JORF n°0147 du 26 juin 2025

Ce texte est une simplification générée par une IA.
Il n'a pas de valeur légale et peut contenir des erreurs.

Appliquer la présomption de minorité

Résumé Le texte explique que la France doit appliquer une présomption de minorité pour protéger les jeunes non accompagnés durant leur évaluation, faute duquel ils restent vulnérables.
Mots-clés : Droits de l'enfant Protection juridique Évaluation d'âge
  1. Appliquer la présomption de minorité

  2. Afin de pouvoir bénéficier d'une protection par le conseil départemental, toute personne qui se présente doit bénéficier d'un accueil provisoire d'urgence puis être évaluée pour déterminer si elle est mineure et isolée (59).

  3. Malgré un cadre juridique et des pratiques qui se sont étoffés au fil des années (60), la CNCDH estime, au regard des auditions et des missions de terrain qu'elle a pu effectuer, que l'évaluation de la minorité et de l'isolement n'est toujours pas satisfaisante ni conforme aux obligations internationales de la France. En effet, au niveau international, la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), dont certains articles sont d'effet direct en droit français, comporte plusieurs dispositions pour protéger les droits des mineurs non accompagnés. Le Comité des droits de l'enfant a notamment développé une jurisprudence selon laquelle ces enfants doivent bénéficier de la présomption de minorité lors de la procédure d'évaluation de l'âge y compris pendant la procédure judiciaire (61) ainsi que jouir du bénéfice du doute (62). Dans la décision SEMA c. France (63) le Comité a mis en lumière la nécessité de réformer la procédure française d'évaluation de minorité pour respecter les obligations issues de la CIDE (64). Dans la décision UA c. France (65), le Comité a reconnu explicitement le rôle de l'avocat dans la phase d'évaluation de minorité, et réitéré les exigences de présomption de minorité, d'effet suspensif et de durée raisonnable de la procédure d'évaluation. Au plan européen, le Conseil de l'Europe avait indiqué dans une recommandation de 2022 (66) que « les Etats devraient veiller à ce que les personnes soumises à une procédure d'évaluation de l'âge soient présumées mineures tant que cette procédure n'indique pas le contraire ». La Cour européenne des droits de l'homme, quant à elle, avance progressivement vers la consécration d'une telle présomption (67). Dans l'affaire Darboe et Camara c. Italie (68), la Cour a confirmé l'existence d'une présomption de minorité, laquelle, pour être effective, doit être entourée de garanties procédurales, tel le droit d'être représenté ou le droit à un recours suspensif. Le système italien a été critiqué pour ne pas offrir de telles garanties. Dans un arrêt récent, la Cour a rappelé que le principe de présomption de minorité implique que la procédure d'évaluation s'accompagne de garanties procédurales suffisantes, et qu'en l'espèce la réalisation d'un examen osseux ne permettait pas d'apporter ces garanties (69). La CNCDH rappelle que les décisions du Comité des droits de l'enfant et de la Cour européenne des droits de l'homme doivent être respectées par la France (70). Le Comité des droits de l'enfant effectue à cet égard un suivi de ses constatations. Il a par exemple maintenu le dossier SEMA c. France ouvert, après avoir constaté que la France n'avait pas respecté ses recommandations (71).

  4. En droit français, bien que la présomption de minorité ne soit pas expressément consacrée dans les textes, l'article 388 du code civil précise que le doute doit profiter à l'intéressé (72). Si la Cour de cassation a reconnu ce principe (73), sa lecture du doute demeure restrictive, en contradiction avec l'article 3 de la CIDE (74). Certaines mesures, comme la mise à l'abri immédiate ou l'appréciation fondée sur le faisceau d'indices, pourraient faire penser que cette présomption est appliquée. Cependant, en pratique, cette application reste très limitée en l'absence de caractère suspensif du recours contre les décisions de non-reconnaissance de minorité qui prive les jeunes de cette présomption.

  5. L'une des principales difficultés tient à l'absence de prise en charge effective des mineurs par la protection de l'enfance pendant toute la durée de l'évaluation et de la procédure judiciaire. Lorsqu'un refus de prise en charge est prononcé, la plupart d'entre eux se trouvent livrés à eux-mêmes, sans protection ni hébergement jusqu'à ce qu'une décision judiciaire définitive soit rendue. Dès qu'une évaluation conclut à la majorité, la présomption de minorité cesse de produire ses effets. Sans respect de la présomption de minorité, et donc sans traitement de la personne comme mineure tant que la procédure est en cours, qui peut s'étendre sur plusieurs mois en raison de l'engorgement des juridictions, de nombreux jeunes se retrouvent alors à la rue (75). Les ordonnances de placement provisoire prises sur le fondement de l'article 375 du code civil dans l'attente du jugement au fond restent rares, ce qui peut être lié à la crainte que leur généralisation ne sature le dispositif.

  6. La CNCDH s'étonne que, contrairement aux demandeurs d'asile, qui bénéficient, dans la plupart des cas, d'un hébergement et d'un accompagnement social jusqu'à la décision finale de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), les mineurs non accompagnés, pourtant particulièrement vulnérables, soient privés de cette protection. La mise en place d'une présomption de minorité pourrait résoudre certaines difficultés liées au statut incertain des jeunes pendant le temps du recours et leur garantir une prise en charge immédiate ; elle leur éviterait des parcours d'errance qui rendent ces jeunes particulièrement vulnérables à de potentiels réseaux de traite des êtres humains ou aggravent les atteintes portées à leur santé physique et mentale (voir partie 3 - garantir l'accès à la santé).

  7. Refuser de consacrer le droit à la présomption de minorité garanti par les conventions internationales relève d'un choix éminemment politique : celui de laisser un mineur sans protection, plutôt que de risquer de protéger certains jeunes majeurs. La reconnaissance effective du droit à la présomption de minorité doit s'accompagner de réelles garanties procédurales, notamment l'assistance systématique d'un avocat et d'un administrateur ad hoc dès l'entrée en procédure ou la présentation aux autorités.
    Recommandation n° 5 : La CNCDH recommande d'appliquer le principe de la présomption de minorité et de l'inscrire expressément dans la loi. Elle recommande de rendre le recours contre la décision de non-reconnaissance de minorité suspensif et de garantir une prise en charge inconditionnelle en protection de l'enfance (hébergement, santé, formation), jusqu'à la décision judiciaire statuant sur la minorité. Cette présomption entraînerait la désignation d'un administrateur ad hoc dès l'arrivée sur le territoire ainsi que l'assistance d'un avocat.

  8. Le droit à l'accueil provisoire d'urgence et à un temps de répit

  9. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant (76), renforcée par les dispositions de la loi du 7 février 2022 dite loi Taquet (77), a consacré la mise à l'abri dans le cadre d'un accueil provisoire d'urgence pendant lequel la situation du mineur non accompagné doit être évaluée (78). Pendant l'accueil provisoire d'urgence, la personne doit être prise en charge dans une structure adaptée à sa situation et bénéficier d'un premier accompagnement social et bénéficier d'un entretien pour évaluer ses besoins en matière de santé. Cette première évaluation des besoins en santé, prévue par l'arrêté du 27 juin 2019 (79), est posée comme l'un des critères de la participation forfaitaire de l'Etat aux dépenses engagées par les conseils départementaux au titre de l'accueil provisoire d'urgence. Dernièrement, la loi du 7 février 2022 précitée a modifié la procédure de mise à l'abri et d'évaluation des mineurs non accompagnés. En décembre 2023 un décret d'application a précisé les modalités de la mise à l'abri et de l'évaluation des personnes se déclarant mineurs non accompagnés (80). Il en résulte que les personnes se déclarant mineures non accompagnées doivent être accueillies d'urgence pour une durée de cinq jours à compter du premier jour de prise en charge. Cet accueil peut être prolongé deux fois, pour la même durée (81). Le président du conseil départemental est chargé d'identifier les besoins en santé de la personne concernée afin de l'orienter vers une prise en charge adaptée. Une évaluation de la minorité et de l'isolement est effectuée au cours de l'accueil provisoire, après un temps de répit déterminé par le président du conseil départemental, considérant la situation de la personne accueillie, et notamment son état psychique, physique, ainsi que le temps nécessaire pour qu'elle comprenne les modalités et enjeux de l'évaluation. Pendant ce temps de répit, le président du Conseil départemental identifie les besoins en santé de la personne se présentant comme mineure non accompagnée en vue, le cas échéant, de son orientation vers une prise en charge adaptée. Il est essentiel de rappeler que ce temps de répit ne constitue pas une simple faculté administrative, mais une garantie fondamentale : il permet à la personne concernée de se reposer, d'être informée, de se stabiliser psychologiquement et d'accéder à ses droits avant toute évaluation. Pourtant, dans un certain nombre de départements, cette étape n'est pas respectée, ce qui permet aux conseils départementaux d'éviter la mise à l'abri et de procéder à l'évaluation le jour même de la présentation du jeune - en contradiction manifeste avec la lettre et l'esprit du droit.

  10. S'agissant de l'accueil provisoire d'urgence, la CNCDH a pu constater, au cours de ses auditions et déplacements, qu'il était mis en place selon des modalités variables : dans certains départements, les jeunes restent 48h, dans d'autres, au-delà des 5 jours voire plusieurs semaines. Les jeunes sont souvent hébergés dans des foyers, notamment depuis la loi Taquet qui a interdit le placement à l'hôtel et a fait évoluer les pratiques de beaucoup de départements. Mais les exceptions restent nombreuses et inquiétantes : dans certains départements, des jeunes sont encore logés dans des hôtels (82), ce qui les rend particulièrement vulnérables notamment aux réseaux de traite des êtres humains. La Commission a aussi été alertée sur des pratiques de départements qui ne respectent pas l'accueil provisoire d'urgence (83) souvent au prétexte d'un manque de place, redirigeant les jeunes dans un autre département voire les laissant à la rue. De même, certains départements refusent de procéder à l'évaluation de la minorité dès qu'un jeune se trouve dans le fichier AEM ou visabio, ce qui est contraire à la loi. Faute de perspectives claires, certains jeunes abandonnent les démarches de reconnaissance de minorité, et tentent de survivre autrement, épuisés par l'attente et fragilisés par la méfiance dont ils sont l'objet.
    Recommandation n° 6 : La CNCDH recommande la saisine de l'autorité judiciaire dès l'accueil provisoire d'urgence et dans l'attente de la décision du juge, qu'une mesure de placement provisoire soit ordonnée.
    Recommandation n° 7 : Pour préparer effectivement l'évaluation, la CNCDH recommande de formaliser dans la loi la période de répit préalable à l'évaluation, afin de permettre au mineur non accompagné de se reposer, de bénéficier d'un premier examen de ses besoins en santé, dans un climat de confiance, et d'être informé clairement sur ses droits ainsi que sur les dispositifs de protection existants.

