JORF n°0147 du 26 juin 2025

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Difficulté à recueillir des données fiables sur les mineurs non accompagnés

Résumé La CNCDH souligne qu’il est très difficile d’obtenir des chiffres fiables et complets sur les mineurs sans parents en France, ce qui complique la mise en place d’une politique publique adaptée.
Mots-clés : Statistiques Mineurs non accompagnés Protection de l'enfance Politiques publiques
  1. Dans le cadre de la consultation de la CNCDH, il lui est demandé de procéder à une analyse statistique des données disponibles sur les mineurs non accompagnés en France. Le constat principal dressé par la Commission est sans appel : il demeure aujourd'hui extrêmement difficile d'obtenir des données fiables, complètes et homogènes permettant de dresser un état des lieux précis de leur situation. Ce constat n'est pas nouveau. Déjà en 2020, la Cour des comptes soulignait que, bien que de nombreux éléments statistiques soient recueillis par les conseils départementaux, aucune remontée d'information au niveau national n'était organisée en raison d'un « pilotage et une organisation interministérielle fragiles (25) ». La CNCDH partage ce constat et déplore qu'aucune base statistique centralisée, exhaustive et systématisée ne soit disponible, contrairement aux recommandations du Comité des droits de l'enfant (26). Dans ce contexte, de nombreux chiffres circulent, contribuant à alimenter un débat public, marqué par des approximations, voire des instrumentalisations. La CNCDH regrette de déficit d‘informations fiables et centralisées, qui nuit à l'élaboration d'une politique publique fondée sur des éléments empiriques, comparables et évaluables, conformes aux standards internationaux.

  2. Les principales sources de données sont les chiffres issus des conseils départementaux, dont les remontées d'information sont déclaratives, ceux de l'agence des services de paiement (chargée de la contribution financière de l'Etat aux départements), la direction de la protection judiciaire de la justice via la mission « mineurs non accompagnés » (MMNA), ou encore ceux de la DGEF (Direction générale des étrangers en France au ministère de l'Intérieur) via les fichiers de traitement des données des personnes étrangères (Voir partie 2- le fichage accru des mineurs non accompagnés). Bien que le fichier d'aide à l'évaluation de la minorité (AEM) ait été généralisé sur l'ensemble du territoire, l'objectif de fluidification et de fiabilisation des données reste difficile à atteindre, en raison d'une communication lacunaire entre l'Etat et les conseils départementaux, et d'un nombre important de dossiers en attente de traitement. Le défaut de coordination entre départements et services de l'Etat nuit à la lisibilité statistique. La CNCDH rappelle toutefois que les dispositifs actuels de collecte de données - en particulier le fichier AEM - soulèvent de graves préoccupations en matière de respect des droits. Elle alerte sur le risque que ces fichiers servent d'abord des logiques de contrôle migratoire plutôt que d'information à des fins de protection (27).

  3. Si les chiffres transmis par les conseils départementaux peuvent apporter un certain éclairage, ils ne permettent pas de comptabiliser de manière exhaustive l'ensemble des mineurs non accompagnés. La CNCDH regrette en particulier l'absence d'un recueil de données national permettant de connaître, pour chaque département, le nombre de jeunes s'étant présentés aux dispositifs d'évaluation. Elle regrette également qu'on ne sache pas non plus si les données disponibles intègrent les jeunes finalement pris en charge à la suite d'une décision du juge des enfants, après un refus initial de reconnaissance de minorité par les services départementaux. Si la CNCDH a pu, au cours de ses auditions et visites de terrain, obtenir de nombreux chiffres qu'elle va restituer ici, elle a parfois pu constater une réticence à communiquer des données complètes, notamment sur les recours contre les décisions de non-reconnaissance de minorité et les taux de reconnaissance de minorité à l'issue des recours. Elle souligne ainsi les difficultés à obtenir un suivi précis d'un primo-arrivant (qui se présente pour être évalué), jusqu'à la décision finale de reconnaissance ou non de minorité (28), de nombreux jeunes « passant sous le radar » : certains ne se présentant pas à l'évaluation (29), d'autres n'étant pas évalués par certains départements lors qu'ils apparaissent dans des fichiers de police (30), d'autres encore disparaissant totalement (31).

  4. Une autre difficulté tient à la volatilité du nombre de mineurs d'une année sur l'autre. Ainsi, on note en 2023 une augmentation de 31 % du nombre de mineurs non accompagnés reconnus par les conseils, puis une baisse de 30 % en 2024. La CNCDH rappelle que ces fluctuations peuvent s'expliquer par différents facteurs tels que les contextes géopolitiques, environnementaux, des fermetures de certaines frontières qui peuvent influer sur les routes de migration, des changements de politiques et contrôles migratoires. C'est pourquoi elle rappelle la nécessité de ne pas tirer de conclusion hâtive et de toujours analyser les données avec une certaine prudence, celles-ci masquant la complexité des parcours individuels.

  5. Ce manque est encore plus marqué dans les territoires ultramarins. En effet, les rapports publiés par la mission mineurs non accompagnés, bien qu'ils agrègent les données par département, ne comportent aucune donnée spécifique sur les départements d'Outre-mer. Cette invisibilisation est doublement problématique. Elle contribue, d'une part, à reléguer ces territoires à une position secondaire dans les politiques publiques de protection de l'enfance, en contradiction avec le principe d'égalité des territoires. D'autre part, l'absence de données fiables et publiques nuit à la visibilité des bonnes pratiques existantes tout autant qu'à la détection et au traitement des dysfonctionnements éventuels. Alors que le dispositif de protection de l'enfance doit s'appliquer sur tout le territoire français, la défaillance de la protection de l'enfance y est exacerbée ce qui impacte nécessairement la prise en charge des mineurs non accompagnés (32).

