JORF n°0240 du 9 octobre 2024

Partie 1 : « Améliorer l'intégration » : des mesures inadaptées

Ce texte est une simplification générée par une IA.
Il n'a pas de valeur légale et peut contenir des erreurs.

Avis de la CNCDH sur la loi du 26 janvier 2024 relative à la maîtrise de l'immigration

Résumé La CNCDH critique la loi du 26 janvier 2024 et veut améliorer la situation des travailleurs étrangers.
  1. L'intégration est un processus évolutif qui se construit avec le temps et l'expérience acquise dans le pays d'accueil. Elle doit donc être le résultat d'un parcours sécurisé plutôt qu'une condition préalable. La CNCDH considère que l'exigence de preuves d'intégration, pour l'entrée sur le territoire ou l'obtention d'une autorisation de séjour ne contribue qu'à multiplier les obstacles et à ralentir le parcours d'intégration des personnes étrangères, en méconnaissant leurs besoins d'adaptation et d'accompagnement.

I. - Un droit au travail excessivement limité

  1. La CNCDH regrette la logique utilitariste qui domine le droit du travail applicable aux ressortissants des pays tiers à l'Union européenne (UE). L'obtention d'une autorisation de travail en fonction de leur « utilité » (17) rend les demandeurs dépendants de l'interprétation par l'administration ou l'employeur selon le moment et le lieu donné. Cette logique conduit à l'instabilité et à la précarisation de leur statut et en conséquence entrave leur intégration économique et sociale. Par ailleurs, la CNCDH tient à souligner qu'elle reste vigilante sur la situation des praticiens diplômés hors union européenne (PADHUE), qui sous réserve de certaines conditions prévues par loi, peuvent désormais bénéficier d'un titre de séjour portant mention talent-profession médicale (18). En effet, en France près de 12 % des médecins en exercice sont titulaires de diplômes étrangers, dont 7 % extra européens, majoritairement obtenus au Maghreb. Ils font cependant l'objet d'un traitement différencié dans leurs conditions et leur rémunération, ce qui n'est pas acceptable eu égard au service qu'ils rendent au sein du système de santé (19).

  2. L'accès au séjour par l'exercice d'un métier en tension : la pérennisation d'une logique utilitariste

  3. L'article 27 de la loi du 26 janvier 2024 crée une mesure expérimentale, jusqu'au 31 décembre 2026 visant à répondre aux besoins spécifiques de main d'œuvre et à offrir une forme de régularisation par le travail. Ainsi, un nouveau motif d'admission exceptionnelle au séjour est consacré (20) : « salarié » ou « travailleur temporaire ». En vertu de l'article L. 435-4 du Ceseda, l'étranger peut obtenir ce titre s'il a résidé au moins trois ans en France et a travaillé pendant au moins douze mois (consécutifs ou non) au cours des deux dernières années dans un domaine dit « en tension » (21). S'ils remplissent ces conditions au moment de la demande en préfecture, les demandeurs pourront se voir accorder un titre de séjour d'une durée d'un an. Les travailleurs saisonniers, les étudiants et les demandeurs d'asile sont exclus de ce dispositif.

  4. L'incohérence des conditions d'accès au séjour

  5. La CNCDH exprime sa perplexité quant aux exigences d'une ancienneté de résidence de trois ans, décorrélée de l'objectif de la loi ; et surtout, l'incohérence de l'exigence de preuves de douze mois de travail pour des personnes a priori non autorisées à travailler légalement. Cette exigence, qui reprend le dispositif de la circulaire dite « Valls » (22) sans remettre en question sa logique ni sa faisabilité, est fortement critiquable. En effet, pour celles et ceux qui ne sont pas déclarés, fournir une preuve de leur emploi est un obstacle majeur, en l'absence de documents officiels tels que des fiches de paie fournies par l'employeur (23). Bien que le texte ne le mentionne pas explicitement, il aurait été judicieux d'y inclure des clarifications sur la preuve requise, notamment en se référant au code du travail qui autorise l'utilisation d'un faisceau d'indices pour attester du travail accompli. En outre, il est incohérent que le temps de travail effectué de manière régulière en tant qu'étudiant, demandeur d'asile ou saisonnier ne soit pris en compte.

