JORF n°0185 du 11 août 2011

Mais, quand bien même vous ne retiendriez pas l'existence d'un tel principe, vous n'en censureriez pas moins le nouveau dispositif au regard des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789, à propos desquels vous avez jugé qu'ils imposaient « au législateur, dans l'exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l'arbitraire dans la recherche des auteurs d'infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l'exécution des peines » (2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, cons. 11).
En effet, dans cette même décision, vous avez précisément tenu compte du fait que « l'article 359 du code de procédure pénale a pour effet d'imposer que toute décision de la cour d'assises défavorable à l'accusé soit adoptée par au moins la majorité absolue des jurés » (cons. 16) pour écarter le grief tiré de « ce que les dispositions critiquées laisseraient à cette juridiction un pouvoir arbitraire pour décider de la culpabilité d'un accusé » (cons. 17).
Le fait que le texte introduise dorénavant une motivation des arrêts des cours d'assises ne saurait en rien justifier la suppression d'une telle garantie, et ce d'autant moins que comme il va l'être maintenant démontré cette motivation est elle-même, par certains aspects, inconstitutionnelle.
Le législateur ne pouvait donc priver de garanties légales les exigences constitutionnelles susmentionnées en privant les jurés de leur pouvoir décisionnaire sans encourir votre censure.
2. Quant à la rédaction différée de la motivation :
L'article 7 de la loi réécrit l'article 365-1 du code de procédure pénale en introduisant une obligation de motivation des arrêts d'assises.
Cette motivation doit être rédigée par le Président ou l'un des magistrats assesseurs. Elle doit figurer sur un document annexé à la feuille des questions appelé « feuille de motivation », et être signée par le Président et le premier juré, afin, comme l'a relevé le rapporteur de la commission des lois du Sénat, « de garantir le contrôle du jury sur la motivation retenue par le magistrat » (rapport n° 489 [2010-2011], p. 79).
Elle est en principe rédigée immédiatement après les délibérations et lue à l'audience.
Néanmoins, il est prévu une exception à ces règles : « Lorsqu'en raison de la particulière complexité de l'affaire, liée au nombre des accusés ou des crimes qui leur sont reprochés, il n'est pas possible de rédiger immédiatement la feuille de motivation, celle-ci doit alors être rédigée, versée au dossier et déposée au greffe de la cour d'assises au plus tard dans un délai de trois jours à compter du prononcé de la décision. »
Cette exception aura donc pour effet de faire perdre au jury tout contrôle sur la motivation de l'arrêt. Or cela est manifestement à nouveau contraire à votre décision déjà mentionnée n° 2011-113/115 QPC dans laquelle vous avez jugé que le fait que les « magistrats et les jurés délibèrent ensemble immédiatement après la fin des débats » constituait une garantie légale contre l'arbitraire.
A l'inverse donc, en décalant de trois jours la rédaction de la motivation et en supprimant par la même la possibilité pour les jurés de vérifier qu'elle correspond bien, conformément au deuxième alinéa de l'article 365-1, à « l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises », le législateur a privé de garanties légales l'exigence constitutionnelle prohibant l'arbitraire dans le prononcé des peines.
Il y a du reste une certaine logique du législateur à priver le jury d'un pouvoir de motivation après l'avoir déshabillé de son pouvoir de décision. Comment en effet exiger de quiconque de motiver ce qu'il n'a pas voulu ? Mais c'est cette logique même qui heurte l'exigence constitutionnelle rappelée ci-avant et qui commande encore votre censure.

III. ― Sur les mineurs

Votre haute juridiction a eu l'occasion de rappeler récemment la nature et le contenu des principes constitutionnels applicables à la justice des mineurs : « l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante ; que, toutefois, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu'en particulier, les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs » (2011-625 DC du 10 mars 2011, cons. 26).
Trois exigences sont pourtant méconnues par la loi qui vous est ici déférée : l'exigence d'adaptation de la mesure à l'âge et la personnalité des mineurs (1) ; l'exigence d'une procédure appropriée (2) ; et l'exigence d'une juridiction spécialisée (3).