  6. Ainsi, à Mayotte, le nombre de mineurs non accompagnés, bien que peu fiable, est estimé à environ 4 000 (33). En 2022, les chiffres issus de la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP) de Mayotte révélaient que 35 % des saisines concernaient des mineurs non accompagnés, soit environ 800 cas sur un total de 2 300 signalements. La conception large de la famille conduit à ce que des enfants soient confiés à des adultes qui ne sont pas leurs représentants légaux (34), situation pour laquelle la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme en 2020 (35). Dans son avis sur la loi du 26 janvier 2024 (36), la CNCDH avait dénoncé le fait que l'interdiction de la rétention administrative pour les enfants ne s'applique à Mayotte qu'en 2027. Elle s'inquiète donc du projet de loi de refondation de Mayotte (37) qui prévoit de nouvelles dérogations législatives sur l'enfermement des enfants en rétention, dont l'interdiction serait reportée en juin 2028. La Commission dénonce le régime spécifique qui s'applique sur ce territoire et se manifeste par un nombre d'expulsions hebdomadaires extrêmement élevé créant des situations d'isolement et d'errance pour de nombreux enfants. De même, en Guyane, le nombre de mineurs non accompagnés est là aussi sous-estimé, la collectivité territoriale de Guyane assumant le fait que « ce chiffre ne reflète pas du tout le nombre important d'enfants et de jeunes présents sur le sol guyanais sans attaches familiales ni sociales réelles » (38). La CNCDH réitère la nécessité d'appliquer la Charte sociale européenne révisée de 1996 aux territoires ultramarins (39). Autoriser son application pourrait améliorer la situation des droits économiques, sociaux et culturels en offrant à leurs habitants la possibilité de disposer d'un recours devant le Comité européen des droits sociaux s'ajoutant aux procédures nationales et à celles pouvant être menées devant les mécanismes des Nations unies. Cette évolution serait une étape importante dans l'action de la France pour améliorer l'effectivité des droits dans les territoires ultramarins.
    Recommandation n° 1 : La CNCDH recommande d'inclure explicitement les outre-mer dans tous les outils de suivi nationaux de protection de l'enfance.
    Recommandation n° 2 : La CNCDH réitère sa recommandation d'appliquer la Charte sociale européenne aux territoires ultramarins afin d'assurer un traitement égal à l'ensemble de sa population en faveur de l'effectivité des droits.

  7. Les différentes sources analysées par la CNCDH

  8. Le nombre de mineurs non accompagnés confiés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE) sur décision judiciaire

  9. La principale donnée transmise à la CNCDH par la majorité des personnes auditionnées correspond au nombre de mineurs non accompagnés confiés à l'ASE par décision de justice, laquelle apparaît comme l'une des sources les plus fiables bien que ce chiffre ne prenne pas en compte les enfants en recours ni ceux qui attendent l'évaluation pendant de longs mois. C'est la MMNA déjà citée (v. §10), créée en 2013 et rattachée au ministère de la Justice, qui recense et actualise ces données qu'elle retranscrit dans un rapport annuel (40). La mission effectue également un suivi hebdomadaire des mineurs non accompagnés confiés par décision judiciaire. Comme évoqué précédemment, l'année 2023 a été marquée par une hausse de 31 % : 19 370 ordonnances et jugements de placement ont été portés à la connaissance de la mission contre 14 782 en 2022 (41). Toutefois en 2024, une baisse de 30 % a été constatée, avec 13 554 mineurs non accompagnés identifiés.

Figure 1. - Nombre de décisions judiciaires portées à la connaissance de la MMNA chaque année

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Source : Chiffres officiels de la mission MMNA.
16. La mission nationale, également chargée de l'orientation des mineurs sur le territoire, a précisé à la CNCDH traiter entre 70 et 170 situations par jour, sur demande du procureur de la République, pour une orientation en département.
17. Il convient cependant de rappeler que le chiffre présenté par la MMNA ne correspond ni au nombre total de mineurs non accompagnés présents sur le territoire français, ni à celui de tous les jeunes évalués ou orientés, ni à celui des flux annuels des entrées, dès lors qu'il ne représente que le nombre de décisions judiciaires de placement effectives sur une année civile. Déjà en 2017, un rapport sénatorial avait souligné que « les statistiques de la MMNA ne reflètent que partiellement l'ampleur de la problématique des mineurs non-accompagnés » (42), à savoir celles relatives aux mineurs ayant obtenu une reconnaissance de minorité à l'issue du processus judiciaire. Il convient donc d'ajouter à ces chiffres le nombre de personnes se déclarant mineurs non accompagnés recueillies par les services départementaux et dont l'évaluation est en cours ainsi que celui de l'ensemble des mineurs se trouvant sur le territoire national n'ayant pas fait l'objet d'une prise en charge, soit parce qu'ils s'y soustraient soit parce qu'ils n'ont pas pu être repérés.

  1. Les données issues des conseils départementaux

  2. Conformément à l'article R. 221-14 du code de l'action sociale et des familles (43), les conseils départementaux sont tenus de transmettre chaque année au ministère de la Justice les chiffres consolidés relatifs au nombre total de mineurs confiés à l'aide sociale à l'enfance sur décision judiciaire et présents dans les dispositifs au 31 décembre de l'année précédente ainsi qu'au nombre de jeunes en accueil provisoire d'urgence, en attente d'évaluation. Néanmoins, cette transmission étant déclarative, elle ne permet pas de refléter l'ensemble des mineurs non accompagnés pris en charge par les départements. Elle doit donc être utilisée avec prudence et ne bénéficie pas du même degré de fiabilité que les données issues des juridictions. Sur ce sujet, la présentation des chiffres revêt une dimension particulièrement politique, en ce qu'elle va servir d'argumentaire pour justifier des législations de plus en plus restrictives à l'égard des droits des mineurs non accompagnés ; comme l'illustre la différence entre les chiffres présentés par l'Assemblée des départements de France et ceux de la MMNA (44), différence que l'on retrouve également dans l'évaluation du coût de la prise en charge que l'ADF estime bien supérieur au prix réel (45).

  3. A l'automne 2023, une enquête flash sur les mineurs non accompagnés et l'aide sociale à l'enfance menée par les départements de France (46) a révélé que, dans les départements ayant répondu à l'enquête, environ 16 % des enfants mineurs confiés à l'ASE étaient des mineurs non accompagnés. Or pour 170 000 enfants mineurs confiés à l'ASE (mesure d'août 2023), cela correspondrait à environ 28 000 mineurs non accompagnés confiés à l'ASE en 2023, soit bien plus que les 19 370 placés sur ordonnance judiciaire comptabilisés par la MMNA. L'enquête flash évalue par ailleurs à environ 66 899 le nombre d'arrivées spontanées de personnes se présentant comme mineurs non accompagnés en 2023, là encore un chiffre très éloigné de ceux de la mission.