  6. Cette exigence de douze mois de travail illégal paraît d'autant plus incohérente que la loi du 26 janvier 2024 introduit des sanctions accrues à l'encontre des employeurs de travailleurs sans titre de séjour, notamment par le biais d'une nouvelle amende administrative prévue par son article 34. Ainsi, le texte prévoit d'un côté des mesures contre les employeurs faisant appel à des travailleurs en situation irrégulière et d'un autre côté rend ces mêmes travailleurs dépendant de leurs employeurs pour apporter les preuves de leur travail.

  7. L'instabilité des listes des métiers « en tension »

  8. La CNCDH émet également des réserves quant à la limitation du dispositif aux seuls métiers jugés « en tension ». La liste des métiers en tension sera constituée et révisée (au moins une fois par an) par les départements. L'octroi d'un tel titre par les demandeurs est donc subordonné à l'appréciation de chaque département, chargé d'établir ladite liste. Plus encore, la révision annuelle de celle-ci pourrait avoir un impact sur le retrait du titre de séjour et placer l'étranger dans une situation instable. Par conséquent, la variabilité de cette situation est susceptible de créer une inégalité d'accès aux droits sur l'ensemble du territoire français. En effet, un même métier pourra être considéré « en tension » dans un département mais pas dans un autre. Par ailleurs, la CNCDH s'interroge sur la détermination des critères justifiant la qualification de métier en « tension ». II est regrettable de constater que l'arrêté d'avril 2021 (24) complété par celui de mars 2024 (25) n'intègre pas certains secteurs employant massivement des travailleurs étrangers sans titre, tels que ceux de la construction, de la restauration, du nettoyage ou de l'assistance à personne.

  9. Par conséquent, la CNCDH exprime de sérieuses inquiétudes sur cette mesure qui crée un statut précaire pour les travailleurs étrangers. Contrairement à l'objectif de « renforcement de l'intégration » visé par cette loi, cette mesure assigne à des emplois prédéterminés des individus sans considération de leur compétence, parcours professionnel ou de leur intégration sur le long-terme. De plus, ce titre de séjour, délivré seulement pour un an, rend difficile l'accès à un logement décent, à un prêt ou à d'autres droits pour pouvoir vivre de façon stable et sécurisée. En outre, le renouvellement du titre de séjour apparaît incertain en ce qu'il est subordonné à l'exercice d'un métier « en tension » dont la liste peut varier selon les besoins. Dès lors, l'ensemble de ces éléments conduit la CNCDH à exprimer ses vives inquiétudes quant à l'effectivité concrète de cette mesure censée favoriser l'intégration de travailleurs étrangers.

  10. L'invocabilité et l'inopposabilité des critères de régularisation

  11. Le demandeur souhaitant obtenir le titre « métiers en tension » doit justifier d'une résidence en France depuis trois ans, d'un emploi durant douze mois sur les deux dernières années et de l'exercice d'un métier dit « en tension » dans le département où il se trouve. D'une façon générale, la CNCDH soutient que les critères de régularisation doivent être invocables et opposables à l'administration, qu'ils soient établis dans une loi ou spécifiés dans une circulaire. Cette position est ancrée dans le respect de principes juridiques essentiels tels que l'égalité de traitement (26) et la sécurité juridique. Un cas emblématique est celui de la circulaire « Valls » de 2012, qui a joué un rôle clé dans la régularisation annuelle de milliers de personnes sans titre de séjour (27). Cependant, l'invocabilité de cette circulaire, fondée sur l'article 312-3 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA), a divisé les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel (28), à la suite d'une décision du Conseil d'Etat en 2015 (29). Cette décision indiquait qu'une circulaire de régularisation ne pouvait être opposée à l'administration, car elle relevait plus de l'octroi d'une mesure de faveur, « l'admission exceptionnelle au séjour », que de la création d'un droit. En octobre 2022, le Conseil d'Etat a confirmé cette interprétation (30). Or cette distinction ne trouve pas de fondement dans le droit en vigueur (31).

