JORF n°0029 du 4 février 2011

L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,
Vu la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 modifiée concernant les règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité de service ;
Vu le code des postes et des communications électroniques, et notamment ses articles L. 3, L. 5, L. 5-1 et L. 36-5 ;
Vu le code civil, et notamment son article 1369-8 ;
Vu l'arrêté du 7 février 2007 pris en application de l'article R. 2-1 du code des postes et des communications électroniques et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux ;
Vu la demande d'avis de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et du ministre chargé de l'industrie auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi en date du 9 juin 2010 ;
Vu la demande d'avis du ministre chargé de l'industrie auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi en date du 15 juin 2010 ;
Après en avoir délibéré le 6 juillet 2010,

I. ― Cadre de la saisine de l'Autorité

Aux termes de l'article L. 5 du code des postes et des communications électroniques (ci-après CPCE) : « L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est consultée sur les projets de loi et de réglementation relatives aux services postaux ».
De même, aux termes de l'article L. 36-5 du même code : « L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques et participe à leur mise en œuvre. »
L'Autorité est saisie de deux demandes d'avis sur un projet de décret qui fixe les caractéristiques du procédé d'acheminement et de distribution de la lettre recommandée électronique, en application de l'article 1369-8 du code civil, créé par l'ordonnance n° 2005-674 du 16 juin 2005.
L'article 1369-8 du code civil est ainsi rédigé :
« Une lettre recommandée relative à la conclusion ou à l'exécution d'un contrat peut être envoyée par courrier électronique à condition que ce courrier soit acheminé par un tiers selon un procédé permettant d'identifier le tiers, de désigner l'expéditeur, de garantir l'identité du destinataire et d'établir si la lettre a été remise ou non au destinataire.
Le contenu de cette lettre, au choix de l'expéditeur, peut être imprimé par le tiers sur papier pour être distribué au destinataire ou peut être adressé à celui-ci par voie électronique. Dans ce dernier cas, si le destinataire n'est pas un professionnel, il doit avoir demandé l'envoi par ce moyen ou en avoir accepté l'usage au cours d'échanges antérieurs.
Lorsque l'apposition de la date d'expédition ou de réception résulte d'un procédé électronique, la fiabilité de celui-ci est présumée, jusqu'à preuve contraire, s'il satisfait à des exigences fixées par un décret en Conseil d'Etat.
Un avis de réception peut être adressé à l'expéditeur par voie électronique ou par tout autre dispositif lui permettant de le conserver.
Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. »
Le texte soumis à l'Autorité vise à préciser les caractéristiques de la lettre recommandée envoyée par voie électronique. L'objectif poursuivi est que cette dernière présente les mêmes garanties que les envois faisant l'objet de formalités attestant leur dépôt et leur distribution proposés par les opérateurs postaux autorisés, appelés envois « recommandés ».

