JORF n°0304 du 30 décembre 2012

III. ― Sur l'article 9 (3) rétablissant un barème progressif de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et un mécanisme de plafonnement

  1. A l'occasion de l'examen du projet de loi finances rectificatives pour 2012, le Conseil constitutionnel a rappelé que « le législateur ne saurait établir un barème de l'impôt de solidarité sur la fortune tel que celui qui était en vigueur avant l'année 2012 sans l'assortir d'un dispositif de plafonnement ou produisant des effets équivalents destiné à éviter une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » (décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012).
  2. Si l'article 9 respecte prima facie le principe d'égalité devant les charges publiques, l'examen détaillé des revenus pris en considération au titre du plafonnement de l'ISF conduit à remettre en cause ce constat.
    En effet, cet article élargit le champ des revenus aux revenus dits « capitalisés », à savoir : (i) les intérêts des plans d'épargne-logement ; (ii) la variation de la valeur de rachat des bons ou contrats de capitalisation, des placements de même nature, notamment des contrats d'assurance vie, ainsi que des instruments de toute nature visant à capitaliser des revenus ; (iii) les produits capitalisés dans les trusts ; (iv) les bénéfices distribuables des sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés qui n'exercent pas de manière prépondérante une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale et qui sont contrôlées à hauteur de 25 % au cours des cinq dernières années par le contribuable ou son cercle familial, ainsi que (v) les gains ou plus-values placées en sursis ou en report d'imposition.
    Or, l'essentiel des revenus capitalisés ne sont en réalité pas disponibles.
    Ce sont des revenus que, non seulement le contribuable n'a pas appréhendés juridiquement, mais que, bien souvent, il ne peut pas juridiquement appréhender, ne serait-ce, s'agissant des bénéfices distribuables des sociétés visées au (iv) ci-dessus, que parce que la majorité aux assemblées échappe au contribuable et l'empêche de décider de la distribution de ces revenus. Dit autrement et pour reprendre la définition générale du revenu imposable telle qu'elle est donnée par l'article 12 du code général des impôts, les revenus capitalisés au sens de l'article 9 ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année.
    La prise en compte des plus-values placées en sursis d'imposition illustre parfaitement le biais que contient le mécanisme de plafonnement instauré par l'article 9 : de telles plus-values ― constatées à l'occasion d'opérations qui, parce qu'elles ne dégagent aucune liquidité pour le contribuable, sont considérées comme purement intercalaires par le législateur ― n'ont pas d'existence fiscale réelle tant que le sursis dont elles bénéficient n'a pas pris fin. Alors qu'elles ne font même pas l'objet d'une déclaration par le contribuable en matière d'impôt sur le revenu, elles devraient paradoxalement, et sans aucune justification juridique ou économique, être prises en compte pour la détermination du plafonnement de l'ISF. La majoration artificielle du plafond qui en résulte revient à priver ce dernier de son efficacité.
    Cette difficulté est également patente dans le cas des holdings familiales de participation, sociétés généralement destinées à pérenniser, aux générations suivant celles des fondateurs, le contrôle des affaires qu'ils ont créées, en évitant la dispersion des intérêts et la dilution de leur capacité d'intervention, si nuisibles au développement de ces affaires et au maintien de l'emploi.
    En intégrant dans l'assiette du plafonnement les revenus de ces holdings, l'article 9 prend en effet en compte des revenus économiquement indisponibles car consacrés par ces holdings à des investissements dans l'affaire familiale ou dans des affaires connexes et complémentaires, voire à l'amortissement de dettes ayant antérieurement servi à de tels investissements. Il prend également en compte des revenus juridiquement indisponibles, ne serait-ce que parce que la majorité aux assemblées échappe au contribuable et s'oppose à la distribution de ces revenus. A cet égard, l'amendement n° 242 adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture et censé résoudre cette difficulté sera en réalité inefficace dans de très nombreuses situations : à la lettre de cet amendement, les bénéfices distribuables seront pris en compte dans l'assiette imposable à l'ISF, dès lors que le contribuable aura détenu « à un moment quelconque au cours des cinq dernières années » le contrôle de ces sociétés, et ce alors même qu'au 1er janvier de l'année considérée le contribuable se trouvera privé de tout pouvoir juridique de décider de la distribution des sommes en cause toutes les fois où il aura perdu le contrôle de la société dans l'intervalle. Même ainsi corrigé, le texte ne tient pas compte de la capacité juridique réelle du contribuable à appréhender les bénéfices et réserves détenus par les sociétés holdings.
    Plus généralement, il abolit la fonction économique d'épargne et de capitalisation de ces structures, pour n'y voir qu'un moyen de « minoration artificielle » de l'assiette du plafonnement et corrélativement de l'impôt, ce qui constitue une vision inexacte des holdings familiales.
    Illustrons ce propos avec un exemple :