  12. Dans la pratique, l'absence d'invocabilité de la circulaire « Valls » a conduit à une application inégale et incohérente de ses directives, variant d'une préfecture à l'autre, voire d'un guichet à l'autre. Cette situation a créé une rupture d'égalité dans le traitement des demandes des étrangers. Compte tenu de son impact significatif sur la vie des personnes étrangères concernées, il convient de remettre en question la pertinence d'une jurisprudence qui perpétue une inégalité de traitement. Pour y remédier, la CNCDH insiste sur la nécessaire clarification des conditions d'invocabilité et d'opposabilité des documents administratifs en application des dispositions du code des relations entre le public et l'administration (CRPA). Cette clarification devrait inclure l'extension de son champ d'application à tous les documents administratifs, sans se limiter uniquement à ceux qui accordent explicitement un droit.

  13. Le maintien du système inopérant des autorisations de travail

  14. La CNCDH regrette que la loi n'améliore pas significativement l'accès au droit de séjour au titre du travail pour une très grande partie des personnes étrangères qui occupent des fonctions essentielles sur le marché du travail actuellement. Bien que l'intention déclarée soit de réduire la dépendance des travailleurs étrangers vis-à-vis de leurs employeurs dans le processus de régularisation, la loi instaure des conditions qui, paradoxalement, renforcent cette dépendance comme on l'a vu plus haut. De plus, la loi omet de traiter les problématiques liées au système actuel d'autorisation de travail pour les catégories de titres « salariés » et « travailleur temporaire » (32), en dehors des secteurs dits « en tension ». Cette lacune du texte participe à maintenir une dépendance excessive des travailleurs étrangers envers leurs employeurs, ce qui va à l'encontre des objectifs affichés de réforme et d'amélioration des conditions de travail et d'intégration pour cette population.

  15. En effet, la délivrance d'un titre de séjour pour les travailleurs étrangers est conditionnée à l'obtention préalable d'une autorisation de travail, qui doit être demandée par l'employeur (33). Depuis 2021 (34), la validité de cette autorisation est restreinte à la durée d'un contrat de travail spécifique (35), indépendamment du type de contrat (36). En conséquence, un travailleur étranger perdant son emploi ne peut pas en accepter un nouveau sans qu'une nouvelle autorisation ne soit demandée par le futur employeur, même si son titre de séjour est toujours valide. Un travailleur étranger ne peut pas quitter son emploi (même s'il est soumis à des conditions de travail insoutenables) sans risquer de perdre son droit de séjour, et de perdre son autorisation de travail et de séjour si les infractions de l'employeur sont portées à la connaissance de la préfecture. La CNCDH, à travers ses auditions, a pu mettre en évidence que ce système crée des obstacles à la régularisation et des situations de précarité, particulièrement dans le cadre de contrats d'intérim de courte durée. Elle a également mis en évidence les risques d'exploitation et de traite des êtres humains qui peuvent découler de ces conditions.

