JORF n°0147 du 26 juin 2025

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Garantir la représentation légale des mineurs non accompagnés

Résumé Les États doivent rapidement nommer un tuteur ou un administrateur ad hoc pour protéger les droits des enfants sans parents et les aider à suivre la procédure.
Mots-clés : droits de l'enfant représentation légale protection juridique
  1. Garantir les droits procéduraux

  2. Afin que les enfants puissent faire valoir leurs droits, les Etats ont une obligation positive d'assurer une représentation légale aux mineurs non accompagnés à tous les stades de la procédure. Comme l'a rappelé le Comité des droits de l'enfant, les Etats devraient « désigner un tuteur ou un conseiller dès que l'enfant non accompagné ou séparé est identifié en tant que tel et reconduire ce dispositif jusqu'à ce que l'enfant atteigne l'âge de la majorité ou quitte le territoire et/ou cesse de relever de la juridiction de l'Etat à titre permanent, conformément à la Convention et à d'autres obligations internationales (146) ». Cette désignation systématique doit être assurée sans délai afin d'éviter toute situation d'isolement ou de vulnérabilité accrue pour ces mineurs. Le droit français offre différentes possibilités de représentation légale.

  3. Recourir à l'administrateur ad hoc dès l'arrivée sur le territoire

  4. Déjà en 2014, la CNCDH avait estimé nécessaire de confier à l'administrateur ad hoc une mission de représentation, d'assistance juridique et d'information pour tous les mineurs en incapacité de faire valoir et d'exercer leurs droits, du fait de l'absence ou de l'éloignement de leurs représentants légaux (147). L'administrateur ad hoc, qui intervient de façon générale lorsque les intérêts de l'enfant sont en contradiction avec ceux de ses représentants légaux, peut être désigné pour les mineurs non accompagnés dans deux situations : en cas de refus d'entrée sur le territoire et de placement en zone d'attente (148) ou en cas de dépôt d'une demande d'asile (149), lorsqu'aucune tutelle ou délégation totale de l'autorité parentale n'a déjà été prononcée. Cependant, cette désignation demeure trop limitée et souvent tardive, ce qui nuit à la pleine garantie des droits des mineurs concernés. Bien que les administrateurs ad hoc ne puissent être désignés que pour les mineurs reconnus comme tels par l'autorité judiciaire (150) et que les jeunes non accompagnés dits « en recours » n'entrent pas dans cette catégorie, la CNCDH préconise, comme elle l'a déjà fait à de nombreuses reprises (151), de désigner un administrateur ad hoc pour ceux qui se présentent comme mineurs non accompagnés, ce qui serait cohérent avec une application effective de la présomption de minorité. Cette désignation pourrait avoir lieu, à l'instar de ce qui est prévu dans d'autres pays (152), dès leur présentation aux autorités (que ce soit la police aux frontières ou encore le conseil départemental) comme c'est le cas pour la demande d'asile, afin d'éviter que les jeunes ne soient livrés à eux-mêmes durant des phases décisives de leur parcours administratif et judiciaire. Pour mener à bien cette mission, la CNCDH insiste sur la nécessité de pallier les problèmes structurels auxquels cette fonction est confrontée : une faible rémunération, un statut peu clair et une formation lacunaire, en bref un manque d'attractivité de la fonction, qui explique l'insuffisance du nombre d'administrateurs (153). Afin de rendre cette garantie effective sur l'ensemble du territoire, la CNCDH souligne l'urgence de renforcer les dispositifs de recrutement et de formation des administrateurs ad hoc, dont le manque nuit gravement à la protection effective des droits des mineurs. La CNCDH rappelle la nécessité de préserver les garanties d'impartialité et d'indépendance des administrateurs ad hoc, qui doivent être respectées lorsque l'aide sociale à l'enfance (ASE) est désignée en cette qualité, conformément aux recommandations du Comité des ministres du Conseil de l'Europe (154).
    Recommandation n° 24 : La CNCDH recommande de désigner, sans délai, un administrateur ad hoc pour les mineurs dès leur présentation aux autorités : police aux frontières, police et gendarmerie, conseil départemental.
    Recommandation n° 25 : La CNCDH recommande que l'indépendance et l'impartialité de l'administrateur ad hoc soient garanties.
    Recommandation n° 26 : La CNCDH recommande de revaloriser la fonction d'administrateur ad hoc et de renforcer leur formation, notamment à la question spécifique des mineurs non accompagnés.
    Recommandation n° 27 : La CNCDH recommande, en cas d'appel interjeté par le département, le maintien de l'assistance du mineur par un avocat et d'un administrateur ad hoc, pour se conformer aux garanties du procès équitable.

  5. La délégation d'autorité parentale et la mesure de tutelle

  6. Une fois reconnus mineurs, ces enfants font l'objet d'une mesure d'assistance éducative prononcée par le juge des enfants. Malgré cette prise en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE), ils peuvent se heurter, en l'absence de titulaire de l'autorité parentale, à de nombreuses difficultés dans leurs démarches quotidiennes telles que le dépôt d'une demande de passeport, l'ouverture de compte bancaire, une demande d'autorisation de travail, la signature d'un contrat d'apprentissage, etc. (155). Cette situation est encore plus problématique s'agissant de l'accès aux soins, car ils peuvent être empêchés d'accéder à certains traitements, notamment en cas d'absence d'urgence vitale. Enfin, pour les mineurs victimes d'infractions pénales ou subissant un préjudice, il n'est pas possible de se constituer partie civile sans représentation légale. Ces difficultés peuvent être palliées par une mesure de protection telle que la délégation d'autorité parentale ou la tutelle, qui ne sont encore que rarement prononcées.

  7. Selon l'article 377 alinéa 1er du code civil, la délégation d'autorité parentale peut être demandée par les parents ; et selon les alinéas 2 et suivants, elle est applicable aux mineurs non accompagnés, la personne ou le service ayant recueilli l'enfant pouvant alors se faire déléguer l'autorité parentale. Cette délégation permet de transférer, partiellement ou totalement, les droits et devoirs des parents à un tiers et sert à protéger l'enfant dans sa santé, sa scolarité, sa moralité mais non dans ses intérêts patrimoniaux qui exigent la désignation d'un administrateur. Selon l'article 377, avant de mettre en place cette mesure, les deux parents doivent être appelés à l'audience : soit ils sont convoqués à l'étranger, ce qui peut prendre du temps et laisser le mineur sans représentation pendant une longue durée, soit les services de l'ASE démontrent qu'ils ne sont pas en mesure d'entrer en contact avec eux et doivent dans ce cas recourir à la tutelle. Les exigences procédurales de la délégation parentale rendent cette mesure moins souple que la tutelle, laquelle apparaît plus adaptée.

  8. La tutelle, conformément à l'article 390 du code civil (156), s'ouvre en cas de privation de l'exercice de l'autorité parentale pour les enfants orphelins ou dont les parents ont été privés de l'autorité parentale (157). Selon la circulaire du 19 avril 2017 (158), la tutelle peut s'appliquer aux mineurs non accompagnés lorsque « soit la preuve du décès du ou des représentants légaux est apportée, soit qu'il est justifié de recherches entreprises pour les retrouver ». La tutelle présente l'avantage d'être souple car elle peut tenir compte des liens familiaux. En effet, l'isolement étant un élément de la définition du mineur non accompagné, la prise en compte des liens familiaux a longtemps été un impensé à leur égard, expliquant que très peu de mesures de protection leur aient été proposées (159). De plus, il arrive fréquemment que les parents soient en vie ou que des liens soient encore possibles ; pour autant, ils ne sont pas toujours recherchés, par crainte que le mineur ne soit pas reconnu comme isolé, avec pour conséquence une rupture de fait entre les mineurs et leur famille. Afin de pouvoir maintenir ou recréer ce lien familial, la tutelle apparaît adaptée. En effet, si l'ouverture d'une tutelle départementale est préconisée lorsque la famille est absente, elle peut être levée si la famille est retrouvée, avec une transition vers une tutelle familiale permettant une prise en charge individualisée. Il peut ainsi arriver que des mineurs non accompagnés retrouvent de la famille et que celle-ci accepte une prise en charge partielle. Cela permet à l'enfant de rester dans le même département de placement et de donner du sens à son parcours migratoire tout en évitant de lui créer des conflits dans son identité (160). De plus, alors qu'il est essentiel de protéger leur patrimoine pour leur passage à la majorité, notamment les revenus issus de l'apprentissage auquel nombre d'entre eux ont accès. Le prononcé d'une tutelle, selon les modalités appréciées et fixées par le juge, permet d'assurer une représentation légale pérenne et une protection globale, tant personnelle que patrimoniale (161).
    Recommandation n° 28 : La CNCDH recommande d'ajouter un alinéa supplémentaire à l'article 390 du code civil afin de spécifier qu'il s'applique aux mineurs non accompagnés sans représentant légal sur le territoire, quel que soit le statut des parents.
    Recommandation n° 29 : La CNCDH recommande de mettre en place un régime de tutelle ayant les attributions de l'exercice de l'autorité parentale et adapté aux mineurs non accompagnés, qui permette une gestion globale de leur personne et de leurs biens, et la protection de leurs revenus jusqu'à leur majorité.

  9. Faciliter l'accès au juge

  10. S'il est aujourd'hui acquis que le juge des enfants est celui de la protection de l'enfance et donc le juge naturel du mineur non accompagné (162), la CNCDH estime que l'accès au juge n'est pas toujours aisé pour ces enfants en raison des différents juges compétents. En effet, tout au long de leur parcours, les mineurs non accompagnés doivent naviguer entre plusieurs juridictions, ce qui complexifie leur accès aux droits. L'accès au juge est difficile parce que le principe de présomption de minorité, dans sa composante matérielle et procédurale, n'est pas garanti en droit français. En cas de recours contre un refus de reconnaissance de minorité, le juge des enfants endosse le rôle de chambre d'appel des décisions du conseil départemental, ce qui le place dans la position « ambiguë » non plus de juge de l'enfance mais de juge d'une décision administrative, et ce, d'autant plus que le recours contre le refus de reconnaissance de minorité n'est pas suspensif (163). En cas de refus de prise en charge ou de délais excessifs, les recours se font auprès des tribunaux administratifs, via des référés-liberté. Cette complexité nuit à la clarté du parcours judiciaire des jeunes et peut décourager certains d'exercer leurs droits.

  11. L'accès au juge des enfants est également complexifié par l'état de la justice qui est très dégradé, les conditions d'exercice des juges des enfants étant affectées par un manque d'effectifs et des délais de recours particulièrement longs. Cette situation de surcharge judiciaire impacte directement la qualité et la rapidité de la prise en charge de ces mineurs, alors même que ces jeunes sont souvent dans des situations d'extrême vulnérabilité nécessitant une intervention rapide. Ainsi, bien que les délais et pratiques soient variables d'une juridiction à l'autre (164), le traitement des dossiers nécessite au moins une quinzaine d'heures par mois, qui s'ajoutent à une charge de travail en contentieux civil et pénal classiques, eux-mêmes en augmentation. Certains juges ne prévoyant plus d'audience en l'absence d'expertises documentaires, les jeunes se retrouvent donc dans une situation de grande incertitude. Certaines juridictions, quant à elles, ont volontairement diminué le nombre d'audiencements au tribunal pour enfants afin d'aligner leurs pratiques sur celles d'autres tribunaux. Dans ce contexte très tendu, même lorsqu'une mesure provisoire est demandée en application de l'article 375 du code civil, il n'existe aucun moyen pour contraindre le juge à statuer rapidement ou à faire en sorte que sa décision soit exécutée dans les meilleurs délais, et ce alors même que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme sur ce fondement (165). Si la réduction des délais est un enjeu crucial, elle est néanmoins une exigence à nuancer dès lors que l'attente permet parfois de rassembler davantage d'éléments probants pour statuer sur la minorité. Ce constat rend donc difficile une accélération excessive du processus dans un contexte où les juges manquent d'outils pour déterminer l'âge du mineur.
    Recommandation n° 30 : La CNCDH recommande d'augmenter le nombre de juge des enfants et de renforcer leurs équipes, grâce notamment à des juristes assistants spécialisés sur ces dossiers.

  12. Afin d'assurer un meilleur accès à leurs droits, la CNCDH rejoint la recommandation issue du rapport des Etats généraux de la justice qui préconise une saisine systématique du juge aux affaires familiales statuant en qualité de juge des tutelles par le juge des enfants ou le parquet, dans un délai maximal de trois mois à compter de la première décision de placement du juge des enfants

  13. (166). Le juge des enfants serait seul compétent pour mettre en œuvre une mesure de protection et statuer sur la minorité. La compétence du juge des tutelles pourrait intervenir de manière concomitante ou dans un second temps. Dès lors que des mesures d'assistance éducative et de tutelle peuvent être menées en parallèle (167), cette proposition a l'avantage de clarifier le rôle des deux juges, en donnant un responsable légal à l'enfant à moyen ou long terme.
    Recommandation n° 31 : La CNCDH recommande, à l'instar du rapport sur la « justice de protection » rédigé à l'occasion des Etats généraux de la justice, une saisine systématique du juge aux affaires familiales statuant en qualité de juge des tutelles par le juge des enfants ou le parquet, dans un délai maximal de trois mois à compter de la première décision de placement du juge des enfants.
    Recommandation n° 32 : La CNCDH recommande de prévoir l'assistance d'un même avocat pour le mineur, dans la mesure du possible spécialisé en protection de l'enfance, tout au long de la procédure afin de garantir une représentation effective de l'enfant. Cette désignation s'accompagnera nécessairement d'une réflexion sur l'aide juridictionnelle.

  14. Garantir l'accès aux droits

  15. Mettre un terme à un accès aux droits globalement dégradé

  16. Alors même que l'Etat doit garantir une protection à tous les enfants, la CNCDH a pu constater que cette protection est trop souvent affectée par des considérations financières au détriment de l'intérêt supérieur de l'enfant. En premier lieu, bien que les départements soient compétents pour la prise en charge des mineurs non accompagnés (168), c'est l'Etat qui participe financièrement à la prise en charge pendant la période d'évaluation (169) ; cette participation est pourtant insuffisante, ce qui crée de nombreuses atteintes aux droits pendant cette phase (170). Une fois que l'enfant a intégré la protection de l'enfance, les prix de journée sont très souvent plus bas pour les mineurs non accompagnés que pour les autres enfants pris en charge : ils varient ainsi entre 40 et 80 euros jour pour un mineur non accompagné contre 220 euros jours pour un enfant en protection de l'enfance dit « classique » (171). Ces prix de journée particulièrement bas dans des lieux d'accueil dédiés aux mineurs non accompagnés conduisent à une prise en charge parfois très dégradée, alors qu'ils ont autant besoin de soutien que les autres enfants. Il a été dit à la CNCDH, au cours des auditions qu'elle a menées, que dans certains départements, il est même demandé une participation financière au jeune lorsqu'il dispose d'un revenu. Cependant, il est ressorti des auditions une quasi-unanimité en faveur du maintien de la compétence des conseils départementaux s'agissant des mineurs non accompagnés, en application du principe de non-discrimination et dès lors qu'il s'agit d'enfants en besoin de protection. Au regard des difficultés financières des départements, qui concernent toute la protection de l'enfance (172), la CNCDH estime qu'une intervention plus importante de l'Etat, dans une dimension exclusivement financière, devrait être envisagée. Tout en conservant la compétence départementale, la participation financière de l'Etat pourrait être élargie à un financement a posteriori de l'ensemble de la phase d'évaluation jusqu'à la décision définitive de l'autorité judiciaire, et non uniquement de la phase de l'accueil provisoire d'urgence. Ce financement pourrait être conditionné au respect du cadre légal afin d'éviter que les conseils départementaux refusent l'accueil provisoire d'urgence ou proposent des conditions de prise en charge dégradées.