II. ― L'avis de l'Autorité
2.1. Sur l'article 1er du projet de décret

L'article 1er du projet de décret prévoit que le tiers chargé de l'acheminement de la lettre recommandée électronique doit être un opérateur de communications électroniques déclaré auprès de l'ARCEP.
L'ARCEP considère que le statut d'opérateur de communications électroniques, associé à l'exploitation d'un réseau ou à la fourniture d'un service de communications électroniques, n'est pas nécessaire à l'acheminement d'une lettre recommandée électronique, qui est le fait d'un éditeur de contenu. L'éditeur de contenu utilise un réseau de communications électroniques, mais sa prestation ne consiste pas en la fourniture de services de communications électroniques.
Ainsi, l'article L. 33-1 du CPCE dispose que : « I. ― L'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public et la fourniture au public de services de communications électroniques sont libres sous réserve d'une déclaration préalable auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (...) ».
Par ailleurs, l'article L. 32 du CPCE définit les réseaux et services de communications électroniques comme suit :
« 2. Réseau de communications électroniques. On entend par réseau de communications électroniques toute installation ou tout ensemble d'installations de transport ou de diffusion ainsi que, le cas échéant, les autres moyens assurant l'acheminement de communications électroniques, notamment ceux de commutation et de routage.
Sont notamment considérés comme des réseaux de communications électroniques : les réseaux satellitaires, les réseaux terrestres, les systèmes utilisant le réseau électrique pour autant qu'ils servent à l'acheminement de communications électroniques et les réseaux assurant la diffusion ou utilisés pour la distribution de services de communication audiovisuelle.
(...)
6. Service de communications électroniques. On entend par service de communications électroniques les prestations consistant entièrement ou principalement en la fourniture de communications électroniques. Ne sont pas visés les services consistant à éditer ou à distribuer des services de communication au public par voie électronique. »
Il résulte de la lecture combinée de ces articles que l'acheminement d'une lettre recommandée électronique ne correspond ni à une prestation de fourniture de services de communications électroniques ni à l'exploitation d'un réseau. En effet, il convient de distinguer l'acheminement physique de la communication électronique, qui est bien le fait d'un opérateur, et la prestation de service offrant la lettre électronique.
A titre d'exemple, les fournisseurs de services de messagerie électronique, qui relèvent de la correspondance privée au sens de l'article 1er de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, ou les entreprises qui commercialisent des services en ligne qui relèvent de la communication au public en ligne au sens de ce même article, ne sont ni exploitants de réseaux de communications électroniques ni fournisseurs de services de communications électroniques et ne sont, par conséquent, pas déclarés au titre de ces activités auprès de l'ARCEP.
Par conséquent, l'ARCEP souligne qu'il n'est pas pertinent de limiter la possibilité de fournir des lettres recommandées électroniques aux seuls opérateurs déclarés, d'autant que cela ne relève pas de leur activité.
L'Autorité rappelle, au demeurant, que le statut d'opérateur de communications électroniques emporte un certain nombre d'obligations, listées notamment à l'article L. 33-1 du CPCE, qui ne se justifient que si l'entreprise en cause exerce effectivement une activité d'opérateur, ce qui n'est pas le cas de l'entreprise qui achemine un courrier recommandé électronique.
Enfin, l'absence de statut d'opérateur déclaré auprès de l'ARCEP n'est pas exclusive d'un haut niveau de sécurité, grâce notamment aux procédés de cryptage des communications utilisés par exemple dans le cadre de services bancaires en ligne.
Par conséquent, il n'apparaît ni opportun ni nécessaire à l'ARCEP que le tiers chargé de l'acheminement de la lettre recommandée électronique soit soumis à l'obligation de déclaration au sens de l'article L. 33-1 du CPCE.
L'Autorité propose la suppression de l'article 1er du projet de décret.

2.2. Sur l'article 2 du projet de décret

L'article 2 du projet soumis pour avis à l'ARCEP prévoit l'obligation pour le tiers chargé de l'acheminement du courrier d'informer les utilisateurs des caractéristiques de la lettre recommandée électronique.
L'Autorité accueille favorablement cette disposition, mais propose de préciser la notion d'utilisateurs, le reste du projet faisant référence soit à l'expéditeur, soit au destinataire.
L'Autorité préconise donc le remplacement du terme « utilisateurs » par le terme visant l'utilisateur concerné (expéditeur, destinataire, ou les deux).

2.3. Sur l'article 3 du projet de décret

L'Autorité considère que l'identification du tiers chargé de l'acheminement du courrier est une disposition clé et préalable à la conclusion de tout contrat de prestation de services entre ce dernier et un utilisateur. Par conséquent, l'ARCEP propose que l'article 3 devienne l'article 1er du projet de décret soumis pour avis.
L'article 3 du projet soumis pour avis prévoit la fourniture d'un numéro de téléphone par le tiers chargé de l'acheminement. Toutefois, dans un souci de cohérence avec l'article L. 121-18 du code de la consommation qui trouve à s'appliquer dans les relations entre le tiers chargé de l'acheminement et les particuliers, l'Autorité propose que le décret reprenne la formulation de cet article qui dispose :
« Le nom du vendeur du produit ou du prestataire de service, des coordonnées téléphoniques permettant d'entrer effectivement en contact avec lui, son adresse (...) ».
Il apparaît en effet nécessaire à l'ARCEP que le consommateur puisse effectivement joindre son prestataire de services via un numéro de téléphone réellement accessible (et non le renvoi à une boîte vocale, par exemple).
Sous réserve de cet ajout et de modifications rédactionnelles en annexe, l'Autorité accueille favorablement cet article.