  11. Le processus de détermination de l'âge et de l'isolement, établi par le code de l'action sociale et des familles (84), repose sur plusieurs outils qui constituent un faisceau d'indices : la vérification des documents d'état civil (85), la réalisation d'une évaluation sociale, la consultation des fichiers biométriques (86), introduite à titre expérimental par la loi du 10 septembre 2018 (87) et généralisée depuis, et éventuellement les expertises médicales (88). En cas de doute, le bénéfice de la minorité doit être retenu. Au cours de ce parcours, le respect des droits des enfants peut être particulièrement mis à mal.

  12. La reconstitution de l'état civil à l'aune du droit à l'identité du mineur non accompagné

  13. Paradoxalement, alors que les mineurs étrangers présents sur le territoire français ne sont pas tenus de posséder un titre de séjour, la preuve de leur isolement et de leur minorité passe par un examen des documents d'état civil qui sont, selon le guide de l'évaluation (89), un élément du faisceau d'indices. Selon les articles 34 et suivants du code civil, un acte d'état civil permet de prouver l'identité d'une personne, que ce soit un acte de naissance, de mariage, de décès, de reconnaissance d'enfant : il s'agit d'« un écrit dans lequel l'autorité publique constate, d'une manière authentique, un événement dont dépend l'état d'une ou plusieurs personnes (90) ».

  14. L'importance de l'état civil est depuis longtemps affirmée par la jurisprudence qui énonce, de manière constante, que toute personne vivant habituellement en France a un intérêt d'ordre public à être pourvue d'un état civil (91). Ce droit à l'état civil est protégé sur le fondement de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme au titre du droit au respect de la vie privée (92) et relève également de la protection prévue aux articles 7 et 8 de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) qui reconnaissent à tout enfant mineur le droit d'être enregistré aussitôt après sa naissance, d'avoir un nom et d'acquérir une nationalité.

  15. Les articles 7 et 8 de la CIDE, en reconnaissant à l'enfant le droit à une identité, lui confèrent notamment le droit à un nom, un prénom, une date et un lieu de naissance, à une nationalité et à la connaissance de ses parents. Le droit à l'identité s'accompagne nécessairement de l'attribution d'un état civil, condition première de l'accès à d'autres droits (protection, éducation, santé…), qui va de pair avec la reconnaissance à l'enfant de sa qualité de sujet de droit. Or, le droit à l'identité des mineurs non accompagnés est compromis par l'absence de prise en compte des documents d'état civil ou de reconstitution de documents d'état civil lorsqu'ils sont absents ou perdus. Les démarches pour récupérer des documents d'identité auprès des consulats sont extrêmement complexes et coûteuses, surtout quand l'organisation de l'état civil à l'étranger est déficiente, voire totalement absente comme dans les zones de guerre. Il est donc essentiel que les enfants soient soutenus dans leurs démarches.

  16. La CIDE prévoit que les Etats parties doivent accorder au jeune une assistance et une protection appropriées pour que son identité soit établie aussi rapidement que possible. Le Comité des droits de l'enfant a défini le droit à l'identité à travers différentes communications individuelles et considéré que l'absence de vérification d'un acte d'état civil auprès des autorités du pays d'origine n'avait pas respecté l'identité de l'auteur (93). Le Comité a également rappelé que les documents d'identité disponibles devraient être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire et que les Etats parties ne sauraient agir dans un sens contraire à ce qu'établit un document d'identité original et officiel délivré par un pays souverain sans avoir officiellement contesté sa validité (94). Il incombe donc aux autorités étatiques de procéder à un contrôle des actes et, en cas de doute, d'en vérifier l'authenticité auprès des autorités du pays d'origine. La CEDH a dressé le même constat, tout en soulignant les difficultés rencontrées par les Etats pour évaluer l'authenticité des actes d'état civil (95).

  17. Parce que la reconnaissance de l'état civil est centrale pour déterminer la minorité, il existe, en droit français, une présomption d'authenticité des documents d'état civil, prévue par l'article 47 du code civil (96). Cette présomption ne peut être renversée qu'en rapportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité de l'acte en question (97). L'article 3 de l'arrêté du 20 novembre 2019 (98) précise que le président du conseil départemental peut solliciter le concours du représentant de l'Etat pour vérifier l'authenticité des documents présentés. L'article 8 du même arrêté prévoit que l'évaluateur doit tenir compte des actes présentés et peut demander des précisions en cas d'incohérence. Si les documents d'état civil sont contestés, les autorités doivent accompagner le jeune dans le travail d'obtention d'un acte valide ou de la reconstitution de l'état civil, l'accompagnement comprenant aussi les démarches auprès des consulats. En effet, un certain nombre de juridictions rejettent les recours car les mineurs ne parviennent pas à prouver qu'ils ont fait les démarches nécessaires, alors même qu'ils commencent bien souvent leurs démarches au moment où ils forment un recours.

  18. Pourtant en pratique, comme l'ont constaté la Cour des comptes et le Défenseur des droits, aucune procédure n'est systématiquement mise en œuvre pour accompagner les jeunes dans la reconstitution de leur identité, ce qui constitue une carence de l'Etat (99). De plus, l'analyse de l'état civil est très marquée par la lutte contre la fraude documentaire, en raison de la circulation de faux documents ou de documents authentiques en apparence, mais ne correspondant pas à leur détenteur. Pour la CNCDH, cela sème un doute sur cet élément pourtant majeur dans la reconstitution de l'identité du mineur non accompagné. Le début de preuve documentaire présenté par les personnes se déclarant mineurs non accompagnés ne sont souvent pas pris en compte de manière déterminante, alors qu'ils devraient constituer l'élément central, si ce n'est unique, de l'évaluation. Le Comité des droits de l'enfant précise à ce sujet que, si un document valide est présenté, il doit suffire pour faire bénéficier au mineur de la protection sans avoir recours à d'autres éléments d'évaluation (100). Or, le système d'évaluation en vigueur considère ces documents comme un simple élément parmi d'autres dans le faisceau d'indices, ce qui peut entraîner des rejets injustifiés. Si une véritable présomption de minorité trouvait à s'appliquer, les documents d'état civil seraient moins sujets à des présomptions de fraude.

  19. En matière de vérification des documents d'état civil, la CNCDH a pu constater, une fois encore, des pratiques variables en fonction des départements. Elle s'interroge par ailleurs sur la compétence des acteurs institutionnels dans l'analyse de l'authenticité des actes d'état civil. En effet, selon le guide de l'évaluation (101), les évaluateurs ne sont ni formés ni habilités à effectuer des expertises documentaires, seule la police aux frontières étant habilitée à le faire. Cependant, il est fréquent que les personnes en situation d'évaluation donnent un avis sur les documents sur la base d'éléments formels constatés (ajout d'une encre bleue sur une encre noire, rature, changement de date…) sans avoir la certitude qu'ils sont problématiques, et l'utilisent lors de leur entretien, ce qui est pourtant hors de leur champ de compétence. D'autres évaluateurs insèrent une photo d'identité dans les dossiers afin de la comparer avec les documents d'état civil. Enfin, certains départements rejettent la validité des actes d'état civil sans disposer des compétences nécessaires pour évaluer leur authenticité. Pour la CNCDH, cette prise en compte aléatoire des documents d'état civil s'avère très problématique d'autant plus que ni les départements ni les évaluateurs n'ont de compétence en matière d'état civil et ne peuvent contredire un document d'état civil étranger. En revanche, ils devraient accompagner le jeune vers son consulat et l'aider à reconstituer son état civil.

  20. En cas de doute, le rôle de vérification des documents est dévolu à la police aux frontières (PAF) sur demande du président du conseil départemental, du procureur de la République pendant la phase d'évaluation ou encore du juge des enfants en cas de recours. Cette saisine de la PAF aux fins de rendre un avis n'est qu'une faculté selon le code de l'action sociale et des familles. La question du périmètre de l'examen des pièces par la PAF a été soulevée auprès de la CNCDH : en effet, il a été rapporté à la Commission que la PAF s'appuyait parfois sur des bases de données obsolètes en raison d'un manque de connaissances sur le fonctionnement des administrations étrangères. Il arrive également qu'elle outrepasse son rôle en interprétant elle-même la législation étrangère pour valider ou invalider les documents, sans solliciter les autorités compétentes, ce qui peut conduire à des erreurs (102). Ainsi, certaines ambassades regrettent de ne pas être sollicitées pour savoir si un document a bien été émis par leurs autorités et interprètent la non-reconnaissance des documents émis à l'étranger comme une remise en cause de leur autorité. Un travail en lien avec les autorités des pays d'origine est essentiel, non seulement pour vérifier les documents mais aussi pour permettre aux enfants d'avoir des documents d'état civil. Selon le Comité des droits de l'enfant, dès lors que la validité d'un document ne peut être remise en cause que par l'Etat émetteur (103), l'Etat devrait faciliter les démarches auprès des autorités étrangères émettrices des documents. Dans ce contexte, la CNCDH estime que ce processus devrait faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, afin d'éviter des pratiques aléatoires et inégalitaires selon le département concerné. Alors qu'aujourd'hui, une vraie difficulté concerne l'absence de vérification et d'expertise documentaire, les juges ne disposent pas d'éléments objectifs pour savoir à quels documents il est fait référence. Il a été signalé à la Commission, ce qu'elle a également constaté dans des rapports d'évaluation qu'elle a pu consulter, des conclusions parfois contradictoires sur un même document. La CNCDH recommande donc que l'analyse complète effectuée par la PAF et comprenant les éléments de référence sur lesquels repose son analyse (fiche pays, document source…) soit transmise au jeune, afin qu'un contrôle puisse être effectué a posteriori en cas de recours.
    Recommandation n° 8 : La CNCDH recommande que l'avis de la PAF soit communiqué en totalité à la personne qui demande une reconnaissance de sa minorité.
    Recommandation n° 9 : La CNCDH recommande qu'un contrôle juridictionnel des analyses de la PAF soit effectué par le juge des enfants.