  17. Dans ces conditions, les mineurs non accompagnés se heurtent à de nombreux obstacles pour accéder à leurs droits (173). Les associations sont alors sollicitées ou amenées à agir pour les aider (174). Les difficultés premières concernent l'accès à l'hébergement, que ce soit pendant la période d'évaluation comme évoqué précédemment (voir partie 2), ou encore pendant la période de prise en charge, certains mineurs étant logés dans des logements beaucoup moins adaptés que les enfants en protection de l'enfance classique. Pour les jeunes en recours, le défaut de présomption de minorité et de recours suspensif les place dans un statut de vide juridique entre la minorité et la majorité, et les conduit à être parfois exclus de toutes parts (175). La CNCDH a également été alertée sur le fait que l'accès à l'alimentation était devenu une véritable difficulté pour les jeunes en attente d'évaluation, lorsque l'accueil provisoire d'urgence n'était pas respecté, ou de l'issue d'un recours. Les associations, dont la mission initiale est de faciliter l'accès aux droits ou aux soins doivent élargir cette mission à la distribution de nourriture, et font face à de nombreux obstacles tels que des refus d'accès à la banque alimentaire ou des arrêtés d'interdiction de distribution au motif de « risques sanitaires » et « troubles à l'ordre public », lesquels, bien que ne visant pas spécifiquement les mineurs non accompagnés, s'appliquent aussi à eux (176).
    Recommandation n° 33 : La CNCDH recommande que les mineurs non accompagnés bénéficient d'une dotation financière équivalente à celle accordée aux autres enfants confiés à la protection de l'enfance, afin d'assurer une égalité de traitement effective et une prise en charge adaptée à leurs besoins en mettant en place le taux d'encadrement qui était prévu par la loi Taquet.
    Recommandation n° 34 : La CNCDH recommande de renforcer le soutien financier de l'Etat aux conseils départementaux, et de l'élargir à un financement a posteriori de l'ensemble de la phase d'évaluation jusqu'à la décision définitive de l'autorité judiciaire.
    Recommandation n° 35 : La CNCDH recommande que les départements respectent le principe d'égalité de tous les enfants et leur assurent une prise en charge complète et adaptée à leurs besoins.

- si l'accompagnement nécessite des démarches spécifiques (accompagnement vers le droit au séjour ou la demande d'asile ou encore reconstitution des documents d'état civil), la CNCDH recommande que l'intégralité des dispositifs en matière de protection de l'enfance leur soit effectivement accessible, sans restriction ni traitement différencié ;
- la CNCDH recommande, en cas de dispositif spécifique, qu'il comporte les mêmes garanties et référentiels que les autres structures de protection de l'enfance du département.

  1. Faciliter l'accès à la demande d'asile

  2. Les causes de départ de certains mineurs non accompagnés justifient qu'ils puissent bénéficier d'une protection internationale. Bien que le nombre de mineurs non accompagnés sollicitant l'asile reste relativement faible, il est à noter qu'environ 80 % des demandes déposées par ces derniers sont acceptées par l'OFPRA et 90 % par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) (177). L'octroi de la protection internationale présente de nombreux avantages pour les mineurs non accompagnés : elle leur offre une sécurisation de leur droit au séjour, ce qui évite des situations d'irrégularité lors du passage à la majorité (voir partie 4- accès au séjour) ; elle permet de reconstituer leur état civil, l'OFPRA effectuant une reconstitution dans le cadre de la demande d'asile et enfin, le statut de réfugié leur permet de solliciter plus facilement la réunification familiale. Pour la CNCDH, l'accès à la procédure d'asile doit être garanti à tous les jeunes étrangers, y compris devant les instances juridictionnelles parce que la demande d'asile est une procédure autonome de celle visant à faire constater la minorité du requérant.

  3. Pourtant, la voie de l'asile est insuffisamment empruntée par les mineurs non accompagnés (178) et fait face à de nombreux obstacles, que ce soit pour ceux en attente de reconnaissance de minorité ou ceux pris en charge par l'ASE. En premier lieu, lorsqu'un mineur non accompagné se présente à la préfecture sans représentant légal, celle-ci doit informer le procureur de la République afin qu'il désigne, « sans délai », un administrateur ad hoc (179), lequel doit effectuer toutes les démarches administratives pour le mineur notamment le retrait de formulaire de demande d'asile auprès de la préfecture. Or, il arrive fréquemment que les préfectures obstruent cet accès soit en refusant de saisir le procureur pour demander un administrateur ad hoc, soit en refusant tout enregistrement ce qui induit une absence de traçabilité de toute démarche du jeune, soit encore pour les mineurs en recours ou en attente d'évaluation en acceptant leur enregistrement mais en tant que majeur (180). Les jeunes en attente de reconnaissance se retrouvent ainsi dans une situation de vide juridique et de grande instabilité alors que dans l'attente de la désignation de l'administrateur ad hoc, la préfecture doit pourtant procéder à un préenregistrement de la demande d'asile du mineur avec les premières informations (nom, prénom, date de naissance déclarée), ce qui documente et officialise sa volonté de demander l'asile (et préserve ses droits) (181). Lorsqu'une demande de désignation d'administrateur ad hoc est effectuée, les délais de désignation, parfois de plusieurs mois, constituent également un obstacle à l'accès à l'asile. Ces délais peuvent être liés au manque d'administrateurs ad hoc (182) mais peuvent aussi relever de stratégies institutionnelles, visant à gagner du temps, si le jeune est proche de la majorité (183) ou alors le temps de mettre en place la procédure « Dublin (184) ». A cet égard, le tribunal administratif de Lyon, a considéré que le refus persistant d'enregistrement d'une demande d'asile d'un jeune, alors que la date de sa majorité se rapprochait, portait « une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile » (185).

  4. Une fois l'obstacle de l'âge surmonté, la procédure d'enregistrement est la même que pour les adultes (186). La dernière loi relative à l'asile et l'immigration, ayant mis en place les pôles « France asile », n'a pas prévu de disposition particulière pour les mineurs non accompagnés. La CNCDH sera attentive à la prise en compte des vulnérabilités particulières qui peuvent toucher ces mineurs demandeurs d'asile (187). Une fois enregistrés, les demandeurs d'asile bénéficient en principe des conditions matérielles d'accueil enregistrées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) (188). Les mineurs non accompagnés demandeurs d'asile devraient en bénéficier aussi, les conditions matérielles d'accueil n'étant soumises à aucune condition d'âge, hormis l'allocation pour demandeur d'asile qui ne peut être attribuée qu'aux étrangers majeurs (189). En pratique, rares sont ceux qui accèdent à ces prestations (190), et qu'ils soient ou non pris en charge par l'ASE, ils ne bénéficient généralement d'aucun entretien individuel avec les services de l'OFII à la suite de l'enregistrement de leur demande d'asile. Cela peut s'expliquer d'une part, par leurs difficultés à accéder à la demande d'asile comme exposé précédemment, et d'autre part, par le fait qu'une fois qu'ils ont acquis la qualité de demandeur d'asile, ils en sont exclus, l'Etat considérant qu'ils bénéficient d'une prise en charge par le conseil départemental (191). Si les mineurs pris en charge par l'ASE bénéficient effectivement d'un soutien pour leurs conditions de vie, ce n'est pas le cas des mineurs en attente d'évaluation ou en recours. Cette absence d'accueil les maintient dans un état de grande précarité.

  5. Lorsque l'OFPRA ou la CNDA accèdent à la demande d'asile présentée par le mineur non accompagné, en fonction du statut reconnu celui-ci se voit délivrer, une carte de résident de dix ans s'il est reconnu réfugié ou une carte pluriannuelle de quatre ans s'il a le bénéfice de la protection subsidiaire (192). Si ce statut est protecteur et pérenne, la CNCDH s'inquiète qu'une fois reconnus réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire, leurs actes d'état civil puissent être remis en cause par des juridictions (193), la Cour de cassation ayant rappelé que les actes délivrés par l'OFPRA ne bénéficient de la force probante particulière attachée aux actes authentique que dans la mesure où les faits rapportés ont été personnellement constatés par l'auteur de l'acte. Afin d'éviter toute charge de la preuve impossible pour un mineur non accompagné sous protection de l'OFPRA, il convient de rappeler qu'un rapport de réévaluation (ou d'évaluation) ne peut suffire à renverser la force probante d'un acte authentique délivré par l'OFPRA. Et qu'en outre, les actes d'état civil délivrés par l'OFPRA ne peuvent être contestés que devant le tribunal judiciaire de Paris. Ainsi, en l'absence de saisine de cette juridiction spécialement habilitée, les actes d'état civil établis par l'OFPRA et les informations qu'ils contiennent sont réputés faire foi, et ne pas être sérieusement contestés.
    Recommandation n° 36 : Comme elle l'a préconisé précédemment la CNCDH réitère sa recommandation de désigner un administrateur ad hoc dès la demande de protection, et en cas de demande d'asile.
    Recommandation n° 37 : La CNCDH recommande, dès qu'un mineur se présente pour déposer une demande d'asile, d'enregistrer les premières données, et date de naissance déclarée, sans attendre la désignation d'un administrateur ad hoc.
    Recommandation n° 38 : La CNCDH recommande d'informer systématiquement les mineurs non accompagnés, dans une langue qu'ils comprennent, de l'ensemble de leurs droits, y compris de la possibilité de demander l'asile. A ce titre elle recommande de renforcer la formation des professionnels - notamment les travailleurs sociaux, associations et administrateurs ad hoc - afin qu'ils soient en mesure d'accompagner les jeunes tant dans l'évaluation de leurs besoins de protection internationale que dans le respect de leur parcours, de leur volonté et de leur intérêt supérieur.
    Recommandation n° 39 : La CNCDH recommande de garantir un accès aux conditions matérielles d'accueil aux mineurs non accompagnés demandeurs d'asile, dès lors que leur minorité est contestée.
    Recommandation n° 40 : La CNCDH, en rappelant que les actes d'état civil établis par l'OFPRA et les informations qu'ils contiennent sont réputés faire foi, recommande d'appliquer la force probante attachée aux actes authentiques délivrés par l'OFPRA.

  6. Enfin, une inquiétude se dessine avec l'adoption du pacte européen sur la migration et l'asile (194) qui privilégie pour certaines procédures une application du droit commun aux mineurs, au détriment de l'intérêt supérieur de l'enfant. C'est notamment le cas du règlement filtrage (195) qui prévoit un contrôle des personnes en demande de protection aux frontières extérieures de l'Union européenne mais qui ne remplissent pas les conditions d'entrée. Ces personnes feront l'objet d'un contrôle sanitaire et de vulnérabilité puis d'identification et d'enregistrement et enfin, d'une orientation vers la demande d'asile ou l'expulsion. Ces vérifications doivent être effectuées dans un délai de sept jours maximum, durée pendant laquelle « les Etats membres prévoient dans leur droit national des dispositions visant à faire en sorte que les [ressortissants étrangers] restent à la disposition des autorités compétentes chargées de procéder au filtrage […] afin de prévenir tout risque de fuite » (article 6). Il est à craindre que ce maintien à disposition se fasse sous forme de privation de liberté dès lors que les personnes soumises au filtrage resteront dans les lieux prévus pour prévenir les éventuels risques de fuite et d'atteinte à la sécurité, et qu'elle s'appliquera aussi aux enfants. Ce placement possible en détention contrevient à la loi du 26 janvier 2024 qui interdit le placement en rétention administrative de tous les enfants (196). De plus, le pacte a modifié le critère du règlement Dublin pour déterminer l'Etat membre responsable de la demande d'asile : ce sera le premier pays d'entrée où les empreintes du mineur auront été enregistrées dans le fichier Eurodac dès le stade du filtrage puisqu'il y aura nécessairement été soumis. La CNCDH estime que la crainte du transfert vers un pays dans lequel ils n'ont aucune attache dissuade les mineurs de déposer une demande d'asile en France, ils préfèrent solliciter un titre de séjour à 18 ans, ce qui les précarise encore davantage et compromet l'effectivité de la protection internationale alors que ces mineurs sont particulièrement vulnérables (197).
    Recommandation n° 41 : La CNCDH recommande d'interdire l'enfermement de tous les enfants en situation de migration, en particulier lors des contrôles aux frontières.
    Recommandation n° 42 : La CNCDH recommande de ne pas appliquer le critère du premier pays d'entrée pour déterminer l'Etat responsable de la demande d'asile aux mineurs non accompagnés, afin de faciliter le dépôt d'une demande d'asile en France.

  7. Garantir un accès effectif à la scolarisation et la formation

  8. L'accès à l'éducation est un droit fondamental, protégé par de nombreuses conventions. Les articles 28 et 29 de la CIDE garantissent le droit à l'éducation de tous les enfants et le Comité des droits de l'enfant a recommandé à la France, dans ses dernières observations « d'améliorer l'accessibilité et la qualité de l'éducation pour les enfants défavorisés ou marginalisés, notamment (…) les enfants migrants non accompagnés qui rencontrent de nombreuses difficultés lorsqu'ils veulent s'inscrire dans des écoles ordinaires et accéder aux cantines scolaires (198) ». Au niveau européen, l'article 2 du Protocole n° 1 du Conseil de l'Europe (199) garantit un droit individuel général à l'instruction. Sur le plan national, le droit à l'éducation est consacré dans le Préambule de la Constitution de 1946 et l'article L.131-1 du code de l'éducation dispose que l'instruction est obligatoire entre trois et seize ans, le Conseil d'Etat ayant par ailleurs considéré que le droit à l'instruction est une liberté fondamentale (200). La CNCDH rappelle que le droit à l'instruction, dont le respect incombe à l'Etat, n'est pas conditionné par l'âge, même après la majorité, et que l'obligation scolaire, quant à elle, repose sur le détenteur de l'autorité parentale (201). Dans une décision du 24 janvier 2022 (202) relative au droit d'accès à l'éducation des mineurs non accompagnés, le Conseil d'Etat a rappelé que la circonstance qu'un enfant ait dépassé l'âge de l'instruction obligatoire ne faisait pas obstacle à ce qu'il puisse bénéficier d'une formation adaptée à ses aptitudes et besoins particuliers (203). Malgré ce cadre, de nombreuses difficultés demeurent en pratique pour permettre aux mineurs non accompagnés d'accéder à l'instruction, notamment ceux ayant formé un recours puisque ce droit n'est souvent mis en œuvre qu'une fois la minorité reconnue. Il est donc essentiel de pouvoir les scolariser le plus tôt possible, afin d'éviter les situations d'errance, l'accès à l'instruction n'étant pas conditionnée à une prise en charge par l'ASE.