2.4. Sur l'article 4 du projet de décret

L'article 4 du projet soumis pour avis vise à préciser les mentions devant figurer sur la preuve de dépôt remise à l'expéditeur.
L'Autorité attire l'attention sur le point suivant : dans le cas où la lettre recommandée électronique est imprimée sur papier, le prestataire chargé de la distribution et de la remise de la lettre recommandée devrait nécessairement être un prestataire de services postaux, autorisé au titre de l'article L. 5-1 du CPCE qui dispose que : « L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est chargée de délivrer l'autorisation demandée par les prestataires mentionnés à l'article L. 3. L'autorisation est délivrée pour une durée de dix ans. Elle est renouvelable. Elle n'est pas cessible (...) ».
En effet, il résulte des dispositions de l'article L. 3 du CPCE susmentionné (« Les prestataires de services postaux non réservés relatifs aux envois de correspondance, y compris transfrontalière, doivent être titulaires d'une autorisation délivrée dans les conditions prévues à l'article L. 5-1, sauf si leur activité se limite à la correspondance intérieure et n'inclut pas la distribution. ») que l'obtention d'une autorisation est nécessaire à l'exercice d'une activité de distribution postale. Or, le code des postes et des communications électroniques ainsi que l'arrêté du 7 février 2007 fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux dans leur rédaction actuelle, qualifient expressément de services postaux les services que le projet de décret envisage de confier à un opérateur postal chargé de l'acheminement de lettres recommandées électroniques, de tels services ne pouvant être effectués que par des opérateurs de services postaux autorisés selon l'arrêté du 7 février 2007.
L'ARCEP propose de rappeler l'obligation de déclaration du prestataire de services postaux dans le texte du décret. Toutefois, il convient de constater que la distribution de lettre recommandée électronique imprimée sur papier ne devrait pas nécessairement, dans les faits, être effectuée par des opérateurs prestataires de services postaux pour lesquels la distribution doit être faite dans le cadre de tournées régulières en vertu de l'article L. 1 du CPCE, notamment sur le segment international. Ainsi, il est regrettable que l'état actuel du droit conduise à limiter cette prestation à ces seuls opérateurs de services postaux, compte tenu de l'objectif de libre concurrence du secteur. Par conséquent, l'ARCEP invite le Gouvernement à réfléchir à une modification ultérieure des textes permettant de lever l'obligation d'avoir recours à des tournées régulières pour la distribution des envois recommandés.
Par ailleurs, l'article 1369-8 du code civil dispose que l'impression sur papier de la lettre recommandée électronique relève de la volonté de l'expéditeur. L'Autorité serait favorable à ce que cette possibilité figure clairement dans le texte du décret, par exemple dans la liste des mentions que porte la preuve de dépôt prévue à l'article 3.

2.5. Sur l'article 5 du projet de décret

L'article 5 du projet de décret soumis pour avis vise à préciser les conditions dans lesquelles la lettre recommandée électronique est imprimée sur papier et distribuée.
L'Autorité réitère la nécessité de préciser que la lettre recommandée sera remise à un opérateur postal autorisé au sens de l'article L. 5-1 du CPCE afin d'être distribuée en version papier.
Par ailleurs, l'Autorité estime utile d'ajouter, en début d'article, que celui-ci n'a vocation à s'appliquer que lorsqu'il a été demandé, par l'expéditeur, que la lettre soit imprimée et distribuée sur papier.