  16. C'est pourquoi, en rappelant que l'exercice d'un travail légal et sécurisé est l'une des voies les plus importantes de tout processus d'intégration dans la société, la CNCDH préconise de réformer les conditions de la délivrance d'une autorisation de travail pour les personnes étrangères (37). Cette autorisation pourrait être délivrée automatiquement à ceux qui possèdent un contrat de travail, à condition que la demande soit faite dans les 15 jours suivant la signature du contrat, sur le modèle de ce qui est pratiqué pour les détenteurs d'une autorisation provisoire de séjour (APS) pour recherche d'emploi. La CNCDH suggère notamment de supprimer le critère d'adéquation au poste, laissant à l'employeur la responsabilité d'évaluer les compétences de son futur employé, de réduire le seuil minimal de rémunération et de réformer substantiellement le dispositif de la taxe OFII afin d'alléger la charge financière des employeurs embauchant des travailleurs étrangers. La CNCDH été alerté sur le fait que cette taxe conduit à des abus fréquents de la part des employeurs qui demandent aux étrangers de rembourser illégalement le montant de la taxe OFII.
    Recommandation n° 1 : La CNCDH insiste sur l'urgence d'une réforme de la procédure de régularisation des travailleurs sans papiers en France. Cette réforme consisterait à inscrire dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) le droit pour toute personne possédant un contrat de travail validé par la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) d'obtenir une carte de séjour temporaire. Cette démarche se ferait sans imposer de conditions supplémentaires, telles que l'exigence d'une activité au moins à mi-temps, la production de fiches de paie, ou l'ancienneté de présence en France.

  17. Un accès au statut d'entrepreneur individuel conditionné à la régularité du séjour

  18. L'article 29 de la loi du 26 janvier 2024 conditionne l'obtention du statut d'entrepreneur individuel pour les ressortissants de pays hors Union européenne à la possession d'un titre de séjour valide. Cette mesure, qui implique une modification de l'article L. 526-22 du code de commerce, vise à prévenir les fraudes associées à l'emploi de travailleurs étrangers en situation irrégulière. La CNCDH note, à l'instar d'autres instances (38), que l'exigence d'un séjour régulier pour les étrangers désirant exercer une activité professionnelle est déjà établie dans le droit actuel, y compris pour les entrepreneurs individuels. C'est pourquoi, elle recommande sa suppression.

  19. Toutefois, étant donné que cette problématique est particulièrement prévalente dans le secteur des livraisons à domicile, la CNCDH soutient l'évolution de la réglementation concernant les travailleurs de plateformes de livraison, en accord avec les derniers états de la jurisprudence de la Cour de cassation et la directive européenne tendant à l'amélioration des conditions de travail des travailleurs de ce secteur (39). Ainsi, sous réserve de remplir certaines conditions, les travailleurs seront présumés salariés, à charge pour la plateforme de renverser cette présomption. Cela permettrait leur régularisation sous les titres de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire » (40), en leur permettant de bénéficier de tout droit en matière de travail auquel ils peuvent prétendre.

  20. Les plateformes de livraison à domicile sont apparues en France autour des années 2015 et 2016, adoptant un modèle économique basé sur l'emploi de travailleurs indépendants, majoritairement sous le statut d'auto-entrepreneur. Le profil des travailleurs de ces plateformes a évolué au fil des dégradations des conditions de travail et de la rémunération. Alors que les premiers livreurs étaient principalement des étudiants, la main-d'œuvre s'est diversifiée pour inclure un nombre croissant de travailleurs étrangers, souvent sans papiers ou en attente de régularisation (41). Si, en 2017, la présence de travailleurs étrangers était minime, elle a considérablement augmenté à partir de 2020. Beaucoup de travailleurs sans papiers s'engagent dans ce secteur, car il offre un accès facile au marché du travail, ne nécessite pas de qualifications spécifiques, ni de maîtrise du français, et permet une certaine flexibilité horaire.

  21. La pandémie de covid-19 a entraîné une augmentation des commandes, exacerbant la dépendance des plateformes envers ces travailleurs. Des pratiques telles que la location de comptes et l'utilisation de faux papiers sont devenues courantes, créant un marché parallèle et précaire. Ainsi, la protection sociale est très faible pour tous les travailleurs des plateformes : ils n'ont pas le droit au chômage et, en cas d'accident du travail, les assurances souscrites par les plateformes pour les travailleurs n'offrent que des indemnisations très faibles, et dans des conditions limitées. Les travailleurs sans-papiers n'en bénéficient généralement pas par peur d'être découverts. S'ils osent faire la démarche pour bénéficier de l'indemnisation, ils doivent encore prouver que l'accident leur est bien arrivé à eux (ce qui est compliqué, s'ils louent le compte à une autre personne).