  9. La période précédant la reconnaissance de minorité représente un grand défi : alors qu'aucune démarche n'est effectuée par les départements dès le stade de l'évaluation pour scolariser les mineurs, il arrive néanmoins que certains rectorats l'acceptent indépendamment de leur statut. Ces jeunes peuvent donc se retrouver dans un système qui d'un côté ne les reconnaît pas et d'un autre, commence à les intégrer par la scolarisation. Cette absence de statut clair entraîne de nombreux obstacles administratifs et structurels dans le processus de scolarisation. La situation se complexifie davantage en cas de refus de reconnaissance de la qualité de mineur non accompagné.

  10. La première étape pour accéder à la scolarisation est de déterminer le niveau scolaire du mineur concerné. L'hétérogénéité des parcours et origines présentée précédemment est également visible dans leurs cursus scolaires antérieurs : certains ont un niveau correspondant à leur tranche d'âge, d'autres un niveau plus élémentaire, se situant souvent en fin de primaire début de collège, et d'autres enfin n'ont pas connu de scolarité du tout (204). C'est pourquoi ils doivent passer des tests, organisés par les CASNAV (205) pour déterminer leur niveau. Une fois les tests réalisés, une affectation leur est proposée en bac pro, en CAP ou en filière générale, parfois vers le dispositif UPE2A (206) en cas de besoin et de place disponible.

  11. Le CASNAV veille au suivi pédagogique des UPE2A et à l'inclusion d'abord progressive puis complète des élèves dans les classes du cursus ordinaire. Si leur mission cesse en principe à 16 ans, certains CASNAV acceptent de recevoir les jeunes après 16 ans. Etant donné l'âge d'un grand nombre de mineurs non accompagnés, les associations leur parlent de cette possibilité le plus tôt possible, afin qu'ils puissent intégrer le système rapidement. Cependant, il a été signalé à la CNCDH certaines difficultés pour s'inscrire selon les départements : si certains CASNAV appliquent la présomption de minorité en reconnaissant les actes de naissance des mineurs non accompagnés, d'autres refusent de faire passer les tests et d'évaluer leur niveau scolaire, préalable nécessaire à leur affectation dans un établissement, tant que les jeunes n'ont pas été reconnus officiellement mineur. Ces refus de scolarisation sont régulièrement condamnés par les tribunaux (207). De plus, certains demandent des documents supplémentaires comme un justificatif de domicile, aux fins d'une scolarisation proche du lieu d'habitation ; la plupart des jeunes en recours se trouvant dans l'incapacité de produire ce document en raison de leur absence d'hébergement stable, ils se voient empêchés de s'inscrire.

  12. Les procédures d'accès à la scolarisation, extrêmement longues, peuvent durer de six mois jusqu'à trois ans (208), ce qui rend quasiment impossible toute forme de scolarisation. Ces délais sont notamment dus à une insuffisance du nombre de tests proposés par rapport au nombre de candidats. Certaines académies ouvrent des tests toute l'année tandis que d'autres ne le font qu'en septembre, ce qui peut considérablement retarder l'entrée dans la scolarité. Une fois les tests passés, une autre difficulté concerne le nombre de classes pour élèves allophones en UPE2A : en raison du manque de professeurs, le nombre d'heures dédiées reste trop faible, ce qui, non seulement entraîne un retard dans l'intégration scolaire des mineurs non accompagnés, mais encore retarde leur intégration en général, notamment pour pouvoir à terme rejoindre des formations professionnalisantes ou obtenir un diplôme (209). Pour pallier ce temps d'attente très long, les jeunes en attente suivent souvent des cours dispensés par des associations, qui assurent des apprentissages de base, notamment en français ou en mathématiques.

  13. Une autre difficulté a trait à l'absence de représentation légale des mineurs non accompagnés, qu'ils soient reconnus mineurs ou aient formé un recours. Les jeunes sont souvent démunis lorsqu'il leur est demandé des documents, généralement non obligatoires, qu'ils ne peuvent pas fournir, et même si les dossiers sont complétés, ces demandes leur font perdre beaucoup de temps voire empêchent certains d'accéder aux formations souhaitées (210). Par exemple, pour bénéficier de bourses scolaires, il est souvent demandé de fournir la déclaration d'impôt des responsables légaux, ce qui est impossible pour les mineurs non accompagnés. Les difficultés liées à la représentation légale ont aussi un impact pour accéder à d'autres droits, tel celui de participer à des sorties ou voyages scolaires.
    Recommandation n° 43 : La CNCDH recommande, afin de garantir une prise en charge adaptée et une scolarisation rapide des élèves allophones, d'augmenter le nombre de centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés (CASNAV) et les structures d'accueil type unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A).
    La CNCDH recommande également :

- d'améliorer le lien entre les enseignants UPE2A et les autres enseignants pour augmenter l'intégration des élèves dans leurs classes de référence ;
- d'augmenter le nombre de professeurs formés à l'accompagnement de ces publics.

Recommandation n° 44 : La CNCDH recommande, conformément au respect du droit à l'instruction, d'assurer la scolarisation des mineurs non accompagnés dès la phase d'évaluation.
Recommandation n° 45 : La CNCDH recommande d'augmenter l'offre de tests proposés par le CASNAV et d'augmenter le nombre de classes UPE2A ainsi que le nombre de professeurs dédiés.
91. Depuis la réforme du versement des allocations de stage en faveur des lycéens professionnels dans le cadre de la valorisation de leurs périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) (211), les élèves mineurs peuvent recevoir l'allocation sur leur compte bancaire avec une autorisation écrite du représentant légal (212). Dans le cas des élèves mineurs non accompagnés, l'agence de services et de paiement, organisme payeur de l'allocation de stage pour le compte de l'Etat, effectue le paiement sur le compte bancaire d'une personne morale. Cette modalité reste limitée aux structures qui agissent pour le compte de l'élève mineur avec un mandat, comme l'aide sociale à l'enfance, les associations mandatées ou un tiers digne de confiance, ce qui peut exclure un certain nombre de bénéficiaires.
92. Par ailleurs, les auditions menées par la CNCDH ont fait ressortir une orientation scolaire discriminatoire, ces jeunes étant souvent orientés vers des voies professionnelles alors que certains pourraient prétendre à une voie générale. Cela peut être dû à différents facteurs : d'une part, une certaine méfiance peut se manifester par rapport à leurs capacités professionnelles, en raison de la barrière de la langue. D'autre part, pour être régularisés à 18 ans, ils ont l'obligation d'accomplir 6 mois de formation professionnelle, s'ils ont été pris en charge entre 16 et 18 ans. Les classes UPE2A n'étant pas reconnues comme formation professionnelle, les jeunes sont poussés à se diriger au plus vite vers un CAP pour pouvoir être régularisés mais aussi pour pouvoir accéder rapidement à l'autonomie, limitant ainsi la prise en charge jeune majeure jusqu'à 21 ans, qui représente une charge financière pour les départements (voir partie 4 - Le passage à la majorité).
Recommandation n° 46 : La CNCDH recommande d'améliorer le suivi scolaire des enfants non pris en charge par l'ASE et en recours, afin de les intégrer plus vite dans un parcours scolaire de droit commun et d'éviter les ruptures dans les apprentissages.
93. La CNCDH rappelle également l'importance du droit à la culture, au sport et aux loisirs, protégé par l'article 31 de la CIDE et mentionné à l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946. Eu égard à la situation de précarité dans laquelle vivent de nombreux mineurs non accompagnés, ce droit connaît de nombreux obstacles (213). Par exemple, le fait de ne pas avoir de représentant légal les empêche parfois d'accéder à certaines activités pour lesquelles une autorisation est requise ou pour lesquelles les inscriptions sont très compliquées. La CNCDH, à l'instar du Défenseur des droits, recommande d'assurer à tous les mineurs étrangers présents sur le territoire un accès aux activités sportives, culturelles et de loisirs (214).
Recommandation n° 47 : La CNCDH recommande d'assurer à tous les mineurs étrangers présents sur le territoire un accès aux activités sportives, culturelles et aux loisirs.

  1. Garantir l'accès aux soins et la protection de la santé

  2. L'article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, reconnaît « le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre » et aux termes des articles 24 et 26 de la CIDE, les enfants ont un droit à la santé et à pouvoir bénéficier des services médicaux et de rééducation. Les Etats parties s'efforcent de garantir qu'aucun enfant ne soit privé du droit d'avoir accès à ces services et leur reconnaissent le droit de bénéficier de la sécurité sociale. En droit français, le droit à la protection de la santé, consacré à l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, fonde le droit à la sécurité sociale (215). Les mineurs non accompagnés pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance bénéficient des couvertures maladie universelle et complémentaire (216). En revanche, ceux dont l'évaluation est en cours ou ceux non pris en charge par l'ASE sont assimilés à des étrangers en situation irrégulière et bénéficient de l'aide médicale d'Etat (AME) (217) sans toutefois que l'octroi de celle-ci soit conditionné, comme c'est le cas pour les majeurs, à une présence de trois mois sur le territoire français (218) et à des conditions de ressources. L'accès à l'AME est néanmoins difficile car il faut prouver une domiciliation, ce que la plupart des jeunes en recours n'ont pas.

  3. Cette distinction hasardeuse et paradoxale crée un système de soins à deux vitesses : les mineurs effectivement pris en charge qui bénéficient de l'assurance maladie et ceux non pris en charge, au motif qu'un doute subsiste sur leur âge, qui bénéficient de l'AME dans des conditions spécifiques. Actuellement de nombreux départements n'ouvrent pas les droits à l'AME pendant la phase d'accueil provisoire d'urgence et attendent que le jeune soit reconnu mineur pour ouvrir les droits à l'assurance maladie. En conséquence, de nombreux enfants se retrouvent sans couverture santé lorsqu'ils sortent des dispositifs de mise à l'abri à la suite d'une décision de non-admission à l'ASE (219).

  4. Une autre difficulté réside dans la nécessité d'obtenir le consentement des représentants légaux pour certains actes médicaux, alors que par définition, les mineurs non accompagnés n'ont pas de représentants légaux sur le territoire français. Il existe pourtant plusieurs exceptions à l'obligation de consentement des représentants légaux, mais elles restent très peu connues des structures et des professionnels de santé, ce qui occasionne des refus de soins et des retards d'accès aux soins, surtout quand l'acte est invasif. L'instabilité du statut administratif des mineurs non accompagnés (primo-arrivant, en cours d'évaluation, non reconnu mineur, pris en charge à l'ASE) complexifie d'autant plus la prise en charge médicale. Une solution serait d'assurer une ouverture systématique des droits à une couverture maladie dès la phase d'accueil provisoire d'urgence, afin de sécuriser les parcours de soins, lutter contre le non-recours et le retard de soins et ne pas se heurter au problème essentiel de la représentation légale (les jeunes de 16 ans affiliés à l'assurance maladie sont considérés comme majeurs émancipés et bénéficient d'une autonomie décisionnelle [220]).

  5. L'accès aux soins des mineurs non accompagnés est donc souvent un parcours semé d'embûches, surtout pour ceux qui, après un refus de prise en charge à l'ASE, ont saisi le juge de enfants. Or, c'est une population dont l'état de santé se dégrade énormément du fait de la vie à la rue (221). L'absence de protection et l'instabilité de leurs conditions de vie compromettent largement l'accès aux soins et complexifient leur accès aux droits, tout en laissant ces jeunes exposés à des conditions de vie préjudiciables pour leur santé (222).

  6. En effet, les mineurs non accompagnés connaissent des défis majeurs en termes de santé qui résultent de la jonction de facteurs inhérents à leur statut : l'exil, l'adolescence et le psycho-traumatisme, ce qui les rend particulièrement vulnérables et surexposés à des risques sanitaires et à des troubles post-traumatiques (223). Ils ont souvent un accès compliqué à la santé, que ce soit pour des raisons administratives (difficulté d'accès à l'aide médicale d'Etat ou à une autre forme de protection) ou pour des raisons plus personnelles, certains étant terrorisés à l'idée de subir des examens médicaux ou de se faire prélever du sang par exemple.

  7. Lorsque des bilans de santé sont réalisés, de nombreuses pathologies récurrentes sont mises en évidence. Ainsi, beaucoup souffrent de troubles psychiques, en particulier de psycho-traumatismes (224) (voir partie 3- améliorer la santé mentale) et des troubles réactionnels et d'adaptation apparaissent souvent après l'arrivée en France, en lien avec les conditions dégradées d'accueil, qui aggravent parfois les traumatismes préexistants. Les infections chroniques, notamment l'hépatite B, sont plus fréquentes chez les mineurs non accompagnés, ces jeunes méconnaissant souvent cette maladie et son mode de transmission, ce qui pose des questions complexes sur le dépistage familial et la communication avec les proches restés au pays. Les maladies infectieuses, comme la bilharziose ou l'anguillulose, dont les traitements sont disponibles et efficaces, sont également détectées. Ces prévalences peuvent s'expliquer par le fait qu'ils sont souvent originaires de pays à forte endémie où l'accès aux soins est parfois défaillant, par la précarité de leurs conditions de vie dans leur pays d'origine, par les séquelles de leur trajet migratoire (violences, agressions, détention, malnutrition…), par les obstacles dressés à l'encontre de leur accès aux droits et aux soins en France (absence de soins préventifs, repérage tardif de leurs besoins en santé, retard dans leur accès aux soins, prise en charge dans des structures inadaptées, parcours de soins chaotiques en l'absence de représentants légaux et à défaut de protection sociale, barrières culturelles et linguistiques) ou encore par les négligences institutionnelles et violences dont ils font l'objet. La CNCDH alerte en outre sur le fait que de nombreux mineurs ne bénéficient pas, en pratique, de bilan de santé à leur arrivée, malgré les préconisations en ce sens. Ce manquement constitue une atteinte grave à leur droit à la santé et appelle une réponse urgente des autorités compétentes.

  8. Dans ce contexte, il apparaît essentiel de leur garantir un accès aux soins, et ce dès la phase d'accueil provisoire d'urgence. Or, la CNCDH déplore que les obstacles à l'accès aux soins qu'elle avait déjà identifiés en 2014 n'aient que peu évolué. Les principales difficultés relatives à l'interprétariat, l'accès à la protection maladie ou encore les ruptures dans le suivi médical perdurent. Ces ruptures sont souvent liées à la mobilité géographique des jeunes, les changements fréquents de lieux de vie et de territoire entraînant des consultations et bilans de santé redondants, sans réel suivi. Certains se voient refuser des actes de chirurgie car il est difficile de leur assurer un suivi post hospitalier.

  9. Pour les jeunes en attente d'évaluation ou de reconnaissance de minorité, depuis l'arrêté du 28 juin 2019, une première évaluation des besoins en santé doit être réalisée (225). Si la CNCDH a pu constater que cette pratique était fréquente dans les conseils départementaux, il lui a également été dit que l'évaluation des besoins de santé était parfois lacunaire, avec des bilans de santé non réalisés ou alors expéditifs, en contradiction avec les recommandations du Haut Conseil de la santé publique et du ministère de la santé (226), souvent en raison d'un manque de moyens (227) ou de connaissance et d'adaptation à la situation spécifique des mineurs non accompagnés. La CNCDH regrette que l'enjeu de l'évaluation de la minorité et de l'isolement prime souvent sur les enjeux de santé et de santé publique.