2.6. Sur l'article 7 du projet de décret

L'Autorité s'interroge sur la faculté donnée au destinataire de refuser la lettre recommandée électronique, et notamment sur sa faculté de demander à ce que celle-ci lui soit transmise sous format papier. En effet, l'article 1369-8 du code civil dispose à cet effet que : « (...) Le contenu de cette lettre, au choix de l'expéditeur, peut être imprimé par le tiers sur papier pour être distribué au destinataire ou peut être adressé à celui-ci par voie électronique. Dans ce dernier cas, si le destinataire n'est pas un professionnel, il doit avoir demandé l'envoi par ce moyen ou en avoir accepté l'usage au cours d'échanges antérieurs. »
Ainsi, l'ARCEP considère qu'il est important que le décret prévoie les modalités permettant de garantir l'exercice de ce droit par le non-professionnel.
Le projet soumis pour avis ouvre simplement la possibilité à tout destinataire de refuser un envoi recommandé électronique, mais il ne prévoit pas les conditions dans lesquelles ce dernier indique le motif de son refus. Ainsi, le non-professionnel n'est pas en mesure d'exprimer sa préférence pour une distribution papier, ce qui ne paraît pas refléter l'économie recherchée par l'article 1369-8 du code civil.
Toutefois, étant donné les différences importantes de coût de distribution entre un envoi électronique, dont le coût est pratiquement nul, et la distribution physique, il n'apparaît pas opportun de laisser le choix au destinataire du moyen de distribution (électronique ou distribution physique) après envoi par l'expéditeur, dans la mesure où le tarif de la prestation est susceptible de différer selon le mode de distribution.
L'obtention d'un accord préalable du destinataire non professionnel à recevoir une lettre recommandée électronique est une obligation qui pèse sur l'expéditeur, et non sur le tiers. Le décret pourrait prévoir le mécanisme décrit ci-dessous.
Il pourrait par exemple être envisagé d'inviter l'expéditeur à indiquer, préalablement à l'envoi de la lettre recommandée électronique, au titre des informations précisées à l'article 3 du projet soumis pour avis, si le destinataire est un professionnel ou non et, le cas échéant, s'il accepte l'envoi par lettre recommandée électronique. Ce faisant, l'expéditeur se serait engagé à avoir consulté le destinataire non-professionnel au préalable. Il appartiendrait alors à l'expéditeur, en cas de conflit, d'apporter la preuve de la consultation préalable du destinataire, qui lui incombe.

2.7. Sur l'article 8 du projet de décret

L'Autorité considère que les voies de recours mises en place pour les utilisateurs ne sont pas suffisantes, telles qu'elles sont actuellement prévues par le projet soumis pour avis.
En effet, il n'apparaît pas opportun de restreindre la possibilité de réclamations à la voie électronique, et ce, même si le service est fourni par des moyens électroniques.
L'Autorité propose que le tiers chargé de l'acheminement soit tenu de proposer au moins une voie de recours alternative, par téléphone ou par courrier.

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* *

En conclusion, l'Autorité accueille favorablement le projet de décret qui permettra la mise en œuvre effective de l'article 1369-8 du code civil, offrant ainsi aux usagers des services postaux des services plus complets et en adéquation avec les développements techniques, les usages et les méthodes de travail actuels. Il permettra également le développement d'une pluralité d'opérateurs, tant dans le secteur postal que dans celui des communications électroniques.
A ce titre, l'Autorité souhaite également rappeler qu'un grand nombre de textes, organisant notamment la procédure devant les juridictions judiciaire et administrative, exige comme formalité procédurale l'envoi d'« une lettre recommandée avec demande d'avis de réception ». De ce fait, l'utilisateur peut être conduit à penser que cette mention vise exclusivement la « LRAR », marque déposée de l'entreprise La Poste. Or, l'évolution du droit des communications électroniques et des postes caractérise désormais un produit générique, qui peut, par exemple, être une lettre recommandée électronique offerte par un prestataire de services dans les cas prévus par les textes, ou encore, une lettre recommandée classique offerte par un opérateur postal autorisé concurrent de La Poste. Le texte objet du présent avis, en ce qu'il ne réserve pas la prestation de lettre recommandée électronique à l'entreprise La Poste, constitue d'ailleurs une illustration de cette évolution. En effet, il convient de rappeler que les envois recommandés ne font pas partie du secteur réservé à La Poste par le législateur et peuvent être donc effectués par tout opérateur postal autorisé au titre de l'article L. 5-1 du CPCE. Il résulte de ce qui précède que les « envois recommandés » peuvent être effectués par tout opérateur postal autorisé, dans les conditions fixées par l'arrêté du 7 février 2007.

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Ce n'est que sous réserve de la prise en compte des observations substantielles qui précèdent et des importantes modifications proposées dans l'annexe jointe au présent avis, que l'Autorité émet un avis favorable sur le projet de décret relatif à l'envoi d'une lettre recommandée par courrier électronique.
Le présent avis et son annexe seront transmis à la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et au ministre auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, chargé de l'industrie, et publiés au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 6 juillet 2010.