  22. Ce modèle a suscité d'intenses débats juridiques, notamment sur la légalité de ce statut, avec des cas de requalification en travail salarié par certaines juridictions (42). En effet, la Cour de cassation française, depuis novembre 2018 (43), a mis l'accent sur la nécessité de reconnaître la situation des travailleurs précaires et subordonnés. Elle a réaffirmé, notamment dans des décisions de janvier et mars 2023 (44), que les travailleurs de plateforme peuvent être considérés comme des employés sous contrat de travail en raison d'un lien de subordination juridique, faisant ainsi des plateformes leurs employeurs. Bien que les principes de la Cour de cassation semblent établis, la requalification ne concerne que les travailleurs ayant agi et obtenu gain de cause en démontrant l'existence d'un contrat de travail. A ce jour, aucune loi n'a entériné ces principes (45). Toutefois, une directive européenne visant à encadrer les conditions d'emploi des travailleurs des plateformes a été approuvée le 24 avril 2024 par le Parlement européen. Celle-ci prévoit qu'une présomption légale de « relation de travail » des travailleurs des plateformes, bien que réfragable, devra être intégrée dans les droits nationaux, en s'appuyant sur deux critères tenant au contrôle et à la direction des travailleurs des plateformes. La CNCDH appelle le législateur, lors de la transposition, à élargir ces critères afin de mieux protéger les travailleurs, allant ainsi au-delà du lien de subordination déjà reconnu en droit français.

