JORF n°0297 du 24 décembre 2014

  1. La méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.
    Conformément à une jurisprudence constante, votre conseil estime que :
    « Considérant qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu'il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi (6) ».
    Vous censurez ainsi des dispositions imprécises du fait de la pluralité d'interprétations à laquelle elles peuvent donner lieu (7).
    Le Conseil constitutionnel sanctionne également le silence du législateur dans la mesure où, faute de précisions suffisantes, les dispositions pourraient entraîner une atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis (8).
    L'adoption en l'état de l'article 63 poserait des difficultés d'interprétation, préjudiciables à l'état de droit, sur lesquelles les requérants souhaitent attirer l'attention du conseil.
    En premier lieu, l'article contesté minore le forfait GHS lorsqu'au moins une spécialité mentionnée à l'article L. 162-22-7 est facturée en sus de cette prestation. Cependant, cette énonciation générale ne correspond pas, voire est en contradiction, avec l'exposé des motifs et l'intention du législateur, tel qu'elle ressort des débats parlementaires.
    L'article ne distingue pas entre les spécialités pharmaceutiques inscrites sur la liste en sus prescrites dans le cadre de leur autorisation de mise sur le marché (« AMM ») ou en dehors du cadre de leur AMM.
    L'exposé des motifs (9) et les travaux parlementaires précisent pourtant que l'article 63 vise à encourager les spécialités pharmaceutiques inscrites sur la liste en sus lorsqu'elles sont prescrites dans le cadre de leur AMM. A l'inverse, l'article aurait pour objectif de pénaliser l'utilisation des spécialités pharmaceutiques inscrites sur la liste en sus lorsqu'elles ne sont pas prescrites dans le cadre de leur AMM.
    Or, alors que cette distinction est présentée comme l'objectif du texte, elle n'est pas reprise dans l'article 63.
    En outre, l'article ne précise pas que la minoration du remboursement du forfait ne s'applique que dans l'hypothèse où il existerait des alternatives thérapeutiques toutes aussi efficaces et prises en charge dans les forfaits GHS.
    L'étude d'impact indique que « Dans ce contexte, il est proposé une mesure dont l'objectif est de contribuer à rationaliser la prescription sur la liste en sus et d'en améliorer l'efficience via une incitation financière positive : d'une part, en privilégiant la prescription des alternatives thérapeutiques prises en charge dans les tarifs d'hospitalisation dès lors qu'elles ne sont pas moins efficaces, d'autre part en incitant à déclarer, comme les textes le prévoient, toute prescription d'un produit de la liste en sus en dehors des indications de son AMM de façon à éviter une facturation indue à l'assurance maladie ».
    Il en ressort que le législateur a souhaité favoriser la prescription d'une spécialité pharmaceutique rentrant dans le forfait GHS, et donc moins coûteuse, lorsque cette dernière est aussi efficace que le produit inscrit sur la liste en sus mais plus coûteux.
    Or, là encore, l'article contesté ne précise pas si la minoration forfaitaire sera appliquée selon qu'il existe ou non une alternative non moins efficace comprise dans les tarifs d'hospitalisation GELS. Au contraire, en application de l'article contesté, même si le produit sur la liste en sus est de loin le plus efficace, l'établissement de santé se verra quand même infliger une minoration du remboursement du forfait GHS s'il le prescrit.
    En deuxième lieu, l'article contesté dispose que « la minoration forfaitaire s'applique aux prestations d'hospitalisation pour lesquelles la fréquence de prescription de spécialités pharmaceutiques de la liste précitée est au moins égale à 25 % de l'activité afférente à ces prestations et lorsque ces spécialités pharmaceutiques représentent au moins 15 % des dépenses totales afférentes aux spécialités inscrites sur cette même liste ».
    D'une part, la disposition relative aux fréquences de prescription de spécialités pharmaceutiques au moins égaie à 25 % de l'activité afférente à ces prescriptions est insuffisamment précise.
    Ni l'étude d'impact, ni l'exposé des motifs n'explicite ce qu'il faut entendre par ce chiffre de 25 %.
    Ainsi, l'étude d'impact se borne à affirmer que « dans ces GHS, la part des séjours qui donnent lieu à au moins une prescription sur la liste en sus devra être de 25 % minimum ».
    Pour autant, elle ne précise pas si les 25 % de part des séjours doivent être entendus par établissement ou par patient. Dans le cas où l'entrée dans le champ du texte se ferait par établissement, le texte ne dit rien des modalités de calcul : sur la base d'un décompte annuel ? Avec une imputation rétroactive sur les GHS ?
    D'autre part, la disposition relative aux spécialités pharmaceutiques représentant au moins 15 % des dépenses totales afférentes aux spécialités inscrites sur la liste en sus est susceptible de plusieurs interprétations.
    Ce chiffre de 15 % doit-il être comptabilisé au niveau national ou de chaque établissement ?
    L'étude d'impact précise que le calcul du coût de la liste en sus des GHS concernés se fait au niveau national. La disposition contestée ne le mentionne pas expressément et les débats parlementaires contredisent, en tout état de cause, l'étude d'impact. En effet, il ressort des propos de la secrétaire d'Etat, Mme Neuville, que la minoration serait effectuée pour chaque établissement de santé et non au niveau national « Quand vous prescrivez un médicament de la liste GHS, vous avez une majoration, quand vous prescrivez un médicament de la liste en sus, vous avez une minoration » (10).
    Ainsi, le Conseil constitutionnel ne pourra que constater que le calcul de cette minoration forfaitaire se heurte à des imprécisions ne permettant pas sa mise en œuvre sans risque d'insécurité juridique majeure.
    En troisième lieu, il a été rappelé que le principe de la majoration du forfait GHS, à due concurrence des minorations résultant de la mesure déférée, n'est pas inscrit dans ledit article. De ce fait, le silence du législateur est source d'incertitudes sur l'objet et sur l'incidence de l'article déféré.
    L'étude d'impact précise qu'il y aura une « réintégration dans les tarifs des groupes homogènes de séjour (GHS) concernés de l'équivalent du rendement global du forfait, à comportement de prescription inchangé », que l'établissement « enregistrera un gain de recettes correspondant à la différence entre le montant du forfait et le prix du produit “intra-GHS” ».
    Rien ne permet cependant de savoir si le forfait GHS sera augmenté au niveau national pour l'ensemble des établissements de santé ou sera déterminé pour chaque établissement, ce qui évidemment change tout.
    Votre conseil ne pourra que constater que l'insincérité et l'inintelligibilité de l'article 63 sont flagrantes et d'autant plus graves que cet article conditionne notamment l'accès à des soins innovants pour les patients.