Vous pouvez consulter le tableau dans le
JOn° 304 du 30/12/2012 texte numéro 4

S'agissant de H1, le plafond instauré par l'article 9 sera égal à :
― revenus disponibles :50 % × 80 = 40
― revenus capitalisés :50 % × 160 = 80
― total revenus disponibles et revenus capitalisés : 120
― plafond instauré par l'article 9 :75 % × 120 = 90
Ainsi H1 ne bénéficiera d'aucun plafonnement réel puisque le plafond de l'article 9, soit 90, excède ses revenus disponibles, soit 40.
Si le montant de l'ISF exigible porte les impôts de H1 à 100, H1 bénéficiera du plafond artificiel de 90, mais paiera en réalité un impôt égal à 2,5 fois son revenu disponible, soit 40.
Certes, en instituant l'impôt sur la fortune, le législateur a-t-il entendu « frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et de droits ». De même, la prise en compte de cette capacité n'implique pas que « seuls les biens productifs de revenus entrent dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune » (décision n° 2010-99 QPC du 11 février 2011).
Néanmoins, le Conseil constitutionnel impose au législateur, pour ne pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, l'obligation de prévoir des règles de plafonnement qui « limitent la somme de l'impôt de solidarité sur la fortune et des impôts dus au titre des revenus et produits de l'année précédente à une fraction totale des revenus nets de l'année précédente » (décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012).
En d'autres termes, si la finalité de l'impôt sur la fortune justifie l'intégration dans l'assiette de l'impôt sur la fortune des biens non productifs de revenus, le principe d'égalité devant les charges publiques impose au législateur de mettre en place des règles de plafonnement pertinentes pour prendre en compte les facultés contributives effectives des contribuables.
En outre, les dispositions en cause ne prennent pas en compte les événements affectant à la baisse le patrimoine du contribuable ― les gains et les pertes constatées la même année ne se compensant pas, même au sein d'une catégorie donnée.
En intégrant dans l'assiette du plafonnement des revenus non réalisés et non disponibles sur le plan juridique et économique, l'article 9 aboutit en réalité à contourner l'exigence constitutionnelle en fixant un plafond fictif, ne correspondant pas à la réalité des revenus du contribuable. Il neutralise l'unique dispositif permettant de tenir compte des facultés contributives et de garantir la constitutionnalité du rétablissement du barème de l'impôt sur la fortune.
Au regard des exigences posées par le Conseil constitutionnel, les règles de plafonnement instituées par l'article 9 présentent de ce fait un caractère confiscatoire puisqu'elles auront pour effet qu'une imposition totale demeurant en deçà du plafond de 75 % des revenus disponibles et des revenus capitalisés pourra cependant dépasser 100 % des revenus réellement disponibles.
3. Par ailleurs, l'article 9 porte atteinte au droit de propriété et, en particulier, à l'un de ses attributs, consacré dans le code civil, le fructus ; en cela, il ne respecte pas les dispositions de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
En effet, il apparaît que l'assujettissement des revenus du capital au barème de l'impôt sur le revenu combiné au nouveau barème de l'ISF constitue une situation nouvelle qui est susceptible de priver certains citoyens, de façon permanente, des fruits de leur patrimoine, notamment au cas d'une gestion exempte de prise de risque.
Si une gestion en bon père de famille implique de placer le capital en actifs présentant peu ou pas de risques et aisément revendables si les circonstances l'exigent, alors il est possible de prendre comme référence les obligations d'Etat (OAT et OATi).
Illustrons ce propos d'un exemple.
Un investissement en OAT génère un revenu de 2,1 % par an sur le capital investi ; il sera prélevé 60,5 % de ce montant en impôt sur le revenu et en cotisations sociales, soit, 1,27 % [(2,1 × 60,5) : 100].
Il restera une rémunération avant ISF de 0,83 % [soit, 2,1 ― 1,27 = 0,83].
Après ISF au taux de 1,5%, le patrimoine sera amputé de 0,67% du fait des prélèvements obligatoires [soit un taux de rendement brut de : 1,5 ― 0,83 = 0,67].
A cela s'ajoute l'érosion due à l'inflation, soit actuellement 1,9 % par an. Au total, la perte de valeur réelle du capital sera de plus de 2,5 % par an [soit, 0,67 + 1,9].
Pour un investissement dans une OATi (référence émission par le Trésor le 25 juillet 2012 pour une échéance à 2021), le revenu perçu s'élèvera à 0,1 % auquel s'ajoutera la compensation de l'inflation sur le capital investi, soit actuellement 1,9 % par an (source : INSEE, octobre 2012).
Sur cette rémunération globale de 2 %, sera prélevé 60,5 % au titre de l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales, soit 1,21 % ; puis, 1,5 % au titre de l'ISF sur la base en capital. Au total, le patrimoine s'érodera de 2,71 % face à une inflation de 1,9 %.
Il est à noter que ces exemples ne sont pas circonstanciels mais reflètent une situation structurelle du fait de l'objectif d'inflation de la Banque centrale européenne et d'une perspective durable d'un rendement faible des placements sans risque.
En conséquence, au regard du rendement actuel des obligations, un gestionnaire prudent (ce qui advient nécessairement en vertu des articles 496 et 1374 du code civil au cas d'une gestion pour autrui) peut se voir structurellement privé de tout fructus mais aussi voir son capital s'éroder sous l'effet des prélèvements obligatoires cumulés. Le droit constitutionnel à jouir des fruits de son patrimoine n'est plus garanti et le fait qu'un contribuable dispose par ailleurs de capacités contributives n'est pas de nature à justifier qu'il soit privé de ce droit.
En outre, prendre en compte des éléments latents sur la perception desquels l'intéressé n'a pas de prise (cf. supra) dans la capacité contributive doit également être censuré par votre Conseil au titre de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen car cela signifie qu'un contribuable pourra se trouver durablement privé de tout fructus sur son patrimoine.
4. Pour ces motifs, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

