JORF n°0114 du 18 mai 2013

  1. Sur la définition du mariage

Selon les requérants, le mariage, tel que défini par le code civil, est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, faisant intégralement partie du contrat social, et ne pouvant être modifié par une loi simple, au contraire de l'union civile qui était proposée par les requérants.
4.1. Les requérants estiment que le mariage est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, inscrit dans la tradition républicaine et inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, dans sa définition acceptée depuis 1804, comme le mariage est l'union d'un homme et d'une femme en vue de constituer une famille. Par conséquent, il a valeur constitutionnelle.
En effet, pour les rédacteurs du code civil (5), le fait que le mariage soit l'union d'un homme et d'une femme relevait de l'ordre physique de la nature, commun à tous les êtres animés. Cela ne relevait ni du droit naturel, qui est propre aux hommes et à la base de nos lois civiles, ni des lois positives, qui sont plus conjoncturelles. C'était la conception du droit romain, c'est celle du code civil (6).
4.2. Cette institution multiséculaire trouve entre autres ses fondements dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui est le fondement de l'état de droit dans notre pays. Elle proclame que les hommes naissent libres et égaux en droits. De cette affirmation découlent plusieurs conséquences. La première est que les droits de l'homme s'enracinent dans le droit naturel et qu'ainsi le droit ne peut être bâti sur des constructions virtuelles le droit civil en particulier, celui de la famille avec ses éléments constitutifs (le mariage et la filiation) ne peut prendre en considération une entité artificielle où l'enfant ne connaîtrait pas ses parents réels, père et mère, et où la naissance, la filiation, la structure familiale deviendraient des fictions. Cet enracinement naturel du droit civil n'est nullement contradictoire avec le fait que tous les êtres humains soient égaux, qu'ils aient des droits identiques.
4.3. Mais cette égalité ne peut nier les différences, notamment sexuelles, qui font la richesse de l'humanité. La différence naturelle entre les êtres humains explique que des constructions sociales et juridiques différentes (le mariage, le PACS, l'union civile) doivent permettre d'arriver au même but : l'égalité de droits.
La différence entre les sexes est fondatrice de la société et cette réalité naturelle ne peut être niée au profit d'aberrations qui lui substitueraient une orientation sexuelle particulière, fruit du ressenti des individus. L'altérité sexuelle est bien le fondement du mariage tel que le contrat social de notre République le définit.
4.4. Cette conception n'a jamais été remise en cause depuis 1804 puisque le mariage est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Depuis plus de deux siècles, aucune loi n'a d'ailleurs touché à la définition du mariage, à savoir l'union d'un homme et d'une femme en vue de créer une famille. Ainsi, on ne peut remettre en cause le mariage qu'en vertu de la Constitution. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit en Espagne ; la Cour constitutionnelle espagnole a rendu un arrêt sur la constitutionnalité du mariage homosexuel, en jugeant que le mariage pouvait être modifié, étant donné que la Constitution avait prévu cette éventualité par son article 32.
Toutefois, ce n'est pas le cas dans le droit français, la pérennité et la constance de cette institution lui confèrent dès lors une valeur constitutionnelle.
Le législateur ne s'est jamais départi, jusqu'à aujourd'hui, du principe d'altérité des sexes dans l'institution du mariage, non pas parce qu'il se croyait libre de s'y rallier, mais parce qu'il répondait à une exigence « constitutionnelle » au sens fort.
Si l'article 75 du code civil prévoyant que l'officier de l'état civil « recevra de chaque partie, l'une après l'autre, la déclaration qu'elles veulent se prendre pour mari et femme », et l'article 144 du même code disposant que « L'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus » ont vainement été contestés devant votre Conseil, c'est bien parce que ces dispositions se bornent à reconnaître l'altérité sexuelle du mariage et que celle-ci a fermement été rappelée par la Cour de cassation qui affirme que « selon la loi française, le mariage est l'union d'un homme et d'une femme » (7). L'impossibilité manifeste d'y contrevenir, au sens des empêchements au mariage, est donc d'ordre public absolu, que le mariage ait été célébré à l'étranger ou sur le sol de la République.
Il ne fait donc absolument aucun doute que le principe selon lequel le mariage désigne l'union d'un homme et d'une femme est un principe de droit constamment « reconnu », depuis 1792, par les lois de la République et donc intégré à notre « tradition républicaine ». Ce métaprincipe au cœur de la « constitution civile de la France » est donc inhérent à notre « identité constitutionnelle ». Seule une révision constitutionnelle expresse, voulue par le peuple souverain, pourrait abattre une base fondamentale du contrat social des Français.
4.5. L'institution du mariage relève ainsi de la constitution sociale de la France (8), à laquelle on ne peut pas porter atteinte, sauf à modifier véritablement le contrat social qui unit tous les Français et dont relève le mariage.
L'article 1er de la Constitution dispose que « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes (...) aux responsabilités (...) sociales ». Le préambule de la Constitution de 1946 proclame, comme particulièrement nécessaires à notre temps, des principes « sociaux » au nombre desquels figure celui selon lequel « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à son développement ». La famille est donc évidemment incluse dans le sens constitutionnel du mot « social ». Or, l'institution sociale qu'est le mariage implique assurément des devoirs, effectivement consacrés par le code civil, qui sont constitutifs d'une responsabilité conjugale et parentale sévèrement sanctionnée par la loi.
Or la loi déférée favorise exactement l'inverse de l'objectif consacré en 1999 puis en 2008 par votre Conseil, en permettant d'évacuer la parité dans l'autorité et les responsabilités parentales, sans autre justification que celle de la volonté de quelques adultes d'écarter la personne de sexe opposée de l'entretien et de l'éducation des enfants.
Le droit constitutionnel libéral exige que la remise en cause des éléments essentiels d'un régime politique ou du contrat social d'une société donnée ne puisse se faire que par l'organe investi du pouvoir constituant, selon une procédure solennelle et avec l'assentiment soit du peuple souverain soit d'une majorité renforcée des représentants de la nation (9).