Historique des versions

Version 1

L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,

Vu la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 modifiée concernant les règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l'amélioration de la qualité de service ;

Vu le code des postes et des communications électroniques, et notamment ses articles L. 3, L. 5, L. 5-1 et L. 36-5 ;

Vu le code civil, et notamment son article 1369-8 ;

Vu l'arrêté du 7 février 2007 pris en application de l'article R. 2-1 du code des postes et des communications électroniques et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux ;

Vu la demande d'avis de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et du ministre chargé de l'industrie auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi en date du 9 juin 2010 ;

Vu la demande d'avis du ministre chargé de l'industrie auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi en date du 15 juin 2010 ;

Après en avoir délibéré le 6 juillet 2010,

I. ― Cadre de la saisine de l'Autorité

Aux termes de l'article L. 5 du code des postes et des communications électroniques (ci-après CPCE) : « L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est consultée sur les projets de loi et de réglementation relatives aux services postaux ».

De même, aux termes de l'article L. 36-5 du même code : « L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques et participe à leur mise en œuvre. »

L'Autorité est saisie de deux demandes d'avis sur un projet de décret qui fixe les caractéristiques du procédé d'acheminement et de distribution de la lettre recommandée électronique, en application de l'article 1369-8 du code civil, créé par l'ordonnance n° 2005-674 du 16 juin 2005.

L'article 1369-8 du code civil est ainsi rédigé :

« Une lettre recommandée relative à la conclusion ou à l'exécution d'un contrat peut être envoyée par courrier électronique à condition que ce courrier soit acheminé par un tiers selon un procédé permettant d'identifier le tiers, de désigner l'expéditeur, de garantir l'identité du destinataire et d'établir si la lettre a été remise ou non au destinataire.

Le contenu de cette lettre, au choix de l'expéditeur, peut être imprimé par le tiers sur papier pour être distribué au destinataire ou peut être adressé à celui-ci par voie électronique. Dans ce dernier cas, si le destinataire n'est pas un professionnel, il doit avoir demandé l'envoi par ce moyen ou en avoir accepté l'usage au cours d'échanges antérieurs.

Lorsque l'apposition de la date d'expédition ou de réception résulte d'un procédé électronique, la fiabilité de celui-ci est présumée, jusqu'à preuve contraire, s'il satisfait à des exigences fixées par un décret en Conseil d'Etat.

Un avis de réception peut être adressé à l'expéditeur par voie électronique ou par tout autre dispositif lui permettant de le conserver.

Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. »

Le texte soumis à l'Autorité vise à préciser les caractéristiques de la lettre recommandée envoyée par voie électronique. L'objectif poursuivi est que cette dernière présente les mêmes garanties que les envois faisant l'objet de formalités attestant leur dépôt et leur distribution proposés par les opérateurs postaux autorisés, appelés envois « recommandés ».

II. ― L'avis de l'Autorité

2.1. Sur l'article 1er du projet de décret

L'article 1er du projet de décret prévoit que le tiers chargé de l'acheminement de la lettre recommandée électronique doit être un opérateur de communications électroniques déclaré auprès de l'ARCEP.

L'ARCEP considère que le statut d'opérateur de communications électroniques, associé à l'exploitation d'un réseau ou à la fourniture d'un service de communications électroniques, n'est pas nécessaire à l'acheminement d'une lettre recommandée électronique, qui est le fait d'un éditeur de contenu. L'éditeur de contenu utilise un réseau de communications électroniques, mais sa prestation ne consiste pas en la fourniture de services de communications électroniques.

Ainsi, l'article L. 33-1 du CPCE dispose que : « I. ― L'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public et la fourniture au public de services de communications électroniques sont libres sous réserve d'une déclaration préalable auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (...) ».

Par ailleurs, l'article L. 32 du CPCE définit les réseaux et services de communications électroniques comme suit :

« 2. Réseau de communications électroniques. On entend par réseau de communications électroniques toute installation ou tout ensemble d'installations de transport ou de diffusion ainsi que, le cas échéant, les autres moyens assurant l'acheminement de communications électroniques, notamment ceux de commutation et de routage.

Sont notamment considérés comme des réseaux de communications électroniques : les réseaux satellitaires, les réseaux terrestres, les systèmes utilisant le réseau électrique pour autant qu'ils servent à l'acheminement de communications électroniques et les réseaux assurant la diffusion ou utilisés pour la distribution de services de communication audiovisuelle.