  4. Par ailleurs, les demandes des départements qui sollicitent le remboursement de leurs frais auprès de l'Etat pour l'évaluation et la mise à l'abri des jeunes étrangers demandant une protection en tant que mineurs non accompagnés, permettent d'obtenir quelques éléments chiffrés mais non précis (47), les informations obtenues n'étant que déclaratives.

  5. Dans sa communication au Comité des ministres du Conseil de l'Europe dans le cadre du suivi de l'exécution de l'arrêt Khan contre France (48), l'Etat français a transmis les données suivantes issues des conseils départementaux : « au regard des données de l'agence de service et de paiement (ci-après, « ASP »), les chiffres concernant l'évolution du nombre de personnes se présentant comme mineur non accompagné ayant fait l'objet d'une mise à l'abri sont les suivants au 30 novembre 2024, pour une moyenne de 16 nuitées par personne : 2019 : 36 911 ; 2020 : 26 611 ; 2021 : 39 074 ; 2022 : 40 277 ; 2023 : 47 1303 ». Ces chiffres confirment une augmentation du nombre de mineurs non accompagnés ainsi que le décalage entre le nombre de ceux qui se présentent pour une mise à l'abri et celui de ceux confiés à l'ASE sur décision judiciaire.

  6. Des chiffres gris : les mineurs en recours et le taux de reconnaissance de minorité en justice

  7. La CNCDH s'étonne de la difficulté qu'elle a éprouvée à obtenir des informations précises sur le nombre de recours et sur le taux de reconnaissance après recours. Il n'existe à ce jour aucun indicateur officiel, consolidé, objectivable et actualisé concernant le taux de reconnaissance de la minorité à l'issue de l'ensemble du processus administratif et juridictionnel, et ce alors même que de nombreux mineurs saisissent la justice pour faire reconnaître leur minorité devant le juge des enfants ou la cour d'appel, serait-il malaisé d'obtenir des chiffres sur le nombre de mineurs formant un recours. Il convient de noter aussi que les conseils départementaux peuvent faire appel des décisions de reconnaissance de minorité, que ce soit après la première évaluation ou après la décision du juge des enfants.

  8. Les chiffres qui ont été transmis à la CNCDH sont très variables (49). Ainsi, l'enquête flash menée en 2023 par Départements de France auprès de 71 départements fait état d'un taux de reconnaissance de 23 %, en baisse par rapport à 2019 (43 %) (50), ces pourcentages correspondant à ceux de l'évaluation par les conseils départementaux et non à ceux issus des saisines judiciaires. La comparaison des données que la CNCDH a pu obtenir au cours de ses auditions, fait ressortir qu'entre 30 % et 80 % des jeunes obtiendraient une reconnaissance de minorité par la justice. Pour Paris et la région parisienne, en fonction des personnes auditionnées, le taux de reconnaissance rapporté à la Commission varie entre 17 et 60 % après recours, chiffre qui est difficilement exploitable, même s'il a été unanimement précisé que le taux avait diminué ces dernières années.

  9. Le taux élevé de reconnaissance après recours peut notamment s'expliquer par une application erronée du droit imputable aux conseils départementaux. L'analyse menée à la Cour d'appel de Paris est à ce titre éclairante (51) : d'une part, le taux d'appels formés par l'administration est relativement faible dans certains départements, ce qui signifie que l'administration accepte les décisions prises par les juges des enfants dans ces départements-ci. D'autre part, environ deux tiers des décisions des juges des enfants faisant l'objet d'un appel seraient confirmées au second degré, ce qui confirme que les juges des enfants ont fait une application correcte du droit.

  10. Un autre biais statistique concerne les saisines du juge des enfants et les appels ou pourvois déclarés sans objet, lorsque le mineur devient majeur en cours de procédure en raison des délais des juridictions. Il a été dit à la CNCDH lors des auditions menées que cette difficulté concerne de nombreux ressorts en France. Ces mineurs devenant majeurs en cours de procédure judiciaire ne seront jamais comptabilisés et leur minorité ne sera pas reconnue a posteriori (52), dès lors qu'il n'existe pas de présomption de minorité.

  11. Par ailleurs, la CNCDH a pu constater une corrélation entre le nombre de décisions de reconnaissance de minorité et certains facteurs comme les moyens mis à disposition dans les départements, le nombre de places de mise à l'abri ou encore le nombre de jeunes qui se présentent pour une évaluation (53). La CNCDH s'inquiète de cette variabilité dans les décisions d'évaluation, qui pourrait s'expliquer par des considérations politiques ou financières (voir Partie 2).

  12. La CNCDH rappelle l'importance d'avoir une connaissance fine des données afin de changer le narratif sur ces mineurs et d'adopter un discours proche de la réalité. En effet, les prétendus « faux mineurs » sont bien moins nombreux que ce qui est souvent avancé lorsqu'on analyse les données à toutes les étapes du processus. Si des chiffres plus fiables et consolidés étaient présentés, cela permettrait d'accorder une meilleure prise en charge alors que de nombreux mineurs sont contraints de passer plusieurs mois dans la rue avant d'accéder à une protection qui leur est pourtant due juridiquement.

  13. Les chiffres recensés par les associations

  14. Les associations intervenant auprès des mineurs non accompagnés constituent également une source de remontées statistiques. Par exemple, une enquête menée par la Coordination nationale jeunes exilés en danger (CNJED) (54) a recensé le nombre de jeunes en cours de procédure pour faire reconnaître leur minorité et a interrogé une centaine d'associations dans 83 départements (sur 101 en France au total). Les données ont été collectées via un questionnaire déclaratif accompagné d'entretiens téléphoniques. Les résultats, analysés à partir du nombre de réponses obtenues, ont fait apparaître au moins 3 477 enfants en errance en métropole, dont 3 239 jeunes garçons (94,02 %) et 208 jeunes filles (5,98 %). Parmi ces jeunes, 1 223 bénéficiaient d'un hébergement temporaire par des associations non mandatées et des hébergements citoyens, 1 067 vivaient à la rue, 204 étaient dans des dispositifs d'urgence pour adultes de type 115 et 820 étaient dans des dispositifs d'urgence dédiés.