La garde des sceaux a reconnu que la loi déférée est une « réforme de civilisation » tandis que le Président de la République a admis que la « liberté de conscience » des maires était en jeu. Si, d'ailleurs, elle l'est pour eux, c'est que ce texte l'est pour chaque citoyen. Ces déclarations officielles montrent bien que l'on est en présence d'un choix de société absolument fondamental nécessitant l'adhésion entière du peuple souverain.
4.6. La Convention européenne des droits de l'homme, la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Convention internationale sur les droits de l'enfant de 1989 et les pactes de Téhéran affirment tous que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme. Fidèle d'ailleurs à cette tradition humaniste, la République a ratifié les grands textes internationaux relatifs aux droits de l'homme qui corroborent le consensus universel sur l'existence d'un droit naturel humain s'imposant à tout législateur.
Cette acceptation nationale et internationale est d'ailleurs partagée par l'ensemble des communautés religieuses représentée sur notre territoire.
4.7. Les requérants ajoutent que l'article 34 de la Constitution précise que la loi fixe les règles concernant les régimes matrimoniaux, et non le mariage. L'article 1er de la loi déférée est donc contraire à la Constitution. Les requérants se sont interrogés sur le fait de savoir si le Gouvernement, doté du pouvoir réglementaire, était habilité à le modifier ; leur conclusion, à la lumière des développements exposés préalablement, est négative. Par conséquent, ce domaine relève bel et bien du droit constitutionnel.
Or, est souvent cité, de manière biaisée, la décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011, qui permettrait au législateur d'ouvrir le mariage aux personnes de même sexe. C'est sans doute ignorer votre interprétation du principe d'égalité qui ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général. Cette décision rendue par votre Conseil permettrait en revanche de créer l'union civile que les requérants ont proposé au cours des débats.
4.8. L'article 143 du code civil, issu de la loi déférée, et qui méconnaît ainsi le principe fondamental reconnu par les lois de la République, détourne l'institution du mariage à des fins étrangères à l'union matrimoniale. Procédant d'une qualification juridique manifestement erronée et d'une dénaturation du sens et la portée du mariage, il méconnaît
également l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi. Il porte enfin une atteinte substantielle à la liberté des époux.
De plus, en changeant la définition du mariage et en affectant sa substance même, l'article 1er de la loi déférée dénature le contenu et détourne de ses fins une institution à laquelle tous les couples français mariés actuels ont consenti librement. C'est, en effet, au terme d'un choix entre plusieurs formules de vie commune obéissant chacune à des définitions et des règles substantiellement différentes (concubinage, PACS, mariage) que les hommes et femmes actuellement mariés se sont engagés dans les liens du mariage. L'article 1er de la loi déférée affecte donc tous les mariages préalablement contractés d'une erreur sur la qualité substantielle de l'institution et donc d'un vice du consentement.
Par cette dénaturation, l'article 1er viole ainsi la liberté du mariage qui découle des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et porte atteinte au principe d'intangibilité des contrats et conventions légalement conclus ainsi qu'au droit au maintien de leur économie, qui découle de l'article 4 de la même déclaration.
4.9. Enfin, l'article 1er de la loi déférée introduit dans le titre V du livre Ier du code civil un chapitre IV bis intitulé « Des règles de conflit de lois » dont l'article 202-1 dispose : « Les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Toutefois, deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ».
Cette dernière disposition a donc pour effet d'introduire, au profit du mariage de personnes de même sexe, une règle de conflit de lois différente de celle qui prévaut pour les mariages de personnes de sexe différent.
En effet, en vertu de l'article 3 du code civil : « Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger ». Sur ce fondement la jurisprudence civile met traditionnellement en œuvre, s'agissant des mariages binationaux, la règle du lieu de célébration pour les conditions de forme et la règle d'application distributive des lois nationales pour les conditions de fond, dans le but de favoriser l'harmonie internationale des solutions et la continuité de traitement des situations juridiques.
A la différence de ce droit commun, les personnes de même sexe pourront donc se marier alors même que la loi nationale de l'un d'entre eux l'interdit, dès lors que l'autre époux a son domicile ou sa résidence en France ou dans un autre pays admettant le mariage homosexuel. La loi déférée fait donc échec à l'application distributive qui prévaut pour les couples de sexe opposé, introduisant ainsi une discrimination dans les règles de conflits de lois. Cette dérogation sera cependant privée d'effet lorsqu'une convention bilatérale comporte des dispositions contraires, ce que la loi contestée omet de préciser.
Non seulement contraire au principe d'égalité devant la loi, la discrimination ainsi réalisée aura d'abord pour effet d'inciter des étrangers à contourner les empêchements de leur loi nationale, transformant ainsi la France en un attractif lieu de tourisme matrimonial alors pourtant que la jurisprudence de la Cour de cassation combat aussi bien la fraude à la loi étrangère que la fraude à la loi française (10). Elle favorisera également l'augmentation des « mariages blancs » destiné à frauder la législation sur l'entrée et le séjour en France et sur la nationalité. Enfin, la loi déférée va déboucher sur une multiplication des « mariages boiteux » valables dans un pays et nuls dans l'autre. La règle de conflits de loi posée par l'article 1er de la loi déférée est donc contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi et à la sécurité juridique.
Les requérants relèvent qu'avec le dispositif de l'article 1er de la loi déférée, il y aura en réalité désormais au moins trois catégories de mariages vis-à-vis des enfants survenus dans un foyer : celui où le mari devient père par la mise en jeu de la présomption de paternité, conformément au code civil, celui où la compagne de la mère devient parent par un jugement d'adoption, l'enfant étant le fruit, par exemple, d'une assistance médicale à la procréation à l'étranger, celui où le compagnon du père se voit refuser toute parenté, car l'enfant que les deux membres du couple ont voulu ensemble ne peut être le fruit que d'une gestation pour autrui, condamnée aujourd'hui par la France.