(3) La numérotation de l'article correspond à la numérotation provisoire, lecture Sénat.


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Version 1

III. ― Sur l'article 9 (3) rétablissant un barème progressif de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et un mécanisme de plafonnement

1. A l'occasion de l'examen du projet de loi finances rectificatives pour 2012, le Conseil constitutionnel a rappelé que « le législateur ne saurait établir un barème de l'impôt de solidarité sur la fortune tel que celui qui était en vigueur avant l'année 2012 sans l'assortir d'un dispositif de plafonnement ou produisant des effets équivalents destiné à éviter une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » (décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012).

2. Si l'article 9 respecte prima facie le principe d'égalité devant les charges publiques, l'examen détaillé des revenus pris en considération au titre du plafonnement de l'ISF conduit à remettre en cause ce constat.

En effet, cet article élargit le champ des revenus aux revenus dits « capitalisés », à savoir : (i) les intérêts des plans d'épargne-logement ; (ii) la variation de la valeur de rachat des bons ou contrats de capitalisation, des placements de même nature, notamment des contrats d'assurance vie, ainsi que des instruments de toute nature visant à capitaliser des revenus ; (iii) les produits capitalisés dans les trusts ; (iv) les bénéfices distribuables des sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés qui n'exercent pas de manière prépondérante une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale et qui sont contrôlées à hauteur de 25 % au cours des cinq dernières années par le contribuable ou son cercle familial, ainsi que (v) les gains ou plus-values placées en sursis ou en report d'imposition.

Or, l'essentiel des revenus capitalisés ne sont en réalité pas disponibles.

Ce sont des revenus que, non seulement le contribuable n'a pas appréhendés juridiquement, mais que, bien souvent, il ne peut pas juridiquement appréhender, ne serait-ce, s'agissant des bénéfices distribuables des sociétés visées au (iv) ci-dessus, que parce que la majorité aux assemblées échappe au contribuable et l'empêche de décider de la distribution de ces revenus. Dit autrement et pour reprendre la définition générale du revenu imposable telle qu'elle est donnée par l'article 12 du code général des impôts, les revenus capitalisés au sens de l'article 9 ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année.