  15. S'agissant des recours, l'enquête faisait apparaître des résultats très variables, avec une moyenne de 57 % de procédures donnant lieu à une reconnaissance de minorité et des taux allant de 0 à 100 % selon les départements.
    Recommandation n° 3 : La CNCDH recommande que la statistique gouvernementale permette d'avoir une connaissance exhaustive du nombre de mineurs non accompagnés en France métropolitaine et dans les territoires d'outre-mer afin d'améliorer l'évaluation de leurs besoins, de leur accompagnement et de leur prise en charge. A cette fin, elle recommande de créer, en cohérence avec l'Observatoire national de protection de l'enfance (ONPE), et en lien avec l'INSEE, un outil national permettant de recenser, croiser et publier annuellement les statistiques relatives au nombre de mineurs non accompagnés présents sur le territoire national afin de mettre en place une politique publique de protection de tous les enfants, mineurs isolés inclus.
    Recommandation n° 4 : La CNCDH recommande de créer une nouvelle méthodologie de recueil de données intégrant un suivi longitudinal individualisé de chaque jeune arrivant sur le territoire jusqu'à la décision de reconnaissance ou non de minorité. Ces données devraient comprendre une agrégation des présentations au conseil départemental, des mises à l'abri et des demandes de remboursement afférentes, des décisions des conseils départementaux et, du nombre de recours, du taux de reconnaissance par juridiction, des juridictions pour enfants, des cours d'appel, de la Cour de cassation, dans le respect du droit au respect de la vie privée. La CNCDH recommande d'agréger les données par âge et par sexe.

  16. Les principaux constats

  17. Une hausse du nombre de filles

  18. Il est constaté une hausse du nombre de jeunes filles depuis deux ou trois ans, dont de nombreuses sont reconnues comme mineures. Ainsi, 1 613 jeunes filles ont été recensées par la Mission Mineurs Non Accompagnés en 2023, soit plus de 8 % des mineurs. De plus, si le chiffre, reste faible par rapport à celui des garçons, c'est notamment parce qu'elles sont souvent invisibilisées, en particulier lorsqu'elles sont victimes de traite des êtres humains. Les filles font face à de nombreuses violences tout au long de leur parcours migratoire, notamment de violences sexuelles. Les associations constatent à ce titre une augmentation du nombre de jeunes filles qui arrivent enceintes ou accompagnées d'un enfant (voir partie 3). Face à leurs besoins spécifiques, elles devraient bénéficier d'une prise en charge particulière, ce qui n'est pas toujours le cas, notamment en raison de la faiblesse du nombre de places dédiées.

Figure 2. - Nombre de décisions judiciaires portées à la connaissance de la MMNA chaque année, répartition filles/garçon

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Source : Rapport de la Mission Mineurs Non Accompagnés.

  1. Les pays d'origine

  2. Selon la MMNA, en 2023, comme en 2022, les principaux Etats d'origine étaient la Guinée, la Côte d'Ivoire et la Tunisie mais là encore les chiffres fluctuent. En 2023, les enfants non accompagnés originaires de Guinée représentaient 31,8 % du total de ces mineurs, ceux d'origine ivoirienne constituaient 22,8 % des mineurs non accompagnés confiés et ceux de Tunisie 7,8 %. Certains viennent aussi d'Asie du Sud-Est (Bangladesh ou Afghanistan), et l'on constate que ces derniers disparaissent souvent en cours de procédure (55). Pour leur part, les Pakistanais et les Albanais ne font plus partie des dix premiers pays d'origine des mineurs non accompagnés.

Figure 3. - Principaux pays d'origine des mineurs non accompagnés

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Source : Mission mineurs non accompagnés, rapport annuel d'activités 2023.
32. Il convient de noter que les routes de migration évoluent. Pour les arrivées sur le territoire métropolitain, s'agissant par exemple des Guinéens, garçons et filles, en 2023, la route de la Méditerranée centrale (via l'Italie ou Malte) et la route de la Méditerranée occidentale (via l'Espagne) étaient les plus empruntées. La voie aérienne depuis Conakry ou Dakar pour rejoindre le Maroc était également un moyen de rejoindre l'Europe mais restait tout de même peu empruntée par les mineurs. Depuis 2021, la route dite de l'Afrique de l'Ouest connaît un afflux de fréquentation, les mineurs partant de Laâyoune, situé dans le territoire du Sahara occidental, pour rejoindre les Îles Canaries (56). Presque tous arrivent par la mer, à l'exception de rares cas par avion. Les points d'entrée en Europe sont principalement l'Espagne ou l'Italie, avec parfois des traversées directes depuis le Sénégal. Les jeunes ne restent pas dans ces pays pour des raisons linguistiques, un niveau de prise en charge perçu comme insuffisant ou encore une volonté initiale de se rendre en France. Il est important d'observer que les parcours, très chaotiques, sont souvent marqués par des violences (57) entraînant des séquelles physiques et psychologiques importantes (58).

  1. L'âge des mineurs non accompagnés

  2. Les derniers rapports de la Mission MNA et les auditions menées par la CNCDH ont fait ressortir un rajeunissement des mineurs non accompagnés placés par décision judiciaire, même si la majorité des mineurs non accompagnés sont âgés de plus de 16 ans.

Figure 4. - Répartition de l'âge des mineurs isolés comptabilisés

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  1. Le nombre de mineurs non accompagnés pris en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse

  2. Les mineurs suivis au pénal représentent une minorité de mineurs non accompagnés, environ 7 à 10 % (selon le rapport 2023 de la mission MNA 8,9 % des mineurs incarcérés étaient des MNA, en diminution par rapport à 2022). Ces jeunes - particulièrement ceux d'origine roumaine ou maghrébine - sont souvent exploités par des réseaux organisés ; ils connaissent des situations de grande précarité, vivant à la rue, où ils sont fréquemment soumis à une emprise chimique pour devenir des « petites mains » dans des trafics divers (de stupéfiants, d'objets volés à l'étalage, de pièces détachées de vélos, etc.) (Voir partie 3- la protection spécifique des certains mineurs non accompagnés).