  1. Quant à l'exigence d'adaptation des mesures :
    Est ici visée la disposition prévue à l'article 22 de la loi qui fixe les conditions permettant de placer un mineur de 13 à 16 ans sous le régime de l'assignation à résidence avec surveillance électronique.
    Le nouveau dispositif permet ainsi de décider pareille mesure dans les mêmes conditions que peut être décidé un contrôle judiciaire et de n'envisager la possibilité de mise en détention provisoire qu'à la condition que cette mesure soit indispensable, ou qu'il soit impossible de prendre toute autre disposition et à la condition que les obligations du contrôle judiciaire et « les obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique » soient insuffisantes.
    Au-delà de l'inadaptation de ce procédé au public visé, vous ne pourrez que constater que cette disposition est contraire à l'article 9 de la Déclaration de 1789 (10) dont vous déduisez que la « liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire » (2010-31 QPC du 22 septembre 2010, cons. 5).
    En effet, l'inadaptation et la rigueur excessive proviennent ici du fait que l'assignation à résidence avec surveillance électronique constitue non un substitut au contrôle judiciaire, mais à la détention provisoire. Ainsi que l'indique l'article 142-11 du code de procédure pénale : « L'assignation à résidence avec surveillance électronique est assimilée à une détention provisoire pour l'imputation intégrale de sa durée sur celle d'une peine privative de liberté. »
    C'est donc à tout le moins aux conditions de recours ― et comme une alternative ― à la détention provisoire qu'aurait dû être conçue l'assignation à résidence avec surveillance électronique des enfants de 13 ans et non aux conditions ― et comme une alternative ― au contrôle judiciaire.
    La rigueur du dispositif est d'autant plus excessive que dans le même temps le législateur a élargi les hypothèses dans lesquelles il pouvait être recouru au contrôle judiciaire. Ainsi l'article 21 a-t-il ajouté aux deux cas actuels prévus par l'article 10-2 III de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante (11) le cas où « la peine d'emprisonnement encourue est supérieure ou égale à cinq ans pour un délit de violences volontaires, d'agression sexuelle ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences ».

(10) « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. » (11) Aux termes duquel : « En matière correctionnelle, les mineurs âgés de moins de seize ans ne peuvent être placés sous contrôle judiciaire que dans l'un des cas suivants : 1° Si la peine d'emprisonnement encourue est supérieure ou égale à cinq ans et si le mineur a déjà fait l'objet d'une ou plusieurs mesures éducatives prononcées en application des articles 8, 10, 15,16 et 16 bis ou d'une condamnation à une sanction éducative ou à une peine ; 2° Si la peine d'emprisonnement encourue est supérieure ou égale à sept ans. »


Historique des versions

Version 1

Mais, quand bien même vous ne retiendriez pas l'existence d'un tel principe, vous n'en censureriez pas moins le nouveau dispositif au regard des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789, à propos desquels vous avez jugé qu'ils imposaient « au législateur, dans l'exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l'arbitraire dans la recherche des auteurs d'infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l'exécution des peines » (2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, cons. 11).

En effet, dans cette même décision, vous avez précisément tenu compte du fait que « l'article 359 du code de procédure pénale a pour effet d'imposer que toute décision de la cour d'assises défavorable à l'accusé soit adoptée par au moins la majorité absolue des jurés » (cons. 16) pour écarter le grief tiré de « ce que les dispositions critiquées laisseraient à cette juridiction un pouvoir arbitraire pour décider de la culpabilité d'un accusé » (cons. 17).

Le fait que le texte introduise dorénavant une motivation des arrêts des cours d'assises ne saurait en rien justifier la suppression d'une telle garantie, et ce d'autant moins que comme il va l'être maintenant démontré cette motivation est elle-même, par certains aspects, inconstitutionnelle.

Le législateur ne pouvait donc priver de garanties légales les exigences constitutionnelles susmentionnées en privant les jurés de leur pouvoir décisionnaire sans encourir votre censure.

2. Quant à la rédaction différée de la motivation :

L'article 7 de la loi réécrit l'article 365-1 du code de procédure pénale en introduisant une obligation de motivation des arrêts d'assises.

Cette motivation doit être rédigée par le Président ou l'un des magistrats assesseurs. Elle doit figurer sur un document annexé à la feuille des questions appelé « feuille de motivation », et être signée par le Président et le premier juré, afin, comme l'a relevé le rapporteur de la commission des lois du Sénat, « de garantir le contrôle du jury sur la motivation retenue par le magistrat » (rapport n° 489 [2010-2011], p. 79).

Elle est en principe rédigée immédiatement après les délibérations et lue à l'audience.