  21. Lorsqu'une personne se présente avec des documents d'état civil étrangers, ceux-ci sont soumis à légalisation (104) mais le Conseil d'Etat a décidé de neutraliser cette obligation pour les mineurs étrangers (105). De ce fait, la CNCDH s'inquiète du revirement jurisprudentiel de la Cour de cassation (106), qui considère désormais que les actes d'état civil non légalisés ne peuvent bénéficier de la force probante de l'article 47 du code civil (107). Elle suivra avec attention l'évolution des pratiques en la matière.
    Recommandation n° 10 : La CNCDH recommande de renforcer le rôle des autorités françaises dans l'accompagnement des jeunes aux fins d'obtenir les documents d'état civil dans leur pays d'origine, et de les accompagner auprès des consulats, sous le contrôle de l'autorité judiciaire.
    Recommandation n° 11 : La CNCDH recommande que le conseil départemental assiste dans leurs démarches les jeunes issus de pays pour lesquels une exigence de légalisation existe. Elle recommande que le juge enjoigne au conseil départemental de le faire en cas de carence.
    Recommandation n° 12 : La CNCDH recommande de prendre en compte tout commencement de preuve documentaire présenté par le mineur.

  22. Face à un jeune qui arrive sur le territoire sans documents d'identité ou avec des documents jugés non probants par la préfecture ou l'autorité judiciaire, il est possible de saisir cette dernière afin qu'elle prononce soit un jugement déclaratif de naissance qui tient lieu de déclaration de naissance, en cas de déclaration tardive ou d'absence d'état civil connu (108) soit un jugement supplétif. Selon l'article 46 du code civil, lorsque la reconstitution de l'état civil n'est pas possible, un jugement supplétif peut également être rendu (109) à la demande du procureur de la République ou de l'intéressé lui-même. Ce jugement supplétif de naissance permet de pallier l'inexistence ou la perte des registres contenant les actes de l'état civil qui empêche le requérant de démontrer sa minorité. Il s'applique également dans l'hypothèse où l'acte serait inaccessible. La Cour de cassation juge que l'article 46 permet à l'intéressé de prouver le contenu des actes de l'état civil en cas d'impossibilité matérielle de produire ces actes tant par titres que par témoins (110). Ainsi, les juges du fond apprécient souverainement la valeur probante des témoignages ou des présomptions produits pour suppléer à un acte (111). Le juge peut alors ordonner l'établissement de l'acte omis ou manquant.

  23. Toutefois, le seul fait que le mineur ne dispose pas d'un acte de naissance probant ne suffit pas pour se prévaloir de l'article 46, il faut qu'il rapporte la preuve de cette impossibilité, c'est-à-dire, l'événement qui empêche de produire l'acte. Pour cela, il doit démontrer les démarches concrètes qu'il a entreprises. L'accompagnement en amont de ces démarches est donc indispensable, les juges du fond prenant en compte la situation d'isolement telle qu'aucun témoin ne peut venir conforter les déclarations ou encore la situation géopolitique du pays d'origine, même si celle-ci ne peut suffire en principe. Comme l'a rappelé le Comité des droits de l'enfants, alors que la charge de la preuve de l'identité ne repose pas uniquement sur le mineur, d'autant que ce dernier et l'Etat partie ne jouissent pas du même accès aux éléments de preuve et que, souvent, l'Etat partie est le seul à disposer des informations pertinentes (112), l'absence d'aide pour reconstituer l'état civil peut s'avérer très problématique. Pour la CNCDH, cette charge de la preuve qui pèse sur le mineur crée une inégalité des armes dans la procédure, alors que les mineurs ne sont pas aidés pour reconstituer leur état civil, et que bien souvent, ils apportent un début de preuve documentaire qui n'est pas suffisamment pris en compte. La CNCDH regrette le recours encore faible au jugement supplétif, notamment au jugement prononcé par le juge français à la demande du Conseil départemental. Elle suivra avec attention les contentieux actuellement en cours.
    Recommandation n° 13 : La CNCDH recommande à l'autorité judiciaire de se saisir davantage du jugement supplétif, et notamment que le ministère public dépose une requête pour obtenir un jugement supplétif de naissance.
    Recommandation n° 14 : La CNCDH recommande de systématiser la désignation par l'autorité judiciaire de traducteurs, dont le coût ne soit pas à la charge des mineurs.
    Recommandation n° 15 : La CNCDH recommande de prévoir un soutien effectif de l'Etat pour faciliter l'obtention et la traduction de documents d'identité. En cas de « surlégalisation », la CNCDH recommande le recours à l'ordonnance de placement provisoire pour permettre au jeune d'être effectivement accompagné dans cette démarche.

  24. Le déroulement trop disparate de l'évaluation sociale

  25. Conformément à l'arrêté du 20 novembre 2019, les professionnels qui procèdent à l'évaluation sociale doivent respecter le cadre prévu par l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles. Il est précisé que les entretiens doivent être conduits avec « respect, tact et bienveillance ». De nombreux éléments sont pris en compte et vont constituer le faisceau d'indices. Certains départements procèdent eux-mêmes à l'évaluation quand d'autres font appel à des associations mandatées qui ont répondu à un appel d'offres.

  26. L'entretien d'évaluation sociale est une étape cruciale. Le guide de l'évaluation recommande de s'assurer de la contribution d'un interprète, de recourir à des documents traduits et d'organiser un premier entretien aux fins d'expliquer la finalité de l'évaluation, la procédure et les services de mise à l'abri. Un premier entretien est parfois réalisé dans le lieu de mise à l'abri, avec un recueil des premiers éléments d'identité pour exposer le déroulé et la finalité de l'entretien. Il est également précisé que les évaluateurs peuvent recueillir des informations relevant du quotidien de la personne, notamment auprès du service et des professionnels assurant la mise à l'abri, pendant l'accueil provisoire d'urgence de cinq jours.

  27. Si le cadre semble bien défini, il est ressorti des auditions et visites de la CNCDH que cette évaluation ne se déroulait pas toujours dans des conditions optimales pour la personne évaluée, avec, de nouveau, de grandes disparités territoriales (113), les départements qui évaluent le plus grand nombre de jeunes ayant souvent les taux de reconnaissance les plus faibles (voir partie 1). En contradiction avec les recommandations du Comité des droits de l'enfant (114), l'entretien social, souvent décrit comme sommaire et contenant des questions inadaptées, est réalisé dans des conditions stressantes pour le jeune, en l'absence d'une personne qualifiée pour l'accompagner (115). La CNCDH s'interroge sur le degré de prise en compte du parcours migratoire et de son récit, dès lors qu'au cours de l'entretien, beaucoup de questions sont posées sur ceux-ci (116). Pour la CNCDH, l'insistance sur ces points peut se révéler contreproductive car elle peut, d'une part renforcer le stress post-traumatique vécu par le jeune et d'autre part, transformer ce récit traumatisant en un outil de vérification de la sincérité du jeune entendu. La méthode d'entretien social, censée s'appuyer sur un échange spontané et authentique, peut favoriser les jeunes capables de bien s'exprimer, notamment en français, ou qui ont déjà été scolarisés, la scolarisation devenant un critère discriminant dans l'évaluation. Si tous les évaluateurs rencontrés par la commission ont précisé que l'incohérence d'un récit n'est pas utilisée comme une présomption de majorité ce n'est pas ce qu'a pu constater la CNCDH à partir des rapports auxquels elle a eu accès. L'exigence de cohérence dans les détails spatio-temporels précis (dates, nom des lieux, étapes du parcours migratoire…) n'est pas adaptée aux capacités des jeunes interrogés en raison notamment des mauvaises conditions de mise à l'abri, et des troubles récurrents et non traités de santé mentale. Le dispositif actuel d'évaluation repose sur des outils peu fiables, obligeant les agents à improviser avec leurs propres repères, ce qui peut entraîner une forme de sélection sociale.

  28. Cette lacune est accentuée par le fait que l'évaluation n'est pas toujours pluridisciplinaire et que le jeune est souvent reçu par une seule personne, sans regards croisés. Si certains départements font utilement revoir les conclusions par des collègues ou par une équipe pluriprofessionnelle ou encore font valider leurs rapports par un responsable d'équipe, il est fréquent que la conclusion de l'entretien mené par l'évaluateur soit validée sans être rediscutée. Cela peut s'expliquer par un manque de temps (117) et par un flux de dossiers trop important. C'est d'autant plus regrettable que, dans la majorité des cas, la personne évaluée ne relit pas le rapport d'évaluation et ne le signe pas, alors qu'il s'agit d'un document déterminant pour son avenir. Il a même été rapporté à la Commission que certains rapports d'évaluation continuent d'inclure des critères obsolètes et discriminants, comme les caractéristiques sexuelles secondaires (barbe, pilosité) et d'autres observations fondées sur l'apparence physique.

  29. Le résultat de l'entretien semble donc reposer sur des critères peu fiables ce qui soulève aussi la question de la formation des évaluateurs dont les parcours sont très variés : certains sont issus du domaine psychosocial, de la santé, de l'action socio-éducative, alors que d'autres sont des juristes en droit international, humanitaire ou droits de l'homme. Conformément à l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, ils disposent d'une formation de 21 heures, ce qui ne semble pas suffisant pour appréhender tous les enjeux liés à leur mission. Ce déficit de formation peut conduire à des rapports stéréotypés où le doute ne profite visiblement pas à la personne évaluée et où chaque réponse imprécise peut être utilisée en sa défaveur (118). Dans certains départements, la rotation des évaluateurs est importante, ce qui peut être lié au flux des dossiers et à la charge de travail. Dans d'autres, certains évaluateurs sont en fonction depuis longtemps, et une certaine routine, voire un sentiment d'impuissance face à des situations très douloureuses, peut alors s'installer, nuisant aussi à la bonne conduite attendue de l'évaluation. L'ensemble de ces constats questionne l'indépendance de l'évaluation : en effet, le conseil départemental est à la fois juge et partie, dans la mesure où les agents évaluateurs travaillent sous l'autorité du président du conseil départemental pour lequel l'accueil des mineurs non accompagnés constitue une charge budgétaire très importante.