(5) Discours préliminaire de Portalis sur le code civil. (6) Aux députés qui voulaient ajouter lors de la rédaction du code civil des formules du type « Le mariage est un contrat civil par lequel un homme et une femme libres s'unissent pour la vie » (Lagrévol), ou « Le mariage est un contrat civil qui unit pour vivre ensemble deux personnes libres d'un sexe différent » (Lequinio), il fut répondu : « Rien n'est si inutile qu'une définition parce que tout le monde sait ce que c'est que le mariage » (Sedillez). Fixée en fonction de la puberté, la différence d'âge nubile confirme que le mariage est évidemment lié à la procréation. La délibération du 22 août 1793 décrivait encore le mariage comme le contrat par lequel « l'homme et la femme s'engagent, sous l'autorité de la loi, à vivre ensemble, et à élever les enfants qui peuvent naître de leur union » (Fenet). Comme le relevait le procureur général Baudoin dans ses conclusions sur un arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 1903 : « La condition essentielle du mariage, c'est donc bien que les époux soit de sexe différent : l'un, un homme, l'autre, une femme. Et c'est si évident que le code n'a même pas cru qu'il fut nécessaire de l'exprimer ». Jean Carbonnier allait dans le même sens : « Le code civil n'a pas défini le mariage, et il a eu raison chacun sait ce qu'il faut entendre par là ; c'est la plus vieille coutume de l'humanité et l'état de la plupart des hommes adultes ». (7) Arrêt n° 05-16627, 1re chambre civile, 13 mars 2007. (8) Tel que le doyen Duguit le concevait. (9) Hans Kelsen a d'ailleurs exposé, dans sa théorie dite « de l'aiguilleur », que lorsque le juge constitutionnel constate qu'une loi ordinaire déroge à la Constitution, il ne porte pas un jugement de valeur sur l'œuvre du législateur, mais se borne à indiquer qu'une telle loi aurait dû être adoptée en la forme constitutionnelle, c'est-à-dire selon les règles de compétence et de procédure propres aux lois constitutionnelles. Cette considération de théorie juridique rejoint la souveraineté démocratique qui exige que les éléments essentiels du contrat social d'une nation ne puissent être changés par une simple majorité passagère, mais qu'une telle responsabilité revienne directement aux citoyens eux-mêmes ou, pour les remises en cause moins profondes, à une majorité renforcée de représentants exprimée, en régime bicaméral, dans les deux assemblées. (10) Civ. 1re, 17 mai 1983, Soc. Lafarge.


