II. ― Sur l'article 8 (2) portant contribution exceptionnelle
de solidarité sur les très hauts revenus d'activité
- Cet article instaure une contribution exceptionnelle de 18 % sur la fraction de revenus d'activité professionnelle qui excède un million d'euros au titre des revenus des années 2012 et 2013.
- Ce dispositif méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques à plus d'un titre.
- A titre liminaire, il sera observé que la nouvelle contribution présente un caractère confiscatoire. A ce niveau d'imposition globale, il est impérieux de redoubler de vigilance quant au respect du principe d'égalité.
Le taux de la contribution présente un caractère confiscatoire. Dans le cadre du contrôle de la conformité d'une imposition aux exigences de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel s'assure que l'imposition en cause prend en compte la faculté contributive des contribuables de telle sorte qu'elle n'ait pas un caractère confiscatoire (décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005). Ce contrôle n'est pas exercé en fonction de « chaque imposition prise isolément » mais globalement (décision n° 2011-180 QPC du 13 octobre 2011).
Or, ajouté au taux marginal d'impôt sur le revenu prévu dans la loi de finances (45 %), à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (4 %) et aux prélèvements sociaux (8 % sur les revenus d'activité), le taux de 18 % institué par la contribution sur la fraction des revenus qui excède 1 000 000 euros aboutira à une taxation globale au taux de 75 %.
A la lumière de la jurisprudence constitutionnelle, l'instauration d'un tel taux confère à la contribution exceptionnelle de solidarité un caractère confiscatoire contraire aux exigences constitutionnelles et en particulier au principe d'égalité devant l'impôt.
Cette observation liminaire doit en tout état de cause conduire la haute juridiction à renforcer son degré de contrôle. Lorsque, par l'effet cumulé des prélèvements, le législateur atteint un tel niveau d'imposition, il convient de redoubler de vigilance sur l'impérieuse nécessité de respecter les principes constitutionnels, en particulier le principe d'égalité devant les charges publiques. - La rupture d'égalité résulte d'abord d'une différence de traitement entre catégories de revenus identiques.
En premier lieu, il convient d'observer que la détermination des catégories de revenus entrant dans l'assiette de la contribution exceptionnelle de solidarité ne répond pas à des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts que le législateur s'est assigné.
En effet, outre les traitements et salaires et les rémunérations allouées aux gérants et associés des sociétés mentionnées à l'article 62 du code général des impôts, les revenus d'activité professionnelle pris en compte pour l'établissement de la contribution comprennent les bénéfices industriels ou commerciaux (BIC), les bénéfices non commerciaux (BNC) et les bénéfices agricoles (BA), lorsqu'ils résultent d'activités exercées à titre professionnel.
Or, ces bénéfices sont d'une nature radicalement différente de celle des revenus d'activité professionnelle visés par l'article 8. Ils ont vocation à rémunérer non seulement, pour une partie, le travail des personnes soumises à ce régime mais aussi, pour une autre, le capital qu'ils ont investi dans l'activité professionnelle ainsi que les risques qu'ils y assument. A la différence des traitements et salaires ou des rémunérations allouées aux gérants et associés, les BIC, les BNC et les BA relèvent donc à la fois de la catégorie des revenus d'activité professionnelle entrant dans le champ de la taxe mais aussi et surtout de la catégorie des revenus du capital, que le législateur a pourtant entendu exclure de l'assiette de la contribution.
Il ressort en effet des travaux préparatoires que la contribution exceptionnelle de solidarité a exclusivement pour but de faire participer les bénéficiaires de très hauts revenus du travail à l'effort de réduction des déficits publics et de décourager les versements de rémunérations « excessives » ou « pharaoniques », comme le souligne le rapport de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale.
En revanche, cette contribution n'a pas vocation à frapper les revenus du capital. Ces revenus, qu'il s'agisse des revenus fonciers, des revenus de capitaux mobiliers, des plus-values de cession de biens ou droits de toute nature ou encore des BIC, des BNC et des BA revenant à des personnes ne participant pas à l'activité à titre professionnel, sont clairement exclus du champ de la contribution.
En intégrant de manière indifférenciée l'ensemble des BIC, des BNC et des BA dans l'assiette de la contribution des entrepreneurs actifs, le législateur ne s'est donc pas fondé sur des critères objectifs, rationnels et cohérents avec les buts qu'il se propose. De ce chef déjà, l'article 8 méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques.
Au surplus, cet article institue des différences de traitement manifestement contraires à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
D'une part, le bénéfice d'une même activité peut être soumis ou non à la contribution selon qu'elle est exercée dans le cadre d'une société soumise ou non à l'impôt sur les sociétés (IS). Ainsi, si la société n'est pas soumise à l'IS, les intéressés, s'ils sont actifs dans l'entreprise, devront comprendre dans la base de calcul de la contribution exceptionnelle de solidarité l'intégralité de la part du bénéfice qui leur revient. En revanche, si ces mêmes personnes exploitent la même entreprise au travers d'une société passible de l'IS, seule sera dans le champ d'application de la taxe la part du bénéfice appréhendée par les associés actifs sous forme de rémunération correspondant à leur activité, le solde de ce bénéfice, réparti sous forme de dividende entre associés, actifs ou inactifs, échappant alors à la taxe.