  30. De plus, alors que les décisions de prise en charge sont motivées, les refus ne le sont pas, ce qui accentue les risques d'arbitraire. A cet égard, ces entretiens d'évaluation ne sont pas forcément réexaminés en cas de recours devant le juge des enfants, ce qui amplifie leur impact initial. Pour la CNCDH, l'entretien d'évaluation ne devrait pas être conçu comme un « examen » visant à trancher sur la minorité, mais comme une méthode permettant une compréhension globale de la situation du jeune.
    Recommandation n° 16 : La CNCDH recommande d'uniformiser les pratiques d'évaluation sur le territoire afin de garantir une égalité de traitement et de procéder à une évaluation respectueuse de l'intérêt supérieur de l'enfant.
    Recommandation n° 17 : La CNCDH recommande de renforcer l'attractivité du métier d'évaluateur et d'en augmenter les effectifs ainsi que d'améliorer la formation, qui doit être davantage axée autour des droits de l'enfant, avec un renforcement du repérage des facteurs potentiels de danger et d'éventuelles fragilités psychiques liées au parcours migratoire.
    Recommandation n° 18 : La CNCDH recommande la mise en place d'un enregistrement sonore des évaluations, à l'instar de la procédure de demande d'asile devant l'OFPRA.
    Recommandation n° 19 : La CNCDH recommande que la personne puisse être accompagnée, lors de l'entretien d'évaluation, par une personne compétente, telle qu'un avocat ou un administrateur ad hoc, afin de garantir ses droits et la qualité de la procédure, le bénéfice de l'aide juridictionnelle étant, le cas échéant, prévu.
    Recommandation n° 20 : La CNCDH recommande de renforcer la pluridisciplinarité de l'évaluation qui pourrait être conduite avec au moins deux évaluateurs ayant des compétences ou une formation différente.

  31. Le recours toujours fréquent aux tests osseux

  32. L'article 388 du code civil prévoit la possibilité de recourir à des tests osseux aux fins de détermination de l'âge, et ce à deux conditions : si en l'absence de documents d'identité valables, la personne se déclarant mineure ne se réfère pas à un âge vraisemblable et sur décision judiciaire. En cas d'absence de « documents d'identité valables », ces tests ne peuvent néanmoins pas permettre à eux seuls de déterminer si l'intéressé est mineur (119). Le consentement à l'examen doit avoir été recueilli et le refus de se soumettre à un tel examen ne saurait être interprété comme un aveu de majorité (120).

  33. La CNCDH tient à rappeler sa ferme opposition au recours aux tests osseux ainsi qu'à tout examen physique pour conclure à la minorité ou à la majorité (121), dès lors que leur utilisation renforce la méfiance envers les jeunes, à partir d'une approche centrée sur la lutte contre la fraude. Cette pratique est d'ailleurs condamnée au niveau international : ainsi, le Comité des droits de l'enfant a ainsi de nouveau réitéré sa recommandation de « mettre fin à l'utilisation des tests osseux comme méthode de détermination de l'âge des enfants au profit d'autres méthodes qui s'avèrent plus précises, notamment la reconnaissance et la reconstitution des documents d'état civil » (122). De plus, dans sa décision du 15 juin 2018 (123), le Comité européen des droits sociaux a notamment indiqué : « [l]'évaluation médicale de l'âge telle qu'appliquée peut avoir de graves conséquences pour les mineurs et l'utilisation des tests osseux destinés à déterminer l'âge des mineurs étrangers non accompagnés est inadaptée et inefficace. Par conséquent, le recours à ce type d'examen viole l'article 17 § 1 de la Charte [sociale européenne]. ». Pour sa part, la Cour européenne des droits de l'homme a récemment jugé que le recours aux tests osseux pour évaluer la minorité d'une personne étrangère pouvait violer certains droits protégés par la Convention, notamment si ces tests, compte tenu de leur caractère invasif, ne sont pas utilisés seulement en tout dernier ressort (124).

  34. Pourtant, bien que controversé en raison de son caractère intrusif et peu fiable, le recours à ces tests a été validé par le Conseil constitutionnel. Tout en reconnaissant pour la première fois le caractère « d'exigence constitutionnelle » de l'intérêt supérieur de l'enfant, le Conseil constitutionnel a, dans une décision du 21 mars 2019, rappelé les garanties applicables à un examen radiologique osseux pour déterminer l'âge (125). Le recours à ces tests, ordonnés par le juge des enfants, place le juge en première ligne dans la détermination de l'âge des mineurs non accompagnés en cas de recours, alors qu'en protection de l'enfance, c'est le principe de la subsidiarité de l'intervention judiciaire qui doit primer. La CNCDH s'inquiète d'une tendance de la jurisprudence relative aux conditions de détermination de l'âge du mineur non accompagné qui n'est pas toujours protectrice des droits des enfants (126). Ainsi, la Cour de cassation a récemment écarté le bénéfice du doute, lorsque les résultats des examens radiologiques osseux, même s'ils n'excluent pas la minorité, confirment un faisceau d'indices favorables à la majorité (127).

  35. Il est pourtant ressorti des auditions menées par la Commission que ces tests ne permettaient toujours pas d'établir loyalement la minorité. Si cet examen est un élément du faisceau d'indices, ses résultats influent sur les décisions des magistrats, souvent en l'absence d'autres éléments probants, bien que leur fiabilité soit toujours questionnée scientifiquement. Même si la radiographie du poignet, contestée d'un point de vue scientifique, a été remplacé par une radiographie de la clavicule, perçue comme plus fiable, cette dernière méthode révèle les mêmes écueils que les tests antérieurs et la marge d'erreur en est toujours importante. D'une part, certains médecins ne sont pas formés à lire ces radios de la clavicule et d'autre part, les composantes de la marge d'erreur n'étant pas assez explicitées et présentes dans les résultats des expertises, les magistrats se voient dans l'incapacité de procéder à des interprétations appropriées. A cet égard, la cour d'appel de Paris a rappelé que le doute sur l'âge doit profiter au jeune étranger en cas d'examen osseux qui ne précise pas la marge d'erreur (128).

  36. S'agissant des pratiques, là encore, la Commission a pu constater des disparités territoriales génératrices d'inégalités de traitement. Dans certains départements, les personnes évaluées doivent se rendre dans d'autres villes pour passer ces tests, faute de praticiens disponibles localement, ce qui les oblige à faire de nombreux kilomètres. Dans d'autres départements au contraire, les tests osseux sont moins fréquents pour les jeunes de plus de 16 ans, afin d'éviter les marges d'erreur, ce qui n'empêche pas pour autant la prise en compte des autres éléments de preuve.
    Recommandation n° 21 : La CNCDH réitère sa recommandation d'interdire purement et simplement les tests osseux et tout test physique aux fins de détermination de l'âge. Elle recommande de modifier le code civil en conséquence.

  37. Le fichage croissant des mineurs non accompagnés

  38. Depuis 2019, les jeunes se déclarant mineurs doivent passer par la préfecture pour la vérification du fichier d'appui à l'évaluation de la minorité, dit AEM (129), conformément aux dispositions de l'art. L. 611-6-1 du Ceseda. La finalité affichée de ce fichier était de mieux garantir la protection de l'enfance et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France. Les empreintes digitales ainsi qu'une photographie des personnes se déclarant mineurs non accompagnés ne sont conservées que pour une durée « strictement nécessaire à leur prise en charge et à leur orientation, en tenant compte de leur situation personnelle ». Validé par le Conseil constitutionnel (130) et le Conseil d'Etat (131), ce fichier a été généralisé par la loi du 7 février 2022, alors que le décret du 23 juin 2020 (132) avait déjà instauré une pénalité financière pour les départements réfractaires à son utilisation. Aujourd'hui, son recours est quasiment généralisé sur le territoire. La CNCDH, à l'instar de nombreux acteurs de la protection des droits des enfants (133), a déploré et continue de déplorer l'utilisation de ce fichier qui relève davantage du contrôle migratoire que du droit commun de la protection de l'enfance dont doivent bénéficier les mineurs non accompagnés (134). Elle regrette que la réforme du droit des étrangers qui renforce le rôle des préfectures et accroît les risques d'arbitraire (135), s'applique aux mineurs non accompagnés.

  39. Les informations recueillies sont croisées avec les bases de données relatives aux personnes étrangères VISABIO (136) et AGDREF2, utilisées pour la gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (137), la détermination et la vérification de l'identité d'un étranger qui se déclare mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ayant été ajoutées comme finalité à ce dernier fichier (138). Cela permet à des professionnels comme les agents chargés de la mise en œuvre de la protection de l'enfance (139) et de la préfecture (140), de les consulter pour les besoins de l'évaluation de minorité (141). Certaines parties du fichier AGDREF2 sont interconnectées avec le FPR (fichier des personnes recherchées). La CNCDH s'inquiète de ces consultations croissantes et croisées de fichiers qui risquent de porter atteinte au droit au respect de la vie privée de l'enfant. De plus, avec l'entrée en vigueur du nouveau pacte sur la migration et l'asile, définitivement adopté le 14 mai 2024 par le Conseil de l'Union européenne, la CNCDH s'inquiète de la possibilité offerte aux Etats membres, par le « règlement filtrage », (142) de recourir à la force pour contraindre le mineur à fournir ses données biométriques au moment de l'enregistrement dans le fichier Eurodac (143).

  40. En pratique, il semblerait que l'utilisation du fichier AEM n'ait pas eu pour effet de mieux gérer l'arrivée et la prise en charge des mineurs non accompagnés en France. Ainsi, les associations et le Défenseur des droits ont pu constater une augmentation des saisines postérieures à l'entrée en vigueur de la loi Taquet (144): il a été dit à la CNCDH que les cas de réévaluation avec un nouveau passage à l'AEM malgré une décision de justice et d'orientation nationale ont même augmenté. Comme la CNCDH a pu l'observer, son utilisation est très disparate : dans certains départements, l'inscription d'un jeune dans le fichier n'est pas un obstacle à la mise en place de la procédure d'évaluation (145). Dans d'autres, le droit à la mise à l'abri est conditionné au passage en préfecture que certains jeunes refusent par peur ou incompréhension. Par ailleurs, certains départements procèdent toujours à une réévaluation, pourtant interdite par la loi du 7 février 2022, et mettent fin à une prise en charge en s'appuyant sur le fichier AEM après l'orientation nationale.
    Recommandation n° 22 : La CNCDH recommande l'abrogation du fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM) qui tend à considérer les mineurs non accompagnés davantage comme des étrangers que comme des enfants. Plus généralement, la CNCDH recommande la prohibition de tout recours au fichage des mineurs, contraire à leurs droits fondamentaux.
    Recommandation n° 23 : La CNCDH recommande l'effacement des données issues du fichier AGDREF2 (Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France) accessibles via le fichier AEM, afin de garantir la protection des données personnelles des mineurs non accompagnés et de prévenir tout usage détourné à des fins de contrôle migratoire.


