimestre 2017). Le gain associé à ces transactions est évalué à un peu moins de 10 millions d'euros ;
- pendant la journée du 18 octobre 2016 en lien avec l'Information 3c. Le gain associé à ces transactions est estimé à [SDA] d'euros ;
[…]
6. EDF Trading Limited et EDF Trading Markets Limited ont méconnu les dispositions de l'article 5 de REMIT dans la mesure où l'erreur opérationnelle d'EDF Trading Limited et EDF Trading Markets Limited, qui a conduit à des achats en excès et contribué aux pics de prix observés les journées du 7 et 8 novembre 2016, a donné une indication trompeuse sur l'état de l'offre et la demande sur le marché spot français de l'électricité. L'ensemble des acteurs présents sur ces deux journées sur l'enchère ont été impactés à hauteur de [SDA] d'euros environ avec un gain évalué à [SDA] d'euros pour EDF Trading Limited et EDF Trading Markets Limited. ;
[…] ».
Ce procès-verbal a été notifié aux sociétés EDFT et EDFM le 17 avril 2018 en application de l'article L. 135-12 du code de l'énergie.
En application de l'article L. 135-12 du code de l'énergie, les sociétés EDFT et EDFM ont été invitées à présenter leurs observations écrites ou orales dans un délai de quinze jours à compter de cette notification.
1.5. Observations des sociétés EDFT et EDFM en réponse au procès-verbal
Le 22 mai 2018, les sociétés EDFT et EDFM ont communiqué leurs observations écrites en réponse au procès-verbal.
Dans leurs observations, les sociétés EDFT et EDFM décrivent tout d'abord leur structure et leur organisation, avant de répondre aux faits visés dans le procès-verbal.
Les sociétés EDFT et EDFM soutiennent que les manquements constatés à leur encontre ne sont pas établis.
En premier lieu, s'agissant de l'information concernant le besoin d'achat d'EDF de [SDA] GW, les sociétés EDFT et EDFM affirment que cette information ne pouvait pas constituer en elle-même une information privilégiée et que « les ordres d'achat en découlant ont été passées en application de la politique de couverture d'EDF » et « que ceux-ci n'ont pas pu servir de fondement à une opération d'initié ».
En deuxième lieu, s'agissant de l'information relative à la prescription de contrôles complémentaires de l'ASN, les sociétés EDFT et EDFM soutiennent que « le caractère public de l'Information 3c était établi avant le 22 septembre 2016 », que « la décision d'arrêt des réacteurs mentionnée par l'ASN par les informations 3a et 3b et figurant dans la lettre réponse du 17 octobre 2016 d'EDF n'étaient pas connue d'EDFT » et « qu'aucune opération d'initié ne peut être rapprochée à EDFT ».
En troisième lieu, s'agissant de l'information relative à la marge de prudence de [SDA] GW pour 2017, les sociétés EDFT et EDFM soutiennent notamment que cette information ne constitue pas une information privilégiée en application du considérant 12 du règlement REMIT.
En dernier lieu, s'agissant des pics de prix des 7 et 8 novembre 2016, les sociétés EDFT et EDFM affirment que « les pics de prix des 7 et 8 novembre 2016 ont pour origine une erreur opérationnelle d'EDFT, excluant par la même toute manipulation de marché telle que définie par le Règlement REMIT ». Les sociétés affirment donc ne pas pouvoir être soupçonnées d'avoir commis une manipulation de marché.
- Saisine du comité de règlement des différends et des sanctions
Le 15 juin 2018, le président de la CRE a, en application de l'article L. 134-25, alinéa 3, du code de l'énergie (5), saisi le comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) d'une demande de sanction, enregistrée sous le numéro 02-40-18, à l'encontre des sociétés EDFT et EDFM, fondée sur la méconnaissance alléguée, par ces sociétés, de dispositions du règlement REMIT, en lien avec les événements suivants :
- la communication d'un ordre d'achat de [SDA] GW d'EDF à EDFT ;
- la prescription par l'ASN de contrôles complémentaires sur certains réacteurs nucléaires ;
- la mise en place d'une marge de prudence de [SDA] GW ;
- l'apparition de pics de prix les 7 et 8 novembre 2016.
- Instruction de la demande de sanction
Par décision du 26 décembre 2018, prise en application de l'article R.134-30 du code de l'énergie (6), le président du CoRDiS a désigné Mme Chaubon en qualité de membre du comité en charge de l'instruction (la membre désignée).
Le 26 novembre 2019, la membre désignée a demandé aux sociétés EDFT et EDFM de lui communiquer certains éléments d'informations concernant :
- les politiques de gestion des risques de la société EDFT ;
- la description des mesures correctives éventuellement mises en œuvre par la société EDFT a posteriori pour corriger les conséquences de l'erreur opérationnelle, réalisée lors de la soumission de ses ordres d'achats et de ventes à EPEX SPOT en amont des enchères tenues les 6 et 7 novembre 2016 (pour livraison d'électricité respectivement les 7 et 8 novembre 2016), ainsi que la description des mesures mises en œuvre pour éliminer le risque de nouvelles occurrences.
Le 20 décembre 2019, les sociétés EDFT et EDFM ont apporté des éléments de réponse à cette demande.
Dans leur réponse, les sociétés EDFT et EDFM rappellent notamment, le rôle et les fonctions d'EDFT et EDFM au sein du Groupe EDF. Les sociétés indiquent par ailleurs que le modèle d'organisation du Groupe EDF repose sur une stricte séparation des responsabilités entre les activités de production portées par les entités exploitant des installations de production pour EDF ; les activités en charge de l'optimisation économique des actifs portées par la Direction Optimisation Amont Aval d'EDF ou DOAAT pour EDF ; et les activités d'accès aux marchés de gros de l'électricité. Elles mentionnent notamment que « le Groupe EDF a fait le choix de centraliser son accès marché au sein d'EDFT, dans une logique d'efficacité et de robustesse des dispositifs de contrôle associés à ces activités porteuses de risques opérationnels importants. EDFT est ainsi l'interface exclusive et permanente d'EDF sur les marchés de gros. Dans ce cadre, EDFT a en particulier pour mission de mettre en œuvre la stratégie de couverture formulée par EDF, à travers des achats/ventes dans les marchés de gros sur tous les horizons de temps (de l'infra-journalier au moyen terme), et en tenant compte des contraintes de liquidité. Dans le cadre du processus d'optimisation journalière des moyens de production d'EDF, EDFT a pour objectif d'identifier les meilleures conditions de prix de marché disponibles afin d'optimiser les revenus générés par le parc de production ».
Sur la politique de gestion des risques de la société EDFT, pour la période comprise entre juillet 2016 et janvier 2017, les sociétés EDFT et EDFM indiquent notamment que les politiques de gestion des risques applicables à EDFT s'inscrivent dans le cadre de la politique de gestion des risques marchés énergie du Groupe EDF, mais que les sociétés EDF et EDFT gèrent leur risque marché de manière indépendante. Les sociétés affirment notamment que le document « Risk Management Procedure » d'EDFT, fourni en annexe à la réponse des sociétés EDFT et EDFM à la demande de la membre désignée du 20 décembre 2019, précise que « la formulation des stratégies de trading repose sur une analyse des données fondamentales de marché, de l'équilibre entre niveau de risque et perspective de gain ainsi que sur l'expérience et le jugement propre du trader. Comme indiqué ci-dessus, EDFT assure le service d'accès aux marchés de gros de l'énergie et met en œuvre la stratégie de couverture des risques de marché (intégrant d'éventuelles marges de prudence) formulée par EDF Optimiseur. EDFT n'a pas de pouvoir de décision sur les besoins d'achat et la détermination des marges de prudence qui relèvent exclusivement d'EDF Optimiseur. Pour cette raison, les politiques de gestion des risques applicables à EDFT ne traitent pas de ces sujets ».
Sur l'ordre d'achat de [SDA] GW de septembre 2016, les sociétés EDFT et EDFM indiquent que « le besoin d'achat de [SDA] GW formulé en septembre 2016 est une illustration concrète de la manière d'opérer d'EDFT sur les marchés dans le cadre des responsabilités qui lui sont données par EDF » et que « EDF Optimiseur a fait part à EDFT de son souhait de se porter acquéreur de [SDA] GW, afin d'anticiper ses engagements au titre de l'ARENH compte tenu des conditions de prix de gros pour 2017. Ce besoin d'achat formulé par EDF s'est traduit par plusieurs ordres adressés à EDFT, échelonnés dans le temps, et dont les modalités d'exécution ont été adaptées entre le 30 septembre 2016, où un premier ordre de [SDA] MW a été notifié, et le 27 octobre 2016 ».
Selon les sociétés EDFT et EDFM, l'exécution d'ordres d'achat ou de vente pris en application de plans et stratégies commerciales, ne saurait être qualifiée d'information privilégiée. Il en résulterait, selon les deux sociétés, que « ni le besoin d'achat de [SDA] GW ni les ordres d'achat en découlant formulés par EDF, ne constitueraient des informations privilégiées au sens du Règlement REMIT. Par voie de conséquence, leur connaissance par EDFT ne saurait caractériser une quelconque opération d'initiés »
Sur la marge de prudence de [SDA] GW, les sociétés EDFT et EDFM affirment que la décision d'EDF de constituer une marge de prudence de [SDA] GW pour 2017 ne constitue pas une information privilégiée.
