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Simplification et conséquences des délais de recours dans le contentieux des étrangers
- La loi inclut, dans son titre V intitulé « Simplification des règles du contentieux des étrangers », une série d'articles visant à modifier significativement les procédures de contestation des décisions relatives à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers, mis en œuvre par un décret du 2 juillet 2024 (125). Ces dispositions visent à simplifier les délais de recours et de jugement, alors que le contentieux des étrangers représentait en 2022 plus de 43,5 % de l'activité des tribunaux administratifs (126). La CNCDH reconnaît la complexité du contentieux des étrangers, résultant de nombreuses réformes législatives aux objectifs contradictoires. Ces réformes ont introduit de multiples répétitions, renvois et dérogations dans le Ceseda, créant une procédure distincte pour presque chaque type de contestation des décisions de séjour et d'éloignement, comme l'a souligné le Conseil d'Etat dans un avis du 5 mars 2020 (127).
- La CNCDH insiste sur le fait que toute réforme du contentieux des étrangers doit être guidée par le renforcement de l'accès à un recours effectif. Or, la réforme actuelle, motivée par les impératifs de la lutte contre l'immigration irrégulière et la réduction des délais de recours, néglige le droit fondamental d'accès à un juge.
I. - Une réduction des délais de recours et le juge unique
- S'inspirant partiellement de l'étude du Conseil d'Etat du 5 mars 2020 (128), la loi réduit le nombre actuel de procédures de recours de douze à trois, selon le degré réel d'urgence. Les procédures retenues comprennent : une procédure ordinaire ; une procédure spéciale dite « accélérée » ; et une procédure d'urgence.
- La première s'applique aux OQTF avec ou sans délai de départ volontaire. Dans ce cas, le délai de recours est de 30 jours francs. Cette procédure reprend les principes du droit commun, c'est-à-dire que le juge statue en formation collégiale, mais en retenant un délai de jugement de six mois. Pour les décisions relatives à l'asile, aux mesures ordinaires avec assignation à résidence de « courte durée » (45 jours), à l'OQTF notifiée en détention, l'assignation à résidence ou aux IRTF autonomes, le délai de recours prévu est de sept jours et le délai de jugement de quinze jours, la formation retenue est à juge unique. Enfin, pour les mesures privatives de liberté (129) et les refus d'asile à la frontière, une procédure d'urgence est instituée prévoyant un délai de recours de 48 heures et un délai de jugement de 96 heures, toujours à juge unique.
- La CNCDH regrette que, hormis pour les OQTF sans délai de départ volontaire (48 heures à 30 jours) et les assignations à résidence de « courte durée » (48 heures à 7 jours), le plan de simplification réduise les délais de recours et de jugement, portant ainsi atteinte aux droits des étrangers. Ainsi, lorsqu'une OQTF, normalement assortie d'un délai de départ volontaire, est notifiée à une personne déboutée de sa demande d'asile, le délai pour la contester est réduit de 15 à 7 jours. De même, les délais de recours pour le contentieux de l'enregistrement de la demande d'asile et des conditions matérielles d'accueil, jusqu'ici soumis au droit commun avec un délai de deux mois, sont également réduits. Les décisions de transfert vers un autre pays européen au titre du règlement Dublin voient leurs délais de recours passer de 15 à 7 jours, avec un délai de jugement de 15 jours.
- La CNCDH déplore cet écart par rapport au droit commun et le recul de la collégialité. Les solutions retenues suggèrent que les problèmes d'engorgement des tribunaux et le faible taux d'exécution des OQTF sont dus à des délais de procédure trop longs, des garanties procédurales excessives ou la lenteur des jugements. Pour la CNCDH, l'augmentation du contentieux est davantage due à des dysfonctionnements administratifs et juridictionnels (130), à la multiplication du prononcé de décisions administratives d'éloignement ou d'expulsion, sans examen attentif des situations individuelles. Par exemple, la dématérialisation des procédures de demande de titres de séjour a conduit à une hausse significative des litiges visant à résoudre des problèmes purement matériels, tels que l'obtention d'un rendez-vous ou le respect d'un délai, comme l'a noté le Conseil d'Etat dans son étude de 2020 (131). De plus, les difficultés croissantes d'accès au séjour, exacerbées par des lois successives durcissant les conditions, comme les exigences linguistiques de cette loi, contribueront à augmenter le contentieux.