Historique des versions

Version 1

1. Appliquer la présomption de minorité

35. Afin de pouvoir bénéficier d'une protection par le conseil départemental, toute personne qui se présente doit bénéficier d'un accueil provisoire d'urgence puis être évaluée pour déterminer si elle est mineure et isolée (59).

36. Malgré un cadre juridique et des pratiques qui se sont étoffés au fil des années (60), la CNCDH estime, au regard des auditions et des missions de terrain qu'elle a pu effectuer, que l'évaluation de la minorité et de l'isolement n'est toujours pas satisfaisante ni conforme aux obligations internationales de la France. En effet, au niveau international, la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), dont certains articles sont d'effet direct en droit français, comporte plusieurs dispositions pour protéger les droits des mineurs non accompagnés. Le Comité des droits de l'enfant a notamment développé une jurisprudence selon laquelle ces enfants doivent bénéficier de la présomption de minorité lors de la procédure d'évaluation de l'âge y compris pendant la procédure judiciaire (61) ainsi que jouir du bénéfice du doute (62). Dans la décision SEMA c. France (63) le Comité a mis en lumière la nécessité de réformer la procédure française d'évaluation de minorité pour respecter les obligations issues de la CIDE (64). Dans la décision UA c. France (65), le Comité a reconnu explicitement le rôle de l'avocat dans la phase d'évaluation de minorité, et réitéré les exigences de présomption de minorité, d'effet suspensif et de durée raisonnable de la procédure d'évaluation. Au plan européen, le Conseil de l'Europe avait indiqué dans une recommandation de 2022 (66) que « les Etats devraient veiller à ce que les personnes soumises à une procédure d'évaluation de l'âge soient présumées mineures tant que cette procédure n'indique pas le contraire ». La Cour européenne des droits de l'homme, quant à elle, avance progressivement vers la consécration d'une telle présomption (67). Dans l'affaire Darboe et Camara c. Italie (68), la Cour a confirmé l'existence d'une présomption de minorité, laquelle, pour être effective, doit être entourée de garanties procédurales, tel le droit d'être représenté ou le droit à un recours suspensif. Le système italien a été critiqué pour ne pas offrir de telles garanties. Dans un arrêt récent, la Cour a rappelé que le principe de présomption de minorité implique que la procédure d'évaluation s'accompagne de garanties procédurales suffisantes, et qu'en l'espèce la réalisation d'un examen osseux ne permettait pas d'apporter ces garanties (69). La CNCDH rappelle que les décisions du Comité des droits de l'enfant et de la Cour européenne des droits de l'homme doivent être respectées par la France (70). Le Comité des droits de l'enfant effectue à cet égard un suivi de ses constatations. Il a par exemple maintenu le dossier SEMA c. France ouvert, après avoir constaté que la France n'avait pas respecté ses recommandations (71).

37. En droit français, bien que la présomption de minorité ne soit pas expressément consacrée dans les textes, l'article 388 du code civil précise que le doute doit profiter à l'intéressé (72). Si la Cour de cassation a reconnu ce principe (73), sa lecture du doute demeure restrictive, en contradiction avec l'article 3 de la CIDE (74). Certaines mesures, comme la mise à l'abri immédiate ou l'appréciation fondée sur le faisceau d'indices, pourraient faire penser que cette présomption est appliquée. Cependant, en pratique, cette application reste très limitée en l'absence de caractère suspensif du recours contre les décisions de non-reconnaissance de minorité qui prive les jeunes de cette présomption.

38. L'une des principales difficultés tient à l'absence de prise en charge effective des mineurs par la protection de l'enfance pendant toute la durée de l'évaluation et de la procédure judiciaire. Lorsqu'un refus de prise en charge est prononcé, la plupart d'entre eux se trouvent livrés à eux-mêmes, sans protection ni hébergement jusqu'à ce qu'une décision judiciaire définitive soit rendue. Dès qu'une évaluation conclut à la majorité, la présomption de minorité cesse de produire ses effets. Sans respect de la présomption de minorité, et donc sans traitement de la personne comme mineure tant que la procédure est en cours, qui peut s'étendre sur plusieurs mois en raison de l'engorgement des juridictions, de nombreux jeunes se retrouvent alors à la rue (75). Les ordonnances de placement provisoire prises sur le fondement de l'article 375 du code civil dans l'attente du jugement au fond restent rares, ce qui peut être lié à la crainte que leur généralisation ne sature le dispositif.

39. La CNCDH s'étonne que, contrairement aux demandeurs d'asile, qui bénéficient, dans la plupart des cas, d'un hébergement et d'un accompagnement social jusqu'à la décision finale de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), les mineurs non accompagnés, pourtant particulièrement vulnérables, soient privés de cette protection. La mise en place d'une présomption de minorité pourrait résoudre certaines difficultés liées au statut incertain des jeunes pendant le temps du recours et leur garantir une prise en charge immédiate ; elle leur éviterait des parcours d'errance qui rendent ces jeunes particulièrement vulnérables à de potentiels réseaux de traite des êtres humains ou aggravent les atteintes portées à leur santé physique et mentale (voir partie 3 - garantir l'accès à la santé).

40. Refuser de consacrer le droit à la présomption de minorité garanti par les conventions internationales relève d'un choix éminemment politique : celui de laisser un mineur sans protection, plutôt que de risquer de protéger certains jeunes majeurs. La reconnaissance effective du droit à la présomption de minorité doit s'accompagner de réelles garanties procédurales, notamment l'assistance systématique d'un avocat et d'un administrateur ad hoc dès l'entrée en procédure ou la présentation aux autorités.

Recommandation n° 5 : La CNCDH recommande d'appliquer le principe de la présomption de minorité et de l'inscrire expressément dans la loi. Elle recommande de rendre le recours contre la décision de non-reconnaissance de minorité suspensif et de garantir une prise en charge inconditionnelle en protection de l'enfance (hébergement, santé, formation), jusqu'à la décision judiciaire statuant sur la minorité. Cette présomption entraînerait la désignation d'un administrateur ad hoc dès l'arrivée sur le territoire ainsi que l'assistance d'un avocat.

2. Le droit à l'accueil provisoire d'urgence et à un temps de répit

41. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant (76), renforcée par les dispositions de la loi du 7 février 2022 dite loi Taquet (77), a consacré la mise à l'abri dans le cadre d'un accueil provisoire d'urgence pendant lequel la situation du mineur non accompagné doit être évaluée (78). Pendant l'accueil provisoire d'urgence, la personne doit être prise en charge dans une structure adaptée à sa situation et bénéficier d'un premier accompagnement social et bénéficier d'un entretien pour évaluer ses besoins en matière de santé. Cette première évaluation des besoins en santé, prévue par l'arrêté du 27 juin 2019 (79), est posée comme l'un des critères de la participation forfaitaire de l'Etat aux dépenses engagées par les conseils départementaux au titre de l'accueil provisoire d'urgence. Dernièrement, la loi du 7 février 2022 précitée a modifié la procédure de mise à l'abri et d'évaluation des mineurs non accompagnés. En décembre 2023 un décret d'application a précisé les modalités de la mise à l'abri et de l'évaluation des personnes se déclarant mineurs non accompagnés (80). Il en résulte que les personnes se déclarant mineures non accompagnées doivent être accueillies d'urgence pour une durée de cinq jours à compter du premier jour de prise en charge. Cet accueil peut être prolongé deux fois, pour la même durée (81). Le président du conseil départemental est chargé d'identifier les besoins en santé de la personne concernée afin de l'orienter vers une prise en charge adaptée. Une évaluation de la minorité et de l'isolement est effectuée au cours de l'accueil provisoire, après un temps de répit déterminé par le président du conseil départemental, considérant la situation de la personne accueillie, et notamment son état psychique, physique, ainsi que le temps nécessaire pour qu'elle comprenne les modalités et enjeux de l'évaluation. Pendant ce temps de répit, le président du Conseil départemental identifie les besoins en santé de la personne se présentant comme mineure non accompagnée en vue, le cas échéant, de son orientation vers une prise en charge adaptée. Il est essentiel de rappeler que ce temps de répit ne constitue pas une simple faculté administrative, mais une garantie fondamentale : il permet à la personne concernée de se reposer, d'être informée, de se stabiliser psychologiquement et d'accéder à ses droits avant toute évaluation. Pourtant, dans un certain nombre de départements, cette étape n'est pas respectée, ce qui permet aux conseils départementaux d'éviter la mise à l'abri et de procéder à l'évaluation le jour même de la présentation du jeune - en contradiction manifeste avec la lettre et l'esprit du droit.

42. S'agissant de l'accueil provisoire d'urgence, la CNCDH a pu constater, au cours de ses auditions et déplacements, qu'il était mis en place selon des modalités variables : dans certains départements, les jeunes restent 48h, dans d'autres, au-delà des 5 jours voire plusieurs semaines. Les jeunes sont souvent hébergés dans des foyers, notamment depuis la loi Taquet qui a interdit le placement à l'hôtel et a fait évoluer les pratiques de beaucoup de départements. Mais les exceptions restent nombreuses et inquiétantes : dans certains départements, des jeunes sont encore logés dans des hôtels (82), ce qui les rend particulièrement vulnérables notamment aux réseaux de traite des êtres humains. La Commission a aussi été alertée sur des pratiques de départements qui ne respectent pas l'accueil provisoire d'urgence (83) souvent au prétexte d'un manque de place, redirigeant les jeunes dans un autre département voire les laissant à la rue. De même, certains départements refusent de procéder à l'évaluation de la minorité dès qu'un jeune se trouve dans le fichier AEM ou visabio, ce qui est contraire à la loi. Faute de perspectives claires, certains jeunes abandonnent les démarches de reconnaissance de minorité, et tentent de survivre autrement, épuisés par l'attente et fragilisés par la méfiance dont ils sont l'objet.

Recommandation n° 6 : La CNCDH recommande la saisine de l'autorité judiciaire dès l'accueil provisoire d'urgence et dans l'attente de la décision du juge, qu'une mesure de placement provisoire soit ordonnée.