Elles affirment notamment qu'EDFT « ne participe pas au processus de définition des marges de prudence qui relèvent de la stratégie de couverture des risques définie par EDF Optimiseur » et que « selon les informations obtenues par EDFT, l'identification par EDF Optimiseur d'une marge de prudence de [SDA] GW l'a conduit à modifier sa trajectoire de couverture à terme sur le marché dans un contexte d'incertitude. D'après la compréhension d'EDFT, il s'agissait de différer la couverture de [SDA] GW pour 2017 par rapport à une action de couverture progressive pour les placer sur les marchés de court terme et, si le risque sous-jacent se matérialisait, ne pas avoir à les racheter en situation de contrainte et ainsi alimenter une hausse du prix du marché de court terme ». Dans ce cadre, selon les sociétés « chaque acteur est libre de décider de la politique de couverture la plus adéquate et du cadencement de sa mise en œuvre. Cette information relevait donc d'une stratégie commerciale d'EDF et ne constituait en aucun cas une information privilégiée ».
Sur les pics de prix des lundi 7 et mardi 8 novembre 2016, les sociétés EDFT et EDFM indiquent notamment qu'EDF a travaillé en étroite collaboration avec EDFT et envisagé un ensemble de mesures destinées à couvrir ses risques et lui permettre de remplir ses exigences relatives à sa politique de risque. A la suite de l'erreur opérationnelle commise par EDFT, la société indique « avoir immédiatement tout mis en œuvre pour la corriger et l'avoir notifiée rapidement à EPEX Spot en coordination avec EDF, qui en a parallèlement informé la CRE ».
En outre, les sociétés EDFT et EDFM indiquent avoir lancé plusieurs actions, parmi lesquelles, en novembre 2016, en réaction immédiate à l'incident, une revue conjointe des processus opérationnels relatifs à la soumission par EDFT des ordres dits blocs et des achats de sécurité d'EDF sur l'enchère journalière de la bourse EPEX Spot. Le processus amélioré a été mis en œuvre dès le 29 novembre 2016 pour la journée de livraison du 30 novembre 2016. Dans le cadre du processus d'amélioration continue de leurs systèmes d'information, les sociétés indiquent avoir par ailleurs poursuivi la mise en œuvre d'actions destinées à fiabiliser la soumission ainsi que la vérification des carnets d'ordres sur l'enchère journalière EPEX Spot. Enfin, les sociétés EDFT et EDFM affirment avoir pris des mesures complémentaires pour prévenir de nouvelles erreurs. Depuis l'incident, les principes de conduite du changement, mentionnés dans les réponses de sociétés, auraient été appliqués par exemple, en 2019 à l'occasion d'une revue conjointe du processus d'achat de sécurité infra-journalier EDF.
- Notification des griefs
4.1. Rappel de la procédure suivie par la membre désignée
Il résulte des dispositions des articles L. 134-25, L. 134-27 et L. 134-31 du code de l'énergie qu'en cas de manquement constaté dans les conditions prévues à l'article L. 135-12 de ce code, après l'envoi d'une notification des griefs à l'intéressé qui est mis à même de consulter le dossier et de présenter ses observations écrites et orales assisté par une personne de son choix, le CoRDiS peut prononcer une sanction à l'encontre de l'auteur de ce manquement.
L'article 14 de la décision du 13 février 2019 portant adoption du règlement intérieur du CoRDiS précise que : « s'il y a lieu, le membre désigné notifie les griefs, les sanctions encourues et la sanction qu'il entend proposer au comité de règlement des différends et des sanctions. Cette notification est adressée à la personne mise en cause qui dispose d'un délai ne pouvant pas être inférieur à quinze jours pour présenter au comité de règlement des différends et des sanctions ses observations écrites ».
Il résulte de ces dispositions qu'en cas de manquement aux règles définies aux articles 3, 4, 5, 8, 9 et 15 du Règlement REMIT constaté dans les conditions prévues à l'article L. 135-12 du code de l'énergie, le membre désigné du CoRDiS peut notifier des griefs à l'auteur de ce manquement sans le mettre préalablement en demeure.
4.2. Griefs retenus par la membre désignée
Le 17 décembre 2021, la membre désignée a notifié aux sociétés EDFT et EDFM les griefs suivants.
- En ce qui concerne l'information relative au besoin d'achat de la société EDF de [SDA] GW pour le premier trimestre 2017 : d'avoir enfreint, les 27 et 28 septembre 2016, les dispositions de l'article 3 du règlement REMIT interdisant les opérations d'initiés ;
- En ce qui concerne l'information relative à la prescription de contrôles complémentaires de l'ASN sur certains réacteurs du parc nucléaire d'EDF : d'avoir enfreint, entre le 17 octobre à 12 heures (au plus tard) et le 18 octobre 2016 à 14 h 24, les dispositions de l'article 4 du règlement REMIT relatives à l'obligation pour les acteurs du marché de publier les informations privilégiées qu'ils détiennent, ainsi que celles de son article 3 interdisant les opérations d'initiés ;
- En ce qui concerne l'information relative à la marge de prudence de [SDA] GW appliquée par la société EDF entre le 4 juillet 2016 et le 23 janvier 2017 : d'avoir enfreint, entre le 28 novembre 2016 (à partir de 19 h 43) et le 23 janvier 2017, les dispositions de l'article 4 du règlement REMIT relatives à l'obligation pour les acteurs du marché de publier les informations privilégiées qu'ils détiennent ;
- En ce qui concerne les pics de prix observés les journées des 7 et 8 novembre 2016 : d'avoir enfreint, les 6 et 7 novembre 2016, les dispositions de l'article 5 du règlement REMIT relatives à l'interdiction des manipulations de marché.
La membre désignée fait valoir ce qui suit.
En ce qui concerne l'information relative au besoin d'achat de la société EDF de [SDA] GW pour le premier trimestre 2017 :
- qu'il résulte de l'instruction qu'à compter du 27 septembre 2016, la société EDFT connaissait notamment un besoin d'un achat d'EDF à hauteur de [SDA] GW pour le premier trimestre 2017 avant qu'EDF ait formulé les ordres correspondants ;
- que la société EDFT est apparue fortement acheteuse sur les plateformes de courtiers le 27 septembre 2016 sur les produits « Q4 2016 », « Q1 2017 », « Q2 2017 » et « Y 2017 » ; que les prix de ces produits ont été en forte hausse le 28 septembre 2016 ; que des achats importants sur le produit calendaire pour livraison 2017 ont été effectués par EDFT les 27 et 28 septembre 2016, sans que cela corresponde à l'exécution d'ordres d'EDF découlant du besoin d'achat de [SDA] GW ; que la société EDFT est apparue vendeuse le 29 septembre 2016, notamment sur la bourse EEX qui permet l'échange de produits à terme ;
- que si la société EDFT soutient que son activité de trading ne présente pas un caractère inhabituel ni suspect et qu'elle a profité, le 27 septembre 2016, d'une baisse de prix ponctuelle pour augmenter sa position longue, cette baisse des prix apparaît faible alors que les achats d'EDFT sont particulièrement inhabituels compte tenu de leur volume ; qu'en effet les achats d'EDFT sur le produit Q1 2017 représentent en volume les achats journaliers les plus importants de 2016 alors même qu'EDF n'avait pas encore émis d'ordre d'achat concernant ce produit ; que compte tenu de leur volume et de leur proximité avec les échanges entre employés d'EDFT qui évoquaient, dès le matin du 27 septembre 2016, la possibilité d'un ordre d'achat de [SDA] GW sur le produit Q1 2017, les transactions effectuées par EDFT les 27 et 28 septembre 2016 sont inhabituelles ; que le gain associé à ces transactions est estimé à un peu moins de [SDA] d'euros, estimation basse car les prix ont continué à augmenter les semaines suivantes ;
- que l'information concernant le besoin d'achat d'EDF de [SDA] GW sur le produit Q1 2017 est susceptible d'être qualifiée d'information privilégiée au sens du règlement REMIT, dès lors que cette information :
- revêt un caractère précis en ce qu'elle porte sur un volume d'achat précis, pour une période de livraison précise et sur une période d'achat précise ;
- n'avait pas été rendue publique ;
- concerne un produit énergétique de gros ;
- porte sur un ordre d'achat de [SDA] GW, susceptible de faire monter les prix de l'électricité et aurait donc été susceptible d'influencer de façon sensible les prix des produits énergétiques de gros si elle avait été rendue publique ;
- que si cette information relève de la stratégie commerciale de la société EDF et ne peut donc pas être qualifiée de privilégiée à son égard, tel n'est pas le cas pour la société EDFT. Elle doit donc être considérée comme une information privilégiée à l'égard de cette dernière société ;
- que si la société EDFT est tenue, à l'égard de la société EDF, par des obligations de confidentialité et de respect du secret des affaires ainsi que par le respect des règles de concurrences et n'était, par suite pas tenue de publier l'information relative au besoin d'achat d'EDF de [SDA] GW, elle ne devait pas, en revanche, utiliser cette information pour effectuer des transactions ou ordres pour son propre compte ; qu'en l'espèce, seule l'utilisation de cette information est de nature à expliquer les transactions inhabituelles effectuées par EDFT les 27 et 28 septembre 2016 ; que par conséquent, ces transactions constituent des opérations d'initiés réalisées en méconnaissance de l'article 3, paragraphe 1, du règlement REMIT ;
En ce qui concerne l'information relative à la prescription par l'ASN de contrôles complémentaires sur certains réacteurs du parc nucléaire d'EDF :
- que l'information relative à la prescription par l'ASN de contrôles complémentaires sur certains réacteurs du parc nucléaire d'EDF a revêtu les caractéristiques d'une information privilégiée au sens du règlement REMIT au plus tard à compter du 17 octobre 2016 à 12 heures, date à laquelle la société EDF a adressé une lettre à l'ASN indiquant qu'elle avait décidé de contrôler sous trois mois les fonds de générateurs de vapeurs fabriqués par JCFC des réacteurs de Civaux 1, Fessenheim 1, Tricastin 2, Tricastin 4 et Gravelines 4, jusqu'au 18 octobre à 14 h 24, date de publication d'un article de presse indiquant que l'ASN allait demander à EDF l'arrêt des même cinq réacteurs que ceux cités dans la lettre adressée par EDF à l'ASN le 17 octobre 2016 à 12 heures ; que cette information revêtait en effet, au plus tard à compter de cette date, un caractère précis ; que cette information n'avait pas été rendue publique, ni la note de l'ASN du 23 juin 2016, ni le communiqué de presse d'EDF du 21 septembre 2016 ne contenant d'éléments suffisants pour rendre cette information transparente et accessible au marché ; qu'elle concerne des produits énergétiques de gros ; qu'elle était susceptible d'influencer de façon sensible les prix des produits énergétiques de gros ;
- qu'au regard de l'organisation du groupe EDF et notamment des liens existants entre les sociétés EDF et EDFT, des éléments recueillis dans le cadre de l'enquête qui révèlent l'existence d'échanges réguliers d'informations entre EDF et EDFT et du comportement de négoce inhabituel de la société EDFT le 18 octobre 2016 avant la publication de l'article de presse indiquant que l'ASN allait demander à EDF l'arrêt des même cinq réacteurs que ceux cités dans la lettre adressée par EDF à l'ASN le 17 octobre 2016 à 12 heures, il existe un faisceau d'indices graves, précis et concordants permettant d'établir que la société EDFT détenait l'information en cause ;
- que les sociétés EDFT et EDFM n'ont pas publié effectivement et en temps utile cette information, en méconnaissance des dispositions de l'article 4, paragraphe 1, du règlement REMIT ;