Historique des versions

Version 1

9. Dans le cadre de la consultation de la CNCDH, il lui est demandé de procéder à une analyse statistique des données disponibles sur les mineurs non accompagnés en France. Le constat principal dressé par la Commission est sans appel : il demeure aujourd'hui extrêmement difficile d'obtenir des données fiables, complètes et homogènes permettant de dresser un état des lieux précis de leur situation. Ce constat n'est pas nouveau. Déjà en 2020, la Cour des comptes soulignait que, bien que de nombreux éléments statistiques soient recueillis par les conseils départementaux, aucune remontée d'information au niveau national n'était organisée en raison d'un « pilotage et une organisation interministérielle fragiles (25) ». La CNCDH partage ce constat et déplore qu'aucune base statistique centralisée, exhaustive et systématisée ne soit disponible, contrairement aux recommandations du Comité des droits de l'enfant (26). Dans ce contexte, de nombreux chiffres circulent, contribuant à alimenter un débat public, marqué par des approximations, voire des instrumentalisations. La CNCDH regrette de déficit d‘informations fiables et centralisées, qui nuit à l'élaboration d'une politique publique fondée sur des éléments empiriques, comparables et évaluables, conformes aux standards internationaux.

10. Les principales sources de données sont les chiffres issus des conseils départementaux, dont les remontées d'information sont déclaratives, ceux de l'agence des services de paiement (chargée de la contribution financière de l'Etat aux départements), la direction de la protection judiciaire de la justice via la mission « mineurs non accompagnés » (MMNA), ou encore ceux de la DGEF (Direction générale des étrangers en France au ministère de l'Intérieur) via les fichiers de traitement des données des personnes étrangères (Voir partie 2- le fichage accru des mineurs non accompagnés). Bien que le fichier d'aide à l'évaluation de la minorité (AEM) ait été généralisé sur l'ensemble du territoire, l'objectif de fluidification et de fiabilisation des données reste difficile à atteindre, en raison d'une communication lacunaire entre l'Etat et les conseils départementaux, et d'un nombre important de dossiers en attente de traitement. Le défaut de coordination entre départements et services de l'Etat nuit à la lisibilité statistique. La CNCDH rappelle toutefois que les dispositifs actuels de collecte de données - en particulier le fichier AEM - soulèvent de graves préoccupations en matière de respect des droits. Elle alerte sur le risque que ces fichiers servent d'abord des logiques de contrôle migratoire plutôt que d'information à des fins de protection (27).

11. Si les chiffres transmis par les conseils départementaux peuvent apporter un certain éclairage, ils ne permettent pas de comptabiliser de manière exhaustive l'ensemble des mineurs non accompagnés. La CNCDH regrette en particulier l'absence d'un recueil de données national permettant de connaître, pour chaque département, le nombre de jeunes s'étant présentés aux dispositifs d'évaluation. Elle regrette également qu'on ne sache pas non plus si les données disponibles intègrent les jeunes finalement pris en charge à la suite d'une décision du juge des enfants, après un refus initial de reconnaissance de minorité par les services départementaux. Si la CNCDH a pu, au cours de ses auditions et visites de terrain, obtenir de nombreux chiffres qu'elle va restituer ici, elle a parfois pu constater une réticence à communiquer des données complètes, notamment sur les recours contre les décisions de non-reconnaissance de minorité et les taux de reconnaissance de minorité à l'issue des recours. Elle souligne ainsi les difficultés à obtenir un suivi précis d'un primo-arrivant (qui se présente pour être évalué), jusqu'à la décision finale de reconnaissance ou non de minorité (28), de nombreux jeunes « passant sous le radar » : certains ne se présentant pas à l'évaluation (29), d'autres n'étant pas évalués par certains départements lors qu'ils apparaissent dans des fichiers de police (30), d'autres encore disparaissant totalement (31).

12. Une autre difficulté tient à la volatilité du nombre de mineurs d'une année sur l'autre. Ainsi, on note en 2023 une augmentation de 31 % du nombre de mineurs non accompagnés reconnus par les conseils, puis une baisse de 30 % en 2024. La CNCDH rappelle que ces fluctuations peuvent s'expliquer par différents facteurs tels que les contextes géopolitiques, environnementaux, des fermetures de certaines frontières qui peuvent influer sur les routes de migration, des changements de politiques et contrôles migratoires. C'est pourquoi elle rappelle la nécessité de ne pas tirer de conclusion hâtive et de toujours analyser les données avec une certaine prudence, celles-ci masquant la complexité des parcours individuels.

13. Ce manque est encore plus marqué dans les territoires ultramarins. En effet, les rapports publiés par la mission mineurs non accompagnés, bien qu'ils agrègent les données par département, ne comportent aucune donnée spécifique sur les départements d'Outre-mer. Cette invisibilisation est doublement problématique. Elle contribue, d'une part, à reléguer ces territoires à une position secondaire dans les politiques publiques de protection de l'enfance, en contradiction avec le principe d'égalité des territoires. D'autre part, l'absence de données fiables et publiques nuit à la visibilité des bonnes pratiques existantes tout autant qu'à la détection et au traitement des dysfonctionnements éventuels. Alors que le dispositif de protection de l'enfance doit s'appliquer sur tout le territoire français, la défaillance de la protection de l'enfance y est exacerbée ce qui impacte nécessairement la prise en charge des mineurs non accompagnés (32).