(...)

6. Service de communications électroniques. On entend par service de communications électroniques les prestations consistant entièrement ou principalement en la fourniture de communications électroniques. Ne sont pas visés les services consistant à éditer ou à distribuer des services de communication au public par voie électronique. »

Il résulte de la lecture combinée de ces articles que l'acheminement d'une lettre recommandée électronique ne correspond ni à une prestation de fourniture de services de communications électroniques ni à l'exploitation d'un réseau. En effet, il convient de distinguer l'acheminement physique de la communication électronique, qui est bien le fait d'un opérateur, et la prestation de service offrant la lettre électronique.

A titre d'exemple, les fournisseurs de services de messagerie électronique, qui relèvent de la correspondance privée au sens de l'article 1er de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, ou les entreprises qui commercialisent des services en ligne qui relèvent de la communication au public en ligne au sens de ce même article, ne sont ni exploitants de réseaux de communications électroniques ni fournisseurs de services de communications électroniques et ne sont, par conséquent, pas déclarés au titre de ces activités auprès de l'ARCEP.

Par conséquent, l'ARCEP souligne qu'il n'est pas pertinent de limiter la possibilité de fournir des lettres recommandées électroniques aux seuls opérateurs déclarés, d'autant que cela ne relève pas de leur activité.

L'Autorité rappelle, au demeurant, que le statut d'opérateur de communications électroniques emporte un certain nombre d'obligations, listées notamment à l'article L. 33-1 du CPCE, qui ne se justifient que si l'entreprise en cause exerce effectivement une activité d'opérateur, ce qui n'est pas le cas de l'entreprise qui achemine un courrier recommandé électronique.

Enfin, l'absence de statut d'opérateur déclaré auprès de l'ARCEP n'est pas exclusive d'un haut niveau de sécurité, grâce notamment aux procédés de cryptage des communications utilisés par exemple dans le cadre de services bancaires en ligne.

Par conséquent, il n'apparaît ni opportun ni nécessaire à l'ARCEP que le tiers chargé de l'acheminement de la lettre recommandée électronique soit soumis à l'obligation de déclaration au sens de l'article L. 33-1 du CPCE.

L'Autorité propose la suppression de l'article 1er du projet de décret.

2.2. Sur l'article 2 du projet de décret

L'article 2 du projet soumis pour avis à l'ARCEP prévoit l'obligation pour le tiers chargé de l'acheminement du courrier d'informer les utilisateurs des caractéristiques de la lettre recommandée électronique.

L'Autorité accueille favorablement cette disposition, mais propose de préciser la notion d'utilisateurs, le reste du projet faisant référence soit à l'expéditeur, soit au destinataire.

L'Autorité préconise donc le remplacement du terme « utilisateurs » par le terme visant l'utilisateur concerné (expéditeur, destinataire, ou les deux).

2.3. Sur l'article 3 du projet de décret

L'Autorité considère que l'identification du tiers chargé de l'acheminement du courrier est une disposition clé et préalable à la conclusion de tout contrat de prestation de services entre ce dernier et un utilisateur. Par conséquent, l'ARCEP propose que l'article 3 devienne l'article 1er du projet de décret soumis pour avis.

L'article 3 du projet soumis pour avis prévoit la fourniture d'un numéro de téléphone par le tiers chargé de l'acheminement. Toutefois, dans un souci de cohérence avec l'article L. 121-18 du code de la consommation qui trouve à s'appliquer dans les relations entre le tiers chargé de l'acheminement et les particuliers, l'Autorité propose que le décret reprenne la formulation de cet article qui dispose :

« Le nom du vendeur du produit ou du prestataire de service, des coordonnées téléphoniques permettant d'entrer effectivement en contact avec lui, son adresse (...) ».

Il apparaît en effet nécessaire à l'ARCEP que le consommateur puisse effectivement joindre son prestataire de services via un numéro de téléphone réellement accessible (et non le renvoi à une boîte vocale, par exemple).

Sous réserve de cet ajout et de modifications rédactionnelles en annexe, l'Autorité accueille favorablement cet article.