- que le opérations de négoce effectuées par la société EDFT le 18 octobre 2016 avant la publication de l'article de presse précédemment mentionné ne peuvent s'expliquer que par la détention et l'utilisation de l'information en cause ; que si certaines transactions ont été passées après la publication de l'article de presse en cause, les transactions effectuées par la société EDFT avant cette publication suffisent néanmoins à caractériser une opération d'initiés dès lors que plusieurs indices concordants suffisent à établir que ces transactions ont été effectuées en utilisant l'information privilégiée ;
En ce qui concerne l'information relative à la marge de prudence de [SDA] GW appliquée par la société EDF entre le 4 juillet 2016 et le 23 janvier 2017 :
- que la marge de prudence de [SDA] GW appliquée par la société EDF dans sa stratégie de couverture sur les marchés à terme de l'électricité entre le 4 juillet 2016 et le 23 janvier 2017, sur sa position en 2017, constituait une information privilégiée au sens du règlement REMIT, pendant la période comprise entre le 4 juillet 2016 et le 23 janvier 2017, dès lors qu'elle revêtait un caractère précis, n'a pas été rendue publique pendant toute la période de son application, concernait un ou plusieurs produits énergétiques de gros et était susceptible d'influencer de façon sensible les prix de produits énergétiques de gros ; que, dans les circonstances de l'espèce, cette information ne relève pas du champ d'application du considérant 12 du règlement REMIT aux termes duquel : « Des informations concernant les plans et stratégies commerciales d'un acteur du marché ne devraient pas être considérées comme privilégiées » ;
- que l'information relative à la marge de prudence de [SDA] GW a été communiquée à la société EDFT le 28 novembre 2016 ; que cette information n'a pas été rendue publique par la société EDFT alors que cette dernière était tenue de la publier en application de l'article 4, paragraphe 1, du règlement REMIT ;
En ce qui concerne les pics de prix observés les journées des 7 et 8 novembre 2016 :
- que les 6 et 7 novembre 2016, l'enchère day-ahead d'EPEX SPOT a connu des prix horaires à plus de 800 euros par MWh sur l'heure de livraison 18 heures-19 heures ; que la société EDF a indiqué que ces prix élevés étaient dus à une erreur opérationnelle lors de la soumission d'ordres d'achats et de ventes à EPEX SPOT en amont des enchères tenues pour les journées de livraison des 7 et 8 novembre 2016 ; que la société EDFT a précisé avoir acheté des volumes en surplus en raison de la soumission en double de deux ordres d'achat ;
- que ces achats en excès ont induit une hausse des prix, dans un contexte de marché tendu et incertain en raison des indisponibilités de centrales du parc nucléaire de la société EDF ; qu'en dépit de ces surplus d'achats, la société EDFT restait néanmoins globalement vendeuse sur la plus grande partie des heures des deux journées considérées ; que l'erreur opérationnelle de la société EDFT est ainsi susceptible d'avoir donné des indications trompeuses sur l'état de l'offre et de la demande sur le marché spot français de l'électricité ;
- que les circonstances que la société EDFT n'ait pas émis de faux ordres et n'ait pas volontairement émis les ordres en doubles, que ces ordres émis résultent d'une erreur et que la société EDFT ait mis en place des mesures correctives à la suite de cette erreur ne font pas obstacle à la qualification de manipulation de marché au sens du règlement REMIT.
Conformément aux dispositions de l'article R. 134-32 du code de l'énergie (7), les sociétés EDFT et EDFM ont été invitées à présenter leurs observations en réponse avant le 17 janvier 2022 et à consulter le dossier.
Par un courrier du 5 janvier 2022, le conseil des sociétés EDFT et EDFM a demandé un délai supplémentaire de trois mois pour produire des observations écrites.
Par un courrier du 6 janvier 2022, le président du CoRDiS a prolongé le délai de production des observations des sociétés EDFT et EDFM jusqu'au 14 février 2022.
Par un courrier électronique du 6 janvier 2022, le conseil des sociétés EDFT et EDFM a demandé à consulter le dossier.
Le 13 janvier 2022, les représentants des sociétés EDFT et EDFM ont eu accès à l'ensemble des pièces du dossier de la notification des griefs au sein des locaux de la CRE et ont téléchargé l'ensemble des pièces de ce dossier sur une clé USB.
- Observations en réponse à la notification des griefs
Par des observations enregistrées le 14 février 2022, les sociétés EDFT et EDFM, représentées par Me Le Bihan-Graf, demande que la séance du CoRDiS se déroule à huis clos et demande au CoRDiS de :
- mettre hors de cause la société EDFM ;
- constater que la société EDFT n'a commis aucun manquement sur le fondement du règlement REMIT ;
- constater qu'aucun des griefs retenus par la notification des griefs n'est fondé ;
- conclure qu'il n'y a pas lieu de prononcer de sanction ni à l'encontre d'EDFT ni à l'encontre d'EDFM ;
- en tout état de cause, décider qu'il n'y a pas lieu de procéder à la publication de la décision à intervenir ou, à titre subsidiaire, limiter la durée de cette publication, anonymiser la décision à l'égard d'EDFT et EDFM, et masquer les données du dossier protégées par le secret des affaires et la confidentialité.
Les sociétés EDFT et EDFM font valoir :
- que la société EDFM doit être mise hors de cause dès lors que la notification des griefs ne lui impute aucun manquement ;
En ce qui concerne l'information relative au besoin d'achat de la société EDF de [SDA] GW pour le premier trimestre 2017 :
- que le besoin d'achat de [SDA] GW de la société EDF n'est pas une information au sens du règlement REMIT, dès lors qu'il s'agit d'un élément des plans et stratégies commerciales d'EDF et que la société EDFT pouvait par suite l'utiliser puisqu'elle est une filiale intégrée qui a pour mission d'optimiser les plans et stratégies commerciales de sa maison mère ; que les plans et stratégies commerciales ne peuvent pas constituer des informations privilégiées pour les entités qui poursuivent conjointement le même objectif ;
- qu'en tout état de cause, l'information relative au besoin d'achat de [SDA] GW de la société EDF ne remplit pas les critères de l'information privilégiée, dès lors que cette information :
- n'est pas précise, notamment au regard du mécanisme de l'ARENH, puisqu'en raison du caractère optionnel de l'ARENH, il n'est pas possible de connaître à l'avance les futures souscriptions ARENH ; que dans ces conditions, la simple expression d'un besoin d'achat de la part d'EDF, surtout quand il n'est que potentiel, ne peut raisonnablement être considérée comme une information dont il est raisonnablement possible de penser qu'elle aboutira à l'émission d'un ordre d'achat portant sur le même volume ;
- était connue des acteurs du marché puisque le besoin d'achat en question visait à prendre en compte un risque de souscription d'ARENH par les fournisseurs
- n'a pas eu d'influence sensible sur le cours des produits à terme dès lors que le besoin d'achat en cause découle de la nécessité pour la société EDF de couvrir ses approvisionnements dans le cadre du mécanisme de l'ARENH et que les plans et stratégie de couverture des fournisseurs susceptibles de bénéficier de ce mécanisme induiront la création de position symétriquement inverses à celles de la société EDF ;
- que la société EDFT n'a pas commis une opération d'initié, dès lors que :
- la notification des griefs retient, à tort, des transactions qui ont été passées avant que l'information ne devienne prétendument privilégiée ;
- il n'est pas démontré que les interventions de la société EDFT auraient été réalisées en utilisant l'information relative au potentiel besoin d'achat de [SDA] GW ;
- les interventions de la société EDFT sur les produits à terme les 27 et 28 septembre 2016 ont d'autres causes que l'utilisation du potentiel besoin d'achat de [SDA] GW dès lors notamment qu'elles ont été déterminées dès le 8 septembre 2016 sur la base des propres analyses de la société EDFT ; que ces interventions présentent en outre un caractère habituel ;
En ce qui concerne l'information relative à la prescription de contrôles complémentaires de l'ASN sur certains réacteurs du parc nucléaire d'EDF :
- que la société EDFT ne disposait pas de l'information en cause et ne pouvait ni la publier, ni l'utiliser ; qu'à cet égard la méthode du faisceau d'indices employée dans la notification de grief échoue à démontrer que la société EDFT aurait détenu cette information, dès lors notamment que son comportement sur les marchés le 18 octobre 2016 n'était pas atypique et que l'organisation du groupe EDF ne peut, à elle seule, constituer un circuit plausible de transmission susceptible d'être un indice concourant à établir la détention par la société EDFT de l'information en cause ;
- qu'en tout état de cause, l'information contenue dans le courrier de la société EDF à l'ASN le 17 octobre 2016 ne remplit pas les critères de l'information privilégiée au sens du règlement REMIT, dès lors que :
- seule l'ASN est en mesure de prescrire des contrôles et donc de publier la décision de procéder à de tels contrôles ;
- l'information en cause n'était pas susceptible d'avoir un effet sensible sur le cours des produits énergétiques de gros ;
En ce qui concerne l'information relative à la marge de prudence de [SDA] GW appliquée par la société EDF entre le 4 juillet 2016 et le 23 janvier 2017 :
- que l'application d'une marge de prudence de [SDA] GW ne constitue pas une information privilégiée au sens du règlement REMIT, dès lors que :
- elle n'entre dans aucune des quatre catégories prévues par le règlement REMIT pour définir la notion d'information ;
- elle relève des plans et stratégies commerciales de la société EDF que la société EDFT était chargée de mettre en œuvre, les critères employés dans la notification des griefs étant à cet égard inopérants pour remettre en cause cette qualification ;
- en tout état de cause, la publication de cette information le 28 novembre 2016 n'aurait pas été susceptible d'exercer une influence sensible sur les prix des produits énergétiques de gros ;
En ce qui concerne les pics de prix observés les journées du 7 et 8 novembre 2016 :
- que le grief n'est pas formulé de façon suffisamment claire et précise, en violation des principes du contradictoire et des droits de la défense ;
- que la reconnaissance d'une erreur opérationnelle par la société EDFT ne suffit ni à qualifier, ni à constituer le grief ;
En ce qui concerne la sanction :
- qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte un dommage causé au marché, seule la réparation d'un préjudice causé aux consommateurs constituant un élément d'appréciation pertinent ;
- qu'aucune sanction ne peut être prononcée sur le fondement d'une interprétation des recommandations de l'ACER qui n'existaient pas à l'époque des faits ;
- que l'évaluation de la situation financière de la société EDFT est erronée ;
- que la durée des griefs allégués ne constitue pas un élément d'appréciation opérant en l'espèce ;
- qu'il n'est pas démontré quels avantages ou gains potentiels la société EDFT aurait tiré des comportements reprochés ;
- que les griefs reprochés ne revêtent aucune gravité ;
- qu'à défaut de pouvoir infliger une sanction pécuniaire, le CoRDiS ne saurait décider de la publication de sa décision ;
Le 1er mars 2022, ces observations des sociétés EDFT et EDFM ont été communiquées à la société EDF.