Il en résulte une différence de traitement considérable et manifestement disproportionnée au regard d'une différence de situation qui, si elle est incontestable, est à la fois minime et sans rapport avec l'objectif poursuivi. La différence de situation n'est, en effet, fondée que sur la forme de l'exercice, voire sur le simple régime fiscal de la structure sociétale (SNC fiscalement translucide versus SNC ayant opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés par exemple), pour des activités strictement identiques. Une telle différence de traitement constitue clairement une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
D'autre part et surtout, l'article 8 introduit une rupture d'égalité entre les revenus identiques provenant d'un même capital. Il a pour effet de faire entrer le bénéfice d'une même activité exercée en société non assujettie à l'IS dans le champ de la contribution exceptionnelle pour la part qui revient à un associé actif dans l'entreprise. Tel ne sera pas le cas, en revanche, pour la part qui revient à un associé non actif. L'exclusion de l'associé non actif est parfaitement logique : elle repose sur l'objectif que se donne à lui-même le législateur, qui est de ne pas faire entrer dans l'assiette les revenus du capital. Toutefois, le législateur omet un élément essentiel : les revenus de l'associé actif correspondent eux aussi, pour une part importante, voire majoritaire, à la rémunération du capital. Les deux types d'associés reçoivent ainsi des parts qui peuvent être identiques et qui proviennent d'un bénéfice généré par la même entreprise. Or, ces revenus identiques seront traités de manière différentes : pour l'associé actif, sa part aura intégralement le caractère de revenu de son activité et sera donc dans le champ de la taxe ; pour l'inactif, ce caractère sera celui de revenu du capital investi dans l'entreprise, non taxable.
Illustrons ce propos avec un exemple.
Deux personnes A et B ont réuni un capital et sont associées chacune à 50 % d'une même société en nom collectif fiscalement translucide et exerçant une activité professionnelle relevant de la catégorie des BIC. A, qui se consacre pleinement à cette société, est le seul à exercer son activité professionnelle au sein de la société. A reçoit pour les fonctions qu'il exerce une rémunération, fixée par convention passée entre les deux associés à 600 000 euros. Une fois cette rémunération déduite du bénéfice total de la société, égal à 3 000 000 euros pour l'année N, le solde est partagé entre les associés à proportion de leurs droits. A et B reçoivent donc chacun, à titre de rémunération de leur capital, 1 200 000 euros. Cette part correspond exclusivement à la rémunération du capital qu'ils ont investi ensemble, dans des conditions strictement identiques.
B étant associé passif de la SNC, cette somme, qui sera imposée à son nom dans la catégorie des BIC en vertu des principes de la translucidité fiscale, correspond pour lui à un revenu de son capital, hors champ de la contribution. B n'est ainsi pas passible de la contribution exceptionnelle de solidarité (et ce alors même qu'il est parfaitement concevable qu'il perçoive par ailleurs, au titre d'une autre activité professionnelle, dans une autre société, une rémunération de 600 000 euros, c'est-à-dire du même ordre que celle de son associé actif, mais inférieure donc au seuil d'un million d'euros).
A quant à lui perçoit également 600 000 euros de rémunération de son activité et 1 200 000 euros en qualité d'associé, soit une somme de 1 800 000 euros au titre de ses droits dans la société, imposée à son nom dans la catégorie des BIC. En raison du seul fait qu'il est regardé comme un associé actif, autrement dit qu'il exerce son activité dans la société même dont il détient des parts, c'est ainsi l'intégralité des revenus du capital qui seront pris en compte. Il sera ainsi soumis à la contribution de 18 % sur 800 000 euros, fraction de son revenu excédant un million d'euros.
Vous pouvez consulter le tableau dans le
JOn° 304 du 30/12/2012 texte numéro 4
Cet exemple illustre le caractère manifestement injustifié de la différence de traitement instituée entre les associés actifs et inactifs d'une même entreprise. La différence de situation ne porte que sur la part, voire uniquement sur l'origine des revenus correspondant à la rémunération du travail. En revanche, au regard de la part des revenus correspondant à la rémunération du capital, associés actifs et inactifs sont placés dans une situation rigoureusement d'égalité identique. Cette différence de traitement constitue à l'évidence une rupture caractérisée d'égalité devant les charges publiques.