II. - Un droit au séjour soumis à des preuves d'intégration par la langue

  1. L'article 20 de la loi du 26 janvier 2024 ajoute une condition de niveau de langue aux fins de « mieux intégrer ». « Gage d'autonomie, fondement du vivre-ensemble, passeport pour l'emploi », la maîtrise de la langue était, selon l'étude d'impact sur le projet de loi, envisagée comme « la condition sine qua non de l'intégration des étrangers durablement admis au séjour en France » (46).
  2. Ces évidences se heurtent cependant à la réalité des parcours complexes d'intégration des personnes étrangères en fonction de leurs conditions économiques, sociales, familiales et de l'accès effectif à des formations linguistiques adaptées. En effet, l'étude d'impact du projet de loi révélait que « 25 % des étrangers qui se voient prescrire une formation linguistique obligatoire dans le cadre du CIR [contrat d'intégration républicaine] n'atteignent pas le niveau A1 du CECRL à l'issue de celle-ci » (47). Ce chiffre confirme que de nombreuses personnes ne sont pas en mesure de valider ce niveau de maîtrise du français après les formations prescrites et se voient donc refuser un titre de séjour stable.
  3. La CNCDH considère que conditionner la délivrance de titres de séjour de longue durée à un niveau de langue spécifique risque d'exclure certains individus et de retarder leur intégration. Cette nouvelle disposition s'inscrit ainsi dans la continuité d'une évolution législative tendant à faire de la maîtrise de la langue un critère préalable à l'intégration. Longtemps restreinte à la naturalisation, cette exigence s'est étendue, au début des années 2000, à la délivrance des cartes de résident de dix ans (48), avant de se préciser dans le contrat d'intégration républicaine (CIR) (anciennement contrat d'accueil et d'intégration - CAI) pour l'ensemble des titres de longue durée (49). La carte de séjour pluriannuelle, d'une durée allant de deux à quatre ans, créée en 2016 (50), n'a pas échappé à cette logique : les personnes étrangères doivent à ce jour apporter la preuve d'une participation sérieuse et assidue aux modules de formation dispensés dans le cadre du CIR. Désormais, les demandeurs d'une carte de séjour pluriannuelle devront justifier de leur réussite au diplôme de niveau A2 en langue française, à l'écrit et à l'oral (51). Le niveau de langue B1 est quant à lui demandé en français pour les demandeurs de la carte de résident.
  4. La CNCDH s'alarme de l'inversion que cette mesure entérine : la maîtrise de la langue est désormais exigée comme un préalable à l'intégration, alors qu'elle en constitue - selon les observations constantes des chercheurs, des associations, des professionnels de tous secteurs (52) - l'une des conséquences de plus long-terme. En réalité, l'injonction de prouver une « intégration par la langue », risque de maintenir de nombreuses personnes migrantes dans la précarité administrative, voire de les exclure en plaçant la responsabilité de leur intégration entièrement sur leurs épaules, tout en occultant le rôle crucial de l'Etat dans les dispositifs d'accompagnement, qui sont actuellement insuffisants.
  5. La mesure introduit une rupture d'égalité au regard de l'origine - les personnes originaires des anciennes colonies françaises, souvent francophones, seront largement avantagées -, mais également du niveau d'alphabétisation (par extension, de l'origine sociale et géographique), de l'état de santé, du handicap, de la vulnérabilité économique (53) ou administrative, de l'âge, de la situation au regard du travail, de la situation familiale (54), et d'une multitude d'autres facteurs pouvant influer sur la capacité d'apprentissage sur des temporalités aussi courtes.
  6. L'argument selon lequel cette nouvelle condition n'est pas excluante au regard du séjour, et ne constitue pas un frein à l'intégration (55), puisque les personnes n'ayant pas validé le niveau de langue requis peuvent toujours prétendre à un nouveau titre de séjour annuel, tout en ayant la possibilité de repasser l'examen l'année suivante, est erroné. En effet, c'est ignorer que la saturation de certains services préfectoraux est à l'origine de difficultés importantes au moment des renouvellements de titres. Celles-ci entraînent de nombreuses interruptions de séjour aux conséquences extrêmement dommageables à tous et à toutes (56). Ce, d'autant que la mise en place d'une telle condition aura pour effet immédiat d'exacerber les déficits de moyens financiers et humains en multipliant les recours dans des administrations déjà « sous tension » (57).
  7. La CNCDH a pris note que l'apprentissage de la langue française est financé par le compte personnel de formation mais elle insiste sur la nécessité d'être attentif aux moyens déployés pour sa mise en œuvre et sur la nécessaire augmentation des offres de formation linguistiques adaptées aux besoins.
    Recommandation n° 2 : La CNCDH alerte sur la tendance à faire de l'intégration une condition préalable à l'acquisition d'un titre de séjour et à multiplier les obstacles dans le processus d'intégration. C'est pourquoi elle recommande de supprimer la subordination du droit au séjour à des exigences accrues de compétences linguistiques.

III. - L'accroissement de la précarisation du droit au séjour

  1. Lors des débats parlementaires, le Sénat avait intégré une disposition visant à supprimer l'aide médicale d'Etat (AME) au profit d'une aide médicale d'urgence, bien plus restrictive. La CNCDH s'est réjouie de la suppression d'une telle disposition dans la version finale de la loi (58) mais reste néanmoins vigilante à toute volonté de supprimer l'AME par voie règlementaire ou par une proposition de loi (59). La suppression de l'AME, empêcherait des diagnostics à un stade précoce - aggravant le pronostic des pathologies - et renforcerait les recours aux urgences hospitalières déjà à bout de souffle. La CNCDH est extrêmement inquiète des conséquences humaines, sanitaires et financières prévisibles d'une suppression de l'AME.

  2. Le droit au séjour pour raisons médicales

  3. La CNCDH se félicite de la censure par le Conseil constitutionnel des articles 9 et 10 de la loi visant à modifier les conditions d'accès au droit au séjour pour soins. Cette censure s'appuie néanmoins sur le seul motif d'une adoption en vertu d'une procédure contraire à la Constitution. La CNCDH reste donc vigilante à toute nouvelle volonté de modification.