14. Ainsi, à Mayotte, le nombre de mineurs non accompagnés, bien que peu fiable, est estimé à environ 4 000 (33). En 2022, les chiffres issus de la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP) de Mayotte révélaient que 35 % des saisines concernaient des mineurs non accompagnés, soit environ 800 cas sur un total de 2 300 signalements. La conception large de la famille conduit à ce que des enfants soient confiés à des adultes qui ne sont pas leurs représentants légaux (34), situation pour laquelle la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme en 2020 (35). Dans son avis sur la loi du 26 janvier 2024 (36), la CNCDH avait dénoncé le fait que l'interdiction de la rétention administrative pour les enfants ne s'applique à Mayotte qu'en 2027. Elle s'inquiète donc du projet de loi de refondation de Mayotte (37) qui prévoit de nouvelles dérogations législatives sur l'enfermement des enfants en rétention, dont l'interdiction serait reportée en juin 2028. La Commission dénonce le régime spécifique qui s'applique sur ce territoire et se manifeste par un nombre d'expulsions hebdomadaires extrêmement élevé créant des situations d'isolement et d'errance pour de nombreux enfants. De même, en Guyane, le nombre de mineurs non accompagnés est là aussi sous-estimé, la collectivité territoriale de Guyane assumant le fait que « ce chiffre ne reflète pas du tout le nombre important d'enfants et de jeunes présents sur le sol guyanais sans attaches familiales ni sociales réelles » (38). La CNCDH réitère la nécessité d'appliquer la Charte sociale européenne révisée de 1996 aux territoires ultramarins (39). Autoriser son application pourrait améliorer la situation des droits économiques, sociaux et culturels en offrant à leurs habitants la possibilité de disposer d'un recours devant le Comité européen des droits sociaux s'ajoutant aux procédures nationales et à celles pouvant être menées devant les mécanismes des Nations unies. Cette évolution serait une étape importante dans l'action de la France pour améliorer l'effectivité des droits dans les territoires ultramarins.

Recommandation n° 1 : La CNCDH recommande d'inclure explicitement les outre-mer dans tous les outils de suivi nationaux de protection de l'enfance.

Recommandation n° 2 : La CNCDH réitère sa recommandation d'appliquer la Charte sociale européenne aux territoires ultramarins afin d'assurer un traitement égal à l'ensemble de sa population en faveur de l'effectivité des droits.

1. Les différentes sources analysées par la CNCDH

1. Le nombre de mineurs non accompagnés confiés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE) sur décision judiciaire

15. La principale donnée transmise à la CNCDH par la majorité des personnes auditionnées correspond au nombre de mineurs non accompagnés confiés à l'ASE par décision de justice, laquelle apparaît comme l'une des sources les plus fiables bien que ce chiffre ne prenne pas en compte les enfants en recours ni ceux qui attendent l'évaluation pendant de longs mois. C'est la MMNA déjà citée (v. §10), créée en 2013 et rattachée au ministère de la Justice, qui recense et actualise ces données qu'elle retranscrit dans un rapport annuel (40). La mission effectue également un suivi hebdomadaire des mineurs non accompagnés confiés par décision judiciaire. Comme évoqué précédemment, l'année 2023 a été marquée par une hausse de 31 % : 19 370 ordonnances et jugements de placement ont été portés à la connaissance de la mission contre 14 782 en 2022 (41). Toutefois en 2024, une baisse de 30 % a été constatée, avec 13 554 mineurs non accompagnés identifiés.

Figure 1. - Nombre de décisions judiciaires portées à la connaissance de la MMNA chaque année

Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page

Source : Chiffres officiels de la mission MMNA.

16. La mission nationale, également chargée de l'orientation des mineurs sur le territoire, a précisé à la CNCDH traiter entre 70 et 170 situations par jour, sur demande du procureur de la République, pour une orientation en département.

17. Il convient cependant de rappeler que le chiffre présenté par la MMNA ne correspond ni au nombre total de mineurs non accompagnés présents sur le territoire français, ni à celui de tous les jeunes évalués ou orientés, ni à celui des flux annuels des entrées, dès lors qu'il ne représente que le nombre de décisions judiciaires de placement effectives sur une année civile. Déjà en 2017, un rapport sénatorial avait souligné que « les statistiques de la MMNA ne reflètent que partiellement l'ampleur de la problématique des mineurs non-accompagnés » (42), à savoir celles relatives aux mineurs ayant obtenu une reconnaissance de minorité à l'issue du processus judiciaire. Il convient donc d'ajouter à ces chiffres le nombre de personnes se déclarant mineurs non accompagnés recueillies par les services départementaux et dont l'évaluation est en cours ainsi que celui de l'ensemble des mineurs se trouvant sur le territoire national n'ayant pas fait l'objet d'une prise en charge, soit parce qu'ils s'y soustraient soit parce qu'ils n'ont pas pu être repérés.

2. Les données issues des conseils départementaux

18. Conformément à l'article R. 221-14 du code de l'action sociale et des familles (43), les conseils départementaux sont tenus de transmettre chaque année au ministère de la Justice les chiffres consolidés relatifs au nombre total de mineurs confiés à l'aide sociale à l'enfance sur décision judiciaire et présents dans les dispositifs au 31 décembre de l'année précédente ainsi qu'au nombre de jeunes en accueil provisoire d'urgence, en attente d'évaluation. Néanmoins, cette transmission étant déclarative, elle ne permet pas de refléter l'ensemble des mineurs non accompagnés pris en charge par les départements. Elle doit donc être utilisée avec prudence et ne bénéficie pas du même degré de fiabilité que les données issues des juridictions. Sur ce sujet, la présentation des chiffres revêt une dimension particulièrement politique, en ce qu'elle va servir d'argumentaire pour justifier des législations de plus en plus restrictives à l'égard des droits des mineurs non accompagnés ; comme l'illustre la différence entre les chiffres présentés par l'Assemblée des départements de France et ceux de la MMNA (44), différence que l'on retrouve également dans l'évaluation du coût de la prise en charge que l'ADF estime bien supérieur au prix réel (45).

19. A l'automne 2023, une enquête flash sur les mineurs non accompagnés et l'aide sociale à l'enfance menée par les départements de France (46) a révélé que, dans les départements ayant répondu à l'enquête, environ 16 % des enfants mineurs confiés à l'ASE étaient des mineurs non accompagnés. Or pour 170 000 enfants mineurs confiés à l'ASE (mesure d'août 2023), cela correspondrait à environ 28 000 mineurs non accompagnés confiés à l'ASE en 2023, soit bien plus que les 19 370 placés sur ordonnance judiciaire comptabilisés par la MMNA. L'enquête flash évalue par ailleurs à environ 66 899 le nombre d'arrivées spontanées de personnes se présentant comme mineurs non accompagnés en 2023, là encore un chiffre très éloigné de ceux de la mission.