- Procédure de sanction
Vu le code de l'énergie, notamment ses articles L. 134-25 à L. 134-34 et R. 134-29 à R. 134-37 ;
Vu la décision du 13 février 2019, portant adoption du règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu la décision du 23 décembre 2021 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie, relative à la désignation d'un rapporteur pour l'instruction de la demande de sanction enregistrée sous le numéro 02-40-18 ;
Les sociétés EDF, EDFT et EDFM ont été convoquées à la même séance, qui s'est tenue le 14 mars 2022, du comité de règlement des différends et des sanctions, composé de M. Tuot, président, Mme Daubigney et M. Simonel, membres, en présence de :
Mme Chaubon, membre désignée par le président du comité de règlement des différends et des sanctions,
Mme Bonhomme, directrice des affaires juridiques,
M. Maslarski, rapporteur,
Les représentants des sociétés EDFT et EDFM, assistés de Me Le Bihan-Graf,
Les représentants de la société EDF, assistés de Me Guénaire.
A l'ouverture de la séance, interrogé par le président du CoRDiS, le conseil des sociétés EDFT et EDFM a confirmé leur demande tendant à ce que la séance se déroule hors de la présence du public.
Dans ces conditions, le CoRDiS a décidé que la séance se déroulerait, portes fermées, hors de la présence du public. Outre les représentants et conseils des sociétés EDFT et EDFM et les représentants et conseils de la société EDF, dûment identifiés, ont assisté à la séance, sur autorisation du président du comité, des agents des services de la CRE qui sont tenus au secret professionnel.
Le président du CoRDiS, ayant rappelé que la séance se poursuivait en présence, d'une part, des représentants et conseils des sociétés EDFT et EDFM et, d'autre part, des représentants et conseils de la société EDF, a demandé à chaque partie de faire part de ses éventuelles objections à la présence aux débats oraux des représentants et conseils des autres parties. Aucune objection ni observation n'ayant été formulée et les parties présentes y ayant expressément acquiescé, la séance s'est déroulée dans cette configuration.
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Maslarski, présentant les faits, la saisine du CoRDiS par le président de la CRE, les griefs notifiés et les observations écrites en réponse aux griefs ;
- le rapport de Mme Chaubon, présentant les motifs l'ayant conduite à notifier des griefs, précisant la nature pécuniaire de la sanction proposée et proposant d'anonymiser la décision du CoRDiS à intervenir ;
- les observations de Me Le Bihan-Graf et des représentants des sociétés EDFT et EDFM par lesquelles ces dernières persistent dans leurs moyens et conclusions et à qui la parole a été donnée en dernier.
Le comité de règlement des différends et des sanctions en a délibéré, après que la membre désignée, le rapporteur, les sociétés EDFT et EDFM, parties mises en cause, la société EDF et les agents des services se sont retirés.
-
Motifs de la décision du comité de règlement des différends et des sanctions
7.1. Présentation des sociétés Electricité de France, EDF Trading Limited et EDF Trading Markets Limited
7.1.1. La société Electricité de France -
La société EDF est l'opérateur historique de l'électricité en France, présent sur l'ensemble des métiers de l'électricité, à savoir la production, le transport, la distribution et la fourniture.
-
La société EDF commercialise depuis 1946 des offres de fourniture d'électricité sur environ 95 % du territoire métropolitain continental ainsi que sur le territoire de certaines entreprises locales de distribution.
-
La société EDF exploite, par ailleurs, de manière exclusive, la totalité du parc nucléaire français destiné à la production d'électricité.
-
La société EDF a réalisé en 2021 un chiffre d'affaires de 84, 5 milliards d'euros.
7.1.2. La société EDF Trading Limited
- La société EDF Trading Limited (EDFT) est une société dont le capital est détenu à 100 % par la société EDF Holding SAS. Le capital de cette dernière société est, lui-même, détenu à 100 % par la société EDF.
- La société EDFT fournit, notamment, une gamme complète de services liés aux marchés de gros à la société EDF et permet l'accès au marché des différentes entités du groupe EDF.
- La société EDFT a réalisé en 2021 un chiffre d'affaires de 1 518 millions d'euros.
7.1.3. La société EDF Trading Markets Limited
- La société EDF Trading Markets Limited (EDFM) opère sur les marchés de gros du gaz et de l'électricité en tant qu'agent exclusif de la société EDFT, dont elle est une filiale à 100 %.
- La société EDFM a réalisé en 2020, dernière année pour laquelle cette information est disponible, un chiffre d'affaires de 126 millions d'euros.
7.2. Cadre juridique applicable
- Aux termes du troisième alinéa de l'article L. 134-25 du code de l'énergie : « Le comité de règlement des différends et des sanctions peut (…) sanctionner les manquements aux règles définies aux articles 3, 4, 5, 8, 9 et 15 du règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence du marché de gros de l'énergie (…) qu'il constate de la part de toute personne concernée, dans les conditions fixées aux articles L. 134-26 à L. 134-34, sans qu'il y ait lieu de la mettre préalablement en demeure ».
7.2.1. Sur l'obligation de publier les informations privilégiées
- En premier lieu, aux termes de l'article 2 du règlement REMIT : « Aux fins du présent règlement, on entend par :
- « information privilégiée », une information de nature précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs produits énergétiques de gros et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible les prix de ces produits énergétiques de gros.
Aux fins de la présente définition, on entend par « information » :
a) une information qui doit être rendue publique conformément aux règlements (CE) n° 714/2009 et (CE) n° 715/2009, notamment les orientations et les codes de réseau adoptés en vertu desdits règlements ;
b) une information concernant la capacité et l'utilisation des installations de production, de stockage, de consommation ou de transport d'électricité ou de gaz naturel ou une information relative à la capacité et à l'utilisation des installations de GNL, y compris l'indisponibilité prévue ou imprévue desdites installations ;
c) une information qui doit être diffusée conformément aux dispositions juridiques ou réglementaires au niveau de l'Union ou national, aux règles du marché et aux contrats ou aux coutumes en vigueur sur le marché de gros de l'énergie en question ; dans la mesure où, si elle était rendue publique, cette information serait susceptible d'influencer de façon sensible les prix des produits énergétiques de gros ; et
d) toute autre information qu'un acteur du marché raisonnable serait susceptible d'utiliser pour fonder sa décision d'effectuer une transaction ou d'émettre un ordre portant sur un produit énergétique de gros ;
L'information est réputée « de nature précise » si elle fait mention d'un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu'il existera, ou d'un événement qui s'est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira, et si elle est suffisamment précise pour que l'on puisse en tirer une conclusion quant à l'effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des produits énergétiques de gros ; (…) ».
- Aux termes de l'article 4 du règlement REMIT : « 1. Les acteurs du marché divulguent publiquement, effectivement et en temps utile, une information privilégiée qu'ils détiennent concernant une entreprise ou des installations que l'acteur du marché concerné, ou son entreprise mère ou une entreprise liée, possède ou dirige ou dont ledit acteur ou ladite entreprise, est responsable, pour ce qui est des questions opérationnelles, en tout ou en partie. Cette divulgation contient des éléments concernant la capacité et l'utilisation des installations de production, de stockage, de consommation ou de transport d'électricité ou de gaz naturel ou des informations relatives à la capacité et à l'utilisation des installations de GNL, y compris l'indisponibilité prévue ou imprévue desdites installations ».