  10. La CNCDH déplore que le système d'accueil et d'évaluation des mineurs non accompagnés génère des parcours de soins chaotiques (retard voire refus de soins, rupture dans la continuité des soins, etc.). L'accès à la santé des mineurs non accompagnés repose encore trop sur les associations, qui tentent de mettre en place des outils et des accompagnements à la permanence d'accès aux soins (PASS) mais ce fonctionnement n'est malheureusement pas pérenne en raison d'un turnover important des personnels. Afin d'améliorer le suivi médical de ces jeunes, il convient de mettre en place un suivi pérenne. Pour cela, il apparaît nécessaire de repenser l'esprit de l'accueil et de la protection en instaurant un véritable temps de répit, un bilan de santé complet, un parcours de soin cohérent et coordonné.
    Recommandation n° 48 : La CNCDH recommande de renforcer la formation des soignants et personnels médicaux à la spécificité de la prise en charge des mineurs non accompagnés, notamment s'agissant de la possibilité d'accomplir certains actes sans représentation légale, actes médicaux usuels ou non, etc.).
    Recommandation n° 49 : La CNCDH recommande, dès l'accueil provisoire d'urgence, de procéder systématiquement à un bilan de santé complet des mineurs non accompagnés. La CNCDH recommande de mettre en place un protocole national de prise en charge des soins et de coordination des parcours de soins.
    Recommandation n° 50 : La CNCDH recommande l'ouverture d'une couverture maladie complète et universelle, dès l'arrivée sur le territoire des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés.
    Recommandation n° 51 : La CNCDH recommande de renforcer l'information sur l'accès à la santé, notamment par la mise en place d'ateliers sur des thématiques comme la sexualité ou l'alimentation. Elle recommande la mise en place systématique d'un interprétariat à chaque étape du parcours de soins.

  11. Favoriser la prise en compte de la santé mentale des mineurs non accompagnés

  12. La santé mentale des mineurs non accompagnés est un enjeu majeur. Comme évoqué précédemment, les mineurs peuvent présenter des fragilités psychologiques, exacerbées par le parcours migratoire et accrues par la période d'errance, qui appellent une orientation en santé mentale bien pensée. Or, les jeunes sont souvent orientés de manière aléatoire entre les centres médico-psychologiques (CMP) pour adultes et pour enfants, ce qui engendre des difficultés dans leur prise en charge, obstacles accentués par le manque d'interprétariat. Pour les mineurs non accompagnés en recours, qui sont dans un vide juridique concernant leur statut, l'absence de représentant légal peut poser des difficultés en cas d'hospitalisation en psychiatrie. En outre, leur situation de précarité, marquée par une instabilité et la pression des échéances administratives, complique le suivi psychologique. En effet, l'instabilité empêche une adhésion aux soins, pourtant nécessaire pour s'engager dans un parcours thérapeutique, et risque d'accroître les troubles.

  13. Par ailleurs, certains jeunes dérivent et entrent dans une consommation accrue de substances addictives, aggravée par les psycho-traumatismes non traités et les retards dans l'accès aux soins. Les jeunes qui consomment des médicaments et autres substances sont souvent très éloignés des dispositifs de soins et ne consultent que dans des situations ponctuelles (blessures, urgences), mais échappent ensuite à un suivi régulier (228). Ils évoluent souvent dans des environnements très violents et souffrent, pour certains, de troubles psychiques graves, en raison d'un contexte familial dégradé depuis l'enfance. Certains sont également victimes de réseaux de traite des êtres humains. Pourtant, ces troubles psychiques réactionnels à la précarité peuvent cesser rapidement, dès que les jeunes sont suivis et en situation de stabilisation. C'est pourquoi il est absolument indispensable de prévoir une prise en charge le plus tôt possible (229).
    Recommandation n° 52 : La CNCDH recommande de renforcer la prise en charge psychologique des mineurs non accompagnés et de sensibiliser davantage les professionnels à l'impact des traumatismes sur le comportement des jeunes.
    Recommandation n° 53 : La CNCDH recommande de mettre en place un accompagnement en addictologie pour les mineurs non accompagnés qui en ont besoin.

  14. La protection spécifique de certains mineurs non accompagnés

  15. La question de la protection des mineurs non accompagnés contre toute forme de violence revêt une importance accrue au regard des nombreuses violences - physiques, institutionnelles, juridiques et structurelles - auxquelles ils sont exposés tout au long de leur parcours migratoire et sur le territoire français. La CNCDH s'inquiète de la tendance à les appréhender davantage comme des étrangers en situation irrégulière que comme des enfants en danger, ce qui conduit à des confrontations fréquentes avec les forces de l'ordre. Il a été rapporté à la Commission que, lors des opérations de démantèlement de campements ou d'interventions sur des lieux de vie précaires (squats, bidonvilles), les mineurs non accompagnés sont souvent traités sans différenciation avec les adultes et sans détection de leur âge ou de leur situation d'isolement. Ce traitement indifférencié soulève des préoccupations majeures. En premier lieu, il entrave l'identification des éventuels cas de traite des êtres humains. En second lieu, cette approche renforce la précarisation des jeunes concernés, les privant d'une éventuelle mise à l'abri. Ces pratiques sont contraires à l'intérêt supérieur de l'enfant et compromettent la capacité des institutions à assurer une protection effective aux enfants les plus vulnérables (230).

  16. Protéger les mineurs non accompagnés victimes de traite des êtres humains

  17. La CNCDH, en tant que rapporteur national indépendant sur la lutte contre la traite des êtres humains, rappelle, à l'instar du GRETA, groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains du Conseil de l'Europe (231), que la France doit respecter ses obligations internationales en termes de protection des enfants contre toute forme de violence (232).

  18. Si certains jeunes ont déjà été victimes d'exploitation dans leur pays ou pendant leur trajet, la traite des mineurs non accompagnés une fois en France reste un sujet particulièrement central, étroitement lié aux défaillances dans leur prise en charge, que ce soit à leur arrivée ou une fois intégrés dans la protection de l'enfance. Pour les primo-arrivants, la précarité liée à l'absence de dispositifs de protection jusqu'à la décision de reconnaissance de minorité les rend particulièrement vulnérables aux exploiteurs. De plus, les politiques de répartition nationale, qui les placent dans des territoires qu'ils ne connaissent pas et où ils n'ont aucune attache, peuvent avoir un effet contreproductif : en ne tenant pas compte de leurs besoins spécifiques et de leurs projets de vie, on les empêche de se stabiliser et on fait d'eux une cible privilégiée des réseaux de traite des êtres humains (233).

  19. La traite des mineurs non accompagnés prend des formes diverses, qui parfois se combinent : exploitation sexuelle, obligation à mendier, exploitation au travail, esclavage domestique, mariage forcé (234). Certains enfants sont même contraints à commettre des délits, comme l'a mis en évidence le procès dit du Trocadéro (235). Il peut s'agir de vols ciblés, de recel, de transport de stupéfiants ou d'armes… Les formes d'exploitation dépendent beaucoup du lieu d'errance des jeunes et sont souvent très spécifiques à un territoire (236), les zones frontalières étant particulièrement touchées (237). La présence prolongée de mineurs non accompagnés sur les camps de transit constitue un indicateur de risque de traite, les réseaux exploiteurs les empêchant souvent d'effectuer la traversée s'ils n'ont pas « travaillé » pour eux. Ce phénomène, qui n'est pourtant pas récent, a longtemps été sous-estimé par les forces de police. Or, l'une des principales difficultés pour les parquets réside dans la mobilisation de services d'enquête volontaires pour travailler sur ces dossiers. De plus, contrairement à d'autres réseaux de traite structurés, ceux impliquant des mineurs non accompagnés sont souvent plus éclatés, ce qui complique leur démantèlement. Pour la CNCDH, il est indispensable de renforcer la coordination entre les institutions et la société civile dans toutes ses dimensions (associations, syndicats, etc.) avec la mission interministérielle MIPROF, afin d'assurer une action cohérente et efficace.

  20. Concernant les jeunes contraints à commettre des délits, une autre difficulté réside dans la manière dont le cadre de la traite est appréhendé par la justice, qui, trop souvent, considère les enfants comme des délinquants plutôt que comme des victimes. Alors que la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (238) impose aux Etats de prévoir la possibilité de ne pas imposer de sanctions aux victimes ayant pris part à des activités illicites lorsqu'elles y ont été contraintes, les mineurs non accompagnés poursuivis dans ce type d'affaires sont souvent incarcérés et condamnés. La CNCDH réitère sa recommandation d'insérer dans le code pénal un principe de non sanction (239), afin de réellement considérer les personnes contraintes à commettre tout crime ou délit comme des victimes et de se conformer à la Convention de Varsovie, qui précise que les enfants doivent être présumés mineurs et bénéficier d'une assistance immédiate. En réponse aux arguments qui prétendent que cette mesure pourrait être favorable aux exploiteurs, la CNCDH considère au contraire que cela permettrait une meilleure protection des victimes : en les intégrant pleinement dans le processus, et en leur expliquant qu'elles ne seront pas poursuivies, elles seront incitées à davantage témoigner. Le lien créé sur la durée, notamment via la mise à l'abri pérenne et l'éloignement géographique, permet une meilleure coopération avec les services d'enquête et le démantèlement de certains réseaux (240), ce qui est absolument indispensable pour lutter efficacement contre la traite (241). En outre, la CNCDH rappelle que, dès lors que les mineurs victimes sont condamnés, cela a des conséquences sur leur avenir, notamment en raison de l'inscription au casier judiciaire et de l'émission d'une OQTF.

  21. La CNCDH a également été alertée sur une pratique des exploiteurs qui présentent des mineurs comme majeurs en leur fournissant de faux documents, afin qu'ils ne puissent pas bénéficier de la protection à laquelle ils pourraient prétendre et restent dépendants des réseaux. Ces pratiques compliquent leur identification et leur accès à une prise en charge adaptée. L'environnement d'adultes dans lequel ils évoluent les expose à un risque accru d'exploitation, ce qui rend impératif d'adopter des mesures spécifiques pour prévenir ce type de situation. Là encore, il est impératif de prévoir un mécanisme d'identification des victimes, comme le recommande avec insistance la CNCDH depuis plusieurs années (242).
    Recommandation n° 54 : La CNCDH réitère sa recommandation d'établir, quelle que soit la forme de traite, un mécanisme national d'identification, d'orientation et de protection des victimes et de prévoir une formation de tous les acteurs pouvant être en contact avec des mineurs non accompagnés (social, police, justice, santé, éducation, sports, culture).
    Recommandation n° 55 : La CNCDH recommande un accès immédiat à une mise à l'abri et à un accompagnement adapté pour les mineurs susceptibles d'être victimes de traite des êtres humains.
    Recommandation n° 56 : La CNCDH recommande la mise en place de campagnes d'information et d'éducation pour lutter contre les idées reçues sur les mineurs non accompagnés, aux fins de permettre aux professionnels de l'enfance, et plus largement au grand public, de mieux connaître le phénomène et mieux repérer les mineurs victimes d'exploitation.
    Recommandation n° 57 : La CNCDH recommande que, s'agissant des mineurs victimes, la présomption permettant de caractériser à leur encontre la commission de l'infraction de traite des êtres humains (article 225-4-1 [II] du code pénal), soit accompagnée d'une présomption de contrainte, cause d'irresponsabilité pénale pour le mineur ayant commis un crime ou un délit dans ce cadre. La CNCDH recommande de compléter l'article 225-4-1 (3°) du code pénal par la prévision de « la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de la situation économique ou sociale de la victime ».
    Recommandation n° 58 : La CNCDH recommande de former tous les acteurs intervenant auprès des mineurs (magistrats, avocats, éducateurs PJJ et spécialisés, forces de police, services de soin et d'addictologie, administration pénitentiaire) aux « indicateurs de la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit » et de renforcer la coopération entre tous ces acteurs pour mieux repérer les mineurs non accompagnés victimes de traite des êtres humains.

  22. Accompagner les jeunes filles

  23. La CNCDH a été alertée, au cours de ses auditions et visites de terrain, de la proportion croissante de jeunes filles parmi les mineurs non accompagnés et de leur l'invisibilisation. Il a ainsi été précisé à la CNCDH que les filles en provenance de certains pays comme la Côte d'Ivoire ou la Guinée, très présentes en Italie, semblaient disparaître après leur arrivée sur le territoire, ce qui pose des questions sur leur exploitation potentielle. Bien que leur implication dans des réseaux de traite soit encore peu documentée, on note que certaines d'entre elles peuvent entretenir des rapports avec des hommes en contrepartie de faveurs financières et matérielles. Ce phénomène qualifié de « michetonnage », terme sexiste et stigmatisant, qui correspond en réalité à une forme d'exploitation sexuelle, les relations avec des clients occasionnels laissant à penser qu'elles sont exposées à des risques importants d'exploitation sexuelle. Si les professionnels de l'aide sociale à l'enfance ont conscience de situations préoccupantes et de certains états de vulnérabilité (polytraumatisme, addictions, handicaps mentaux non diagnostiqués), ils semblent impuissants face à ces phénomènes (243). La CNCDH s'inquiète de la prise en charge défaillante de l'ASE qui fait actuellement face un défi d'ampleur, et qui concerne aussi des jeunes filles françaises, nombre d'entre elles ayant été, selon les témoignages, recrutées dans des réseaux d'exploitation sexuelle, souvent peu après leur arrivée à l'ASE. Ces risques doivent être clairement identifiés et pris en compte pour renforcer la prévention et la protection de toutes les jeunes filles, y compris non accompagnées.

  24. L'augmentation du nombre de jeunes filles impacte l'activité de tous les acteurs, car elles font face à des problématiques qui nécessitent un accompagnement spécifique : ainsi beaucoup présentent des situations particulières, comme des grossesses ou la présence d'un enfant en bas âge, qui nécessitent de traiter, outre les besoins de santé, des questions juridiques précises comme l'état civil, la régularisation, ou la preuve de la filiation de l'enfant. Leurs conditions d'accueil dépendent des politiques locales : dans certains territoires, les jeunes filles ne sont pas accueillies car les dispositifs, souvent en hébergement diffus sans présence éducative en continu, ne garantissent pas leur sécurité face à des réseaux de criminalité locaux. La CNCDH rappelle aux conseils départementaux que les dispositifs d'accompagnement des jeunes majeurs et de prise en charge en centre maternel ne sont pas concurrents mais complémentaires (244). Néanmoins, la CNCDH note avec intérêt que de plus en plus de lieux dédiés sont mis en place pour les accompagner au plus près de leurs besoins, bien que ces centres, qui rencontrent de nombreuses difficultés de financement, restent gérés par des associations (245).
    Recommandation n° 59 : La CNCDH recommande d'assurer une mise à l'abri des jeunes filles dans les dispositifs de la protection de l'enfance dès leur présentation aux autorités.
    Recommandation n° 60 : La CNCDH recommande de renforcer les dispositifs d'accompagnement à la parentalité, notamment dans les centres maternels.
    Recommandation n° 61 : La CNCDH recommande de renforcer la formation des professionnels afin d'améliorer l'accompagnement des jeunes filles ayant été victimes de violences sexuelles.