La prise en compte des plus-values placées en sursis d'imposition illustre parfaitement le biais que contient le mécanisme de plafonnement instauré par l'article 9 : de telles plus-values ― constatées à l'occasion d'opérations qui, parce qu'elles ne dégagent aucune liquidité pour le contribuable, sont considérées comme purement intercalaires par le législateur ― n'ont pas d'existence fiscale réelle tant que le sursis dont elles bénéficient n'a pas pris fin. Alors qu'elles ne font même pas l'objet d'une déclaration par le contribuable en matière d'impôt sur le revenu, elles devraient paradoxalement, et sans aucune justification juridique ou économique, être prises en compte pour la détermination du plafonnement de l'ISF. La majoration artificielle du plafond qui en résulte revient à priver ce dernier de son efficacité.

Cette difficulté est également patente dans le cas des holdings familiales de participation, sociétés généralement destinées à pérenniser, aux générations suivant celles des fondateurs, le contrôle des affaires qu'ils ont créées, en évitant la dispersion des intérêts et la dilution de leur capacité d'intervention, si nuisibles au développement de ces affaires et au maintien de l'emploi.

En intégrant dans l'assiette du plafonnement les revenus de ces holdings, l'article 9 prend en effet en compte des revenus économiquement indisponibles car consacrés par ces holdings à des investissements dans l'affaire familiale ou dans des affaires connexes et complémentaires, voire à l'amortissement de dettes ayant antérieurement servi à de tels investissements. Il prend également en compte des revenus juridiquement indisponibles, ne serait-ce que parce que la majorité aux assemblées échappe au contribuable et s'oppose à la distribution de ces revenus. A cet égard, l'amendement n° 242 adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture et censé résoudre cette difficulté sera en réalité inefficace dans de très nombreuses situations : à la lettre de cet amendement, les bénéfices distribuables seront pris en compte dans l'assiette imposable à l'ISF, dès lors que le contribuable aura détenu « à un moment quelconque au cours des cinq dernières années » le contrôle de ces sociétés, et ce alors même qu'au 1er janvier de l'année considérée le contribuable se trouvera privé de tout pouvoir juridique de décider de la distribution des sommes en cause toutes les fois où il aura perdu le contrôle de la société dans l'intervalle. Même ainsi corrigé, le texte ne tient pas compte de la capacité juridique réelle du contribuable à appréhender les bénéfices et réserves détenus par les sociétés holdings.

Plus généralement, il abolit la fonction économique d'épargne et de capitalisation de ces structures, pour n'y voir qu'un moyen de « minoration artificielle » de l'assiette du plafonnement et corrélativement de l'impôt, ce qui constitue une vision inexacte des holdings familiales.

Illustrons ce propos avec un exemple :

Vous pouvez consulter le tableau dans le

JOn° 304 du 30/12/2012 texte numéro 4

S'agissant de H1, le plafond instauré par l'article 9 sera égal à :

― revenus disponibles :50 % × 80 = 40

― revenus capitalisés :50 % × 160 = 80

― total revenus disponibles et revenus capitalisés : 120

― plafond instauré par l'article 9 :75 % × 120 = 90

Ainsi H1 ne bénéficiera d'aucun plafonnement réel puisque le plafond de l'article 9, soit 90, excède ses revenus disponibles, soit 40.

Si le montant de l'ISF exigible porte les impôts de H1 à 100, H1 bénéficiera du plafond artificiel de 90, mais paiera en réalité un impôt égal à 2,5 fois son revenu disponible, soit 40.

Certes, en instituant l'impôt sur la fortune, le législateur a-t-il entendu « frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et de droits ». De même, la prise en compte de cette capacité n'implique pas que « seuls les biens productifs de revenus entrent dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune » (décision n° 2010-99 QPC du 11 février 2011).

Néanmoins, le Conseil constitutionnel impose au législateur, pour ne pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, l'obligation de prévoir des règles de plafonnement qui « limitent la somme de l'impôt de solidarité sur la fortune et des impôts dus au titre des revenus et produits de l'année précédente à une fraction totale des revenus nets de l'année précédente » (décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012).

En d'autres termes, si la finalité de l'impôt sur la fortune justifie l'intégration dans l'assiette de l'impôt sur la fortune des biens non productifs de revenus, le principe d'égalité devant les charges publiques impose au législateur de mettre en place des règles de plafonnement pertinentes pour prendre en compte les facultés contributives effectives des contribuables.