- Il résulte de ces dispositions qu'une information est susceptible d'être qualifiée d'« information privilégiée » au sens et pour l'application du règlement REMIT si elle répond aux quatre conditions cumulatives suivantes : qu'elle revête un caractère précis ; qu'elle n'ait pas été rendue publique ; qu'elle concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs produits énergétiques de gros ; et que sa publicité soit susceptible d'influencer de façon sensible les prix de ces produits énergétiques de gros.
- En premier lieu, toute information relative à l'évolution de la capacité ou de l'utilisation d'installations de production d'électricité ou de gaz naturel, notamment portant sur leur indisponibilité, que celle-ci ait été prévue ou qu'elle se révèle de manière imprévue, est susceptible, par sa nature à raison de sa matière même, de constituer une « information privilégiée » au sens des dispositions précitées du règlement REMIT, dès lors qu'elle remplit, par ailleurs, les quatre conditions qui y sont définies. A cet égard, une telle information peut revêtir un caractère précis alors même que l'ensemble de circonstances ou l'ensemble des paramètres ou l'événement dont cette information fait mention et auquel elle est rattachable ne sont pas définitifs ou certains, en tout ou partie et sont seulement raisonnablement probables ou plausibles, dès lors que la connaissance de cette information permettrait à un acteur de marché normalement avisé d'en tirer une conclusion quant aux conséquences possibles de l'évolution de la capacité ou de l'utilisation des installations en cause sur les cours des produits énergétiques et de faire évoluer, en conséquences, leurs propres analyses du marché et leur comportement sur celui-ci.
- Aucune disposition du règlement REMIT ne distingue selon qu'une telle évolution de la capacité ou de l'utilisation d'installations de production d'énergie résulte ou non de circonstances extérieures à leur exploitant, notamment selon que cette évolution résulte d'une décision de l'exploitant lui-même ou bien qu'elle soit la conséquence d'une décision d'une autorité juridictionnelle ou d'une décision, d'une recommandation ou d'un avis d'une autorité administrative ou de tout autre tiers. Eu égard à la finalité d'ordre public économique au sein de l'Union poursuivie par le règlement REMIT dont l'objet est, notamment, de permettre aux acteurs d'avoir confiance dans les marchés énergétiques de gros où ils interviennent, grâce à la mise en œuvre concrète d'instruments de sa transparence effective, la circonstance que l'évolution de la capacité ou de l'utilisation d'installations de production d'énergie résulte d'une décision qui n'émanerait pas de l'exploitant de ces installations ne saurait exonérer celui-ci de son obligation d'assurer lui-même, au moment approprié et en l'assortissant des réserves nécessaires, la divulgation au marché de l'information relative à cette évolution, conformément aux obligations qui lui incombent au titre du règlement REMIT, dès lors que cette information répond, en l'état, aux quatre conditions imposant de la regarder comme ayant la nature d'une « information privilégiée » au sens de l'article 4 dudit règlement. Il en va ainsi alors même que l'acte rendant certain cette évolution ne serait pas définitivement adopté si, au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de l'état d'avancement de la procédure d'instruction au terme de laquelle un acte devrait être pris, il est raisonnable de penser qu'un tel acte sera adopté et qu'il est possible d'anticiper son incidence sur la capacité ou l'utilisation des installations de production énergétique avec une confiance suffisante.
- Dans l'hypothèse où plusieurs informations, concernant un même ensemble de circonstances, de paramètres ou d'événements corrélés relatifs à la capacité et l'utilisation d'installations de production, se succèdent en apportant au fur et à mesure des précisions ou compléments sur l'évolution de la capacité et de l'utilisation de ces installations, chacune de ces informations est, dans ses états successifs, en tant que telle, susceptible de revêtir un caractère précis. A cet égard, le règlement REMIT n'exige pas qu'une information soit complète ou intangible pour pouvoir être regardée comme précise. Une information incomplète ou portant sur des données évolutives peut, ainsi, revêtir un caractère précis au sens du règlement REMIT dès lors que sa divulgation permettrait aux acteurs du marché d'en tirer une conclusion quant aux conséquences possibles de l'état de la capacité ou de l'utilisation des installations en cause sur les cours des produits énergétiques de gros et, partant, sur leurs positions au sein des marchés de gros. Dans un tel cas de figure, il incombe à l'acteur du marché détenteur de ces informations d'en assurer, à chaque fois et pour chacune d'entre elles, le cas échéant en l'assortissant des réserves nécessaires tenant à son caractère incomplet ou évolutif, la divulgation publique, effective et en temps utile et ce, pour chaque information prise isolément, dès l'instant où cette information satisfait aux conditions de l'« information privilégiée » définies par l'article 4 du règlement REMIT.
- En second lieu, la réalisation de la finalité poursuivie par le règlement REMIT, rappelée au point 15, implique en particulier de veiller à favoriser une concurrence ouverte et loyale sur les marchés de gros de l'électricité et du gaz. A cet égard, l'absence de divulgation d'une « information privilégiée » peut conduire à créer une asymétrie d'information entre les acteurs de ces marchés et nuire, ainsi, à leur bon fonctionnement. C'est pourquoi il est requis des acteurs du marché que ces derniers divulguent publiquement, effectivement et en temps utile les « informations privilégiées » qu'ils détiennent et dans l'état dans lequel ils les détiennent. En particulier, lorsqu'un acteur du marché, par ailleurs exploitant d'installations de production, élabore un plan commercial ou une stratégie commerciale en se fondant notamment sur des informations relatives à la capacité ou à l'utilisation des installations qu'il exploite, il revient à cet acteur de veiller avec une particulière attention à ce que ce plan ou cette stratégie soit élaboré au vu d'informations qui ne sont pas privilégiées, afin de préserver une concurrence ouverte et loyale sur les marchés de gros de l'énergie.
- Cette obligation de divulgation des « informations privilégiées » doit toutefois s'interpréter strictement. En particulier, elle ne doit pas faire obstacle à ce que chaque acteur du marché, quelle que soit sa taille et sa position sur le marché, soit en mesure de poursuivre loyalement ses propres objectifs et de conserver à cette fin le secret sur la stratégie, notamment commerciale, qu'il élabore afin de guider ses interventions sur le marché en préservant son autonomie de décision. Par conséquent, l'obligation de divulguer une « information privilégiée » au sens de l'article 4 du règlement REMIT ne saurait s'étendre aux informations relatives aux plans commerciaux ou aux stratégies commerciales que n'importe quel acteur du marché normalement avisé est susceptible d'élaborer par lui-même et pour lui-même au vu des informations dont disposent les autres acteurs du marché. Cette interprétation est confortée par les termes du considérant 12 du règlement REMIT qui, quoique dépourvu de caractère normatif, énonce que : « Des informations concernant les plans et stratégies commerciales d'un acteur du marché ne devraient pas être considérées comme privilégiées. » En particulier, l'obligation, pour un acteur du marché qui, par ailleurs, est exploitant d'installations de production, de divulguer les informations relatives à la capacité ou à l'utilisation de ces installations, ne doit pas faire obstacle à ce que cet acteur du marché puisse continuer à élaborer ses propres plans et stratégies commerciaux, dès lors du moins que, pour ce faire, il n'utilise pas, directement ou indirectement, des « informations privilégiées ».
7.2.2. Sur l'interdiction des opérations d'initiés
- Selon l'article 3, paragraphe 1, du règlement REMIT : « Il est interdit aux personnes qui détiennent une information privilégiée en rapport avec un produit énergétique de gros : / a) d'utiliser cette information en acquérant ou en cédant, ou en tentant d'acquérir ou de céder, pour leur compte propre ou pour le compte d'un tiers, soit directement, soit indirectement, des produits énergétiques de gros auxquels se rapporte cette information ; /b) de communiquer cette information à une autre personne, si ce n'est dans le cadre normal de l'exercice de leur travail, de leur profession ou de leurs fonctions ; / c) de recommander à une autre personne d'acquérir ou de céder, ou de faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base d'une information privilégiée, des produits énergétiques de gros auxquels se rapporte cette information ».
7.2.3. Sur l'interdiction des manipulations de marché
- Aux termes de l'article 5 du règlement REMIT : « il est interdit de procéder ou d'essayer de procéder à des manipulations de marché sur les marchés de gros de l'énergie ».
- La manipulation de marché est définie à l'article 2, paragraphe 2, du règlement REMIT comme, notamment :
« a) le fait d'effectuer toute transaction ou d'émettre tout ordre pour des produits énergétiques de gros qui :
i) donne ou est susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le prix des produits énergétiques de gros ;
ii) fixe ou tente de fixer, par l'action d'une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le prix d'un ou plusieurs produits énergétiques de gros à un niveau artificiel à moins que la personne ayant effectué la transaction ou émis l'ordre établisse que les raisons qui l'ont poussée à le faire sont légitimes et que cette transaction ou cet ordre est conforme aux pratiques de marché admises sur le marché de gros de l'énergie concerné ; ou
iii) recourt ou tente de recourir à un procédé fictif ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice, qui donne, ou est susceptible de donner, des indications fausses ou trompeuses concernant la fourniture, la demande ou le prix de produits énergétiques de gros ; (…) ».
7.3. Analyse des griefs retenus par la membre désignée
7.3.1. Sur l'imputabilité des manquements
- Si la notification des griefs est dirigée à la fois contre les sociétés EDFT et EDFM, les manquements reprochés ne concernent, en réalité, que les seuls comportements de la société EDFT. Il résulte de l'instruction que la société EDFM s'est bornée à exécuter les ordres que lui a donnés la société EDFT, sans disposer d'une quelconque autonomie, y compris décisionnelle, de sorte qu'aucun manquement au règlement REMIT ne peut en l'espèce lui être reproché.
- La société EDFM sera, en conséquence et dans les circonstances de l'espèce, mise hors de cause.