Historique des versions

Version 1

4. Sur la définition du mariage

Selon les requérants, le mariage, tel que défini par le code civil, est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, faisant intégralement partie du contrat social, et ne pouvant être modifié par une loi simple, au contraire de l'union civile qui était proposée par les requérants.

4.1. Les requérants estiment que le mariage est un principe fondamental reconnu par les lois de la République, inscrit dans la tradition républicaine et inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, dans sa définition acceptée depuis 1804, comme le mariage est l'union d'un homme et d'une femme en vue de constituer une famille. Par conséquent, il a valeur constitutionnelle.

En effet, pour les rédacteurs du code civil (5), le fait que le mariage soit l'union d'un homme et d'une femme relevait de l'ordre physique de la nature, commun à tous les êtres animés. Cela ne relevait ni du droit naturel, qui est propre aux hommes et à la base de nos lois civiles, ni des lois positives, qui sont plus conjoncturelles. C'était la conception du droit romain, c'est celle du code civil (6).

4.2. Cette institution multiséculaire trouve entre autres ses fondements dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui est le fondement de l'état de droit dans notre pays. Elle proclame que les hommes naissent libres et égaux en droits. De cette affirmation découlent plusieurs conséquences. La première est que les droits de l'homme s'enracinent dans le droit naturel et qu'ainsi le droit ne peut être bâti sur des constructions virtuelles le droit civil en particulier, celui de la famille avec ses éléments constitutifs (le mariage et la filiation) ne peut prendre en considération une entité artificielle où l'enfant ne connaîtrait pas ses parents réels, père et mère, et où la naissance, la filiation, la structure familiale deviendraient des fictions. Cet enracinement naturel du droit civil n'est nullement contradictoire avec le fait que tous les êtres humains soient égaux, qu'ils aient des droits identiques.

4.3. Mais cette égalité ne peut nier les différences, notamment sexuelles, qui font la richesse de l'humanité. La différence naturelle entre les êtres humains explique que des constructions sociales et juridiques différentes (le mariage, le PACS, l'union civile) doivent permettre d'arriver au même but : l'égalité de droits.