Recommandation n° 14 : La CNCDH recommande la suppression de toutes les procédures spécifiques (délai de recours de 7 jours) et le maintien des seules procédures ordinaires et d'urgence, cette dernière devant être réservée aux cas de privation de liberté.
- la CNCDH recommande que tous les refus de titres de séjour accompagnés d'une mesure d'éloignement, ainsi que toutes les obligations de quitter le territoire français (OQTF), indépendamment du motif de leur émission, soient traités via la procédure ordinaire ;
- elle recommande par ailleurs que le délai de la procédure ordinaire soit porté à deux mois, conformément au droit commun, au lieu des 30 jours francs actuel.
II. - La réduction du champ des audiences physiques
- L'article 76 de la loi du 26 janvier 2024 prévoit de recourir à la visio-conférence pour certaines audiences lorsque l'étranger est retenu en centre de rétention administrative (132). Actuellement, les audiences peuvent se tenir soit au siège du tribunal, dans une salle délocalisée spécialement aménagée à cet effet à proximité de la zone d'attente ou du lieu de détention, ou via un moyen de télécommunication audiovisuelle, avec le magistrat au siège de la juridiction et l'étranger assisté de son conseil dans la salle d'audience délocalisée. L'étude d'impact précise que la comparution physique dans la salle spécialement aménagée restera la règle, la vidéo-audience étant une option laissée à la discrétion du magistrat.
- La CNCDH craint que la vidéo-audience ne devienne la norme, alors que les auditions qu'elle a menées montrent que les salles attenantes aux centres de rétention ou aux zones d'attente sont rarement utilisées. Souvent difficiles d'accès, ces salles ne sont pas aménagées pour garantir des audiences optimales et la confidentialité des débats. La CNCDH rappelle que cette technique a montré ses limites et ne devrait être utilisée qu'en dernier recours (133).
- La CNCDH s'inquiète de la tendance à vouloir faire de la visio-audience la norme, au détriment de l'accès à un juge et à une justice de qualité. En effet, la mise en place de ces audiences risque de créer une rupture d'égalité devant la justice entre ceux dont la demande sera examinée en présentiel et ceux dont la demande le sera en visio-audience. Le présentiel permet de saisir l'état du justiciable au-delà des dossiers : le son de la voix, certains gestes et comportements permettent de prendre en compte certaines vulnérabilités. De plus, l'interprétariat est moins fluide en visioconférence, que l'interprète soit du côté du demandeur ou du magistrat. L'avocat devra choisir entre se tenir aux côtés du justiciable et être présent à l'audience. La réforme suppose qu'il sera toujours auprès de son client, mais ce ne sera pas toujours le cas, notamment pour les avocats de permanence qui peuvent avoir des dossiers non liés à la privation de liberté. Cette situation constitue une atteinte aux droits de la défense.
- Alors que la valeur documentaire occupe une place prépondérante dans ces audiences, certaines pièces et preuves risquent d'être moins bien examinées en distanciel. Le recours à la vidéo-audience présente souvent des dysfonctionnements techniques (écran noir, coupures, problème de son, interprétariat de faible qualité…) ou pose des problèmes de confidentialité (134), nuisibles à aux échanges entre le demandeur et le juge.
- Pour la CNCDH, le recours à la vidéo-audience est contraire aux droits du demandeur, qui devrait pouvoir se présenter physiquement devant un juge, aux côtés de l'interprète et de son conseil. Si l'interprète et l'avocat ne peuvent pas être présents aux côtés du justiciable, l'effectivité de la représentation et le droit de faire valoir sa défense risquent d'être bafoués. Pour maintenir l'équité de la procédure et avoir égard aux conséquences des décisions, la CNCDH rappelle qu'il est impératif de tenir compte de la vulnérabilité des publics concernés. Elle s'inquiète de cette tendance à appauvrir les débats et considère que le recours à la visio-audience, au-delà des considérations d'ordre matériel, questionne aussi la qualité de la justice que l'on souhaite voir rendue.
Recommandation n° 15 : La CNCDH réitère ses recommandations en matière de recours à la vidéo-audience. Elle recommande que le recours à la vidéo-audience ne puisse être imposé au demandeur sauf pour des raisons impérieuses de sécurité ou en cas d'impossibilité matérielle.
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