7.3.2. Sur l'information relative au besoin d'achat de la société EDF de [SDA] GW pour le premier trimestre 2017
- Il résulte de l'instruction que l'information relative à un besoin d'achat société EDF de [SDA] GW d'électricité pour une livraison au 1er trimestre 2017 a été transmise à un agent de la société EDFT le 22 septembre 2016. Le 27 septembre 2016, un échange intervenu entre des agents de la société EDFT mentionne, notamment, que l'un d'entre eux a eu accès à un document laissant penser, avec une forte plausibilité, que la société EDF serait susceptible d'acquérir un volume d'électricité correspondant à une puissance de [SDA] GW au 1er trimestre 2017. Un échange ultérieur intervenu le même jour entre des agents de la société EDFT révèle que ces derniers avaient, alors, connaissance du besoin d'achat de [SDA] GW de la société EDF. Or, ce n'est que le 30 septembre 2016 que la société EDF a demandé à la société EDFT de procéder à des opérations sur les marchés de gros afin de satisfaire ce besoin d'achat de [SDA] GW.
- Il résulte, par ailleurs, de l'instruction que la société EDFT est intervenue sur le marché des produits à terme les 27 et 28 septembre 2016 pour procéder à des achats notamment sur le produit « Q1 2017 », produit trimestriel pour livraison au 1er trimestre 2017.
- La membre désignée fait grief à la société EDFT d'avoir, sur la base de l'information relative au besoin d'achat de [SDA] GW de la société EDF, effectué des transactions les 27 et 28 septembre 2016 pour son propre compte et d'avoir par suite méconnu les dispositions de l'article 3, paragraphe 1, sous a, du règlement REMIT précédemment citées relatives à l'interdiction des opérations d'initié.
En ce qui concerne le caractère privilégié de l'information - La société EDFT fait valoir que le besoin d'achat de [SDA] GW de la société EDF se rapporte à la couverture d'un risque qu'elle estimait alors encourir. Il résultait de la vraisemblance d'une augmentation de la demande de la souscription par des fournisseurs d'électricité d'une demande de volumes d'électricité au titre du mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) aux conditions tarifaires favorables dont ils bénéficient, en raison de l'évolution des cours de marché, renforçant l'attractivité du mécanisme. Au regard, notamment, de l'encadrement précis des conditions de mise en œuvre de ce mécanisme par la loi et le règlement, qui est ainsi une donnée connue de tous les acteurs du marché, la définition par la société EDF de son besoin d'achat de [SDA] GW, reposant sur des anticipations de marché que n'importe quel autre acteur aurait pu formuler, n'apparaît pas fondée sur la détention d'une « information privilégiée », notamment pas sur celles qui auraient concerné la capacité ou l'utilisation de ses installations de production. Le besoin d'achat de [SDA] GW de la société EDF constituait donc l'expression d'une stratégie commerciale susceptible d'être anticipée par un acteur de marché normalement avisé. Dès lors, la formulation du besoin d'achat de [SDA] GW ne constituait pas une « information privilégiée » au sens du règlement REMIT en ce qui concerne la société EDF.
- La notification des griefs fait valoir que cette information ne relève pas de la stratégie commerciale propre à la société EDFT et devrait, dès lors, être regardée comme une « information privilégiée » à son égard. Cependant, si la société EDFT constitue une personne morale juridiquement distincte de la société EDF, elle est une sous-filiale intégralement détenue de la société EDF et partage avec cette dernière une identité complète d'intérêts, particulièrement aux plans économiques, financiers, industriels et boursiers. Dans ces conditions et en l'absence en l'espèce d'un intérêt autonome pouvant être poursuivi par la société EDFT, l'information en cause, qui ne revêt pas un caractère privilégié pour la société EDF, ne peut davantage revêtir un tel caractère en ce qui concerne la société EDFT. En conséquence, les transactions réalisées par la société EDFT les 27 et 28 septembre 2016, sur la base de cette information ou en relation avec elle, ne peuvent pas être regardées comme constituant une opération d'initiés au sens du règlement REMIT.
- Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance, par la société EDFT, des dispositions de l'article 3 du règlement REMIT relatives à l'interdiction des opérations d'initiés doit être écarté.
7.3.3. Sur l'information relative à la prescription de contrôles complémentaires de l'ASN sur certains réacteurs du parc nucléaire d'EDF
- Il résulte de l'instruction que, par un communiqué de presse publié le 7 avril 2015, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a indiqué avoir été informée par la société Areva de l'existence d'anomalies de fabrication de la cuve de l'EPR de Flamanville, les résultats d'essais effectués par Areva sur un couvercle de cuve similaire à celui de l'EPR de Flamanville ayant montré, fin 2014, la présence d'une zone présentant une concentration importante en carbone et conduisant à des valeurs de résilience mécanique plus faibles qu'attendues. Par une note d'information publiée le 3 mai 2016, l'ASN a indiqué qu'après avoir demandé, à la fin de l'année 2015, à la société Areva de compléter sa revue de la qualité de la fabrication de pièces forgées à l'usine du Creusot Forge, cette société l'a informée d'irrégularités concernant des composants fabriqués dans cette usine. Par une note d'information publiée le 23 juin 2016, l'ASN a indiqué que les analyses menées par la société EDF depuis 2015 concluent que certains fonds primaires de générateurs de vapeur pourraient présenter une zone de concentration importante en carbone pouvant conduire à des propriétés mécaniques plus faibles qu'attendues. Dans cette note, l'ASN indique que les générateurs de vapeur de 18 réacteurs d'EDF peuvent présenter une anomalie similaire à celle de la cuve de l'EPR de Flamanville.
- Par un communiqué de presse du 19 juillet 2016, la société EDF a actualisé ses objectifs de production nucléaire pour l'année 2016 en se référant notamment à la note d'information de l'ASN publiée le 23 juin 2016 et a indiqué qu'en prenant en compte les délais d'instruction par l'ASN, « une partie des arrêts de tranche subira des prolongations sur le second semestre 2016 ». Par un communiqué de presse publié le 21 septembre 2016, la société EDF a actualisé ses objectifs de production nucléaire pour l'année 2016 et a estimé ses perspectives de production pour l'année 2017, compte tenu des contrôles et des vérifications engagées à la suite de l'audit mené par la société Areva sur son usine du Creusot.
- Par un courrier électronique du 27 septembre 2016 à 13 h 16, l'ASN a indiqué à la société EDF : « au vu des résultats des mesures de carbone obtenus sur TR1 et TRI3, nous nous interrogeons sur l'opportunité d'arrêter les réacteurs équipés de fonds de 120 tonnes fabriqués par JCFC dans l'objectif de réaliser des mesures de carbone en surface ». Les réacteurs de 120 tonnes mentionnés par le courrier électronique de l'ASN sont les suivants : Fessenheim 1, Gravelines 4, Tricastin 2 et Tricastin 4. Le 28 septembre 2016, un article du journal « Le Canard Enchaîné » fait mention des analyses menées sur les réacteurs Tricastin 1 et Tricastin 3, en arrêt technique, en indiquant que : « la situation a été jugée suffisamment inquiétante par l'Autorité de sureté pour qu'un arrêt prématuré des 9 réacteurs suspects restant en lice soit envisagé. La décision n'est pas encore prise, mais les experts aimeraient en avoir, au plus tôt, le cœur net, sans attendre les arrêts programmés dans les prochains mois ou en 2017 ». Un article publié le 11 octobre 2016 par le journal « Les Echos » indique que les investigations menées par la société Areva et la société EDF à la demande de l'ASN sur des générateurs de vapeur laissent planer des incertitudes sur d'éventuels arrêts supplémentaires. Il est indiqué dans cet article que l'ASN aurait précisé que « Nous sommes en pleine instruction, cela doit aboutir dans les prochaines semaines. (…) potentiellement, quatre réacteurs pourraient encore être arrêtés (Tricastin 2 et 4, Fessenheim 1 et Gravelines 4), et les procédures de contrôle de quatre autres tranches actuellement stoppées, pourraient être prolongées (Tricastin 1 et 3, Bugey 4 et Gravelines 2) ».
- Le 14 octobre 2016, l'ASN a adressé un courrier électronique à EDF dans lequel elle indique : « je vous prie de trouver en pièce-jointe un courrier vous invitant à nous faire part de vos observations sur les prescriptions envisagées par l'ASN sur certains fonds primaires ségrégés ». Dans la lettre jointe à ce courrier, il est affirmé que : « l'ASN envisage, du fait de la menace pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement, de prescrire pour les fonds primaires ségrégés des réacteurs Fessenheim 1, Tricastin 2, Gravelines 4 et Civaux 1 la réalisation, sous trois mois - d'essais […] -de mesures de carbone ». Dans cette lettre, l'ASN invite la société EDF à lui faire part de ses observations avant le 17 octobre 2016 à 12 heures. Outre Fessenheim 1, Tricastin 2, Gravelines 4 et Civaux 1, la lettre de l'ASN du 14 octobre 2016 vise également les réacteurs de 90 tonnes qui étaient alors à l'arrêt. L'ASN indique en effet dans cette lettre : « je vous demande par ailleurs, dans le cadre de l'instruction du redémarrage des réacteurs équipés de fonds primaires fabriqués par JCFC à partir d'un lingot de 90 tonnes, de réaliser des mesures carbone (…) ».