La différence entre les sexes est fondatrice de la société et cette réalité naturelle ne peut être niée au profit d'aberrations qui lui substitueraient une orientation sexuelle particulière, fruit du ressenti des individus. L'altérité sexuelle est bien le fondement du mariage tel que le contrat social de notre République le définit.

4.4. Cette conception n'a jamais été remise en cause depuis 1804 puisque le mariage est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Depuis plus de deux siècles, aucune loi n'a d'ailleurs touché à la définition du mariage, à savoir l'union d'un homme et d'une femme en vue de créer une famille. Ainsi, on ne peut remettre en cause le mariage qu'en vertu de la Constitution. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit en Espagne ; la Cour constitutionnelle espagnole a rendu un arrêt sur la constitutionnalité du mariage homosexuel, en jugeant que le mariage pouvait être modifié, étant donné que la Constitution avait prévu cette éventualité par son article 32.

Toutefois, ce n'est pas le cas dans le droit français, la pérennité et la constance de cette institution lui confèrent dès lors une valeur constitutionnelle.

Le législateur ne s'est jamais départi, jusqu'à aujourd'hui, du principe d'altérité des sexes dans l'institution du mariage, non pas parce qu'il se croyait libre de s'y rallier, mais parce qu'il répondait à une exigence « constitutionnelle » au sens fort.

Si l'article 75 du code civil prévoyant que l'officier de l'état civil « recevra de chaque partie, l'une après l'autre, la déclaration qu'elles veulent se prendre pour mari et femme », et l'article 144 du même code disposant que « L'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus » ont vainement été contestés devant votre Conseil, c'est bien parce que ces dispositions se bornent à reconnaître l'altérité sexuelle du mariage et que celle-ci a fermement été rappelée par la Cour de cassation qui affirme que « selon la loi française, le mariage est l'union d'un homme et d'une femme » (7). L'impossibilité manifeste d'y contrevenir, au sens des empêchements au mariage, est donc d'ordre public absolu, que le mariage ait été célébré à l'étranger ou sur le sol de la République.

Il ne fait donc absolument aucun doute que le principe selon lequel le mariage désigne l'union d'un homme et d'une femme est un principe de droit constamment « reconnu », depuis 1792, par les lois de la République et donc intégré à notre « tradition républicaine ». Ce métaprincipe au cœur de la « constitution civile de la France » est donc inhérent à notre « identité constitutionnelle ». Seule une révision constitutionnelle expresse, voulue par le peuple souverain, pourrait abattre une base fondamentale du contrat social des Français.

4.5. L'institution du mariage relève ainsi de la constitution sociale de la France (8), à laquelle on ne peut pas porter atteinte, sauf à modifier véritablement le contrat social qui unit tous les Français et dont relève le mariage.

L'article 1er de la Constitution dispose que « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes (...) aux responsabilités (...) sociales ». Le préambule de la Constitution de 1946 proclame, comme particulièrement nécessaires à notre temps, des principes « sociaux » au nombre desquels figure celui selon lequel « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à son développement ». La famille est donc évidemment incluse dans le sens constitutionnel du mot « social ». Or, l'institution sociale qu'est le mariage implique assurément des devoirs, effectivement consacrés par le code civil, qui sont constitutifs d'une responsabilité conjugale et parentale sévèrement sanctionnée par la loi.

Or la loi déférée favorise exactement l'inverse de l'objectif consacré en 1999 puis en 2008 par votre Conseil, en permettant d'évacuer la parité dans l'autorité et les responsabilités parentales, sans autre justification que celle de la volonté de quelques adultes d'écarter la personne de sexe opposée de l'entretien et de l'éducation des enfants.

Le droit constitutionnel libéral exige que la remise en cause des éléments essentiels d'un régime politique ou du contrat social d'une société donnée ne puisse se faire que par l'organe investi du pouvoir constituant, selon une procédure solennelle et avec l'assentiment soit du peuple souverain soit d'une majorité renforcée des représentants de la nation (9).