Historique des versions

Version 1

1. Garantir les droits procéduraux

69. Afin que les enfants puissent faire valoir leurs droits, les Etats ont une obligation positive d'assurer une représentation légale aux mineurs non accompagnés à tous les stades de la procédure. Comme l'a rappelé le Comité des droits de l'enfant, les Etats devraient « désigner un tuteur ou un conseiller dès que l'enfant non accompagné ou séparé est identifié en tant que tel et reconduire ce dispositif jusqu'à ce que l'enfant atteigne l'âge de la majorité ou quitte le territoire et/ou cesse de relever de la juridiction de l'Etat à titre permanent, conformément à la Convention et à d'autres obligations internationales (146) ». Cette désignation systématique doit être assurée sans délai afin d'éviter toute situation d'isolement ou de vulnérabilité accrue pour ces mineurs. Le droit français offre différentes possibilités de représentation légale.

1. Recourir à l'administrateur ad hoc dès l'arrivée sur le territoire

70. Déjà en 2014, la CNCDH avait estimé nécessaire de confier à l'administrateur ad hoc une mission de représentation, d'assistance juridique et d'information pour tous les mineurs en incapacité de faire valoir et d'exercer leurs droits, du fait de l'absence ou de l'éloignement de leurs représentants légaux (147). L'administrateur ad hoc, qui intervient de façon générale lorsque les intérêts de l'enfant sont en contradiction avec ceux de ses représentants légaux, peut être désigné pour les mineurs non accompagnés dans deux situations : en cas de refus d'entrée sur le territoire et de placement en zone d'attente (148) ou en cas de dépôt d'une demande d'asile (149), lorsqu'aucune tutelle ou délégation totale de l'autorité parentale n'a déjà été prononcée. Cependant, cette désignation demeure trop limitée et souvent tardive, ce qui nuit à la pleine garantie des droits des mineurs concernés. Bien que les administrateurs ad hoc ne puissent être désignés que pour les mineurs reconnus comme tels par l'autorité judiciaire (150) et que les jeunes non accompagnés dits « en recours » n'entrent pas dans cette catégorie, la CNCDH préconise, comme elle l'a déjà fait à de nombreuses reprises (151), de désigner un administrateur ad hoc pour ceux qui se présentent comme mineurs non accompagnés, ce qui serait cohérent avec une application effective de la présomption de minorité. Cette désignation pourrait avoir lieu, à l'instar de ce qui est prévu dans d'autres pays (152), dès leur présentation aux autorités (que ce soit la police aux frontières ou encore le conseil départemental) comme c'est le cas pour la demande d'asile, afin d'éviter que les jeunes ne soient livrés à eux-mêmes durant des phases décisives de leur parcours administratif et judiciaire. Pour mener à bien cette mission, la CNCDH insiste sur la nécessité de pallier les problèmes structurels auxquels cette fonction est confrontée : une faible rémunération, un statut peu clair et une formation lacunaire, en bref un manque d'attractivité de la fonction, qui explique l'insuffisance du nombre d'administrateurs (153). Afin de rendre cette garantie effective sur l'ensemble du territoire, la CNCDH souligne l'urgence de renforcer les dispositifs de recrutement et de formation des administrateurs ad hoc, dont le manque nuit gravement à la protection effective des droits des mineurs. La CNCDH rappelle la nécessité de préserver les garanties d'impartialité et d'indépendance des administrateurs ad hoc, qui doivent être respectées lorsque l'aide sociale à l'enfance (ASE) est désignée en cette qualité, conformément aux recommandations du Comité des ministres du Conseil de l'Europe (154).

Recommandation n° 24 : La CNCDH recommande de désigner, sans délai, un administrateur ad hoc pour les mineurs dès leur présentation aux autorités : police aux frontières, police et gendarmerie, conseil départemental.

Recommandation n° 25 : La CNCDH recommande que l'indépendance et l'impartialité de l'administrateur ad hoc soient garanties.

Recommandation n° 26 : La CNCDH recommande de revaloriser la fonction d'administrateur ad hoc et de renforcer leur formation, notamment à la question spécifique des mineurs non accompagnés.

Recommandation n° 27 : La CNCDH recommande, en cas d'appel interjeté par le département, le maintien de l'assistance du mineur par un avocat et d'un administrateur ad hoc, pour se conformer aux garanties du procès équitable.

2. La délégation d'autorité parentale et la mesure de tutelle

71. Une fois reconnus mineurs, ces enfants font l'objet d'une mesure d'assistance éducative prononcée par le juge des enfants. Malgré cette prise en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE), ils peuvent se heurter, en l'absence de titulaire de l'autorité parentale, à de nombreuses difficultés dans leurs démarches quotidiennes telles que le dépôt d'une demande de passeport, l'ouverture de compte bancaire, une demande d'autorisation de travail, la signature d'un contrat d'apprentissage, etc. (155). Cette situation est encore plus problématique s'agissant de l'accès aux soins, car ils peuvent être empêchés d'accéder à certains traitements, notamment en cas d'absence d'urgence vitale. Enfin, pour les mineurs victimes d'infractions pénales ou subissant un préjudice, il n'est pas possible de se constituer partie civile sans représentation légale. Ces difficultés peuvent être palliées par une mesure de protection telle que la délégation d'autorité parentale ou la tutelle, qui ne sont encore que rarement prononcées.

72. Selon l'article 377 alinéa 1

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du code civil, la délégation d'autorité parentale peut être demandée par les parents ; et selon les alinéas 2 et suivants, elle est applicable aux mineurs non accompagnés, la personne ou le service ayant recueilli l'enfant pouvant alors se faire déléguer l'autorité parentale. Cette délégation permet de transférer, partiellement ou totalement, les droits et devoirs des parents à un tiers et sert à protéger l'enfant dans sa santé, sa scolarité, sa moralité mais non dans ses intérêts patrimoniaux qui exigent la désignation d'un administrateur. Selon l'article 377, avant de mettre en place cette mesure, les deux parents doivent être appelés à l'audience : soit ils sont convoqués à l'étranger, ce qui peut prendre du temps et laisser le mineur sans représentation pendant une longue durée, soit les services de l'ASE démontrent qu'ils ne sont pas en mesure d'entrer en contact avec eux et doivent dans ce cas recourir à la tutelle. Les exigences procédurales de la délégation parentale rendent cette mesure moins souple que la tutelle, laquelle apparaît plus adaptée.

73. La tutelle, conformément à l'article 390 du code civil (156), s'ouvre en cas de privation de l'exercice de l'autorité parentale pour les enfants orphelins ou dont les parents ont été privés de l'autorité parentale (157). Selon la circulaire du 19 avril 2017 (158), la tutelle peut s'appliquer aux mineurs non accompagnés lorsque « soit la preuve du décès du ou des représentants légaux est apportée, soit qu'il est justifié de recherches entreprises pour les retrouver ». La tutelle présente l'avantage d'être souple car elle peut tenir compte des liens familiaux. En effet, l'isolement étant un élément de la définition du mineur non accompagné, la prise en compte des liens familiaux a longtemps été un impensé à leur égard, expliquant que très peu de mesures de protection leur aient été proposées (159). De plus, il arrive fréquemment que les parents soient en vie ou que des liens soient encore possibles ; pour autant, ils ne sont pas toujours recherchés, par crainte que le mineur ne soit pas reconnu comme isolé, avec pour conséquence une rupture de fait entre les mineurs et leur famille. Afin de pouvoir maintenir ou recréer ce lien familial, la tutelle apparaît adaptée. En effet, si l'ouverture d'une tutelle départementale est préconisée lorsque la famille est absente, elle peut être levée si la famille est retrouvée, avec une transition vers une tutelle familiale permettant une prise en charge individualisée. Il peut ainsi arriver que des mineurs non accompagnés retrouvent de la famille et que celle-ci accepte une prise en charge partielle. Cela permet à l'enfant de rester dans le même département de placement et de donner du sens à son parcours migratoire tout en évitant de lui créer des conflits dans son identité (160). De plus, alors qu'il est essentiel de protéger leur patrimoine pour leur passage à la majorité, notamment les revenus issus de l'apprentissage auquel nombre d'entre eux ont accès. Le prononcé d'une tutelle, selon les modalités appréciées et fixées par le juge, permet d'assurer une représentation légale pérenne et une protection globale, tant personnelle que patrimoniale (161).

Recommandation n° 28 : La CNCDH recommande d'ajouter un alinéa supplémentaire à l'article 390 du code civil afin de spécifier qu'il s'applique aux mineurs non accompagnés sans représentant légal sur le territoire, quel que soit le statut des parents.

Recommandation n° 29 : La CNCDH recommande de mettre en place un régime de tutelle ayant les attributions de l'exercice de l'autorité parentale et adapté aux mineurs non accompagnés, qui permette une gestion globale de leur personne et de leurs biens, et la protection de leurs revenus jusqu'à leur majorité.

3. Faciliter l'accès au juge

74. S'il est aujourd'hui acquis que le juge des enfants est celui de la protection de l'enfance et donc le juge naturel du mineur non accompagné (162), la CNCDH estime que l'accès au juge n'est pas toujours aisé pour ces enfants en raison des différents juges compétents. En effet, tout au long de leur parcours, les mineurs non accompagnés doivent naviguer entre plusieurs juridictions, ce qui complexifie leur accès aux droits. L'accès au juge est difficile parce que le principe de présomption de minorité, dans sa composante matérielle et procédurale, n'est pas garanti en droit français. En cas de recours contre un refus de reconnaissance de minorité, le juge des enfants endosse le rôle de chambre d'appel des décisions du conseil départemental, ce qui le place dans la position « ambiguë » non plus de juge de l'enfance mais de juge d'une décision administrative, et ce, d'autant plus que le recours contre le refus de reconnaissance de minorité n'est pas suspensif (163). En cas de refus de prise en charge ou de délais excessifs, les recours se font auprès des tribunaux administratifs, via des référés-liberté. Cette complexité nuit à la clarté du parcours judiciaire des jeunes et peut décourager certains d'exercer leurs droits.

75. L'accès au juge des enfants est également complexifié par l'état de la justice qui est très dégradé, les conditions d'exercice des juges des enfants étant affectées par un manque d'effectifs et des délais de recours particulièrement longs. Cette situation de surcharge judiciaire impacte directement la qualité et la rapidité de la prise en charge de ces mineurs, alors même que ces jeunes sont souvent dans des situations d'extrême vulnérabilité nécessitant une intervention rapide. Ainsi, bien que les délais et pratiques soient variables d'une juridiction à l'autre (164), le traitement des dossiers nécessite au moins une quinzaine d'heures par mois, qui s'ajoutent à une charge de travail en contentieux civil et pénal classiques, eux-mêmes en augmentation. Certains juges ne prévoyant plus d'audience en l'absence d'expertises documentaires, les jeunes se retrouvent donc dans une situation de grande incertitude. Certaines juridictions, quant à elles, ont volontairement diminué le nombre d'audiencements au tribunal pour enfants afin d'aligner leurs pratiques sur celles d'autres tribunaux. Dans ce contexte très tendu, même lorsqu'une mesure provisoire est demandée en application de l'article 375 du code civil, il n'existe aucun moyen pour contraindre le juge à statuer rapidement ou à faire en sorte que sa décision soit exécutée dans les meilleurs délais, et ce alors même que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme sur ce fondement (165). Si la réduction des délais est un enjeu crucial, elle est néanmoins une exigence à nuancer dès lors que l'attente permet parfois de rassembler davantage d'éléments probants pour statuer sur la minorité. Ce constat rend donc difficile une accélération excessive du processus dans un contexte où les juges manquent d'outils pour déterminer l'âge du mineur.

Recommandation n° 30 : La CNCDH recommande d'augmenter le nombre de juge des enfants et de renforcer leurs équipes, grâce notamment à des juristes assistants spécialisés sur ces dossiers.

76. Afin d'assurer un meilleur accès à leurs droits, la CNCDH rejoint la recommandation issue du rapport des Etats généraux de la justice qui préconise une saisine systématique du juge aux affaires familiales statuant en qualité de juge des tutelles par le juge des enfants ou le parquet, dans un délai maximal de trois mois à compter de la première décision de placement du juge des enfants

77. (166). Le juge des enfants serait seul compétent pour mettre en œuvre une mesure de protection et statuer sur la minorité. La compétence du juge des tutelles pourrait intervenir de manière concomitante ou dans un second temps. Dès lors que des mesures d'assistance éducative et de tutelle peuvent être menées en parallèle (167), cette proposition a l'avantage de clarifier le rôle des deux juges, en donnant un responsable légal à l'enfant à moyen ou long terme.

Recommandation n° 31 : La CNCDH recommande, à l'instar du rapport sur la « justice de protection » rédigé à l'occasion des Etats généraux de la justice, une saisine systématique du juge aux affaires familiales statuant en qualité de juge des tutelles par le juge des enfants ou le parquet, dans un délai maximal de trois mois à compter de la première décision de placement du juge des enfants.

Recommandation n° 32 : La CNCDH recommande de prévoir l'assistance d'un même avocat pour le mineur, dans la mesure du possible spécialisé en protection de l'enfance, tout au long de la procédure afin de garantir une représentation effective de l'enfant. Cette désignation s'accompagnera nécessairement d'une réflexion sur l'aide juridictionnelle.

2. Garantir l'accès aux droits

1. Mettre un terme à un accès aux droits globalement dégradé

78. Alors même que l'Etat doit garantir une protection à tous les enfants, la CNCDH a pu constater que cette protection est trop souvent affectée par des considérations financières au détriment de l'intérêt supérieur de l'enfant. En premier lieu, bien que les départements soient compétents pour la prise en charge des mineurs non accompagnés (168), c'est l'Etat qui participe financièrement à la prise en charge pendant la période d'évaluation (169) ; cette participation est pourtant insuffisante, ce qui crée de nombreuses atteintes aux droits pendant cette phase (170). Une fois que l'enfant a intégré la protection de l'enfance, les prix de journée sont très souvent plus bas pour les mineurs non accompagnés que pour les autres enfants pris en charge : ils varient ainsi entre 40 et 80 euros jour pour un mineur non accompagné contre 220 euros jours pour un enfant en protection de l'enfance dit « classique » (171). Ces prix de journée particulièrement bas dans des lieux d'accueil dédiés aux mineurs non accompagnés conduisent à une prise en charge parfois très dégradée, alors qu'ils ont autant besoin de soutien que les autres enfants. Il a été dit à la CNCDH, au cours des auditions qu'elle a menées, que dans certains départements, il est même demandé une participation financière au jeune lorsqu'il dispose d'un revenu. Cependant, il est ressorti des auditions une quasi-unanimité en faveur du maintien de la compétence des conseils départementaux s'agissant des mineurs non accompagnés, en application du principe de non-discrimination et dès lors qu'il s'agit d'enfants en besoin de protection. Au regard des difficultés financières des départements, qui concernent toute la protection de l'enfance (172), la CNCDH estime qu'une intervention plus importante de l'Etat, dans une dimension exclusivement financière, devrait être envisagée. Tout en conservant la compétence départementale, la participation financière de l'Etat pourrait être élargie à un financement a posteriori de l'ensemble de la phase d'évaluation jusqu'à la décision définitive de l'autorité judiciaire, et non uniquement de la phase de l'accueil provisoire d'urgence. Ce financement pourrait être conditionné au respect du cadre légal afin d'éviter que les conseils départementaux refusent l'accueil provisoire d'urgence ou proposent des conditions de prise en charge dégradées.