  4. Le risque d'atteinte au droit à une vie privée et familiale

  5. Si la CNCDH se félicite de la censure par le Conseil constitutionnel des articles 3, 4 et 5 de la loi visant à durcir le droit au regroupement familial elle reste vigilante à la survenance de toute modification ultérieure, la censure s'appuyant également sur le seul motif d'une adoption procéduralement contraire à la Constitution.

  6. De même, l'article 65 de loi qui visait à restreindre les conditions pour bénéficier de la réunification familiale, a été censuré par le Conseil constitutionnel, au motif inchangé que ce texte a été adopté selon une procédure contraire à la Constitution. Là encore, la CNCDH reste attentive à toute modification ultérieure visant à porter atteinte au droit à la vie privée et familiale des étrangers.

  7. La non-reconduction de la prise en charge sanitaire

  8. La CNCDH se félicite de la censure par le Conseil constitutionnel du 2° de l'article 64 de la loi modifiant l'article L. 542-7 du Ceseda qui avait pour objectif de ne pas reconduire la prise en charge sanitaire lorsqu'un rejet définitif de la demande d'asile a été prononcé. Cette censure s'appuyant néanmoins sur le seul motif d'une adoption dont la procédure est contraire à la Constitution, elle reste vigilante à toute modification ultérieure.

  9. L'examen à 360° des demandes de titre de séjour : une présomption d'irrecevabilité

  10. L'article 14 de loi permet de mettre en place, à compter du 1er juillet 2024, dans cinq départements (60), une expérimentation du système d'examen des dossiers de séjour à « 360° ». Bien que cette disposition, issue d'une recommandation du Conseil d'Etat en octobre 2020, puisse sembler efficace et cohérente, pour la CNCDH, elle risque de porter atteinte à l'accès au séjour. Cette réforme conduit lors de la demande d'un titre de séjour à faire un examen complet de la situation des demandeurs et des titres qu'ils peuvent se voir délivrer et donc impose de préparer un dossier qui envisage tous les cas de figure. En effet, lors du dépôt d'une demande de titre de séjour, l'administration devra examiner les motifs invoqués par le demandeur mais aussi tous les motifs susceptibles de conduire à la délivrance d'un titre de séjour. Il est alors tout à fait possible que l'administration délivre un titre moins protecteur que celui initialement demandé. En cas de décision défavorable, toute nouvelle demande introduite dans un délai d'un an après la décision de refus d'admission au séjour de la préfecture serait déclarée irrecevable, sauf si la personne concernée peut justifier de nouveaux éléments qu'elle n'aurait pas pu connaître avant le refus précédent. Cette présomption d'irrecevabilité pourrait entraîner des situations injustes et préjudiciables pour les personnes cherchant à régulariser leur situation, générant un contentieux inutile. Il convient de noter que les admissions exceptionnelles au séjour, la demande de titre étranger malade et la demande d'asile ne sont pas concernés par cette disposition.

  11. En conséquence, malgré l'apparence d'une simplification, cette réforme complique fortement les possibilités d'obtention d'un titre de séjour et risque de priver de toute possibilité de nouvelle demande pendant un an, accroissant le nombre de personnes sans situation administrative légale. Cette nouvelle mesure a un impact sur l'accompagnement social des personnes qui ne verront pas leur situation évoluer pendant au moins un an.