20. Par ailleurs, les demandes des départements qui sollicitent le remboursement de leurs frais auprès de l'Etat pour l'évaluation et la mise à l'abri des jeunes étrangers demandant une protection en tant que mineurs non accompagnés, permettent d'obtenir quelques éléments chiffrés mais non précis (47), les informations obtenues n'étant que déclaratives.

21. Dans sa communication au Comité des ministres du Conseil de l'Europe dans le cadre du suivi de l'exécution de l'arrêt Khan contre France (48), l'Etat français a transmis les données suivantes issues des conseils départementaux : « au regard des données de l'agence de service et de paiement (ci-après, « ASP »), les chiffres concernant l'évolution du nombre de personnes se présentant comme mineur non accompagné ayant fait l'objet d'une mise à l'abri sont les suivants au 30 novembre 2024, pour une moyenne de 16 nuitées par personne : 2019 : 36 911 ; 2020 : 26 611 ; 2021 : 39 074 ; 2022 : 40 277 ; 2023 : 47 1303 ». Ces chiffres confirment une augmentation du nombre de mineurs non accompagnés ainsi que le décalage entre le nombre de ceux qui se présentent pour une mise à l'abri et celui de ceux confiés à l'ASE sur décision judiciaire.

3. Des chiffres gris : les mineurs en recours et le taux de reconnaissance de minorité en justice

22. La CNCDH s'étonne de la difficulté qu'elle a éprouvée à obtenir des informations précises sur le nombre de recours et sur le taux de reconnaissance après recours. Il n'existe à ce jour aucun indicateur officiel, consolidé, objectivable et actualisé concernant le taux de reconnaissance de la minorité à l'issue de l'ensemble du processus administratif et juridictionnel, et ce alors même que de nombreux mineurs saisissent la justice pour faire reconnaître leur minorité devant le juge des enfants ou la cour d'appel, serait-il malaisé d'obtenir des chiffres sur le nombre de mineurs formant un recours. Il convient de noter aussi que les conseils départementaux peuvent faire appel des décisions de reconnaissance de minorité, que ce soit après la première évaluation ou après la décision du juge des enfants.

23. Les chiffres qui ont été transmis à la CNCDH sont très variables (49). Ainsi, l'enquête flash menée en 2023 par Départements de France auprès de 71 départements fait état d'un taux de reconnaissance de 23 %, en baisse par rapport à 2019 (43 %) (50), ces pourcentages correspondant à ceux de l'évaluation par les conseils départementaux et non à ceux issus des saisines judiciaires. La comparaison des données que la CNCDH a pu obtenir au cours de ses auditions, fait ressortir qu'entre 30 % et 80 % des jeunes obtiendraient une reconnaissance de minorité par la justice. Pour Paris et la région parisienne, en fonction des personnes auditionnées, le taux de reconnaissance rapporté à la Commission varie entre 17 et 60 % après recours, chiffre qui est difficilement exploitable, même s'il a été unanimement précisé que le taux avait diminué ces dernières années.

24. Le taux élevé de reconnaissance après recours peut notamment s'expliquer par une application erronée du droit imputable aux conseils départementaux. L'analyse menée à la Cour d'appel de Paris est à ce titre éclairante (51) : d'une part, le taux d'appels formés par l'administration est relativement faible dans certains départements, ce qui signifie que l'administration accepte les décisions prises par les juges des enfants dans ces départements-ci. D'autre part, environ deux tiers des décisions des juges des enfants faisant l'objet d'un appel seraient confirmées au second degré, ce qui confirme que les juges des enfants ont fait une application correcte du droit.

25. Un autre biais statistique concerne les saisines du juge des enfants et les appels ou pourvois déclarés sans objet, lorsque le mineur devient majeur en cours de procédure en raison des délais des juridictions. Il a été dit à la CNCDH lors des auditions menées que cette difficulté concerne de nombreux ressorts en France. Ces mineurs devenant majeurs en cours de procédure judiciaire ne seront jamais comptabilisés et leur minorité ne sera pas reconnue a posteriori (52), dès lors qu'il n'existe pas de présomption de minorité.

26. Par ailleurs, la CNCDH a pu constater une corrélation entre le nombre de décisions de reconnaissance de minorité et certains facteurs comme les moyens mis à disposition dans les départements, le nombre de places de mise à l'abri ou encore le nombre de jeunes qui se présentent pour une évaluation (53). La CNCDH s'inquiète de cette variabilité dans les décisions d'évaluation, qui pourrait s'expliquer par des considérations politiques ou financières (voir Partie 2).

27. La CNCDH rappelle l'importance d'avoir une connaissance fine des données afin de changer le narratif sur ces mineurs et d'adopter un discours proche de la réalité. En effet, les prétendus « faux mineurs » sont bien moins nombreux que ce qui est souvent avancé lorsqu'on analyse les données à toutes les étapes du processus. Si des chiffres plus fiables et consolidés étaient présentés, cela permettrait d'accorder une meilleure prise en charge alors que de nombreux mineurs sont contraints de passer plusieurs mois dans la rue avant d'accéder à une protection qui leur est pourtant due juridiquement.

4. Les chiffres recensés par les associations

28. Les associations intervenant auprès des mineurs non accompagnés constituent également une source de remontées statistiques. Par exemple, une enquête menée par la Coordination nationale jeunes exilés en danger (CNJED) (54) a recensé le nombre de jeunes en cours de procédure pour faire reconnaître leur minorité et a interrogé une centaine d'associations dans 83 départements (sur 101 en France au total). Les données ont été collectées via un questionnaire déclaratif accompagné d'entretiens téléphoniques. Les résultats, analysés à partir du nombre de réponses obtenues, ont fait apparaître au moins 3 477 enfants en errance en métropole, dont 3 239 jeunes garçons (94,02 %) et 208 jeunes filles (5,98 %). Parmi ces jeunes, 1 223 bénéficiaient d'un hébergement temporaire par des associations non mandatées et des hébergements citoyens, 1 067 vivaient à la rue, 204 étaient dans des dispositifs d'urgence pour adultes de type 115 et 820 étaient dans des dispositifs d'urgence dédiés.