- Le 17 octobre 2016 à 11 h 58, la société EDF a adressé un courrier électronique accompagné d'une lettre à l'ASN dans laquelle il est notamment indiqué que : « (…) nous souhaitons porter à votre connaissance au travers du présent courrier que nous avons décidé de contrôler sous 3 mois et lorsque cela n'a pas déjà été réalisé, les fonds de générateurs de vapeur fabriqués par JCFC pour mesurer leur taux de carbone en surface afin d'identifier les zones potentiellement ségrégées et pour contrôler l'absence de défauts qui pourraient être préjudiciables dans les zones potentiellement concernées par des ségrégations majeures résiduelles positives en carbone. / Concrètement, cela reviendra à contrôler sous trois mois les fonds de générateurs de vapeurs fabriqués par JCFC des réacteurs Civaux 1 (90 tonnes), Fessenheim 1, Tricastin 2, Tricastin 4 et Gravelines 4 (120 tonnes) ». Un article publié le 18 octobre 2016 à 14 h 24 sur le site Internet du magazine « Challenge » a révélé qu'« à la demande de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l'électricien [EDF] va annoncer ce mardi 18 octobre, en fin d'après-midi, la mise à l'arrêt de cinq nouvelles tranches nucléaires ». Enfin, par un communiqué de presse publié le 18 octobre 2016 à 16 h 30, l'ASN a indiqué avoir prescrit à la société EDF de réaliser, sous trois mois, des contrôles complémentaires sur certains fonds primaires de générateurs de vapeur de 5 de ses réacteurs dont l'acier est affecté par une concentration élevée en carbone et précise que la réalisation de ces contrôles nécessitera la mise à l'arrêt des réacteurs concernés. Le communiqué de presse précise les cinq réacteurs concernés (Civaux 1, Fessenheim 1, Gravelines 4, Tricastin 2 et 4).
- La notification des griefs reproche à la société EDFT d'avoir enfreint, entre le 17 octobre à 12 heures et le 18 octobre 2016 à 14 h 24, les dispositions de l'article 4 du règlement REMIT relatif à l'obligation pour les acteurs du marché de publier les informations privilégiées qu'ils détiennent ainsi que les dispositions de l'article 3 du règlement REMIT interdisant les opérations d'initiés.
- Cependant, si la notification des griefs fait valoir qu'il existerait un faisceau d'indices graves, précis et concordants permettant d'établir que la société EDFT détenait l'information contenue dans le courrier adressé par la société EDF à l'ASN le 17 octobre 2016 à 11 h 58 et relative à la prescription de contrôles complémentaires de l'ASN sur certains réacteurs du parc nucléaire de la société EDF, ni les éléments recueillis au cours de l'instruction en ce qui concerne l'organisation du groupe EDF (notamment ceux portant sur l'existence d'échanges réguliers d'informations entre les sociétés EDF et EDFT) ni le comportement de négoce de la société EDFT le 18 octobre 2016 avant la publication de l'article de presse indiquant que l'ASN allait demander à EDF l'arrêt des cinq mêmes réacteurs que ceux cités dans la lettre adressée par EDF à l'ASN le 17 octobre 2016 à 12 heures, ne suffisent à établir que la société EDFT détenait effectivement l'information en cause lorsqu'elle a procédé à deux transactions, le 17 octobre 2016 à 16 h 49 et 16 h 50, afin d'acquérir, pour le compte de la société EDF, des produits énergétiques de gros auxquels se rapporterait cette information.
- Il en résulte que les griefs tirés de ce que la société EDFT aurait méconnu, d'une part, les dispositions de l'article 4 du règlement REMIT relatives à l'obligation pour les acteurs du marché de publier les « informations privilégiées » qu'ils détiennent et, d'autre part, les dispositions de l'article 3 de ce règlement interdisant les opérations d'initiés ne peuvent qu'être écartés.
7.3.4. Sur l'application par la société EDF d'une « marge de prudence » de [SDA] GW
- Il résulte de l'instruction que, dans un contexte de faible disponibilité des réacteurs nucléaires en France, la société EDF a décidé d'appliquer une « marge de prudence » de [SDA] GW dans sa stratégie de couverture sur les marchés à terme de l'électricité, sur une période allant du 4 juillet 2016 au 23 janvier 2017. La société EDF a ainsi raccourci artificiellement de [SDA] GW sa position sur les marchés à terme de l'électricité.
- La membre désignée fait grief à la société EDFT de ne pas avoir rendu cette information publique et d'avoir par suite enfreint, entre le 28 novembre 2016 et le 23 janvier 2017, les dispositions de l'article 4 du règlement REMIT relatives à l'obligation de publication des « informations privilégiées ».
En ce qui concerne la nature de l'information relative à la mise en œuvre de la marge de prudence de [SDA] GW - Selon la notification des griefs, l'information relative à la marge de prudence de [SDA] GW appliquée par la société EDF devrait être considérée comme étant une « information privilégiée » compte tenu de l'ampleur de la marge considérée, de son caractère inédit, de sa mise en œuvre dans un contexte de marché tendu et de son application sur des marchés à terme.
- Il résulte de l'instruction que la décision de la société EDF de mettre en œuvre une marge de prudence de [SDA] GW, sur une période allant du 4 juillet 2016 au 23 janvier 2017, a été adoptée conformément à la politique de risques élaborée par cette société afin de couvrir un contexte d'incertitude exceptionnel lié à l'arrêt de plusieurs réacteurs nucléaires ainsi qu'à la possibilité que les générateurs de vapeur de 18 réacteurs soient susceptibles de présenter des anomalies liées au phénomène de « ségrégation carbone », informations qui avaient alors été rendues publiques.
- Si cette marge de prudence revêt un caractère inédit, a été appliquée dans un contexte de marché particulièrement tendu en raison notamment d'indisponibilités au sein du parc de production nucléaire de la société EDF et concerne un volume d'électricité d'une ampleur importante, il ne résulte pas de l'instruction que la mise en œuvre de cette marge de prudence ait été fondée sur l'utilisation d'une « information privilégiée » relative à l'exploitation du parc de production de la société EDF. La mise en œuvre de cette marge présente donc, dans les circonstances de l'espèce, le caractère d'une décision adoptée et mise en œuvre sur la base d'informations similaires à celles que tout acteur du marché normalement avisé était susceptible de posséder. Dès lors, l'information dans le chef de la société EDF relative à l'existence de cette marge de prudence ne peut être regardée comme une « information privilégiée » au sens du règlement REMIT.
- En conséquence, le grief tiré de la méconnaissance, par la société EDFT, des dispositions de l'article 4 du règlement REMIT relatives à l'obligation de publication des « informations privilégiées » doit être écarté.
7.3.5. Sur les pics de prix observés les journées du 7 et 8 novembre 2016
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Il résulte de l'instruction que, lors des journées de 6 et 7 novembre 2016, des pics de prix ont été observés sur le marché day-ahead (du jour pour livraison le lendemain) français, pour des produits devant être livrés respectivement les 7 et 8 novembre 2016. En effet, lors de ces deux journées, l'enchère day-ahead d'EPEX SPOT a connu des prix horaires à plus de 800 euros / MWh sur l'heure de livraison 18 heures-19 heures. La société EDF a spontanément contacté les services de la CRE afin de leur signaler que ces prix élevés étaient dus à une erreur opérationnelle involontaire commise lors de la soumission de ses ordres d'achats et de ventes à EPEX SPOT en amont des enchères tenues pour les journées de livraison du 7 et du 8 novembre 2016.
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La société EDFT fait, quant à elle, valoir que cette erreur est due à la soumission accidentelle en double de deux mêmes ordres d'achats et qu'elle ne l'a détectée qu'au cours de l'après-midi du 7 novembre 2016.
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A cet égard, la notification des griefs relève que ces surplus d'achats réalisés par la société EDFT pour le compte de la société EDF ont induit une hausse de prix, dans un contexte de marché tendu et incertain en raison des indisponibilités de centrales du parc nucléaire de la société EDF. En outre, la société EDFT est demeurée globalement vendeuse sur la plus grande partie des heures des deux journées, en dépit de ces achats réalisés en surplus. La membre désignée relève que les ordres d'achats émis en double ont généré un prix de marché supérieur à ce qu'il aurait été si la société EDFT avait émis des ordres correspondants au besoin exprimé par la société EDF pour équilibrer son portefeuille. Il conclut que l'erreur opérationnelle commise par la société EDFT est susceptible d'avoir donné une indication trompeuse sur l'état de l'offre et la demande sur le marché spot (immédiat à court terme) français de l'électricité et constitue, par suite, une manipulation de marché prohibée par les dispositions de l'article 5 du règlement REMIT précédemment citées.
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En premier lieu, la société EDFT fait valoir que ce grief serait formulé de façon insuffisamment claire et précise et qu'il ne serait pas fondé sur des éléments permettant d'en appréhender précisément l'objet, en méconnaissance des principes du contradictoire et des droits de la défense.
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Il ressort, cependant, de la notification des griefs que cette dernière énonce avec une précision suffisante les motifs de droit et de fait qui, selon elle, fondent le manquement reproché à la société EDFT. Cette société n'est, par conséquent, pas fondée à soutenir que ce grief aurait été formulé dans des termes qui ne permettraient pas de respecter le principe du contradictoire et les droits de la défense.
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En deuxième lieu, la société EDFT soutient que sa reconnaissance de l'existence d'une erreur opérationnelle ne suffirait ni à qualifier ni à constituer un grief.
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Cependant, si la reconnaissance de l'existence d'une erreur opérationnelle ne suffit pas, en soi, à caractériser l'existence d'un manquement, la notification des griefs ne se fonde pas sur la seule reconnaissance, par la société EDFT, de son erreur opérationnelle mais sur une analyse des caractéristiques de cette erreur et de ses conséquences sur la situation du marché spot dans le contexte général du marché en l'espèce, en particulier en ce qui concerne son effet sur les prix lors des deux jours pendant lesquels cette erreur a été commise ainsi que sur la qualification de cette erreur au regard des dispositions de l'article 5 du règlement REMIT relatives à l'interdiction des manipulations de marché.
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Par ailleurs, la société EDFT ne conteste ni la matérialité des faits reprochés ni leur effet sur les prix du marché. Elle ne conteste pas davantage que l'émission des ordres en cause a été susceptible de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne l'offre, la demande ou le prix de produits énergétiques de gros.
