1.1 Cadre juridique
1.1.1 Cadre juridique européen
En application de l'article 17 du Règlement, les nouvelles interconnexions peuvent, sur demande, bénéficier, pendant une durée limitée, d'une dérogation à tout ou partie des dispositions suivantes de la Directive et du Règlement :
- article 16(6) du Règlement, relatif à l'utilisation des recettes provenant de l'allocation de la capacité d'interconnexion ;
- article 9 de la Directive qui dispose qu'une même personne n'est pas autorisée à exercer un contrôle direct ou indirect sur un gestionnaire de réseau de transport (GRT) ou sur un réseau de transport et à exercer en même temps un contrôle direct ou indirect, ou un quelconque pouvoir, sur une entreprise assurant une fonction de production ou de fourniture (3) ; et
- articles 32, 37(6) et 37(10), de la Directive, relatifs aux conditions d'accès des tiers et aux compétences des régulateurs relatives à la fixation et au contrôle de ces conditions.
En application du paragraphe 4 de l'Article 17, les régulateurs concernés par la demande de dérogation disposent d'un délai de six mois (4), à compter de la date de réception de la demande par le dernier d'entre eux, pour parvenir à un accord sur la décision de dérogation.
En application du paragraphe 5 de l'Article 17, si toutes les autorités concernées ne sont pas parvenues à un accord dans ce délai, la décision de dérogation est prise par l'ACER, après consultation des régulateurs concernés et du demandeur.
En application du paragraphe 7 de l'Article 17, les régulateurs concernés (ou l'ACER si les régulateurs ne sont pas parvenus à un accord dans le délai imparti) notifient sans délai à la Commission européenne la décision de dérogation. La Commission européenne dispose alors, en application du paragraphe 8 de l'Article 17, d'un délai de deux mois (5), à compter du lendemain de la réception de la notification de la décision, pour arrêter une décision exigeant que les régulateurs modifient ou révoquent la décision d'accorder une dérogation.
Le paragraphe 1 de l'article 17 du Règlement définit les conditions cumulatives selon lesquelles une dérogation peut être octroyée :
a) L'investissement doit accroître la concurrence en matière de fourniture d'électricité ;
b) Le degré de risque associé à l'investissement est tel que l'investissement ne serait pas effectué si la dérogation n'était pas accordée ;
c) L'interconnexion doit être la propriété d'une personne physique ou morale distincte, du moins en ce qui concerne son statut juridique, des gestionnaires de réseau dans les réseaux desquels cette interconnexion sera construite ;
d) Des redevances sont perçues auprès des utilisateurs de cette interconnexion ;
e) Depuis l'ouverture partielle du marché visée à l'article 19 de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, il n'a été procédé au recouvrement d'aucune partie du capital ou des coûts d'exploitation de l'interconnexion au moyen d'une fraction quelconque des redevances prélevées pour l'utilisation des réseaux de transport ou de distribution reliés par cette interconnexion ;
f) La dérogation ne doit pas porter atteinte à la concurrence ni au bon fonctionnement du marché intérieur de l'électricité, ni au bon fonctionnement du réseau réglementé auquel l'interconnexion est reliée.
En application du paragraphe 4 de l'Article 17, les régulateurs arrêtent les règles et les mécanismes relatifs à la gestion et à l'allocation des capacités. Les résultats de la procédure d'allocation des capacités sont pris en compte par les régulateurs pour l'évaluation des critères a), b) et f) susmentionnés.
1.1.2 Cadre juridique britannique
L'Autorité est compétente pour délivrer des licences aux gestionnaires d'interconnexion d'électricité dans le cadre de la loi sur l'électricité de 1989 (Electricity Act 1989). L'Autorité a délivré une licence d'interconnexion à ElecLink le 19 novembre 2013 (6).
Le Règlement donne compétence à l'Autorité, en qualité d'autorité de régulation nationale britannique, d'octroyer une dérogation sur le fondement de l'Article 17, en accord avec le(s) régulateur(s) concerné(s) (7).
1.1.3 Cadre juridique français
Les dispositions combinées des articles L.111-40, L.321-1 et L.321-6 du code de l'énergie confient à RTE la gestion du réseau public de transport de l'électricité et, en cette qualité, le développement, la construction et l'exploitation des interconnexions régulées.
Le Règlement donne compétence à la CRE, en qualité d'autorité de régulation nationale française, d'octroyer une dérogation sur le fondement de l'Article 17, en accord avec le(s) régulateur(s) concerné(s) (8).
1.2 La demande de dérogation d'ElecLink
ElecLink est une entreprise commune (joint venture) entre Star Capital et le Groupe Eurotunnel ayant pour objet de construire, posséder et gérer une nouvelle interconnexion électrique de 1 000 MW entre la Grande-Bretagne et la France qui se situera dans le tunnel sous la Manche.