  12. Par ailleurs, cette mesure doit être évaluée à la lumière du recours à la dématérialisation. Les modalités de dépôt des demandes de titre de séjour via le site de l'ANEF (Administration numérique pour les étrangers en France) rendent, à ce jour, difficile le dépôt d'éléments complémentaires à un dossier. Cette mesure risque de rester inapplicable tant que l'ensemble des préfectures ne respecteront pas leurs obligations d'accès aux guichets en offrant une « solution de substitution » lorsque le téléservice est inaccessible pour des raisons liées à la conception ou au fonctionnement de cet outil - obligation qui découle d'une décision du Conseil d'Etat du 3 juin 2022 (61). La situation actuelle révèle l'absence de prise en compte du problème de la dématérialisation des procédures dans cette loi. La Commission rappelle, comme elle l'a déjà fait à de nombreuses reprises (62), qu'il est essentiel de garantir un accueil et un accompagnement non dématérialisé pour les personnes afin de préserver l'accès aux droits pour tous.
    Recommandation n° 3 : La CNCDH recommande de permettre le dépôt d'une demande de titre de séjour sur la base de plusieurs fondements et de pouvoir demander à nouveau un titre de séjour après avoir fait l'objet d'un refus, sans devoir justifier de circonstances nouvelles et postérieures au rejet précédent.

  13. La création d'un titre de séjour pour les victimes d'habitat indigne

  14. L'article 55 de la loi du 26 janvier 2024 crée un titre de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » en cas de dépôt de plainte par un étranger pour l'infraction de « soumission à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine » (article 225-14 du code pénal) contre un marchand de sommeil (63). Ce titre est d'une durée d'un an renouvelable pendant toute la procédure. La circulaire du 5 février 2024 (64) précise les contours de cette disposition (65).

  15. La CNCDH prend note de cette disposition qui peut permettre de protéger des personnes en situation de vulnérabilité. Elle regrette que cette disposition n'ait pas été étendue aux victimes de conditions de travail indignes pourtant elles aussi pénalement protégées par le même article 225-14 du code pénal. Elle insiste sur la nécessité d'octroyer une protection durable et d'informer les personnes sur leurs droits, notamment à régularisation.

  16. La suppression de la protection des jeunes majeurs

  17. L'article 44 de la loi modifie l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles (CASF) lequel prévoit les cas de prise en charge des jeunes majeurs par l'aide sociale à l'enfance (ASE). En vertu de la nouvelle loi, les mineurs non accompagnés placés à l'ASE durant leur minorité ne pourront plus bénéficier du « contrat jeune majeur » (66), dès lors qu'ils font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Or, la loi du 7 février 2022 (67) avait prévu un accompagnement systématique par l'Etat et les départements des jeunes majeurs de moins de 21 ans « qui ne bénéficient pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants ». Bien que l'octroi du contrat jeune majeur ait toujours été bien en deçà de ce qu'il aurait été possible d'attendre et qu'il ne soit pas rare que les jeunes adultes reçoivent une OQTF, la délivrance systématisée induite par la loi, sans examen sérieux de leur parcours de vie risque d'aggraver leur vulnérabilité.

  18. La CNCDH s'inquiète des conséquences humaines de cette nouvelle disposition qui va contribuer à précariser davantage ce jeune public, d'ores et déjà vulnérable et mis en danger par des « sorties sèches (68) » dès leur 18 ans avec le risque de rupture de leur parcours de formation et d'intégration.

  19. La CNCDH considère que cette disposition porte atteinte au principe d'égalité entre les jeunes majeurs français et étrangers non accompagnés qui pouvaient, auparavant, bénéficier sans distinction de nationalité du contrat jeunes majeur. La loi crée une différence de traitement fondée sur la nationalité.
    Recommandation n° 4 : La CNCDH alerte sur les graves conséquences de l'exclusion du bénéfice du « contrat jeune majeurs » des jeunes adultes placés sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), faute d'accompagnement. Les concernant, elle recommande donc la mise en place d'un dispositif spécifique pour les jeunes majeurs afin d'éviter les « sorties sèches » et de permettre la régularisation des jeunes étrangers pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) dès qu'ils atteignent l'âge de la majorité. La CNCDH rappelle par ailleurs qu'elle est favorable à ce que tous les jeunes majeurs puissent bénéficier du « contrat jeunes majeurs », qui reste insuffisamment déployé aujourd'hui.