2.4. Sur l'article 4 du projet de décret

L'article 4 du projet soumis pour avis vise à préciser les mentions devant figurer sur la preuve de dépôt remise à l'expéditeur.

L'Autorité attire l'attention sur le point suivant : dans le cas où la lettre recommandée électronique est imprimée sur papier, le prestataire chargé de la distribution et de la remise de la lettre recommandée devrait nécessairement être un prestataire de services postaux, autorisé au titre de l'article L. 5-1 du CPCE qui dispose que : « L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est chargée de délivrer l'autorisation demandée par les prestataires mentionnés à l'article L. 3. L'autorisation est délivrée pour une durée de dix ans. Elle est renouvelable. Elle n'est pas cessible (...) ».

En effet, il résulte des dispositions de l'article L. 3 du CPCE susmentionné (« Les prestataires de services postaux non réservés relatifs aux envois de correspondance, y compris transfrontalière, doivent être titulaires d'une autorisation délivrée dans les conditions prévues à l'article L. 5-1, sauf si leur activité se limite à la correspondance intérieure et n'inclut pas la distribution. ») que l'obtention d'une autorisation est nécessaire à l'exercice d'une activité de distribution postale. Or, le code des postes et des communications électroniques ainsi que l'arrêté du 7 février 2007 fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux dans leur rédaction actuelle, qualifient expressément de services postaux les services que le projet de décret envisage de confier à un opérateur postal chargé de l'acheminement de lettres recommandées électroniques, de tels services ne pouvant être effectués que par des opérateurs de services postaux autorisés selon l'arrêté du 7 février 2007.

L'ARCEP propose de rappeler l'obligation de déclaration du prestataire de services postaux dans le texte du décret. Toutefois, il convient de constater que la distribution de lettre recommandée électronique imprimée sur papier ne devrait pas nécessairement, dans les faits, être effectuée par des opérateurs prestataires de services postaux pour lesquels la distribution doit être faite dans le cadre de tournées régulières en vertu de l'article L. 1 du CPCE, notamment sur le segment international. Ainsi, il est regrettable que l'état actuel du droit conduise à limiter cette prestation à ces seuls opérateurs de services postaux, compte tenu de l'objectif de libre concurrence du secteur. Par conséquent, l'ARCEP invite le Gouvernement à réfléchir à une modification ultérieure des textes permettant de lever l'obligation d'avoir recours à des tournées régulières pour la distribution des envois recommandés.

Par ailleurs, l'article 1369-8 du code civil dispose que l'impression sur papier de la lettre recommandée électronique relève de la volonté de l'expéditeur. L'Autorité serait favorable à ce que cette possibilité figure clairement dans le texte du décret, par exemple dans la liste des mentions que porte la preuve de dépôt prévue à l'article 3.

2.5. Sur l'article 5 du projet de décret

L'article 5 du projet de décret soumis pour avis vise à préciser les conditions dans lesquelles la lettre recommandée électronique est imprimée sur papier et distribuée.

L'Autorité réitère la nécessité de préciser que la lettre recommandée sera remise à un opérateur postal autorisé au sens de l'article L. 5-1 du CPCE afin d'être distribuée en version papier.

Par ailleurs, l'Autorité estime utile d'ajouter, en début d'article, que celui-ci n'a vocation à s'appliquer que lorsqu'il a été demandé, par l'expéditeur, que la lettre soit imprimée et distribuée sur papier.

2.6. Sur l'article 7 du projet de décret

L'Autorité s'interroge sur la faculté donnée au destinataire de refuser la lettre recommandée électronique, et notamment sur sa faculté de demander à ce que celle-ci lui soit transmise sous format papier. En effet, l'article 1369-8 du code civil dispose à cet effet que : « (...) Le contenu de cette lettre, au choix de l'expéditeur, peut être imprimé par le tiers sur papier pour être distribué au destinataire ou peut être adressé à celui-ci par voie électronique. Dans ce dernier cas, si le destinataire n'est pas un professionnel, il doit avoir demandé l'envoi par ce moyen ou en avoir accepté l'usage au cours d'échanges antérieurs. »

Ainsi, l'ARCEP considère qu'il est important que le décret prévoie les modalités permettant de garantir l'exercice de ce droit par le non-professionnel.