La garde des sceaux a reconnu que la loi déférée est une « réforme de civilisation » tandis que le Président de la République a admis que la « liberté de conscience » des maires était en jeu. Si, d'ailleurs, elle l'est pour eux, c'est que ce texte l'est pour chaque citoyen. Ces déclarations officielles montrent bien que l'on est en présence d'un choix de société absolument fondamental nécessitant l'adhésion entière du peuple souverain.

4.6. La Convention européenne des droits de l'homme, la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Convention internationale sur les droits de l'enfant de 1989 et les pactes de Téhéran affirment tous que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme. Fidèle d'ailleurs à cette tradition humaniste, la République a ratifié les grands textes internationaux relatifs aux droits de l'homme qui corroborent le consensus universel sur l'existence d'un droit naturel humain s'imposant à tout législateur.

Cette acceptation nationale et internationale est d'ailleurs partagée par l'ensemble des communautés religieuses représentée sur notre territoire.

4.7. Les requérants ajoutent que l'article 34 de la Constitution précise que la loi fixe les règles concernant les régimes matrimoniaux, et non le mariage. L'article 1er de la loi déférée est donc contraire à la Constitution. Les requérants se sont interrogés sur le fait de savoir si le Gouvernement, doté du pouvoir réglementaire, était habilité à le modifier ; leur conclusion, à la lumière des développements exposés préalablement, est négative. Par conséquent, ce domaine relève bel et bien du droit constitutionnel.

Or, est souvent cité, de manière biaisée, la décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011, qui permettrait au législateur d'ouvrir le mariage aux personnes de même sexe. C'est sans doute ignorer votre interprétation du principe d'égalité qui ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général. Cette décision rendue par votre Conseil permettrait en revanche de créer l'union civile que les requérants ont proposé au cours des débats.

4.8. L'article 143 du code civil, issu de la loi déférée, et qui méconnaît ainsi le principe fondamental reconnu par les lois de la République, détourne l'institution du mariage à des fins étrangères à l'union matrimoniale. Procédant d'une qualification juridique manifestement erronée et d'une dénaturation du sens et la portée du mariage, il méconnaît

également l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi. Il porte enfin une atteinte substantielle à la liberté des époux.

De plus, en changeant la définition du mariage et en affectant sa substance même, l'article 1er de la loi déférée dénature le contenu et détourne de ses fins une institution à laquelle tous les couples français mariés actuels ont consenti librement. C'est, en effet, au terme d'un choix entre plusieurs formules de vie commune obéissant chacune à des définitions et des règles substantiellement différentes (concubinage, PACS, mariage) que les hommes et femmes actuellement mariés se sont engagés dans les liens du mariage. L'article 1er de la loi déférée affecte donc tous les mariages préalablement contractés d'une erreur sur la qualité substantielle de l'institution et donc d'un vice du consentement.

Par cette dénaturation, l'article 1er viole ainsi la liberté du mariage qui découle des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et porte atteinte au principe d'intangibilité des contrats et conventions légalement conclus ainsi qu'au droit au maintien de leur économie, qui découle de l'article 4 de la même déclaration.

4.9. Enfin, l'article 1er de la loi déférée introduit dans le titre V du livre Ier du code civil un chapitre IV bis intitulé « Des règles de conflit de lois » dont l'article 202-1 dispose : « Les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Toutefois, deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ».

Cette dernière disposition a donc pour effet d'introduire, au profit du mariage de personnes de même sexe, une règle de conflit de lois différente de celle qui prévaut pour les mariages de personnes de sexe différent.

En effet, en vertu de l'article 3 du code civil : « Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger ». Sur ce fondement la jurisprudence civile met traditionnellement en œuvre, s'agissant des mariages binationaux, la règle du lieu de célébration pour les conditions de forme et la règle d'application distributive des lois nationales pour les conditions de fond, dans le but de favoriser l'harmonie internationale des solutions et la continuité de traitement des situations juridiques.

A la différence de ce droit commun, les personnes de même sexe pourront donc se marier alors même que la loi nationale de l'un d'entre eux l'interdit, dès lors que l'autre époux a son domicile ou sa résidence en France ou dans un autre pays admettant le mariage homosexuel. La loi déférée fait donc échec à l'application distributive qui prévaut pour les couples de sexe opposé, introduisant ainsi une discrimination dans les règles de conflits de lois. Cette dérogation sera cependant privée d'effet lorsqu'une convention bilatérale comporte des dispositions contraires, ce que la loi contestée omet de préciser.