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Il en résulte que l'erreur opérationnelle considérée est susceptible d'avoir donné une indication trompeuse sur l'état de l'offre et la demande sur le marché spot (immédiat à court terme) français de l'électricité et, par suite, constitue objectivement une manipulation de marché prohibée par les dispositions de l'article 5 du règlement REMIT et que le caractère non-intentionnel de cette erreur opérationnelle, d'ailleurs spontanément reconnue par son auteur, est sans incidence sur la caractérisation d'une manipulation de marché au sens de ces dispositions.
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La société EDFT a, donc, méconnu l'interdiction de procéder à des manipulations de marché prévue par l'article 5 du règlement REMIT.
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Sanction retenue
8.1. Rappel des principes applicables en matière de sanction -
D'une part, selon l'article 18 du règlement REMIT : « Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations du présent règlement et prennent toute mesure nécessaire pour en assurer la mise en œuvre. Les sanctions prévues doivent être efficaces, proportionnées et dissuasives et tenir compte de la nature, de la durée et de la gravité de l'infraction, du préjudice causé aux consommateurs et des gains potentiels tirés de la transaction sur la base d'informations privilégiées et d'une manipulation du marché. (…) / Les États membres prévoient que l'autorité de régulation nationale a la possibilité de divulguer publiquement des mesures ou sanctions imposées pour une violation du présent règlement, sauf si cette divulgation est la cause d'un préjudice disproportionné pour les parties concernées ».
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D'autre part, selon l'article L. 134-27 du code de l'énergie : « (…) en cas de manquement constaté dans les conditions prévues à l'article L. 135-12, et après l'envoi par le membre désigné en application de l'article L. 134-25-1 d'une notification des griefs à l'intéressé, le comité peut prononcer à son encontre, en fonction de la gravité du manquement : / (…) si le manquement n'est pas constitutif d'une infraction pénale, une sanction pécuniaire, dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, à la situation de l'intéressé, à l'ampleur du dommage et aux avantages qui en sont tirés. / Ce montant ne peut excéder 3 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes lors du dernier exercice clos, porté à 5 % en cas de nouvelle violation de la même obligation dans le cas d'un manquement aux obligations de transmission d'informations ou de documents ou à l'obligation de donner accès à la comptabilité, ainsi qu'aux informations économiques, financières et sociales prévues à l'article L. 135-1. (…) / Dans le cas des autres manquements, il ne peut excéder 8 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes lors du dernier exercice clos, porté à 10 % en cas de nouvelle violation de la même obligation. (...) ».
8.2. Maximum légal de la sanction pécuniaire
- En application des dispositions de l'article L. 134-27 du code de l'énergie, le maximum légal de 3 % du chiffre d'affaires hors taxes s'applique pour un manquement aux obligations de transmission d'informations ou de documents ou à l'obligation de donner accès à la comptabilité. Pour les autres manquements, le maximum légal de la sanction s'élève à « 8 % du chiffre d'affaires hors taxes lors du dernier exercice clos, porté à 10 % en cas de nouvelle violation de la même obligation ».
- Au cas d'espèce, les manquements reprochés à la société EDFT ne constituent pas des manquements aux obligations de transmission d'informations ou d'accès à la comptabilité.
- En conséquence, le montant de la sanction ne peut excéder 8 % du chiffre d'affaires hors taxes de la société EDFT du dernier exercice clos. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en 2021 par la société EDFT est de 1 518 millions d'euros. Compte-tenu de cet élément, le maximum légal de la sanction s'élève à 121,44 millions d'euros.
8.3. Eléments d'appréciation de la sanction
8.3.1. Sur la régularité de la proposition de sanction contenue dans la notification des griefs
- D'une part, aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 134-32 du code de l'énergie : « La notification des griefs mentionne les sanctions éventuellement encourues et le délai pendant lequel la personne concernée par cette notification peut consulter le dossier et présenter des observations écrites ». L'article 14 du règlement intérieur du CoRDiS visé ci-dessus prévoit notamment : « S'il y a lieu, le membre désigné notifie les griefs, les sanctions encourues et la sanction qu'il entend proposer au comité de règlement des différends et des sanctions ». Ces dispositions imposent seulement au membre désigné d'informer la personne concernée de la nature de la sanction qu'il entend proposer, parmi celles qui sont susceptibles d'être prononcées en application de l'article L. 134-27 du code de l'énergie. La société EDFT n'est, par suite, pas fondée à se plaindre de ce que la notification des griefs ne préciserait pas le montant de la sanction encourue.
- D'autre part, la notification des griefs expose avec une précision suffisante les critères employés (nature, durée et gravité des manquements, situation de l'intéressée, avantages retirés par celle-ci, ampleur du dommage et préjudice causé aux consommateurs) afin de déterminer le montant de la sanction pécuniaire susceptible d'être prononcée à l'encontre de la société EDFT. La membre désignée a, par ailleurs, motivé et détaillé à nouveau ces éléments d'appréciation de la sanction au cours de la séance publique du comité. La société EDFT a été mise à même de répondre sur chacun de ces points par ses observations écrites ainsi qu'au cours et jusqu'à la fin de la séance publique du comité. Le moyen tiré de ce que la procédure serait entachée d'irrégularité au regard du principe du respect des droits de la défense n'est donc pas fondé et sera écarté.
8.3.2. Nature, durée et gravité du manquement
- Si un manquement à l'interdiction des manipulations de marché constitue, en principe, un manquement grave, il y a toutefois lieu, dans les circonstances de l'espèce, de considérer que cette gravité intrinsèque est objectivement atténuée par la durée limitée de l'effet d'un manquement. Au demeurant, bien que cette circonstance soit, également en principe, sans incidence sur la caractérisation d'une manipulation de marché au titre du règlement REMIT, il y a lieu pour le comité, de relever que, dans les circonstances particulières de l'espèce, il résulte de l'instruction qu'aucun élément intentionnel n'a pu être établi à l'encontre de la société EDFT quant à la commission de ce manquement.
8.3.3. Situation de la société EDFT
- La société EDFT est une entité qui exerce des activités de négoce pour le compte du groupe EDF. Elle doit, ainsi, être regardée comme un professionnel averti du secteur, circonstance qui ne saurait permettre d'atténuer la nature du manquement commis.
8.3.4. Ampleur du dommage causé au marché et préjudice causé aux consommateurs
- Les considérants 1 et 2 du règlement REMIT énoncent : « Il est important que les consommateurs et d'autres acteurs du marché puissent avoir confiance dans l'intégrité des marchés de l'électricité et du gaz, que les prix fixés sur les marchés de gros de l'énergie reflètent une interaction équilibrée et concurrentielle entre l'offre et la demande et que nul abus de marché ne puisse donner lieu à des profits. / Le renforcement de l'intégrité et de la transparence des marchés de gros de l'énergie devrait avoir pour objectif de favoriser une concurrence ouverte et loyale sur les marchés de gros de l'énergie dans l'intérêt de l'utilisateur final d'énergie ».
- L'objectif de confiance des acteurs dans l'intégrité des marchés des produits énergétiques de gros constitue un des fondements du règlement REMIT. Une atteinte à cette confiance constitue un préjudice aux consommateurs au sens de l'article 18 de ce même règlement, indépendamment d'un préjudice financier éventuel.
- Les dommages causés en l'espèce par la manipulation de marché commise par la société EDFT ne peuvent être, en l'état du dossier, quantifiés de manière exacte. Néanmoins, la circonstance, qui n'est pas démentie par la société EDFT, que le manquement qu'elle a commis a été susceptible de porter atteinte à la confiance des acteurs du marché et à celle des consommateurs dans l'intégrité des marchés de gros de l'énergie doit être prise en compte dans la détermination du montant de la sanction, laquelle doit être suffisamment dissuasive pour éviter la réitération de tels manquements.
8.3.5. Avantages tirés par la société EDFT
- La notification des griefs fait valoir que l'erreur opérationnelle commise par la société EDFT aurait, selon des estimations d'élasticité du prix sur le seul périmètre du marché français et en excluant les effets des interconnexions, généré en sa faveur un gain de l'ordre de [SDA] d'euros. La société EDFT conteste le montant de cette estimation, sans, toutefois, contester l'existence même d'un gain résultant de l'exécution de l'opération.
8.4. Détermination de la sanction
- Compte tenu de l'ensemble des éléments d'appréciation de la sanction exposés ci-dessus, il y a lieu de prononcer une sanction pécuniaire de 50 000 euros à l'encontre de la société EDFT.
8.5. Publication de la décision de sanction
- Aux termes du premier alinéa de l'article L. 134-34 du code de l'énergie : « Ces décisions de sanction [du CoRDiS] sont motivées et notifiées à l'intéressé. Elles peuvent être publiées au Journal officiel de la République française et, selon les modalités précisées par le comité, sur le site internet de la Commission de régulation de l'énergie ou sur d'autres supports, notamment dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de la société sanctionnée, sous réserve des secrets protégés par la loi et de la mise en œuvre des garanties appropriées en ce qui concerne la protection des données à caractère personnel. Les frais de la publication sont supportés par la personne sanctionnée ».
- Eu égard aux exigences d'intérêt général qui s'attachent à ce que la présente décision soit connue de l'ensemble des acteurs du marché de l'énergie, notamment pour restaurer la confiance des acteurs envers le marché et son bon fonctionnement, le comité décide que la présente décision de sanction sera publiée, sous réserve des secrets protégés par la loi, au Journal officiel de la République française et sur le site internet de la Commission de régulation de l'énergie.
- Au regard des faits de l'espèce et de la sanction qu'ils justifient, il sera fait une juste appréciation des modalités du maintien en ligne de la présente décision sur le site internet de la Commission de régulation de l'énergie en fixant cette durée à six mois à compter de sa première publication, sans anonymisation de l'identité de la société sanctionnée pendant cette période et sous réserve des secrets protégés par la loi.
Décide :
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