(6) CC, 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, n° 2006-540 DC. (7) CC, 10 juillet 1985, Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, n° 85-191 DC. (8) CC, 13 décembre 1985, Loi modifiant la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 et portant diverses dispositions relatives à la communication audiovisuelle, n° 85-198 DC. (9) Extrait de l'exposé des motifs : « Mécaniquement, une augmentation des prescriptions dans les produits pris en charge dans les tarifs d'hospitalisation devrait en outre se traduire par une diminution des prescriptions de produits de la liste en sus, pris en charge à tort, car hors AMM ». (10) Séance du 14 novembre 2014 au Sénat (compte rendu intégral des débats).


Historique des versions

Version 1

2. La méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

Conformément à une jurisprudence constante, votre conseil estime que :

« Considérant qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu'il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi (6) ».

Vous censurez ainsi des dispositions imprécises du fait de la pluralité d'interprétations à laquelle elles peuvent donner lieu (7).

Le Conseil constitutionnel sanctionne également le silence du législateur dans la mesure où, faute de précisions suffisantes, les dispositions pourraient entraîner une atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis (8).

L'adoption en l'état de l'article 63 poserait des difficultés d'interprétation, préjudiciables à l'état de droit, sur lesquelles les requérants souhaitent attirer l'attention du conseil.

En premier lieu, l'article contesté minore le forfait GHS lorsqu'au moins une spécialité mentionnée à l'article L. 162-22-7 est facturée en sus de cette prestation. Cependant, cette énonciation générale ne correspond pas, voire est en contradiction, avec l'exposé des motifs et l'intention du législateur, tel qu'elle ressort des débats parlementaires.

L'article ne distingue pas entre les spécialités pharmaceutiques inscrites sur la liste en sus prescrites dans le cadre de leur autorisation de mise sur le marché (« AMM ») ou en dehors du cadre de leur AMM.

L'exposé des motifs (9) et les travaux parlementaires précisent pourtant que l'article 63 vise à encourager les spécialités pharmaceutiques inscrites sur la liste en sus lorsqu'elles sont prescrites dans le cadre de leur AMM. A l'inverse, l'article aurait pour objectif de pénaliser l'utilisation des spécialités pharmaceutiques inscrites sur la liste en sus lorsqu'elles ne sont pas prescrites dans le cadre de leur AMM.

Or, alors que cette distinction est présentée comme l'objectif du texte, elle n'est pas reprise dans l'article 63.

En outre, l'article ne précise pas que la minoration du remboursement du forfait ne s'applique que dans l'hypothèse où il existerait des alternatives thérapeutiques toutes aussi efficaces et prises en charge dans les forfaits GHS.

L'étude d'impact indique que « Dans ce contexte, il est proposé une mesure dont l'objectif est de contribuer à rationaliser la prescription sur la liste en sus et d'en améliorer l'efficience via une incitation financière positive : d'une part, en privilégiant la prescription des alternatives thérapeutiques prises en charge dans les tarifs d'hospitalisation dès lors qu'elles ne sont pas moins efficaces, d'autre part en incitant à déclarer, comme les textes le prévoient, toute prescription d'un produit de la liste en sus en dehors des indications de son AMM de façon à éviter une facturation indue à l'assurance maladie ».