Néanmoins, il est prévu une exception à ces règles : « Lorsqu'en raison de la particulière complexité de l'affaire, liée au nombre des accusés ou des crimes qui leur sont reprochés, il n'est pas possible de rédiger immédiatement la feuille de motivation, celle-ci doit alors être rédigée, versée au dossier et déposée au greffe de la cour d'assises au plus tard dans un délai de trois jours à compter du prononcé de la décision. »

Cette exception aura donc pour effet de faire perdre au jury tout contrôle sur la motivation de l'arrêt. Or cela est manifestement à nouveau contraire à votre décision déjà mentionnée n° 2011-113/115 QPC dans laquelle vous avez jugé que le fait que les « magistrats et les jurés délibèrent ensemble immédiatement après la fin des débats » constituait une garantie légale contre l'arbitraire.

A l'inverse donc, en décalant de trois jours la rédaction de la motivation et en supprimant par la même la possibilité pour les jurés de vérifier qu'elle correspond bien, conformément au deuxième alinéa de l'article 365-1, à « l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises », le législateur a privé de garanties légales l'exigence constitutionnelle prohibant l'arbitraire dans le prononcé des peines.

Il y a du reste une certaine logique du législateur à priver le jury d'un pouvoir de motivation après l'avoir déshabillé de son pouvoir de décision. Comment en effet exiger de quiconque de motiver ce qu'il n'a pas voulu ? Mais c'est cette logique même qui heurte l'exigence constitutionnelle rappelée ci-avant et qui commande encore votre censure.

III. ― Sur les mineurs

Votre haute juridiction a eu l'occasion de rappeler récemment la nature et le contenu des principes constitutionnels applicables à la justice des mineurs : « l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante ; que, toutefois, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu'en particulier, les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs » (2011-625 DC du 10 mars 2011, cons. 26).

Trois exigences sont pourtant méconnues par la loi qui vous est ici déférée : l'exigence d'adaptation de la mesure à l'âge et la personnalité des mineurs (1) ; l'exigence d'une procédure appropriée (2) ; et l'exigence d'une juridiction spécialisée (3).

1. Quant à l'exigence d'adaptation des mesures :

Est ici visée la disposition prévue à l'article 22 de la loi qui fixe les conditions permettant de placer un mineur de 13 à 16 ans sous le régime de l'assignation à résidence avec surveillance électronique.

Le nouveau dispositif permet ainsi de décider pareille mesure dans les mêmes conditions que peut être décidé un contrôle judiciaire et de n'envisager la possibilité de mise en détention provisoire qu'à la condition que cette mesure soit indispensable, ou qu'il soit impossible de prendre toute autre disposition et à la condition que les obligations du contrôle judiciaire et « les obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique » soient insuffisantes.

Au-delà de l'inadaptation de ce procédé au public visé, vous ne pourrez que constater que cette disposition est contraire à l'article 9 de la Déclaration de 1789 (10) dont vous déduisez que la « liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire » (2010-31 QPC du 22 septembre 2010, cons. 5).

En effet, l'inadaptation et la rigueur excessive proviennent ici du fait que l'assignation à résidence avec surveillance électronique constitue non un substitut au contrôle judiciaire, mais à la détention provisoire. Ainsi que l'indique l'article 142-11 du code de procédure pénale : « L'assignation à résidence avec surveillance électronique est assimilée à une détention provisoire pour l'imputation intégrale de sa durée sur celle d'une peine privative de liberté. »

C'est donc à tout le moins aux conditions de recours ― et comme une alternative ― à la détention provisoire qu'aurait dû être conçue l'assignation à résidence avec surveillance électronique des enfants de 13 ans et non aux conditions ― et comme une alternative ― au contrôle judiciaire.

La rigueur du dispositif est d'autant plus excessive que dans le même temps le législateur a élargi les hypothèses dans lesquelles il pouvait être recouru au contrôle judiciaire. Ainsi l'article 21 a-t-il ajouté aux deux cas actuels prévus par l'article 10-2 III de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante (11) le cas où « la peine d'emprisonnement encourue est supérieure ou égale à cinq ans pour un délit de violences volontaires, d'agression sexuelle ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences ».

(10) « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. » (11) Aux termes duquel : « En matière correctionnelle, les mineurs âgés de moins de seize ans ne peuvent être placés sous contrôle judiciaire que dans l'un des cas suivants : 1° Si la peine d'emprisonnement encourue est supérieure ou égale à cinq ans et si le mineur a déjà fait l'objet d'une ou plusieurs mesures éducatives prononcées en application des articles 8, 10, 15,16 et 16 bis ou d'une condamnation à une sanction éducative ou à une peine ; 2° Si la peine d'emprisonnement encourue est supérieure ou égale à sept ans. »