Recommandation n° 7 : Pour préparer effectivement l'évaluation, la CNCDH recommande de formaliser dans la loi la période de répit préalable à l'évaluation, afin de permettre au mineur non accompagné de se reposer, de bénéficier d'un premier examen de ses besoins en santé, dans un climat de confiance, et d'être informé clairement sur ses droits ainsi que sur les dispositifs de protection existants.

43. Le processus de détermination de l'âge et de l'isolement, établi par le code de l'action sociale et des familles (84), repose sur plusieurs outils qui constituent un faisceau d'indices : la vérification des documents d'état civil (85), la réalisation d'une évaluation sociale, la consultation des fichiers biométriques (86), introduite à titre expérimental par la loi du 10 septembre 2018 (87) et généralisée depuis, et éventuellement les expertises médicales (88). En cas de doute, le bénéfice de la minorité doit être retenu. Au cours de ce parcours, le respect des droits des enfants peut être particulièrement mis à mal.

3. La reconstitution de l'état civil à l'aune du droit à l'identité du mineur non accompagné

44. Paradoxalement, alors que les mineurs étrangers présents sur le territoire français ne sont pas tenus de posséder un titre de séjour, la preuve de leur isolement et de leur minorité passe par un examen des documents d'état civil qui sont, selon le guide de l'évaluation (89), un élément du faisceau d'indices. Selon les articles 34 et suivants du code civil, un acte d'état civil permet de prouver l'identité d'une personne, que ce soit un acte de naissance, de mariage, de décès, de reconnaissance d'enfant : il s'agit d'« un écrit dans lequel l'autorité publique constate, d'une manière authentique, un événement dont dépend l'état d'une ou plusieurs personnes (90) ».

45. L'importance de l'état civil est depuis longtemps affirmée par la jurisprudence qui énonce, de manière constante, que toute personne vivant habituellement en France a un intérêt d'ordre public à être pourvue d'un état civil (91). Ce droit à l'état civil est protégé sur le fondement de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme au titre du droit au respect de la vie privée (92) et relève également de la protection prévue aux articles 7 et 8 de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) qui reconnaissent à tout enfant mineur le droit d'être enregistré aussitôt après sa naissance, d'avoir un nom et d'acquérir une nationalité.

46. Les articles 7 et 8 de la CIDE, en reconnaissant à l'enfant le droit à une identité, lui confèrent notamment le droit à un nom, un prénom, une date et un lieu de naissance, à une nationalité et à la connaissance de ses parents. Le droit à l'identité s'accompagne nécessairement de l'attribution d'un état civil, condition première de l'accès à d'autres droits (protection, éducation, santé…), qui va de pair avec la reconnaissance à l'enfant de sa qualité de sujet de droit. Or, le droit à l'identité des mineurs non accompagnés est compromis par l'absence de prise en compte des documents d'état civil ou de reconstitution de documents d'état civil lorsqu'ils sont absents ou perdus. Les démarches pour récupérer des documents d'identité auprès des consulats sont extrêmement complexes et coûteuses, surtout quand l'organisation de l'état civil à l'étranger est déficiente, voire totalement absente comme dans les zones de guerre. Il est donc essentiel que les enfants soient soutenus dans leurs démarches.

47. La CIDE prévoit que les Etats parties doivent accorder au jeune une assistance et une protection appropriées pour que son identité soit établie aussi rapidement que possible. Le Comité des droits de l'enfant a défini le droit à l'identité à travers différentes communications individuelles et considéré que l'absence de vérification d'un acte d'état civil auprès des autorités du pays d'origine n'avait pas respecté l'identité de l'auteur (93). Le Comité a également rappelé que les documents d'identité disponibles devraient être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire et que les Etats parties ne sauraient agir dans un sens contraire à ce qu'établit un document d'identité original et officiel délivré par un pays souverain sans avoir officiellement contesté sa validité (94). Il incombe donc aux autorités étatiques de procéder à un contrôle des actes et, en cas de doute, d'en vérifier l'authenticité auprès des autorités du pays d'origine. La CEDH a dressé le même constat, tout en soulignant les difficultés rencontrées par les Etats pour évaluer l'authenticité des actes d'état civil (95).

48. Parce que la reconnaissance de l'état civil est centrale pour déterminer la minorité, il existe, en droit français, une présomption d'authenticité des documents d'état civil, prévue par l'article 47 du code civil (96). Cette présomption ne peut être renversée qu'en rapportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité de l'acte en question (97). L'article 3 de l'arrêté du 20 novembre 2019 (98) précise que le président du conseil départemental peut solliciter le concours du représentant de l'Etat pour vérifier l'authenticité des documents présentés. L'article 8 du même arrêté prévoit que l'évaluateur doit tenir compte des actes présentés et peut demander des précisions en cas d'incohérence. Si les documents d'état civil sont contestés, les autorités doivent accompagner le jeune dans le travail d'obtention d'un acte valide ou de la reconstitution de l'état civil, l'accompagnement comprenant aussi les démarches auprès des consulats. En effet, un certain nombre de juridictions rejettent les recours car les mineurs ne parviennent pas à prouver qu'ils ont fait les démarches nécessaires, alors même qu'ils commencent bien souvent leurs démarches au moment où ils forment un recours.

49. Pourtant en pratique, comme l'ont constaté la Cour des comptes et le Défenseur des droits, aucune procédure n'est systématiquement mise en œuvre pour accompagner les jeunes dans la reconstitution de leur identité, ce qui constitue une carence de l'Etat (99). De plus, l'analyse de l'état civil est très marquée par la lutte contre la fraude documentaire, en raison de la circulation de faux documents ou de documents authentiques en apparence, mais ne correspondant pas à leur détenteur. Pour la CNCDH, cela sème un doute sur cet élément pourtant majeur dans la reconstitution de l'identité du mineur non accompagné. Le début de preuve documentaire présenté par les personnes se déclarant mineurs non accompagnés ne sont souvent pas pris en compte de manière déterminante, alors qu'ils devraient constituer l'élément central, si ce n'est unique, de l'évaluation. Le Comité des droits de l'enfant précise à ce sujet que, si un document valide est présenté, il doit suffire pour faire bénéficier au mineur de la protection sans avoir recours à d'autres éléments d'évaluation (100). Or, le système d'évaluation en vigueur considère ces documents comme un simple élément parmi d'autres dans le faisceau d'indices, ce qui peut entraîner des rejets injustifiés. Si une véritable présomption de minorité trouvait à s'appliquer, les documents d'état civil seraient moins sujets à des présomptions de fraude.

50. En matière de vérification des documents d'état civil, la CNCDH a pu constater, une fois encore, des pratiques variables en fonction des départements. Elle s'interroge par ailleurs sur la compétence des acteurs institutionnels dans l'analyse de l'authenticité des actes d'état civil. En effet, selon le guide de l'évaluation (101), les évaluateurs ne sont ni formés ni habilités à effectuer des expertises documentaires, seule la police aux frontières étant habilitée à le faire. Cependant, il est fréquent que les personnes en situation d'évaluation donnent un avis sur les documents sur la base d'éléments formels constatés (ajout d'une encre bleue sur une encre noire, rature, changement de date…) sans avoir la certitude qu'ils sont problématiques, et l'utilisent lors de leur entretien, ce qui est pourtant hors de leur champ de compétence. D'autres évaluateurs insèrent une photo d'identité dans les dossiers afin de la comparer avec les documents d'état civil. Enfin, certains départements rejettent la validité des actes d'état civil sans disposer des compétences nécessaires pour évaluer leur authenticité. Pour la CNCDH, cette prise en compte aléatoire des documents d'état civil s'avère très problématique d'autant plus que ni les départements ni les évaluateurs n'ont de compétence en matière d'état civil et ne peuvent contredire un document d'état civil étranger. En revanche, ils devraient accompagner le jeune vers son consulat et l'aider à reconstituer son état civil.

51. En cas de doute, le rôle de vérification des documents est dévolu à la police aux frontières (PAF) sur demande du président du conseil départemental, du procureur de la République pendant la phase d'évaluation ou encore du juge des enfants en cas de recours. Cette saisine de la PAF aux fins de rendre un avis n'est qu'une faculté selon le code de l'action sociale et des familles. La question du périmètre de l'examen des pièces par la PAF a été soulevée auprès de la CNCDH : en effet, il a été rapporté à la Commission que la PAF s'appuyait parfois sur des bases de données obsolètes en raison d'un manque de connaissances sur le fonctionnement des administrations étrangères. Il arrive également qu'elle outrepasse son rôle en interprétant elle-même la législation étrangère pour valider ou invalider les documents, sans solliciter les autorités compétentes, ce qui peut conduire à des erreurs (102). Ainsi, certaines ambassades regrettent de ne pas être sollicitées pour savoir si un document a bien été émis par leurs autorités et interprètent la non-reconnaissance des documents émis à l'étranger comme une remise en cause de leur autorité. Un travail en lien avec les autorités des pays d'origine est essentiel, non seulement pour vérifier les documents mais aussi pour permettre aux enfants d'avoir des documents d'état civil. Selon le Comité des droits de l'enfant, dès lors que la validité d'un document ne peut être remise en cause que par l'Etat émetteur (103), l'Etat devrait faciliter les démarches auprès des autorités étrangères émettrices des documents. Dans ce contexte, la CNCDH estime que ce processus devrait faire l'objet d'un contrôle juridictionnel, afin d'éviter des pratiques aléatoires et inégalitaires selon le département concerné. Alors qu'aujourd'hui, une vraie difficulté concerne l'absence de vérification et d'expertise documentaire, les juges ne disposent pas d'éléments objectifs pour savoir à quels documents il est fait référence. Il a été signalé à la Commission, ce qu'elle a également constaté dans des rapports d'évaluation qu'elle a pu consulter, des conclusions parfois contradictoires sur un même document. La CNCDH recommande donc que l'analyse complète effectuée par la PAF et comprenant les éléments de référence sur lesquels repose son analyse (fiche pays, document source…) soit transmise au jeune, afin qu'un contrôle puisse être effectué a posteriori en cas de recours.

Recommandation n° 8 : La CNCDH recommande que l'avis de la PAF soit communiqué en totalité à la personne qui demande une reconnaissance de sa minorité.

Recommandation n° 9 : La CNCDH recommande qu'un contrôle juridictionnel des analyses de la PAF soit effectué par le juge des enfants.