Il en ressort que le législateur a souhaité favoriser la prescription d'une spécialité pharmaceutique rentrant dans le forfait GHS, et donc moins coûteuse, lorsque cette dernière est aussi efficace que le produit inscrit sur la liste en sus mais plus coûteux.

Or, là encore, l'article contesté ne précise pas si la minoration forfaitaire sera appliquée selon qu'il existe ou non une alternative non moins efficace comprise dans les tarifs d'hospitalisation GELS. Au contraire, en application de l'article contesté, même si le produit sur la liste en sus est de loin le plus efficace, l'établissement de santé se verra quand même infliger une minoration du remboursement du forfait GHS s'il le prescrit.

En deuxième lieu, l'article contesté dispose que « la minoration forfaitaire s'applique aux prestations d'hospitalisation pour lesquelles la fréquence de prescription de spécialités pharmaceutiques de la liste précitée est au moins égale à 25 % de l'activité afférente à ces prestations et lorsque ces spécialités pharmaceutiques représentent au moins 15 % des dépenses totales afférentes aux spécialités inscrites sur cette même liste ».

D'une part, la disposition relative aux fréquences de prescription de spécialités pharmaceutiques au moins égaie à 25 % de l'activité afférente à ces prescriptions est insuffisamment précise.

Ni l'étude d'impact, ni l'exposé des motifs n'explicite ce qu'il faut entendre par ce chiffre de 25 %.

Ainsi, l'étude d'impact se borne à affirmer que « dans ces GHS, la part des séjours qui donnent lieu à au moins une prescription sur la liste en sus devra être de 25 % minimum ».

Pour autant, elle ne précise pas si les 25 % de part des séjours doivent être entendus par établissement ou par patient. Dans le cas où l'entrée dans le champ du texte se ferait par établissement, le texte ne dit rien des modalités de calcul : sur la base d'un décompte annuel ? Avec une imputation rétroactive sur les GHS ?

D'autre part, la disposition relative aux spécialités pharmaceutiques représentant au moins 15 % des dépenses totales afférentes aux spécialités inscrites sur la liste en sus est susceptible de plusieurs interprétations.

Ce chiffre de 15 % doit-il être comptabilisé au niveau national ou de chaque établissement ?

L'étude d'impact précise que le calcul du coût de la liste en sus des GHS concernés se fait au niveau national. La disposition contestée ne le mentionne pas expressément et les débats parlementaires contredisent, en tout état de cause, l'étude d'impact. En effet, il ressort des propos de la secrétaire d'Etat, Mme Neuville, que la minoration serait effectuée pour chaque établissement de santé et non au niveau national « Quand vous prescrivez un médicament de la liste GHS, vous avez une majoration, quand vous prescrivez un médicament de la liste en sus, vous avez une minoration » (10).

Ainsi, le Conseil constitutionnel ne pourra que constater que le calcul de cette minoration forfaitaire se heurte à des imprécisions ne permettant pas sa mise en œuvre sans risque d'insécurité juridique majeure.

En troisième lieu, il a été rappelé que le principe de la majoration du forfait GHS, à due concurrence des minorations résultant de la mesure déférée, n'est pas inscrit dans ledit article. De ce fait, le silence du législateur est source d'incertitudes sur l'objet et sur l'incidence de l'article déféré.

L'étude d'impact précise qu'il y aura une « réintégration dans les tarifs des groupes homogènes de séjour (GHS) concernés de l'équivalent du rendement global du forfait, à comportement de prescription inchangé », que l'établissement « enregistrera un gain de recettes correspondant à la différence entre le montant du forfait et le prix du produit “intra-GHS” ».

Rien ne permet cependant de savoir si le forfait GHS sera augmenté au niveau national pour l'ensemble des établissements de santé ou sera déterminé pour chaque établissement, ce qui évidemment change tout.

Votre conseil ne pourra que constater que l'insincérité et l'inintelligibilité de l'article 63 sont flagrantes et d'autant plus graves que cet article conditionne notamment l'accès à des soins innovants pour les patients.

(6) CC, 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, n° 2006-540 DC. (7) CC, 10 juillet 1985, Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, n° 85-191 DC. (8) CC, 13 décembre 1985, Loi modifiant la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 et portant diverses dispositions relatives à la communication audiovisuelle, n° 85-198 DC. (9) Extrait de l'exposé des motifs : « Mécaniquement, une augmentation des prescriptions dans les produits pris en charge dans les tarifs d'hospitalisation devrait en outre se traduire par une diminution des prescriptions de produits de la liste en sus, pris en charge à tort, car hors AMM ». (10) Séance du 14 novembre 2014 au Sénat (compte rendu intégral des débats).