79. Dans ces conditions, les mineurs non accompagnés se heurtent à de nombreux obstacles pour accéder à leurs droits (173). Les associations sont alors sollicitées ou amenées à agir pour les aider (174). Les difficultés premières concernent l'accès à l'hébergement, que ce soit pendant la période d'évaluation comme évoqué précédemment (voir partie 2), ou encore pendant la période de prise en charge, certains mineurs étant logés dans des logements beaucoup moins adaptés que les enfants en protection de l'enfance classique. Pour les jeunes en recours, le défaut de présomption de minorité et de recours suspensif les place dans un statut de vide juridique entre la minorité et la majorité, et les conduit à être parfois exclus de toutes parts (175). La CNCDH a également été alertée sur le fait que l'accès à l'alimentation était devenu une véritable difficulté pour les jeunes en attente d'évaluation, lorsque l'accueil provisoire d'urgence n'était pas respecté, ou de l'issue d'un recours. Les associations, dont la mission initiale est de faciliter l'accès aux droits ou aux soins doivent élargir cette mission à la distribution de nourriture, et font face à de nombreux obstacles tels que des refus d'accès à la banque alimentaire ou des arrêtés d'interdiction de distribution au motif de « risques sanitaires  » et «  troubles à l'ordre public  », lesquels, bien que ne visant pas spécifiquement les mineurs non accompagnés, s'appliquent aussi à eux (176).

Recommandation n° 33 : La CNCDH recommande que les mineurs non accompagnés bénéficient d'une dotation financière équivalente à celle accordée aux autres enfants confiés à la protection de l'enfance, afin d'assurer une égalité de traitement effective et une prise en charge adaptée à leurs besoins en mettant en place le taux d'encadrement qui était prévu par la loi Taquet.

Recommandation n° 34 : La CNCDH recommande de renforcer le soutien financier de l'Etat aux conseils départementaux, et de l'élargir à un financement a posteriori de l'ensemble de la phase d'évaluation jusqu'à la décision définitive de l'autorité judiciaire.

Recommandation n° 35 : La CNCDH recommande que les départements respectent le principe d'égalité de tous les enfants et leur assurent une prise en charge complète et adaptée à leurs besoins.

- si l'accompagnement nécessite des démarches spécifiques (accompagnement vers le droit au séjour ou la demande d'asile ou encore reconstitution des documents d'état civil), la CNCDH recommande que l'intégralité des dispositifs en matière de protection de l'enfance leur soit effectivement accessible, sans restriction ni traitement différencié ;

- la CNCDH recommande, en cas de dispositif spécifique, qu'il comporte les mêmes garanties et référentiels que les autres structures de protection de l'enfance du département.

2. Faciliter l'accès à la demande d'asile

80. Les causes de départ de certains mineurs non accompagnés justifient qu'ils puissent bénéficier d'une protection internationale. Bien que le nombre de mineurs non accompagnés sollicitant l'asile reste relativement faible, il est à noter qu'environ 80 % des demandes déposées par ces derniers sont acceptées par l'OFPRA et 90 % par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) (177). L'octroi de la protection internationale présente de nombreux avantages pour les mineurs non accompagnés : elle leur offre une sécurisation de leur droit au séjour, ce qui évite des situations d'irrégularité lors du passage à la majorité (voir partie 4- accès au séjour) ; elle permet de reconstituer leur état civil, l'OFPRA effectuant une reconstitution dans le cadre de la demande d'asile et enfin, le statut de réfugié leur permet de solliciter plus facilement la réunification familiale. Pour la CNCDH, l'accès à la procédure d'asile doit être garanti à tous les jeunes étrangers, y compris devant les instances juridictionnelles parce que la demande d'asile est une procédure autonome de celle visant à faire constater la minorité du requérant.

81. Pourtant, la voie de l'asile est insuffisamment empruntée par les mineurs non accompagnés (178) et fait face à de nombreux obstacles, que ce soit pour ceux en attente de reconnaissance de minorité ou ceux pris en charge par l'ASE. En premier lieu, lorsqu'un mineur non accompagné se présente à la préfecture sans représentant légal, celle-ci doit informer le procureur de la République afin qu'il désigne, « sans délai », un administrateur ad hoc (179), lequel doit effectuer toutes les démarches administratives pour le mineur notamment le retrait de formulaire de demande d'asile auprès de la préfecture. Or, il arrive fréquemment que les préfectures obstruent cet accès soit en refusant de saisir le procureur pour demander un administrateur ad hoc, soit en refusant tout enregistrement ce qui induit une absence de traçabilité de toute démarche du jeune, soit encore pour les mineurs en recours ou en attente d'évaluation en acceptant leur enregistrement mais en tant que majeur (180). Les jeunes en attente de reconnaissance se retrouvent ainsi dans une situation de vide juridique et de grande instabilité alors que dans l'attente de la désignation de l'administrateur ad hoc, la préfecture doit pourtant procéder à un préenregistrement de la demande d'asile du mineur avec les premières informations (nom, prénom, date de naissance déclarée), ce qui documente et officialise sa volonté de demander l'asile (et préserve ses droits) (181). Lorsqu'une demande de désignation d'administrateur ad hoc est effectuée, les délais de désignation, parfois de plusieurs mois, constituent également un obstacle à l'accès à l'asile. Ces délais peuvent être liés au manque d'administrateurs ad hoc (182) mais peuvent aussi relever de stratégies institutionnelles, visant à gagner du temps, si le jeune est proche de la majorité (183) ou alors le temps de mettre en place la procédure « Dublin (184) ». A cet égard, le tribunal administratif de Lyon, a considéré que le refus persistant d'enregistrement d'une demande d'asile d'un jeune, alors que la date de sa majorité se rapprochait, portait « une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile » (185).

82. Une fois l'obstacle de l'âge surmonté, la procédure d'enregistrement est la même que pour les adultes (186). La dernière loi relative à l'asile et l'immigration, ayant mis en place les pôles « France asile », n'a pas prévu de disposition particulière pour les mineurs non accompagnés. La CNCDH sera attentive à la prise en compte des vulnérabilités particulières qui peuvent toucher ces mineurs demandeurs d'asile (187). Une fois enregistrés, les demandeurs d'asile bénéficient en principe des conditions matérielles d'accueil enregistrées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) (188). Les mineurs non accompagnés demandeurs d'asile devraient en bénéficier aussi, les conditions matérielles d'accueil n'étant soumises à aucune condition d'âge, hormis l'allocation pour demandeur d'asile qui ne peut être attribuée qu'aux étrangers majeurs (189). En pratique, rares sont ceux qui accèdent à ces prestations (190), et qu'ils soient ou non pris en charge par l'ASE, ils ne bénéficient généralement d'aucun entretien individuel avec les services de l'OFII à la suite de l'enregistrement de leur demande d'asile. Cela peut s'expliquer d'une part, par leurs difficultés à accéder à la demande d'asile comme exposé précédemment, et d'autre part, par le fait qu'une fois qu'ils ont acquis la qualité de demandeur d'asile, ils en sont exclus, l'Etat considérant qu'ils bénéficient d'une prise en charge par le conseil départemental (191). Si les mineurs pris en charge par l'ASE bénéficient effectivement d'un soutien pour leurs conditions de vie, ce n'est pas le cas des mineurs en attente d'évaluation ou en recours. Cette absence d'accueil les maintient dans un état de grande précarité.

83. Lorsque l'OFPRA ou la CNDA accèdent à la demande d'asile présentée par le mineur non accompagné, en fonction du statut reconnu celui-ci se voit délivrer, une carte de résident de dix ans s'il est reconnu réfugié ou une carte pluriannuelle de quatre ans s'il a le bénéfice de la protection subsidiaire (192). Si ce statut est protecteur et pérenne, la CNCDH s'inquiète qu'une fois reconnus réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire, leurs actes d'état civil puissent être remis en cause par des juridictions (193), la Cour de cassation ayant rappelé que les actes délivrés par l'OFPRA ne bénéficient de la force probante particulière attachée aux actes authentique que dans la mesure où les faits rapportés ont été personnellement constatés par l'auteur de l'acte. Afin d'éviter toute charge de la preuve impossible pour un mineur non accompagné sous protection de l'OFPRA, il convient de rappeler qu'un rapport de réévaluation (ou d'évaluation) ne peut suffire à renverser la force probante d'un acte authentique délivré par l'OFPRA. Et qu'en outre, les actes d'état civil délivrés par l'OFPRA ne peuvent être contestés que devant le tribunal judiciaire de Paris. Ainsi, en l'absence de saisine de cette juridiction spécialement habilitée, les actes d'état civil établis par l'OFPRA et les informations qu'ils contiennent sont réputés faire foi, et ne pas être sérieusement contestés.

Recommandation n° 36 : Comme elle l'a préconisé précédemment la CNCDH réitère sa recommandation de désigner un administrateur ad hoc dès la demande de protection, et en cas de demande d'asile.

Recommandation n° 37 : La CNCDH recommande, dès qu'un mineur se présente pour déposer une demande d'asile, d'enregistrer les premières données, et date de naissance déclarée, sans attendre la désignation d'un administrateur ad hoc.

Recommandation n° 38 : La CNCDH recommande d'informer systématiquement les mineurs non accompagnés, dans une langue qu'ils comprennent, de l'ensemble de leurs droits, y compris de la possibilité de demander l'asile. A ce titre elle recommande de renforcer la formation des professionnels - notamment les travailleurs sociaux, associations et administrateurs ad hoc - afin qu'ils soient en mesure d'accompagner les jeunes tant dans l'évaluation de leurs besoins de protection internationale que dans le respect de leur parcours, de leur volonté et de leur intérêt supérieur.

Recommandation n° 39 : La CNCDH recommande de garantir un accès aux conditions matérielles d'accueil aux mineurs non accompagnés demandeurs d'asile, dès lors que leur minorité est contestée.

Recommandation n° 40 : La CNCDH, en rappelant que les actes d'état civil établis par l'OFPRA et les informations qu'ils contiennent sont réputés faire foi, recommande d'appliquer la force probante attachée aux actes authentiques délivrés par l'OFPRA.

84. Enfin, une inquiétude se dessine avec l'adoption du pacte européen sur la migration et l'asile (194) qui privilégie pour certaines procédures une application du droit commun aux mineurs, au détriment de l'intérêt supérieur de l'enfant. C'est notamment le cas du règlement filtrage (195) qui prévoit un contrôle des personnes en demande de protection aux frontières extérieures de l'Union européenne mais qui ne remplissent pas les conditions d'entrée. Ces personnes feront l'objet d'un contrôle sanitaire et de vulnérabilité puis d'identification et d'enregistrement et enfin, d'une orientation vers la demande d'asile ou l'expulsion. Ces vérifications doivent être effectuées dans un délai de sept jours maximum, durée pendant laquelle « les Etats membres prévoient dans leur droit national des dispositions visant à faire en sorte que les [ressortissants étrangers] restent à la disposition des autorités compétentes chargées de procéder au filtrage […] afin de prévenir tout risque de fuite » (article 6). Il est à craindre que ce maintien à disposition se fasse sous forme de privation de liberté dès lors que les personnes soumises au filtrage resteront dans les lieux prévus pour prévenir les éventuels risques de fuite et d'atteinte à la sécurité, et qu'elle s'appliquera aussi aux enfants. Ce placement possible en détention contrevient à la loi du 26 janvier 2024 qui interdit le placement en rétention administrative de tous les enfants (196). De plus, le pacte a modifié le critère du règlement Dublin pour déterminer l'Etat membre responsable de la demande d'asile : ce sera le premier pays d'entrée où les empreintes du mineur auront été enregistrées dans le fichier Eurodac dès le stade du filtrage puisqu'il y aura nécessairement été soumis. La CNCDH estime que la crainte du transfert vers un pays dans lequel ils n'ont aucune attache dissuade les mineurs de déposer une demande d'asile en France, ils préfèrent solliciter un titre de séjour à 18 ans, ce qui les précarise encore davantage et compromet l'effectivité de la protection internationale alors que ces mineurs sont particulièrement vulnérables (197).

Recommandation n° 41 : La CNCDH recommande d'interdire l'enfermement de tous les enfants en situation de migration, en particulier lors des contrôles aux frontières.

Recommandation n° 42 : La CNCDH recommande de ne pas appliquer le critère du premier pays d'entrée pour déterminer l'Etat responsable de la demande d'asile aux mineurs non accompagnés, afin de faciliter le dépôt d'une demande d'asile en France.

3. Garantir un accès effectif à la scolarisation et la formation

85. L'accès à l'éducation est un droit fondamental, protégé par de nombreuses conventions. Les articles 28 et 29 de la CIDE garantissent le droit à l'éducation de tous les enfants et le Comité des droits de l'enfant a recommandé à la France, dans ses dernières observations « d'améliorer l'accessibilité et la qualité de l'éducation pour les enfants défavorisés ou marginalisés, notamment (…) les enfants migrants non accompagnés qui rencontrent de nombreuses difficultés lorsqu'ils veulent s'inscrire dans des écoles ordinaires et accéder aux cantines scolaires (198) ». Au niveau européen, l'article 2 du Protocole n° 1 du Conseil de l'Europe (199) garantit un droit individuel général à l'instruction. Sur le plan national, le droit à l'éducation est consacré dans le Préambule de la Constitution de 1946 et l'article L.131-1 du code de l'éducation dispose que l'instruction est obligatoire entre trois et seize ans, le Conseil d'Etat ayant par ailleurs considéré que le droit à l'instruction est une liberté fondamentale (200). La CNCDH rappelle que le droit à l'instruction, dont le respect incombe à l'Etat, n'est pas conditionné par l'âge, même après la majorité, et que l'obligation scolaire, quant à elle, repose sur le détenteur de l'autorité parentale (201). Dans une décision du 24 janvier 2022 (202) relative au droit d'accès à l'éducation des mineurs non accompagnés, le Conseil d'Etat a rappelé que la circonstance qu'un enfant ait dépassé l'âge de l'instruction obligatoire ne faisait pas obstacle à ce qu'il puisse bénéficier d'une formation adaptée à ses aptitudes et besoins particuliers (203). Malgré ce cadre, de nombreuses difficultés demeurent en pratique pour permettre aux mineurs non accompagnés d'accéder à l'instruction, notamment ceux ayant formé un recours puisque ce droit n'est souvent mis en œuvre qu'une fois la minorité reconnue. Il est donc essentiel de pouvoir les scolariser le plus tôt possible, afin d'éviter les situations d'errance, l'accès à l'instruction n'étant pas conditionnée à une prise en charge par l'ASE.