En outre, les dispositions en cause ne prennent pas en compte les événements affectant à la baisse le patrimoine du contribuable ― les gains et les pertes constatées la même année ne se compensant pas, même au sein d'une catégorie donnée.

En intégrant dans l'assiette du plafonnement des revenus non réalisés et non disponibles sur le plan juridique et économique, l'article 9 aboutit en réalité à contourner l'exigence constitutionnelle en fixant un plafond fictif, ne correspondant pas à la réalité des revenus du contribuable. Il neutralise l'unique dispositif permettant de tenir compte des facultés contributives et de garantir la constitutionnalité du rétablissement du barème de l'impôt sur la fortune.

Au regard des exigences posées par le Conseil constitutionnel, les règles de plafonnement instituées par l'article 9 présentent de ce fait un caractère confiscatoire puisqu'elles auront pour effet qu'une imposition totale demeurant en deçà du plafond de 75 % des revenus disponibles et des revenus capitalisés pourra cependant dépasser 100 % des revenus réellement disponibles.

3. Par ailleurs, l'article 9 porte atteinte au droit de propriété et, en particulier, à l'un de ses attributs, consacré dans le code civil, le fructus ; en cela, il ne respecte pas les dispositions de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

En effet, il apparaît que l'assujettissement des revenus du capital au barème de l'impôt sur le revenu combiné au nouveau barème de l'ISF constitue une situation nouvelle qui est susceptible de priver certains citoyens, de façon permanente, des fruits de leur patrimoine, notamment au cas d'une gestion exempte de prise de risque.

Si une gestion en bon père de famille implique de placer le capital en actifs présentant peu ou pas de risques et aisément revendables si les circonstances l'exigent, alors il est possible de prendre comme référence les obligations d'Etat (OAT et OATi).

Illustrons ce propos d'un exemple.

Un investissement en OAT génère un revenu de 2,1 % par an sur le capital investi ; il sera prélevé 60,5 % de ce montant en impôt sur le revenu et en cotisations sociales, soit, 1,27 % [(2,1 × 60,5) : 100].

Il restera une rémunération avant ISF de 0,83 % [soit, 2,1 ― 1,27 = 0,83].

Après ISF au taux de 1,5%, le patrimoine sera amputé de 0,67% du fait des prélèvements obligatoires [soit un taux de rendement brut de : 1,5 ― 0,83 = 0,67].

A cela s'ajoute l'érosion due à l'inflation, soit actuellement 1,9 % par an. Au total, la perte de valeur réelle du capital sera de plus de 2,5 % par an [soit, 0,67 + 1,9].

Pour un investissement dans une OATi (référence émission par le Trésor le 25 juillet 2012 pour une échéance à 2021), le revenu perçu s'élèvera à 0,1 % auquel s'ajoutera la compensation de l'inflation sur le capital investi, soit actuellement 1,9 % par an (source : INSEE, octobre 2012).

Sur cette rémunération globale de 2 %, sera prélevé 60,5 % au titre de l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales, soit 1,21 % ; puis, 1,5 % au titre de l'ISF sur la base en capital. Au total, le patrimoine s'érodera de 2,71 % face à une inflation de 1,9 %.

Il est à noter que ces exemples ne sont pas circonstanciels mais reflètent une situation structurelle du fait de l'objectif d'inflation de la Banque centrale européenne et d'une perspective durable d'un rendement faible des placements sans risque.

En conséquence, au regard du rendement actuel des obligations, un gestionnaire prudent (ce qui advient nécessairement en vertu des articles 496 et 1374 du code civil au cas d'une gestion pour autrui) peut se voir structurellement privé de tout fructus mais aussi voir son capital s'éroder sous l'effet des prélèvements obligatoires cumulés. Le droit constitutionnel à jouir des fruits de son patrimoine n'est plus garanti et le fait qu'un contribuable dispose par ailleurs de capacités contributives n'est pas de nature à justifier qu'il soit privé de ce droit.

En outre, prendre en compte des éléments latents sur la perception desquels l'intéressé n'a pas de prise (cf. supra) dans la capacité contributive doit également être censuré par votre Conseil au titre de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen car cela signifie qu'un contribuable pourra se trouver durablement privé de tout fructus sur son patrimoine.

4. Pour ces motifs, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

(3) La numérotation de l'article correspond à la numérotation provisoire, lecture Sénat.