52. Lorsqu'une personne se présente avec des documents d'état civil étrangers, ceux-ci sont soumis à légalisation (104) mais le Conseil d'Etat a décidé de neutraliser cette obligation pour les mineurs étrangers (105). De ce fait, la CNCDH s'inquiète du revirement jurisprudentiel de la Cour de cassation (106), qui considère désormais que les actes d'état civil non légalisés ne peuvent bénéficier de la force probante de l'article 47 du code civil (107). Elle suivra avec attention l'évolution des pratiques en la matière.

Recommandation n° 10 : La CNCDH recommande de renforcer le rôle des autorités françaises dans l'accompagnement des jeunes aux fins d'obtenir les documents d'état civil dans leur pays d'origine, et de les accompagner auprès des consulats, sous le contrôle de l'autorité judiciaire.

Recommandation n° 11 : La CNCDH recommande que le conseil départemental assiste dans leurs démarches les jeunes issus de pays pour lesquels une exigence de légalisation existe. Elle recommande que le juge enjoigne au conseil départemental de le faire en cas de carence.

Recommandation n° 12 : La CNCDH recommande de prendre en compte tout commencement de preuve documentaire présenté par le mineur.

53. Face à un jeune qui arrive sur le territoire sans documents d'identité ou avec des documents jugés non probants par la préfecture ou l'autorité judiciaire, il est possible de saisir cette dernière afin qu'elle prononce soit un jugement déclaratif de naissance qui tient lieu de déclaration de naissance, en cas de déclaration tardive ou d'absence d'état civil connu (108) soit un jugement supplétif. Selon l'article 46 du code civil, lorsque la reconstitution de l'état civil n'est pas possible, un jugement supplétif peut également être rendu (109) à la demande du procureur de la République ou de l'intéressé lui-même. Ce jugement supplétif de naissance permet de pallier l'inexistence ou la perte des registres contenant les actes de l'état civil qui empêche le requérant de démontrer sa minorité. Il s'applique également dans l'hypothèse où l'acte serait inaccessible. La Cour de cassation juge que l'article 46 permet à l'intéressé de prouver le contenu des actes de l'état civil en cas d'impossibilité matérielle de produire ces actes tant par titres que par témoins (110). Ainsi, les juges du fond apprécient souverainement la valeur probante des témoignages ou des présomptions produits pour suppléer à un acte (111). Le juge peut alors ordonner l'établissement de l'acte omis ou manquant.

54. Toutefois, le seul fait que le mineur ne dispose pas d'un acte de naissance probant ne suffit pas pour se prévaloir de l'article 46, il faut qu'il rapporte la preuve de cette impossibilité, c'est-à-dire, l'événement qui empêche de produire l'acte. Pour cela, il doit démontrer les démarches concrètes qu'il a entreprises. L'accompagnement en amont de ces démarches est donc indispensable, les juges du fond prenant en compte la situation d'isolement telle qu'aucun témoin ne peut venir conforter les déclarations ou encore la situation géopolitique du pays d'origine, même si celle-ci ne peut suffire en principe. Comme l'a rappelé le Comité des droits de l'enfants, alors que la charge de la preuve de l'identité ne repose pas uniquement sur le mineur, d'autant que ce dernier et l'Etat partie ne jouissent pas du même accès aux éléments de preuve et que, souvent, l'Etat partie est le seul à disposer des informations pertinentes (112), l'absence d'aide pour reconstituer l'état civil peut s'avérer très problématique. Pour la CNCDH, cette charge de la preuve qui pèse sur le mineur crée une inégalité des armes dans la procédure, alors que les mineurs ne sont pas aidés pour reconstituer leur état civil, et que bien souvent, ils apportent un début de preuve documentaire qui n'est pas suffisamment pris en compte. La CNCDH regrette le recours encore faible au jugement supplétif, notamment au jugement prononcé par le juge français à la demande du Conseil départemental. Elle suivra avec attention les contentieux actuellement en cours.

Recommandation n° 13 : La CNCDH recommande à l'autorité judiciaire de se saisir davantage du jugement supplétif, et notamment que le ministère public dépose une requête pour obtenir un jugement supplétif de naissance.

Recommandation n° 14 : La CNCDH recommande de systématiser la désignation par l'autorité judiciaire de traducteurs, dont le coût ne soit pas à la charge des mineurs.

Recommandation n° 15 : La CNCDH recommande de prévoir un soutien effectif de l'Etat pour faciliter l'obtention et la traduction de documents d'identité. En cas de « surlégalisation », la CNCDH recommande le recours à l'ordonnance de placement provisoire pour permettre au jeune d'être effectivement accompagné dans cette démarche.

4. Le déroulement trop disparate de l'évaluation sociale

55. Conformément à l'arrêté du 20 novembre 2019, les professionnels qui procèdent à l'évaluation sociale doivent respecter le cadre prévu par l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles. Il est précisé que les entretiens doivent être conduits avec « respect, tact et bienveillance ». De nombreux éléments sont pris en compte et vont constituer le faisceau d'indices. Certains départements procèdent eux-mêmes à l'évaluation quand d'autres font appel à des associations mandatées qui ont répondu à un appel d'offres.

56. L'entretien d'évaluation sociale est une étape cruciale. Le guide de l'évaluation recommande de s'assurer de la contribution d'un interprète, de recourir à des documents traduits et d'organiser un premier entretien aux fins d'expliquer la finalité de l'évaluation, la procédure et les services de mise à l'abri. Un premier entretien est parfois réalisé dans le lieu de mise à l'abri, avec un recueil des premiers éléments d'identité pour exposer le déroulé et la finalité de l'entretien. Il est également précisé que les évaluateurs peuvent recueillir des informations relevant du quotidien de la personne, notamment auprès du service et des professionnels assurant la mise à l'abri, pendant l'accueil provisoire d'urgence de cinq jours.

57. Si le cadre semble bien défini, il est ressorti des auditions et visites de la CNCDH que cette évaluation ne se déroulait pas toujours dans des conditions optimales pour la personne évaluée, avec, de nouveau, de grandes disparités territoriales (113), les départements qui évaluent le plus grand nombre de jeunes ayant souvent les taux de reconnaissance les plus faibles (voir partie 1). En contradiction avec les recommandations du Comité des droits de l'enfant (114), l'entretien social, souvent décrit comme sommaire et contenant des questions inadaptées, est réalisé dans des conditions stressantes pour le jeune, en l'absence d'une personne qualifiée pour l'accompagner (115). La CNCDH s'interroge sur le degré de prise en compte du parcours migratoire et de son récit, dès lors qu'au cours de l'entretien, beaucoup de questions sont posées sur ceux-ci (116). Pour la CNCDH, l'insistance sur ces points peut se révéler contreproductive car elle peut, d'une part renforcer le stress post-traumatique vécu par le jeune et d'autre part, transformer ce récit traumatisant en un outil de vérification de la sincérité du jeune entendu. La méthode d'entretien social, censée s'appuyer sur un échange spontané et authentique, peut favoriser les jeunes capables de bien s'exprimer, notamment en français, ou qui ont déjà été scolarisés, la scolarisation devenant un critère discriminant dans l'évaluation. Si tous les évaluateurs rencontrés par la commission ont précisé que l'incohérence d'un récit n'est pas utilisée comme une présomption de majorité ce n'est pas ce qu'a pu constater la CNCDH à partir des rapports auxquels elle a eu accès. L'exigence de cohérence dans les détails spatio-temporels précis (dates, nom des lieux, étapes du parcours migratoire…) n'est pas adaptée aux capacités des jeunes interrogés en raison notamment des mauvaises conditions de mise à l'abri, et des troubles récurrents et non traités de santé mentale. Le dispositif actuel d'évaluation repose sur des outils peu fiables, obligeant les agents à improviser avec leurs propres repères, ce qui peut entraîner une forme de sélection sociale.

58. Cette lacune est accentuée par le fait que l'évaluation n'est pas toujours pluridisciplinaire et que le jeune est souvent reçu par une seule personne, sans regards croisés. Si certains départements font utilement revoir les conclusions par des collègues ou par une équipe pluriprofessionnelle ou encore font valider leurs rapports par un responsable d'équipe, il est fréquent que la conclusion de l'entretien mené par l'évaluateur soit validée sans être rediscutée. Cela peut s'expliquer par un manque de temps (117) et par un flux de dossiers trop important. C'est d'autant plus regrettable que, dans la majorité des cas, la personne évaluée ne relit pas le rapport d'évaluation et ne le signe pas, alors qu'il s'agit d'un document déterminant pour son avenir. Il a même été rapporté à la Commission que certains rapports d'évaluation continuent d'inclure des critères obsolètes et discriminants, comme les caractéristiques sexuelles secondaires (barbe, pilosité) et d'autres observations fondées sur l'apparence physique.

59. Le résultat de l'entretien semble donc reposer sur des critères peu fiables ce qui soulève aussi la question de la formation des évaluateurs dont les parcours sont très variés : certains sont issus du domaine psychosocial, de la santé, de l'action socio-éducative, alors que d'autres sont des juristes en droit international, humanitaire ou droits de l'homme. Conformément à l'article R. 221-11 du code de l'action sociale et des familles, ils disposent d'une formation de 21 heures, ce qui ne semble pas suffisant pour appréhender tous les enjeux liés à leur mission. Ce déficit de formation peut conduire à des rapports stéréotypés où le doute ne profite visiblement pas à la personne évaluée et où chaque réponse imprécise peut être utilisée en sa défaveur (118). Dans certains départements, la rotation des évaluateurs est importante, ce qui peut être lié au flux des dossiers et à la charge de travail. Dans d'autres, certains évaluateurs sont en fonction depuis longtemps, et une certaine routine, voire un sentiment d'impuissance face à des situations très douloureuses, peut alors s'installer, nuisant aussi à la bonne conduite attendue de l'évaluation. L'ensemble de ces constats questionne l'indépendance de l'évaluation : en effet, le conseil départemental est à la fois juge et partie, dans la mesure où les agents évaluateurs travaillent sous l'autorité du président du conseil départemental pour lequel l'accueil des mineurs non accompagnés constitue une charge budgétaire très importante.

60. De plus, alors que les décisions de prise en charge sont motivées, les refus ne le sont pas, ce qui accentue les risques d'arbitraire. A cet égard, ces entretiens d'évaluation ne sont pas forcément réexaminés en cas de recours devant le juge des enfants, ce qui amplifie leur impact initial. Pour la CNCDH, l'entretien d'évaluation ne devrait pas être conçu comme un « examen » visant à trancher sur la minorité, mais comme une méthode permettant une compréhension globale de la situation du jeune.