Le projet soumis pour avis ouvre simplement la possibilité à tout destinataire de refuser un envoi recommandé électronique, mais il ne prévoit pas les conditions dans lesquelles ce dernier indique le motif de son refus. Ainsi, le non-professionnel n'est pas en mesure d'exprimer sa préférence pour une distribution papier, ce qui ne paraît pas refléter l'économie recherchée par l'article 1369-8 du code civil.

Toutefois, étant donné les différences importantes de coût de distribution entre un envoi électronique, dont le coût est pratiquement nul, et la distribution physique, il n'apparaît pas opportun de laisser le choix au destinataire du moyen de distribution (électronique ou distribution physique) après envoi par l'expéditeur, dans la mesure où le tarif de la prestation est susceptible de différer selon le mode de distribution.

L'obtention d'un accord préalable du destinataire non professionnel à recevoir une lettre recommandée électronique est une obligation qui pèse sur l'expéditeur, et non sur le tiers. Le décret pourrait prévoir le mécanisme décrit ci-dessous.

Il pourrait par exemple être envisagé d'inviter l'expéditeur à indiquer, préalablement à l'envoi de la lettre recommandée électronique, au titre des informations précisées à l'article 3 du projet soumis pour avis, si le destinataire est un professionnel ou non et, le cas échéant, s'il accepte l'envoi par lettre recommandée électronique. Ce faisant, l'expéditeur se serait engagé à avoir consulté le destinataire non-professionnel au préalable. Il appartiendrait alors à l'expéditeur, en cas de conflit, d'apporter la preuve de la consultation préalable du destinataire, qui lui incombe.

2.7. Sur l'article 8 du projet de décret

L'Autorité considère que les voies de recours mises en place pour les utilisateurs ne sont pas suffisantes, telles qu'elles sont actuellement prévues par le projet soumis pour avis.

En effet, il n'apparaît pas opportun de restreindre la possibilité de réclamations à la voie électronique, et ce, même si le service est fourni par des moyens électroniques.

L'Autorité propose que le tiers chargé de l'acheminement soit tenu de proposer au moins une voie de recours alternative, par téléphone ou par courrier.

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En conclusion, l'Autorité accueille favorablement le projet de décret qui permettra la mise en œuvre effective de l'article 1369-8 du code civil, offrant ainsi aux usagers des services postaux des services plus complets et en adéquation avec les développements techniques, les usages et les méthodes de travail actuels. Il permettra également le développement d'une pluralité d'opérateurs, tant dans le secteur postal que dans celui des communications électroniques.

A ce titre, l'Autorité souhaite également rappeler qu'un grand nombre de textes, organisant notamment la procédure devant les juridictions judiciaire et administrative, exige comme formalité procédurale l'envoi d'« une lettre recommandée avec demande d'avis de réception ». De ce fait, l'utilisateur peut être conduit à penser que cette mention vise exclusivement la « LRAR », marque déposée de l'entreprise La Poste. Or, l'évolution du droit des communications électroniques et des postes caractérise désormais un produit générique, qui peut, par exemple, être une lettre recommandée électronique offerte par un prestataire de services dans les cas prévus par les textes, ou encore, une lettre recommandée classique offerte par un opérateur postal autorisé concurrent de La Poste. Le texte objet du présent avis, en ce qu'il ne réserve pas la prestation de lettre recommandée électronique à l'entreprise La Poste, constitue d'ailleurs une illustration de cette évolution. En effet, il convient de rappeler que les envois recommandés ne font pas partie du secteur réservé à La Poste par le législateur et peuvent être donc effectués par tout opérateur postal autorisé au titre de l'article L. 5-1 du CPCE. Il résulte de ce qui précède que les « envois recommandés » peuvent être effectués par tout opérateur postal autorisé, dans les conditions fixées par l'arrêté du 7 février 2007.

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Ce n'est que sous réserve de la prise en compte des observations substantielles qui précèdent et des importantes modifications proposées dans l'annexe jointe au présent avis, que l'Autorité émet un avis favorable sur le projet de décret relatif à l'envoi d'une lettre recommandée par courrier électronique.

Le présent avis et son annexe seront transmis à la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et au ministre auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, chargé de l'industrie, et publiés au Journal officiel de la République française.

Fait à Paris, le 6 juillet 2010.