Tableau 1. - principales caractéristiques de l'interconnexion d'ElecLink
| DÉVELOPPEUR DE L'INTERCONNEXION | ELECLINK LIMITED | |--------------------------------------------|-------------------------------------------------------------------| | Propriété de l'ouvrage |Star Capital Partners Limited (51 %) et le Groupe Eurotunnel (49 %)| | Capacité de l'interconnexion | 1 GW (1 000 MW) | | Longueur de la liaison | 70 km (via le tunnel sous la Manche) | |Points de connexion aux réseaux de transport|France (poste des Mandarins) - Grande-Bretagne (poste de Sellindge)| | Date de mise en service programmée | 4e trimestre 2016 | | Coût du projet | environ 400 millions d'EUR |
La demande de raccordement au réseau public de transport d'électricité français comprend, par ailleurs, une capacité de soutirage supplémentaire de 50 MW pour l'acheminement de l'énergie destinée à couvrir les pertes électriques de l'installation et l'alimentation des systèmes auxiliaires de la station de conversion.
ElecLink indique que, sous réserve d'obtention de la dérogation, il devrait commencer la construction de l'interconnexion en 2014.
1.2.1 Informations communiquées par ElecLink dans sa demande de dérogation
La demande de dérogation d'ElecLink comprend un document principal et plusieurs annexes.
Le document principal expose les motifs de la demande ainsi que les arguments développés par ElecLink pour démontrer que les critères de la dérogation sont remplis.
Les documents complémentaires fournis sont les suivants :
- étude technique ;
- accords et licences ;
- scénarios de marché et étude des revenus (étude réalisée par Redpoint Energy) ;
- données et analyse économiques (étude réalisée par Redpoint Energy) ;
- informations financières sur le projet ;
- références et données complémentaires ;
- allocation de la capacité et gestion de la congestion ;
- impact d'ElecLink, nouvelle liaison de 1 000 MW en courant continu entre la France et la Grande-Bretagne, sur le système de transport européen continental (étude réalisée par Consentec) ;
- proposition technique et financière pour le raccordement au réseau de transport français (proposition rédigée par RTE) ;
- accord de raccordement avec National Grid Electricity Transmission plc (« NGET ») pour le raccordement au réseau de transport britannique.
Ces annexes complémentaires contiennent des éléments d'études et d'analyses venant au soutien des arguments développés par ElecLink dans le document principal.
1.2.2. Etendue et durée de la dérogation demandée
ElecLink a demandé une dérogation, pour une durée de 25 ans, aux dispositions suivantes de la législation européenne :
- article 16(6) du Règlement, relatif à l'utilisation des recettes issues de la vente des capacités d'interconnexion ;
- article 9 de la Directive, qui dispose que la ou les mêmes personnes ne sont pas autorisées à exercer un contrôle direct ou indirect sur un gestionnaire de réseau de transport (GRT) ou sur un réseau de transport et à exercer en même temps un contrôle direct ou indirect, ou un quelconque pouvoir, sur une entreprise assurant une fonction de production ou de fourniture (9) ; et
- articles 32, 37(6) et 37(10), de la Directive, relatifs aux conditions d'accès des tiers et à la compétence des régulateurs relative à la fixation et au contrôle de ces conditions.
1.2.3. Modalités d'allocation de la capacité proposées par ElecLink
ElecLink propose d'allouer la capacité de son interconnexion selon les modalités suivantes :
80 % réservés pour des produits pluriannuels (jusqu'à 20 ans) et
20 % réservés pour les échéances de court terme (journalier et infrajournalier), conformément aux modalités d'allocation qui prévalent pour ces échéances.
ElecLink propose également de remédier aux éventuels problèmes de concurrence en limitant, à 50% de la capacité totale de l'interconnexion, les capacités de la Grande-Bretagne vers la France qui pourraient être détenus par un même acteur (10).
ElecLink déclare qu'il facilitera la mise en place d'un marché secondaire de capacités permettant aux détenteurs de capacités de long terme de vendre ces capacités aux autres acteurs de marché. ElecLink indique que cela se fera par le biais d'une plateforme d'échanges gérée par un tiers.
ElecLink déclare également que, pour assurer l'utilisation efficace de l'interconnexion et empêcher la rétention de capacité, tous les droits de transport physique seront soumis au Use-It-Or-Sell-It (les droits périodiques non nominés seront compensés sur le fondement du différentiel de prix sur les marchés journaliers quand positif).
1.2.4. Motifs de dérogation présentés par ElecLink
Selon ElecLink les « défis uniques [auxquels le projet est confronté] démontrent la « nature spécifique » de [leur] Projet et constituent des arguments convaincants pour qu'ElecLink soit traité comme un cas exceptionnel et se voit accorder une dérogation prévue par la réglementation ».