Recommandation n° 16 : La CNCDH recommande d'uniformiser les pratiques d'évaluation sur le territoire afin de garantir une égalité de traitement et de procéder à une évaluation respectueuse de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Recommandation n° 17 : La CNCDH recommande de renforcer l'attractivité du métier d'évaluateur et d'en augmenter les effectifs ainsi que d'améliorer la formation, qui doit être davantage axée autour des droits de l'enfant, avec un renforcement du repérage des facteurs potentiels de danger et d'éventuelles fragilités psychiques liées au parcours migratoire.

Recommandation n° 18 : La CNCDH recommande la mise en place d'un enregistrement sonore des évaluations, à l'instar de la procédure de demande d'asile devant l'OFPRA.

Recommandation n° 19 : La CNCDH recommande que la personne puisse être accompagnée, lors de l'entretien d'évaluation, par une personne compétente, telle qu'un avocat ou un administrateur ad hoc, afin de garantir ses droits et la qualité de la procédure, le bénéfice de l'aide juridictionnelle étant, le cas échéant, prévu.

Recommandation n° 20 : La CNCDH recommande de renforcer la pluridisciplinarité de l'évaluation qui pourrait être conduite avec au moins deux évaluateurs ayant des compétences ou une formation différente.

5. Le recours toujours fréquent aux tests osseux

61. L'article 388 du code civil prévoit la possibilité de recourir à des tests osseux aux fins de détermination de l'âge, et ce à deux conditions : si en l'absence de documents d'identité valables, la personne se déclarant mineure ne se réfère pas à un âge vraisemblable et sur décision judiciaire. En cas d'absence de « documents d'identité valables », ces tests ne peuvent néanmoins pas permettre à eux seuls de déterminer si l'intéressé est mineur (119). Le consentement à l'examen doit avoir été recueilli et le refus de se soumettre à un tel examen ne saurait être interprété comme un aveu de majorité (120).

62. La CNCDH tient à rappeler sa ferme opposition au recours aux tests osseux ainsi qu'à tout examen physique pour conclure à la minorité ou à la majorité (121), dès lors que leur utilisation renforce la méfiance envers les jeunes, à partir d'une approche centrée sur la lutte contre la fraude. Cette pratique est d'ailleurs condamnée au niveau international : ainsi, le Comité des droits de l'enfant a ainsi de nouveau réitéré sa recommandation de « mettre fin à l'utilisation des tests osseux comme méthode de détermination de l'âge des enfants au profit d'autres méthodes qui s'avèrent plus précises, notamment la reconnaissance et la reconstitution des documents d'état civil » (122). De plus, dans sa décision du 15 juin 2018 (123), le Comité européen des droits sociaux a notamment indiqué : « [l]'évaluation médicale de l'âge telle qu'appliquée peut avoir de graves conséquences pour les mineurs et l'utilisation des tests osseux destinés à déterminer l'âge des mineurs étrangers non accompagnés est inadaptée et inefficace. Par conséquent, le recours à ce type d'examen viole l'article 17 § 1 de la Charte [sociale européenne]. ». Pour sa part, la Cour européenne des droits de l'homme a récemment jugé que le recours aux tests osseux pour évaluer la minorité d'une personne étrangère pouvait violer certains droits protégés par la Convention, notamment si ces tests, compte tenu de leur caractère invasif, ne sont pas utilisés seulement en tout dernier ressort (124).

63. Pourtant, bien que controversé en raison de son caractère intrusif et peu fiable, le recours à ces tests a été validé par le Conseil constitutionnel. Tout en reconnaissant pour la première fois le caractère « d'exigence constitutionnelle » de l'intérêt supérieur de l'enfant, le Conseil constitutionnel a, dans une décision du 21 mars 2019, rappelé les garanties applicables à un examen radiologique osseux pour déterminer l'âge (125). Le recours à ces tests, ordonnés par le juge des enfants, place le juge en première ligne dans la détermination de l'âge des mineurs non accompagnés en cas de recours, alors qu'en protection de l'enfance, c'est le principe de la subsidiarité de l'intervention judiciaire qui doit primer. La CNCDH s'inquiète d'une tendance de la jurisprudence relative aux conditions de détermination de l'âge du mineur non accompagné qui n'est pas toujours protectrice des droits des enfants (126). Ainsi, la Cour de cassation a récemment écarté le bénéfice du doute, lorsque les résultats des examens radiologiques osseux, même s'ils n'excluent pas la minorité, confirment un faisceau d'indices favorables à la majorité (127).

64. Il est pourtant ressorti des auditions menées par la Commission que ces tests ne permettaient toujours pas d'établir loyalement la minorité. Si cet examen est un élément du faisceau d'indices, ses résultats influent sur les décisions des magistrats, souvent en l'absence d'autres éléments probants, bien que leur fiabilité soit toujours questionnée scientifiquement. Même si la radiographie du poignet, contestée d'un point de vue scientifique, a été remplacé par une radiographie de la clavicule, perçue comme plus fiable, cette dernière méthode révèle les mêmes écueils que les tests antérieurs et la marge d'erreur en est toujours importante. D'une part, certains médecins ne sont pas formés à lire ces radios de la clavicule et d'autre part, les composantes de la marge d'erreur n'étant pas assez explicitées et présentes dans les résultats des expertises, les magistrats se voient dans l'incapacité de procéder à des interprétations appropriées. A cet égard, la cour d'appel de Paris a rappelé que le doute sur l'âge doit profiter au jeune étranger en cas d'examen osseux qui ne précise pas la marge d'erreur (128).

65. S'agissant des pratiques, là encore, la Commission a pu constater des disparités territoriales génératrices d'inégalités de traitement. Dans certains départements, les personnes évaluées doivent se rendre dans d'autres villes pour passer ces tests, faute de praticiens disponibles localement, ce qui les oblige à faire de nombreux kilomètres. Dans d'autres départements au contraire, les tests osseux sont moins fréquents pour les jeunes de plus de 16 ans, afin d'éviter les marges d'erreur, ce qui n'empêche pas pour autant la prise en compte des autres éléments de preuve.

Recommandation n° 21 : La CNCDH réitère sa recommandation d'interdire purement et simplement les tests osseux et tout test physique aux fins de détermination de l'âge. Elle recommande de modifier le code civil en conséquence.

6. Le fichage croissant des mineurs non accompagnés

66. Depuis 2019, les jeunes se déclarant mineurs doivent passer par la préfecture pour la vérification du fichier d'appui à l'évaluation de la minorité, dit AEM (129), conformément aux dispositions de l'art. L. 611-6-1 du Ceseda. La finalité affichée de ce fichier était de mieux garantir la protection de l'enfance et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France. Les empreintes digitales ainsi qu'une photographie des personnes se déclarant mineurs non accompagnés ne sont conservées que pour une durée « strictement nécessaire à leur prise en charge et à leur orientation, en tenant compte de leur situation personnelle ». Validé par le Conseil constitutionnel (130) et le Conseil d'Etat (131), ce fichier a été généralisé par la loi du 7 février 2022, alors que le décret du 23 juin 2020 (132) avait déjà instauré une pénalité financière pour les départements réfractaires à son utilisation. Aujourd'hui, son recours est quasiment généralisé sur le territoire. La CNCDH, à l'instar de nombreux acteurs de la protection des droits des enfants (133), a déploré et continue de déplorer l'utilisation de ce fichier qui relève davantage du contrôle migratoire que du droit commun de la protection de l'enfance dont doivent bénéficier les mineurs non accompagnés (134). Elle regrette que la réforme du droit des étrangers qui renforce le rôle des préfectures et accroît les risques d'arbitraire (135), s'applique aux mineurs non accompagnés.

67. Les informations recueillies sont croisées avec les bases de données relatives aux personnes étrangères VISABIO (136) et AGDREF2, utilisées pour la gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (137), la détermination et la vérification de l'identité d'un étranger qui se déclare mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ayant été ajoutées comme finalité à ce dernier fichier (138). Cela permet à des professionnels comme les agents chargés de la mise en œuvre de la protection de l'enfance (139) et de la préfecture (140), de les consulter pour les besoins de l'évaluation de minorité (141). Certaines parties du fichier AGDREF2 sont interconnectées avec le FPR (fichier des personnes recherchées). La CNCDH s'inquiète de ces consultations croissantes et croisées de fichiers qui risquent de porter atteinte au droit au respect de la vie privée de l'enfant. De plus, avec l'entrée en vigueur du nouveau pacte sur la migration et l'asile, définitivement adopté le 14 mai 2024 par le Conseil de l'Union européenne, la CNCDH s'inquiète de la possibilité offerte aux Etats membres, par le « règlement filtrage », (142) de recourir à la force pour contraindre le mineur à fournir ses données biométriques au moment de l'enregistrement dans le fichier Eurodac (143).

68. En pratique, il semblerait que l'utilisation du fichier AEM n'ait pas eu pour effet de mieux gérer l'arrivée et la prise en charge des mineurs non accompagnés en France. Ainsi, les associations et le Défenseur des droits ont pu constater une augmentation des saisines postérieures à l'entrée en vigueur de la loi Taquet (144): il a été dit à la CNCDH que les cas de réévaluation avec un nouveau passage à l'AEM malgré une décision de justice et d'orientation nationale ont même augmenté. Comme la CNCDH a pu l'observer, son utilisation est très disparate : dans certains départements, l'inscription d'un jeune dans le fichier n'est pas un obstacle à la mise en place de la procédure d'évaluation (145). Dans d'autres, le droit à la mise à l'abri est conditionné au passage en préfecture que certains jeunes refusent par peur ou incompréhension. Par ailleurs, certains départements procèdent toujours à une réévaluation, pourtant interdite par la loi du 7 février 2022, et mettent fin à une prise en charge en s'appuyant sur le fichier AEM après l'orientation nationale.

Recommandation n° 22 : La CNCDH recommande l'abrogation du fichier d'appui à l'évaluation de la minorité (AEM) qui tend à considérer les mineurs non accompagnés davantage comme des étrangers que comme des enfants. Plus généralement, la CNCDH recommande la prohibition de tout recours au fichage des mineurs, contraire à leurs droits fondamentaux.

Recommandation n° 23 : La CNCDH recommande l'effacement des données issues du fichier AGDREF2 (Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France) accessibles via le fichier AEM, afin de garantir la protection des données personnelles des mineurs non accompagnés et de prévenir tout usage détourné à des fins de contrôle migratoire.