86. La période précédant la reconnaissance de minorité représente un grand défi : alors qu'aucune démarche n'est effectuée par les départements dès le stade de l'évaluation pour scolariser les mineurs, il arrive néanmoins que certains rectorats l'acceptent indépendamment de leur statut. Ces jeunes peuvent donc se retrouver dans un système qui d'un côté ne les reconnaît pas et d'un autre, commence à les intégrer par la scolarisation. Cette absence de statut clair entraîne de nombreux obstacles administratifs et structurels dans le processus de scolarisation. La situation se complexifie davantage en cas de refus de reconnaissance de la qualité de mineur non accompagné.

87. La première étape pour accéder à la scolarisation est de déterminer le niveau scolaire du mineur concerné. L'hétérogénéité des parcours et origines présentée précédemment est également visible dans leurs cursus scolaires antérieurs : certains ont un niveau correspondant à leur tranche d'âge, d'autres un niveau plus élémentaire, se situant souvent en fin de primaire début de collège, et d'autres enfin n'ont pas connu de scolarité du tout (204). C'est pourquoi ils doivent passer des tests, organisés par les CASNAV (205) pour déterminer leur niveau. Une fois les tests réalisés, une affectation leur est proposée en bac pro, en CAP ou en filière générale, parfois vers le dispositif UPE2A (206) en cas de besoin et de place disponible.

88. Le CASNAV veille au suivi pédagogique des UPE2A et à l'inclusion d'abord progressive puis complète des élèves dans les classes du cursus ordinaire. Si leur mission cesse en principe à 16 ans, certains CASNAV acceptent de recevoir les jeunes après 16 ans. Etant donné l'âge d'un grand nombre de mineurs non accompagnés, les associations leur parlent de cette possibilité le plus tôt possible, afin qu'ils puissent intégrer le système rapidement. Cependant, il a été signalé à la CNCDH certaines difficultés pour s'inscrire selon les départements : si certains CASNAV appliquent la présomption de minorité en reconnaissant les actes de naissance des mineurs non accompagnés, d'autres refusent de faire passer les tests et d'évaluer leur niveau scolaire, préalable nécessaire à leur affectation dans un établissement, tant que les jeunes n'ont pas été reconnus officiellement mineur. Ces refus de scolarisation sont régulièrement condamnés par les tribunaux (207). De plus, certains demandent des documents supplémentaires comme un justificatif de domicile, aux fins d'une scolarisation proche du lieu d'habitation ; la plupart des jeunes en recours se trouvant dans l'incapacité de produire ce document en raison de leur absence d'hébergement stable, ils se voient empêchés de s'inscrire.

89. Les procédures d'accès à la scolarisation, extrêmement longues, peuvent durer de six mois jusqu'à trois ans (208), ce qui rend quasiment impossible toute forme de scolarisation. Ces délais sont notamment dus à une insuffisance du nombre de tests proposés par rapport au nombre de candidats. Certaines académies ouvrent des tests toute l'année tandis que d'autres ne le font qu'en septembre, ce qui peut considérablement retarder l'entrée dans la scolarité. Une fois les tests passés, une autre difficulté concerne le nombre de classes pour élèves allophones en UPE2A : en raison du manque de professeurs, le nombre d'heures dédiées reste trop faible, ce qui, non seulement entraîne un retard dans l'intégration scolaire des mineurs non accompagnés, mais encore retarde leur intégration en général, notamment pour pouvoir à terme rejoindre des formations professionnalisantes ou obtenir un diplôme (209). Pour pallier ce temps d'attente très long, les jeunes en attente suivent souvent des cours dispensés par des associations, qui assurent des apprentissages de base, notamment en français ou en mathématiques.

90. Une autre difficulté a trait à l'absence de représentation légale des mineurs non accompagnés, qu'ils soient reconnus mineurs ou aient formé un recours. Les jeunes sont souvent démunis lorsqu'il leur est demandé des documents, généralement non obligatoires, qu'ils ne peuvent pas fournir, et même si les dossiers sont complétés, ces demandes leur font perdre beaucoup de temps voire empêchent certains d'accéder aux formations souhaitées (210). Par exemple, pour bénéficier de bourses scolaires, il est souvent demandé de fournir la déclaration d'impôt des responsables légaux, ce qui est impossible pour les mineurs non accompagnés. Les difficultés liées à la représentation légale ont aussi un impact pour accéder à d'autres droits, tel celui de participer à des sorties ou voyages scolaires.

Recommandation n° 43 : La CNCDH recommande, afin de garantir une prise en charge adaptée et une scolarisation rapide des élèves allophones, d'augmenter le nombre de centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés (CASNAV) et les structures d'accueil type unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A).

La CNCDH recommande également :

- d'améliorer le lien entre les enseignants UPE2A et les autres enseignants pour augmenter l'intégration des élèves dans leurs classes de référence ;

- d'augmenter le nombre de professeurs formés à l'accompagnement de ces publics.

Recommandation n° 44 : La CNCDH recommande, conformément au respect du droit à l'instruction, d'assurer la scolarisation des mineurs non accompagnés dès la phase d'évaluation.

Recommandation n° 45 : La CNCDH recommande d'augmenter l'offre de tests proposés par le CASNAV et d'augmenter le nombre de classes UPE2A ainsi que le nombre de professeurs dédiés.

91. Depuis la réforme du versement des allocations de stage en faveur des lycéens professionnels dans le cadre de la valorisation de leurs périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) (211), les élèves mineurs peuvent recevoir l'allocation sur leur compte bancaire avec une autorisation écrite du représentant légal (212). Dans le cas des élèves mineurs non accompagnés, l'agence de services et de paiement, organisme payeur de l'allocation de stage pour le compte de l'Etat, effectue le paiement sur le compte bancaire d'une personne morale. Cette modalité reste limitée aux structures qui agissent pour le compte de l'élève mineur avec un mandat, comme l'aide sociale à l'enfance, les associations mandatées ou un tiers digne de confiance, ce qui peut exclure un certain nombre de bénéficiaires.

92. Par ailleurs, les auditions menées par la CNCDH ont fait ressortir une orientation scolaire discriminatoire, ces jeunes étant souvent orientés vers des voies professionnelles alors que certains pourraient prétendre à une voie générale. Cela peut être dû à différents facteurs : d'une part, une certaine méfiance peut se manifester par rapport à leurs capacités professionnelles, en raison de la barrière de la langue. D'autre part, pour être régularisés à 18 ans, ils ont l'obligation d'accomplir 6 mois de formation professionnelle, s'ils ont été pris en charge entre 16 et 18 ans. Les classes UPE2A n'étant pas reconnues comme formation professionnelle, les jeunes sont poussés à se diriger au plus vite vers un CAP pour pouvoir être régularisés mais aussi pour pouvoir accéder rapidement à l'autonomie, limitant ainsi la prise en charge jeune majeure jusqu'à 21 ans, qui représente une charge financière pour les départements (voir partie 4 - Le passage à la majorité).

Recommandation n° 46 : La CNCDH recommande d'améliorer le suivi scolaire des enfants non pris en charge par l'ASE et en recours, afin de les intégrer plus vite dans un parcours scolaire de droit commun et d'éviter les ruptures dans les apprentissages.

93. La CNCDH rappelle également l'importance du droit à la culture, au sport et aux loisirs, protégé par l'article 31 de la CIDE et mentionné à l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946. Eu égard à la situation de précarité dans laquelle vivent de nombreux mineurs non accompagnés, ce droit connaît de nombreux obstacles (213). Par exemple, le fait de ne pas avoir de représentant légal les empêche parfois d'accéder à certaines activités pour lesquelles une autorisation est requise ou pour lesquelles les inscriptions sont très compliquées. La CNCDH, à l'instar du Défenseur des droits, recommande d'assurer à tous les mineurs étrangers présents sur le territoire un accès aux activités sportives, culturelles et de loisirs (214).

Recommandation n° 47 : La CNCDH recommande d'assurer à tous les mineurs étrangers présents sur le territoire un accès aux activités sportives, culturelles et aux loisirs.

4. Garantir l'accès aux soins et la protection de la santé

94. L'article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, reconnaît « le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre » et aux termes des articles 24 et 26 de la CIDE, les enfants ont un droit à la santé et à pouvoir bénéficier des services médicaux et de rééducation. Les Etats parties s'efforcent de garantir qu'aucun enfant ne soit privé du droit d'avoir accès à ces services et leur reconnaissent le droit de bénéficier de la sécurité sociale. En droit français, le droit à la protection de la santé, consacré à l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, fonde le droit à la sécurité sociale (215). Les mineurs non accompagnés pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance bénéficient des couvertures maladie universelle et complémentaire (216). En revanche, ceux dont l'évaluation est en cours ou ceux non pris en charge par l'ASE sont assimilés à des étrangers en situation irrégulière et bénéficient de l'aide médicale d'Etat (AME) (217) sans toutefois que l'octroi de celle-ci soit conditionné, comme c'est le cas pour les majeurs, à une présence de trois mois sur le territoire français (218) et à des conditions de ressources. L'accès à l'AME est néanmoins difficile car il faut prouver une domiciliation, ce que la plupart des jeunes en recours n'ont pas.

95. Cette distinction hasardeuse et paradoxale crée un système de soins à deux vitesses : les mineurs effectivement pris en charge qui bénéficient de l'assurance maladie et ceux non pris en charge, au motif qu'un doute subsiste sur leur âge, qui bénéficient de l'AME dans des conditions spécifiques. Actuellement de nombreux départements n'ouvrent pas les droits à l'AME pendant la phase d'accueil provisoire d'urgence et attendent que le jeune soit reconnu mineur pour ouvrir les droits à l'assurance maladie. En conséquence, de nombreux enfants se retrouvent sans couverture santé lorsqu'ils sortent des dispositifs de mise à l'abri à la suite d'une décision de non-admission à l'ASE (219).

96. Une autre difficulté réside dans la nécessité d'obtenir le consentement des représentants légaux pour certains actes médicaux, alors que par définition, les mineurs non accompagnés n'ont pas de représentants légaux sur le territoire français. Il existe pourtant plusieurs exceptions à l'obligation de consentement des représentants légaux, mais elles restent très peu connues des structures et des professionnels de santé, ce qui occasionne des refus de soins et des retards d'accès aux soins, surtout quand l'acte est invasif. L'instabilité du statut administratif des mineurs non accompagnés (primo-arrivant, en cours d'évaluation, non reconnu mineur, pris en charge à l'ASE) complexifie d'autant plus la prise en charge médicale. Une solution serait d'assurer une ouverture systématique des droits à une couverture maladie dès la phase d'accueil provisoire d'urgence, afin de sécuriser les parcours de soins, lutter contre le non-recours et le retard de soins et ne pas se heurter au problème essentiel de la représentation légale (les jeunes de 16 ans affiliés à l'assurance maladie sont considérés comme majeurs émancipés et bénéficient d'une autonomie décisionnelle [220]).

97. L'accès aux soins des mineurs non accompagnés est donc souvent un parcours semé d'embûches, surtout pour ceux qui, après un refus de prise en charge à l'ASE, ont saisi le juge de enfants. Or, c'est une population dont l'état de santé se dégrade énormément du fait de la vie à la rue (221). L'absence de protection et l'instabilité de leurs conditions de vie compromettent largement l'accès aux soins et complexifient leur accès aux droits, tout en laissant ces jeunes exposés à des conditions de vie préjudiciables pour leur santé (222).

98. En effet, les mineurs non accompagnés connaissent des défis majeurs en termes de santé qui résultent de la jonction de facteurs inhérents à leur statut : l'exil, l'adolescence et le psycho-traumatisme, ce qui les rend particulièrement vulnérables et surexposés à des risques sanitaires et à des troubles post-traumatiques (223). Ils ont souvent un accès compliqué à la santé, que ce soit pour des raisons administratives (difficulté d'accès à l'aide médicale d'Etat ou à une autre forme de protection) ou pour des raisons plus personnelles, certains étant terrorisés à l'idée de subir des examens médicaux ou de se faire prélever du sang par exemple.

99. Lorsque des bilans de santé sont réalisés, de nombreuses pathologies récurrentes sont mises en évidence. Ainsi, beaucoup souffrent de troubles psychiques, en particulier de psycho-traumatismes (224) (voir partie 3- améliorer la santé mentale) et des troubles réactionnels et d'adaptation apparaissent souvent après l'arrivée en France, en lien avec les conditions dégradées d'accueil, qui aggravent parfois les traumatismes préexistants. Les infections chroniques, notamment l'hépatite B, sont plus fréquentes chez les mineurs non accompagnés, ces jeunes méconnaissant souvent cette maladie et son mode de transmission, ce qui pose des questions complexes sur le dépistage familial et la communication avec les proches restés au pays. Les maladies infectieuses, comme la bilharziose ou l'anguillulose, dont les traitements sont disponibles et efficaces, sont également détectées. Ces prévalences peuvent s'expliquer par le fait qu'ils sont souvent originaires de pays à forte endémie où l'accès aux soins est parfois défaillant, par la précarité de leurs conditions de vie dans leur pays d'origine, par les séquelles de leur trajet migratoire (violences, agressions, détention, malnutrition…), par les obstacles dressés à l'encontre de leur accès aux droits et aux soins en France (absence de soins préventifs, repérage tardif de leurs besoins en santé, retard dans leur accès aux soins, prise en charge dans des structures inadaptées, parcours de soins chaotiques en l'absence de représentants légaux et à défaut de protection sociale, barrières culturelles et linguistiques) ou encore par les négligences institutionnelles et violences dont ils font l'objet. La CNCDH alerte en outre sur le fait que de nombreux mineurs ne bénéficient pas, en pratique, de bilan de santé à leur arrivée, malgré les préconisations en ce sens. Ce manquement constitue une atteinte grave à leur droit à la santé et appelle une réponse urgente des autorités compétentes.

100. Dans ce contexte, il apparaît essentiel de leur garantir un accès aux soins, et ce dès la phase d'accueil provisoire d'urgence. Or, la CNCDH déplore que les obstacles à l'accès aux soins qu'elle avait déjà identifiés en 2014 n'aient que peu évolué. Les principales difficultés relatives à l'interprétariat, l'accès à la protection maladie ou encore les ruptures dans le suivi médical perdurent. Ces ruptures sont souvent liées à la mobilité géographique des jeunes, les changements fréquents de lieux de vie et de territoire entraînant des consultations et bilans de santé redondants, sans réel suivi. Certains se voient refuser des actes de chirurgie car il est difficile de leur assurer un suivi post hospitalier.

101. Pour les jeunes en attente d'évaluation ou de reconnaissance de minorité, depuis l'arrêté du 28 juin 2019, une première évaluation des besoins en santé doit être réalisée (225). Si la CNCDH a pu constater que cette pratique était fréquente dans les conseils départementaux, il lui a également été dit que l'évaluation des besoins de santé était parfois lacunaire, avec des bilans de santé non réalisés ou alors expéditifs, en contradiction avec les recommandations du Haut Conseil de la santé publique et du ministère de la santé (226), souvent en raison d'un manque de moyens (227) ou de connaissance et d'adaptation à la situation spécifique des mineurs non accompagnés. La CNCDH regrette que l'enjeu de l'évaluation de la minorité et de l'isolement prime souvent sur les enjeux de santé et de santé publique.