ElecLink avance les motifs suivants dans sa demande de dérogation (voir également la partie 3.3 de la demande de dérogation d'ElecLink) :
- pas de recours à des revenus ou actifs régulés : l'application de l'article 16(6) du Règlement compromettrait la possibilité que des périodes de faibles revenus soient compensées par des périodes de revenus plus élevés ;
- besoin d'avoir recours au financement de projet : l'application des articles 32, 37(6) et 37(10) de la Directive compromettrait la possibilité de recourir au financement de projet, qui doit être soutenu par des contrats de long terme et des revenus stables ;
- risques d'interruptions à l'accès du réseau imprévisibles au cours des premières années, jusqu'à ce que les gestionnaires de réseau de transport (GRT) nationaux, National Grid Electricity Transmission (NGET) et Réseau de transport d'électricité (RTE) renforcent leurs réseaux de transport respectifs. Les risques provenant de ces interruptions imprévisibles ne pourraient pas être atténués ou gérés si les dispositions de l'article 16(6) du Règlement et les articles 32, 37(6) et 37(10) de la Directive étaient applicables ;
- risques d'exploitation et de construction uniques : ils seraient inhérents et spécifiques au tunnel sous la Manche et ne pourraient être atténués ou gérés si les dispositions de l'article 16(6) du Règlement et les articles 32, 37(6) et 37(10) de la Directive sont applicables ;
- risques politiques et de marché exceptionnels : le calendrier de ce projet d'interconnexion rendrait les retours potentiels fortement incertains. L'application de l'article 16(6) du Règlement et des articles 32, 37(6) et 37(10) de la Directive pourrait limiter la capacité d'ElecLink à atténuer et gérer ces risques ;
- actionnaires indépendants et uniques : une dérogation à l'article 16(6) du Règlement et aux articles 9, 32, 37(6) et 37(10) de la Directive serait nécessaire pour tenir compte des exigences de financement du projet et d'éventuels investissements des actionnaires dans d'autres activités ;
- nécessité d'une dérogation au monopole de gestion du réseau de transport détenu par RTE dans la législation française : la législation française confie au gestionnaire du réseau de transport de l'électricité (RTE) le développement, la construction et l'exploitation des interconnexions régulées. Les investisseurs privés ne pourraient donc construire et gérer d'interconnexion que dans le cadre d'une dérogation. « Le projet ne peut se poursuivre que si la CRE accorde à ElecLink une dérogation, comme prévu dans sa délibération du 30 septembre 2010 (11) ».
1.3. Traitement de la demande de dérogation par les régulateurs
La CRE et l'Ofgem ont respectivement accusé réception de la demande de dérogation présentée par ElecLink, le 11 et le 18 septembre 2013.
En application de l'article 17 du Règlement, les régulateurs ont adressé une copie de la demande de dérogation d'ElecLink à l'ACER et à la Commission européenne.
Afin d'approfondir leur analyse relative au respect par ElecLink des critères (a) et (f) du paragraphe 1 de l'Article 17 et pour examiner l'efficacité des modalités d'allocation de capacité et des mesures de protection du marché proposées, la CRE et l'Ofgem ont lancé un appel à candidatures pour la réalisation d'une étude portant sur l'analyse des éléments présentés par ElecLink dans sa demande de dérogation.
A l'issue d'un appel d'offres, London Economics a été sélectionné pour réaliser un examen critique de l'analyse économique et des autres éléments fournis par ElecLink relatifs à l'effet du projet sur la concurrence et sur les recettes, à son effet sur les revenus des interconnexions régulées et sur le « bien-être collectif » (12). L'étude a notamment porté sur l'analyse réalisée par Redpoint Energy pour ElecLink de l'effet sur la concurrence, des projections de revenus et de l'estimation du bien-être social, ainsi que l'examen des modalités d'allocation des capacités et des mesures de protection du marché proposées par ElecLink.
En outre, la CRE a demandé à RTE de fournir des précisions sur l'effet du raccordement de l'Interconnexion d'ElecLink sur le réseau public de transport français.
Une consultation publique commune entre la CRE et l'Ofgem relative à la demande de dérogation d'ElecLink a eu lieu, entre le 28 novembre 2013 et le 3 janvier 2014.
Les réponses non confidentielles de la consultation publique ont été publiées sur le site Internet de la CRE le 21 février 2014 (13), et sur le site de l'Ofgem à la date de publication par l'Ofgem du présent document.
Conformément à l'alinéa 5 du paragraphe 4 de l'Article 17, les régulateurs disposent de six mois pour parvenir à un accord sur la décision de dérogation et en informent l'ACER. La décision de dérogation sera notifiée sans délai à la Commission européenne, conformément au paragraphe 7 de l'Article 17.
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