29. S'agissant des recours, l'enquête faisait apparaître des résultats très variables, avec une moyenne de 57 % de procédures donnant lieu à une reconnaissance de minorité et des taux allant de 0 à 100 % selon les départements.

Recommandation n° 3 : La CNCDH recommande que la statistique gouvernementale permette d'avoir une connaissance exhaustive du nombre de mineurs non accompagnés en France métropolitaine et dans les territoires d'outre-mer afin d'améliorer l'évaluation de leurs besoins, de leur accompagnement et de leur prise en charge. A cette fin, elle recommande de créer, en cohérence avec l'Observatoire national de protection de l'enfance (ONPE), et en lien avec l'INSEE, un outil national permettant de recenser, croiser et publier annuellement les statistiques relatives au nombre de mineurs non accompagnés présents sur le territoire national afin de mettre en place une politique publique de protection de tous les enfants, mineurs isolés inclus.

Recommandation n° 4 : La CNCDH recommande de créer une nouvelle méthodologie de recueil de données intégrant un suivi longitudinal individualisé de chaque jeune arrivant sur le territoire jusqu'à la décision de reconnaissance ou non de minorité. Ces données devraient comprendre une agrégation des présentations au conseil départemental, des mises à l'abri et des demandes de remboursement afférentes, des décisions des conseils départementaux et, du nombre de recours, du taux de reconnaissance par juridiction, des juridictions pour enfants, des cours d'appel, de la Cour de cassation, dans le respect du droit au respect de la vie privée. La CNCDH recommande d'agréger les données par âge et par sexe.

2. Les principaux constats

1. Une hausse du nombre de filles

30. Il est constaté une hausse du nombre de jeunes filles depuis deux ou trois ans, dont de nombreuses sont reconnues comme mineures. Ainsi, 1 613 jeunes filles ont été recensées par la Mission Mineurs Non Accompagnés en 2023, soit plus de 8 % des mineurs. De plus, si le chiffre, reste faible par rapport à celui des garçons, c'est notamment parce qu'elles sont souvent invisibilisées, en particulier lorsqu'elles sont victimes de traite des êtres humains. Les filles font face à de nombreuses violences tout au long de leur parcours migratoire, notamment de violences sexuelles. Les associations constatent à ce titre une augmentation du nombre de jeunes filles qui arrivent enceintes ou accompagnées d'un enfant (voir partie 3). Face à leurs besoins spécifiques, elles devraient bénéficier d'une prise en charge particulière, ce qui n'est pas toujours le cas, notamment en raison de la faiblesse du nombre de places dédiées.

Figure 2. - Nombre de décisions judiciaires portées à la connaissance de la MMNA chaque année, répartition filles/garçon

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Source : Rapport de la Mission Mineurs Non Accompagnés.

2. Les pays d'origine

31. Selon la MMNA, en 2023, comme en 2022, les principaux Etats d'origine étaient la Guinée, la Côte d'Ivoire et la Tunisie mais là encore les chiffres fluctuent. En 2023, les enfants non accompagnés originaires de Guinée représentaient 31,8 % du total de ces mineurs, ceux d'origine ivoirienne constituaient 22,8 % des mineurs non accompagnés confiés et ceux de Tunisie 7,8 %. Certains viennent aussi d'Asie du Sud-Est (Bangladesh ou Afghanistan), et l'on constate que ces derniers disparaissent souvent en cours de procédure (55). Pour leur part, les Pakistanais et les Albanais ne font plus partie des dix premiers pays d'origine des mineurs non accompagnés.

Figure 3. - Principaux pays d'origine des mineurs non accompagnés

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Source : Mission mineurs non accompagnés, rapport annuel d'activités 2023.

32. Il convient de noter que les routes de migration évoluent. Pour les arrivées sur le territoire métropolitain, s'agissant par exemple des Guinéens, garçons et filles, en 2023, la route de la Méditerranée centrale (via l'Italie ou Malte) et la route de la Méditerranée occidentale (via l'Espagne) étaient les plus empruntées. La voie aérienne depuis Conakry ou Dakar pour rejoindre le Maroc était également un moyen de rejoindre l'Europe mais restait tout de même peu empruntée par les mineurs. Depuis 2021, la route dite de l'Afrique de l'Ouest connaît un afflux de fréquentation, les mineurs partant de Laâyoune, situé dans le territoire du Sahara occidental, pour rejoindre les Îles Canaries (56). Presque tous arrivent par la mer, à l'exception de rares cas par avion. Les points d'entrée en Europe sont principalement l'Espagne ou l'Italie, avec parfois des traversées directes depuis le Sénégal. Les jeunes ne restent pas dans ces pays pour des raisons linguistiques, un niveau de prise en charge perçu comme insuffisant ou encore une volonté initiale de se rendre en France. Il est important d'observer que les parcours, très chaotiques, sont souvent marqués par des violences (57) entraînant des séquelles physiques et psychologiques importantes (58).

3. L'âge des mineurs non accompagnés

33. Les derniers rapports de la Mission MNA et les auditions menées par la CNCDH ont fait ressortir un rajeunissement des mineurs non accompagnés placés par décision judiciaire, même si la majorité des mineurs non accompagnés sont âgés de plus de 16 ans.

Figure 4. - Répartition de l'âge des mineurs isolés comptabilisés

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4. Le nombre de mineurs non accompagnés pris en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse

34. Les mineurs suivis au pénal représentent une minorité de mineurs non accompagnés, environ 7 à 10 % (selon le rapport 2023 de la mission MNA 8,9 % des mineurs incarcérés étaient des MNA, en diminution par rapport à 2022). Ces jeunes - particulièrement ceux d'origine roumaine ou maghrébine - sont souvent exploités par des réseaux organisés ; ils connaissent des situations de grande précarité, vivant à la rue, où ils sont fréquemment soumis à une emprise chimique pour devenir des « petites mains » dans des trafics divers (de stupéfiants, d'objets volés à l'étalage, de pièces détachées de vélos, etc.) (Voir partie 3- la protection spécifique des certains mineurs non accompagnés).