Non seulement contraire au principe d'égalité devant la loi, la discrimination ainsi réalisée aura d'abord pour effet d'inciter des étrangers à contourner les empêchements de leur loi nationale, transformant ainsi la France en un attractif lieu de tourisme matrimonial alors pourtant que la jurisprudence de la Cour de cassation combat aussi bien la fraude à la loi étrangère que la fraude à la loi française (10). Elle favorisera également l'augmentation des « mariages blancs » destiné à frauder la législation sur l'entrée et le séjour en France et sur la nationalité. Enfin, la loi déférée va déboucher sur une multiplication des « mariages boiteux » valables dans un pays et nuls dans l'autre. La règle de conflits de loi posée par l'article 1er de la loi déférée est donc contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi et à la sécurité juridique.

Les requérants relèvent qu'avec le dispositif de l'article 1er de la loi déférée, il y aura en réalité désormais au moins trois catégories de mariages vis-à-vis des enfants survenus dans un foyer : celui où le mari devient père par la mise en jeu de la présomption de paternité, conformément au code civil, celui où la compagne de la mère devient parent par un jugement d'adoption, l'enfant étant le fruit, par exemple, d'une assistance médicale à la procréation à l'étranger, celui où le compagnon du père se voit refuser toute parenté, car l'enfant que les deux membres du couple ont voulu ensemble ne peut être le fruit que d'une gestation pour autrui, condamnée aujourd'hui par la France.

(5) Discours préliminaire de Portalis sur le code civil. (6) Aux députés qui voulaient ajouter lors de la rédaction du code civil des formules du type « Le mariage est un contrat civil par lequel un homme et une femme libres s'unissent pour la vie » (Lagrévol), ou « Le mariage est un contrat civil qui unit pour vivre ensemble deux personnes libres d'un sexe différent » (Lequinio), il fut répondu : « Rien n'est si inutile qu'une définition parce que tout le monde sait ce que c'est que le mariage » (Sedillez). Fixée en fonction de la puberté, la différence d'âge nubile confirme que le mariage est évidemment lié à la procréation. La délibération du 22 août 1793 décrivait encore le mariage comme le contrat par lequel « l'homme et la femme s'engagent, sous l'autorité de la loi, à vivre ensemble, et à élever les enfants qui peuvent naître de leur union » (Fenet). Comme le relevait le procureur général Baudoin dans ses conclusions sur un arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 1903 : « La condition essentielle du mariage, c'est donc bien que les époux soit de sexe différent : l'un, un homme, l'autre, une femme. Et c'est si évident que le code n'a même pas cru qu'il fut nécessaire de l'exprimer ». Jean Carbonnier allait dans le même sens : « Le code civil n'a pas défini le mariage, et il a eu raison chacun sait ce qu'il faut entendre par là ; c'est la plus vieille coutume de l'humanité et l'état de la plupart des hommes adultes ». (7) Arrêt n° 05-16627, 1re chambre civile, 13 mars 2007. (8) Tel que le doyen Duguit le concevait. (9) Hans Kelsen a d'ailleurs exposé, dans sa théorie dite « de l'aiguilleur », que lorsque le juge constitutionnel constate qu'une loi ordinaire déroge à la Constitution, il ne porte pas un jugement de valeur sur l'œuvre du législateur, mais se borne à indiquer qu'une telle loi aurait dû être adoptée en la forme constitutionnelle, c'est-à-dire selon les règles de compétence et de procédure propres aux lois constitutionnelles. Cette considération de théorie juridique rejoint la souveraineté démocratique qui exige que les éléments essentiels du contrat social d'une nation ne puissent être changés par une simple majorité passagère, mais qu'une telle responsabilité revienne directement aux citoyens eux-mêmes ou, pour les remises en cause moins profondes, à une majorité renforcée de représentants exprimée, en régime bicaméral, dans les deux assemblées. (10) Civ. 1re, 17 mai 1983, Soc. Lafarge.