102. La CNCDH déplore que le système d'accueil et d'évaluation des mineurs non accompagnés génère des parcours de soins chaotiques (retard voire refus de soins, rupture dans la continuité des soins, etc.). L'accès à la santé des mineurs non accompagnés repose encore trop sur les associations, qui tentent de mettre en place des outils et des accompagnements à la permanence d'accès aux soins (PASS) mais ce fonctionnement n'est malheureusement pas pérenne en raison d'un turnover important des personnels. Afin d'améliorer le suivi médical de ces jeunes, il convient de mettre en place un suivi pérenne. Pour cela, il apparaît nécessaire de repenser l'esprit de l'accueil et de la protection en instaurant un véritable temps de répit, un bilan de santé complet, un parcours de soin cohérent et coordonné.

Recommandation n° 48 : La CNCDH recommande de renforcer la formation des soignants et personnels médicaux à la spécificité de la prise en charge des mineurs non accompagnés, notamment s'agissant de la possibilité d'accomplir certains actes sans représentation légale, actes médicaux usuels ou non, etc.).

Recommandation n° 49 : La CNCDH recommande, dès l'accueil provisoire d'urgence, de procéder systématiquement à un bilan de santé complet des mineurs non accompagnés. La CNCDH recommande de mettre en place un protocole national de prise en charge des soins et de coordination des parcours de soins.

Recommandation n° 50 : La CNCDH recommande l'ouverture d'une couverture maladie complète et universelle, dès l'arrivée sur le territoire des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés.

Recommandation n° 51 : La CNCDH recommande de renforcer l'information sur l'accès à la santé, notamment par la mise en place d'ateliers sur des thématiques comme la sexualité ou l'alimentation. Elle recommande la mise en place systématique d'un interprétariat à chaque étape du parcours de soins.

5. Favoriser la prise en compte de la santé mentale des mineurs non accompagnés

103. La santé mentale des mineurs non accompagnés est un enjeu majeur. Comme évoqué précédemment, les mineurs peuvent présenter des fragilités psychologiques, exacerbées par le parcours migratoire et accrues par la période d'errance, qui appellent une orientation en santé mentale bien pensée. Or, les jeunes sont souvent orientés de manière aléatoire entre les centres médico-psychologiques (CMP) pour adultes et pour enfants, ce qui engendre des difficultés dans leur prise en charge, obstacles accentués par le manque d'interprétariat. Pour les mineurs non accompagnés en recours, qui sont dans un vide juridique concernant leur statut, l'absence de représentant légal peut poser des difficultés en cas d'hospitalisation en psychiatrie. En outre, leur situation de précarité, marquée par une instabilité et la pression des échéances administratives, complique le suivi psychologique. En effet, l'instabilité empêche une adhésion aux soins, pourtant nécessaire pour s'engager dans un parcours thérapeutique, et risque d'accroître les troubles.

104. Par ailleurs, certains jeunes dérivent et entrent dans une consommation accrue de substances addictives, aggravée par les psycho-traumatismes non traités et les retards dans l'accès aux soins. Les jeunes qui consomment des médicaments et autres substances sont souvent très éloignés des dispositifs de soins et ne consultent que dans des situations ponctuelles (blessures, urgences), mais échappent ensuite à un suivi régulier (228). Ils évoluent souvent dans des environnements très violents et souffrent, pour certains, de troubles psychiques graves, en raison d'un contexte familial dégradé depuis l'enfance. Certains sont également victimes de réseaux de traite des êtres humains. Pourtant, ces troubles psychiques réactionnels à la précarité peuvent cesser rapidement, dès que les jeunes sont suivis et en situation de stabilisation. C'est pourquoi il est absolument indispensable de prévoir une prise en charge le plus tôt possible (229).

Recommandation n° 52 : La CNCDH recommande de renforcer la prise en charge psychologique des mineurs non accompagnés et de sensibiliser davantage les professionnels à l'impact des traumatismes sur le comportement des jeunes.

Recommandation n° 53 : La CNCDH recommande de mettre en place un accompagnement en addictologie pour les mineurs non accompagnés qui en ont besoin.

3. La protection spécifique de certains mineurs non accompagnés

105. La question de la protection des mineurs non accompagnés contre toute forme de violence revêt une importance accrue au regard des nombreuses violences - physiques, institutionnelles, juridiques et structurelles - auxquelles ils sont exposés tout au long de leur parcours migratoire et sur le territoire français. La CNCDH s'inquiète de la tendance à les appréhender davantage comme des étrangers en situation irrégulière que comme des enfants en danger, ce qui conduit à des confrontations fréquentes avec les forces de l'ordre. Il a été rapporté à la Commission que, lors des opérations de démantèlement de campements ou d'interventions sur des lieux de vie précaires (squats, bidonvilles), les mineurs non accompagnés sont souvent traités sans différenciation avec les adultes et sans détection de leur âge ou de leur situation d'isolement. Ce traitement indifférencié soulève des préoccupations majeures. En premier lieu, il entrave l'identification des éventuels cas de traite des êtres humains. En second lieu, cette approche renforce la précarisation des jeunes concernés, les privant d'une éventuelle mise à l'abri. Ces pratiques sont contraires à l'intérêt supérieur de l'enfant et compromettent la capacité des institutions à assurer une protection effective aux enfants les plus vulnérables (230).

1. Protéger les mineurs non accompagnés victimes de traite des êtres humains

106. La CNCDH, en tant que rapporteur national indépendant sur la lutte contre la traite des êtres humains, rappelle, à l'instar du GRETA, groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains du Conseil de l'Europe (231), que la France doit respecter ses obligations internationales en termes de protection des enfants contre toute forme de violence (232).

107. Si certains jeunes ont déjà été victimes d'exploitation dans leur pays ou pendant leur trajet, la traite des mineurs non accompagnés une fois en France reste un sujet particulièrement central, étroitement lié aux défaillances dans leur prise en charge, que ce soit à leur arrivée ou une fois intégrés dans la protection de l'enfance. Pour les primo-arrivants, la précarité liée à l'absence de dispositifs de protection jusqu'à la décision de reconnaissance de minorité les rend particulièrement vulnérables aux exploiteurs. De plus, les politiques de répartition nationale, qui les placent dans des territoires qu'ils ne connaissent pas et où ils n'ont aucune attache, peuvent avoir un effet contreproductif : en ne tenant pas compte de leurs besoins spécifiques et de leurs projets de vie, on les empêche de se stabiliser et on fait d'eux une cible privilégiée des réseaux de traite des êtres humains (233).

108. La traite des mineurs non accompagnés prend des formes diverses, qui parfois se combinent : exploitation sexuelle, obligation à mendier, exploitation au travail, esclavage domestique, mariage forcé (234). Certains enfants sont même contraints à commettre des délits, comme l'a mis en évidence le procès dit du Trocadéro (235). Il peut s'agir de vols ciblés, de recel, de transport de stupéfiants ou d'armes… Les formes d'exploitation dépendent beaucoup du lieu d'errance des jeunes et sont souvent très spécifiques à un territoire (236), les zones frontalières étant particulièrement touchées (237). La présence prolongée de mineurs non accompagnés sur les camps de transit constitue un indicateur de risque de traite, les réseaux exploiteurs les empêchant souvent d'effectuer la traversée s'ils n'ont pas « travaillé » pour eux. Ce phénomène, qui n'est pourtant pas récent, a longtemps été sous-estimé par les forces de police. Or, l'une des principales difficultés pour les parquets réside dans la mobilisation de services d'enquête volontaires pour travailler sur ces dossiers. De plus, contrairement à d'autres réseaux de traite structurés, ceux impliquant des mineurs non accompagnés sont souvent plus éclatés, ce qui complique leur démantèlement. Pour la CNCDH, il est indispensable de renforcer la coordination entre les institutions et la société civile dans toutes ses dimensions (associations, syndicats, etc.) avec la mission interministérielle MIPROF, afin d'assurer une action cohérente et efficace.

109. Concernant les jeunes contraints à commettre des délits, une autre difficulté réside dans la manière dont le cadre de la traite est appréhendé par la justice, qui, trop souvent, considère les enfants comme des délinquants plutôt que comme des victimes. Alors que la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (238) impose aux Etats de prévoir la possibilité de ne pas imposer de sanctions aux victimes ayant pris part à des activités illicites lorsqu'elles y ont été contraintes, les mineurs non accompagnés poursuivis dans ce type d'affaires sont souvent incarcérés et condamnés. La CNCDH réitère sa recommandation d'insérer dans le code pénal un principe de non sanction (239), afin de réellement considérer les personnes contraintes à commettre tout crime ou délit comme des victimes et de se conformer à la Convention de Varsovie, qui précise que les enfants doivent être présumés mineurs et bénéficier d'une assistance immédiate. En réponse aux arguments qui prétendent que cette mesure pourrait être favorable aux exploiteurs, la CNCDH considère au contraire que cela permettrait une meilleure protection des victimes : en les intégrant pleinement dans le processus, et en leur expliquant qu'elles ne seront pas poursuivies, elles seront incitées à davantage témoigner. Le lien créé sur la durée, notamment via la mise à l'abri pérenne et l'éloignement géographique, permet une meilleure coopération avec les services d'enquête et le démantèlement de certains réseaux (240), ce qui est absolument indispensable pour lutter efficacement contre la traite (241). En outre, la CNCDH rappelle que, dès lors que les mineurs victimes sont condamnés, cela a des conséquences sur leur avenir, notamment en raison de l'inscription au casier judiciaire et de l'émission d'une OQTF.

110. La CNCDH a également été alertée sur une pratique des exploiteurs qui présentent des mineurs comme majeurs en leur fournissant de faux documents, afin qu'ils ne puissent pas bénéficier de la protection à laquelle ils pourraient prétendre et restent dépendants des réseaux. Ces pratiques compliquent leur identification et leur accès à une prise en charge adaptée. L'environnement d'adultes dans lequel ils évoluent les expose à un risque accru d'exploitation, ce qui rend impératif d'adopter des mesures spécifiques pour prévenir ce type de situation. Là encore, il est impératif de prévoir un mécanisme d'identification des victimes, comme le recommande avec insistance la CNCDH depuis plusieurs années (242).

Recommandation n° 54 : La CNCDH réitère sa recommandation d'établir, quelle que soit la forme de traite, un mécanisme national d'identification, d'orientation et de protection des victimes et de prévoir une formation de tous les acteurs pouvant être en contact avec des mineurs non accompagnés (social, police, justice, santé, éducation, sports, culture).

Recommandation n° 55 : La CNCDH recommande un accès immédiat à une mise à l'abri et à un accompagnement adapté pour les mineurs susceptibles d'être victimes de traite des êtres humains.

Recommandation n° 56 : La CNCDH recommande la mise en place de campagnes d'information et d'éducation pour lutter contre les idées reçues sur les mineurs non accompagnés, aux fins de permettre aux professionnels de l'enfance, et plus largement au grand public, de mieux connaître le phénomène et mieux repérer les mineurs victimes d'exploitation.

Recommandation n° 57 : La CNCDH recommande que, s'agissant des mineurs victimes, la présomption permettant de caractériser à leur encontre la commission de l'infraction de traite des êtres humains (article 225-4-1 [II] du code pénal), soit accompagnée d'une présomption de contrainte, cause d'irresponsabilité pénale pour le mineur ayant commis un crime ou un délit dans ce cadre. La CNCDH recommande de compléter l'article 225-4-1 (3°) du code pénal par la prévision de « la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de la situation économique ou sociale de la victime ».

Recommandation n° 58 : La CNCDH recommande de former tous les acteurs intervenant auprès des mineurs (magistrats, avocats, éducateurs PJJ et spécialisés, forces de police, services de soin et d'addictologie, administration pénitentiaire) aux « indicateurs de la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit » et de renforcer la coopération entre tous ces acteurs pour mieux repérer les mineurs non accompagnés victimes de traite des êtres humains.

2. Accompagner les jeunes filles

111. La CNCDH a été alertée, au cours de ses auditions et visites de terrain, de la proportion croissante de jeunes filles parmi les mineurs non accompagnés et de leur l'invisibilisation. Il a ainsi été précisé à la CNCDH que les filles en provenance de certains pays comme la Côte d'Ivoire ou la Guinée, très présentes en Italie, semblaient disparaître après leur arrivée sur le territoire, ce qui pose des questions sur leur exploitation potentielle. Bien que leur implication dans des réseaux de traite soit encore peu documentée, on note que certaines d'entre elles peuvent entretenir des rapports avec des hommes en contrepartie de faveurs financières et matérielles. Ce phénomène qualifié de « michetonnage », terme sexiste et stigmatisant, qui correspond en réalité à une forme d'exploitation sexuelle, les relations avec des clients occasionnels laissant à penser qu'elles sont exposées à des risques importants d'exploitation sexuelle. Si les professionnels de l'aide sociale à l'enfance ont conscience de situations préoccupantes et de certains états de vulnérabilité (polytraumatisme, addictions, handicaps mentaux non diagnostiqués), ils semblent impuissants face à ces phénomènes (243). La CNCDH s'inquiète de la prise en charge défaillante de l'ASE qui fait actuellement face un défi d'ampleur, et qui concerne aussi des jeunes filles françaises, nombre d'entre elles ayant été, selon les témoignages, recrutées dans des réseaux d'exploitation sexuelle, souvent peu après leur arrivée à l'ASE. Ces risques doivent être clairement identifiés et pris en compte pour renforcer la prévention et la protection de toutes les jeunes filles, y compris non accompagnées.

112. L'augmentation du nombre de jeunes filles impacte l'activité de tous les acteurs, car elles font face à des problématiques qui nécessitent un accompagnement spécifique : ainsi beaucoup présentent des situations particulières, comme des grossesses ou la présence d'un enfant en bas âge, qui nécessitent de traiter, outre les besoins de santé, des questions juridiques précises comme l'état civil, la régularisation, ou la preuve de la filiation de l'enfant. Leurs conditions d'accueil dépendent des politiques locales : dans certains territoires, les jeunes filles ne sont pas accueillies car les dispositifs, souvent en hébergement diffus sans présence éducative en continu, ne garantissent pas leur sécurité face à des réseaux de criminalité locaux. La CNCDH rappelle aux conseils départementaux que les dispositifs d'accompagnement des jeunes majeurs et de prise en charge en centre maternel ne sont pas concurrents mais complémentaires (244). Néanmoins, la CNCDH note avec intérêt que de plus en plus de lieux dédiés sont mis en place pour les accompagner au plus près de leurs besoins, bien que ces centres, qui rencontrent de nombreuses difficultés de financement, restent gérés par des associations (245).

Recommandation n° 59 : La CNCDH recommande d'assurer une mise à l'abri des jeunes filles dans les dispositifs de la protection de l'enfance dès leur présentation aux autorités.

Recommandation n° 60 : La CNCDH recommande de renforcer les dispositifs d'accompagnement à la parentalité, notamment dans les centres maternels.

Recommandation n° 61 : La CNCDH recommande de renforcer la formation des professionnels afin d'améliorer l'accompagnement des jeunes filles ayant été victimes de violences sexuelles.