5. La rupture d'égalité résulte ensuite d'une différence de traitement entre les redevables : la définition par le législateur du champ des redevables de la contribution exceptionnelle de solidarité méconnaît l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Cette contribution retient, en effet, comme unité d'imposition les personnes physiques et non pas le foyer fiscal, comme c'est pourtant la règle traditionnelle en droit fiscal. Elle ne prend aucun compte de leur situation familiale et de leurs charges de famille. Le choix de cette unité d'imposition institue des différences de traitement selon les foyers, qui sont clairement constitutives d'une rupture d'égalité devant les charges publiques.
Ainsi, deux foyers identiques, percevant chacun 1,2 million d'euros, seront ou non soumis à la contribution selon qu'un seul ou que les deux membres du foyer travaillent. Si, au sein d'un couple marié ou pacsé, un seul membre du foyer travaille et perçoit à lui seul 1,2 million d'euros, la fraction supérieure à 1 million d'euros, soit 200 000 euros, donnera lieu à un prélèvement de 36 000 euros. En revanche, si les deux conjoints travaillent et perçoivent chacun 600 000 euros, aucune contribution exceptionnelle de solidarité ne sera due.
Le législateur lui-même s'en est d'ailleurs inquiété, en relevant que « des disparités manifestes de traitement entre des foyers disposant de très hauts revenus peuvent découler de cette définition du champ des redevables » (In Rapport de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale).
Ce choix d'une imposition individualisée au sein des foyers fiscaux rompt avec une « règle traditionnelle dans le droit fiscal français » consistant à considérer que « le centre de disposition des revenus à partir duquel peuvent être appréciées les ressources et les charges du contribuable est le foyer fiscal » (décision n° 81-133 DC du 30 décembre 1981). Qu'il s'agisse de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur la fortune ou de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, tous les impôts progressifs directs retiennent comme unité d'imposition le foyer fiscal et non l'individu.
Un tel choix ne respecte pas les exigences fixées en la matière par la jurisprudence constitutionnelle. En effet, l'application d'une imposition individuelle ou d'une imposition par foyer dépend du caractère progressif ou proportionnel de l'impôt considéré. Le Conseil constitutionnel estime ainsi que l'introduction d'une dose de progressivité dans un impôt strictement proportionnel implique que l'on raisonne comme en matière d'impôt sur le revenu, c'est-à-dire par foyer fiscal. Une disposition instaurant une telle « dose de progressivité », qui ne tient compte « ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d'une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci », ne prend pas en considération « l'ensemble des facultés contributives » et « crée, entre les contribuables concernés, une disparité manifeste contraire à l'article 13 de la Déclaration de 1789 » (décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000).
Or, la contribution exceptionnelle de solidarité constitue de toute évidence un impôt progressif, comportant deux tranches : une tranche à 0 % s'appliquant aux revenus d'activité inférieurs ou égaux à 1 million d'euros ; une tranche à 18 % s'appliquant à la fraction de ces revenus excédant 1 million d'euros.
Le rapport de la commission des finances du Sénat présente d'ailleurs cette taxe comme l'un des éléments du dispositif prévu par la loi de finances pour améliorer la progressivité de la fiscalité des revenus. En cela, la contribution exceptionnelle de solidarité se distingue des contributions et impôts proportionnels, seuls impôts pour lesquels le législateur est libre de retenir la personne physique comme unité de taxation.
Faute d'avoir retenu comme unité d'imposition le foyer fiscal, l'article 8 n'a donc pas pris en considération l'ensemble des facultés contributives et a méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques.
Par ailleurs, et à titre subsidiaire, à supposer que l'on considère que les foyers fiscaux ne sont pas dans une situation exactement identique selon qu'un seul ou que les deux membres du foyer travaillent, force est de constater qu'ils sont dans des situations très similaires. Dès lors, et à tout le moins, les dispositions contestées introduisent une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur, à savoir une contribution temporaire à l'effort de redressement des comptes publics. Le dispositif est binaire : dans un cas, le foyer fiscal contribue pleinement ; dans l'autre, il est totalement exonéré de cet effort, et ce, à revenus strictement identiques par foyer.
Il en résulte également que ces différences de traitement ne sont aucunement justifiées par un motif d'intérêt général. En effet, si, à première vue, le législateur a entendu créer cette contribution pour faire participer les bénéficiaires de très hauts revenus d'activité à l'effort de réduction des déficits publics, il ressort des travaux préparatoires de la loi que le but premier de la contribution est de décourager les versements de rémunérations « excessives » ou « extravagantes ». Cette mesure ne concernera que 1 500 personnes au plus, pour un rendement théorique de 210 millions d'euros par an. Un tel but ne saurait constituer un motif d'intérêt général de nature à justifier une différence de traitement.
Constitutives d'une rupture caractérisée de l'égalité entre les contribuables, ces disparités sont, à l'évidence, contraires à l'article 13 de la Déclaration de 1789.
6. Pour ces raisons, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.
(2) La numération de l'article correspond à la numérotation provisoire, lecture Sénat.
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