Dans le présent chapitre, l'Autorité examine la position des acteurs sur les marchés de gros identifiés au chapitre 2.
En vertu de ce même article, un opérateur est réputé exercer une influence significative lorsqu'il « se trouve dans une situation équivalente à une position dominante lui permettant de se comporter de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs ».
3.1. Analyse de la puissance de marché des opérateurs mobiles
Parmi les critères pertinents permettant de conclure à une influence significative ou à une absence d'influence significative, celui de la part de marché apparaît comme un critère essentiel (section 3.1.1). Toutefois, conformément à la jurisprudence tant nationale que communautaire et aux lignes directrices de la Commission européenne qui, sur l'analyse du marché précitée, recommandent de « procéder à une analyse approfondie et exhaustive des caractéristiques économiques du marché pertinent avant de conclure à l'existence d'une puissance sur le marché » (§ 78), le critère de la part de marché ne saurait suffire à lui seul à caractériser la puissance d'un opérateur, d'où la nécessité d'analyser d'autres critères plus qualitatifs. Au cas d'espèce, l'analyse du contre-pouvoir des acheteurs sur les marchés apparaît comme un critère indispensable (section 3.1.2).
3.1.1. Examen des parts de marché
Chaque opérateur mobile dispose de 100 % de part de marché sur le marché de la terminaison d'appel SMS sur son propre réseau. Le trafic de terminaison SMS transite en effet, dans tous les cas, par le réseau de l'opérateur mobile de terminaison qui contrôle de fait 100 % du marché.
Outre le fait que chaque opérateur dispose de 100 % de part de marché, il est techniquement impossible pour un nouvel entrant de pénétrer l'un de ces marchés, dans la mesure où un autre opérateur ne peut pas terminer du trafic SMS sur le réseau de cet opérateur mobile. Ceci est souligné par les lignes directrices de la Commission européenne comme emportant une présomption de puissance sur le marché.
Une part de marché de 100 % et une absence de concurrence potentielle sont des indicateurs importants de puissance de marché. Toutefois, afin d'en évaluer la portée et conformément aux lignes directrices, il est nécessaire de procéder à une analyse approfondie et exhaustive des caractéristiques économiques du marché.
L'évaluation du pouvoir d'achat compensateur dont pourrait bénéficier l'opérateur acheteur ou le consommateur est un élément important qui permet de caractériser le degré de puissance de l'opérateur et de comprendre si ce dernier peut effectivement agir indépendamment de la demande et de ses concurrents. Cette capacité d'agir indépendamment des autres peut être confirmée par l'examen des prix de terminaison pratiqués par le passé et notamment par la possibilité de s'écarter durablement du prix correspondant à une rentabilité raisonnable.
3.1.2. Analyse du comportement des utilisateurs finals
et des acheteurs de terminaison d'appel SMS
L'analyse du comportement d'achat des utilisateurs finals et acheteurs de terminaison d'appel SMS ne permet pas de mettre en évidence de contre-pouvoir direct ou indirect d'achat susceptible de contrebalancer le pouvoir des opérateurs de réseau sur la terminaison d'appel SMS à destination de leurs clients respectifs.
3.1.2.1. Absence de contre-pouvoir indirect via les utilisateurs finals
3.1.2.1.1. S'agissant des clients de l'opérateur de terminaison sur le marché de détail
En France, comme dans l'ensemble des pays européens, le modèle économique du calling party pays prévaut. Seuls les SMS sortants sont facturés par l'opérateur au client. La réception des SMS est quant à elle gratuite. La charge de terminaison d'appel SMS est fixée par l'opérateur de l'appelé (et dépend donc du choix de ce dernier), mais elle est payée par l'opérateur de l'appelant, et donc indirectement par l'appelant lui-même.
Or, c'est l'appelé qui choisit son opérateur mobile. Celui-ci ne prend sa décision qu'en fonction de critères qui l'affectent directement, à savoir le prix du terminal ― subventionné ou non ―, le prix d'une offre couplée tenant compte, entre autre, du prix des appels sortants et de la possibilité d'envoyer des messages (nombre de SMS inclus dans la formule, prix des SMS hors formule, etc.).
Ainsi, il se montre d'autant moins sensible au prix de terminaison d'appel SMS qu'il ignore tout de son existence, celui-ci n'étant pas public. En ce sens, le principe du paiement par l'appelant conduit à ce qu'un opérateur n'a que peu d'incitation à établir des prix de terminaison d'appel SMS à un niveau concurrentiel.
En vertu du principe de paiement par l'appelant, le consommateur ne dispose donc d'aucun contre-pouvoir effectif.
3.1.2.1.2. S'agissant des éditeurs de services
Un contre-pouvoir pourrait résulter du fait que les éditeurs, par exemple dans le cadre d'une campagne de marketing direct, peuvent choisir de ne pas viser la clientèle d'un opérateur mobile en raison du tarif élevé de son offre de détail SMS Push (ou de celle d'un agrégateur revendant cette offre). Cet éventuel pouvoir de négociation des éditeurs de services est cependant peu crédible, cet usage de détail pesant faiblement sur les revenus des opérateurs mobiles et l'éditeur de services étant le premier pénalisé par la restriction des prospects potentiels.
Dans les faits, les éditeurs de services de métropole n'ont pas bénéficié auprès de chacun des opérateurs mobiles de réductions significatives des prix des offres de détail de SMS Push et ce malgré la baisse, consécutive à la régulation, du coût d'autofourniture interne de la terminaison d'appel SMS pour l'opérateur mobile. Ceci tend à démontrer l'absence de contre-pouvoir indirect des éditeurs de services auprès des opérateurs mobiles sur leurs tarifs respectifs de terminaison d'appel SMS.
Les éditeurs de services ne semblent pas non plus exercer un contre-pouvoir significatif via les agrégateurs de SMS dont ils sont clients. Ceux-ci, en ce qu'ils n'ont pas non plus obtenu de leur côté de baisses significatives des tarifs de SMS Push de la part des opérateurs mobiles sur la période, ne disposent pas de plus de contre-pouvoirs que les éditeurs de services.
3.1.2.2. Absence de pouvoir de négociation des acheteurs
de terminaison d'appel SMS sur le marché de gros
3.1.2.2.1. Poids des différents acteurs sur le marché de gros
Il convient d'analyser s'il peut exister un pouvoir d'achat compensateur de la part des clients sur le marché de gros. Concernant le SMS, les principaux clients d'un opérateur mobile sont les autres opérateurs mobiles actifs sur le même territoire.
En effet, d'après les estimations de l'Autorité menées sur la base des réponses aux questionnaires quantitatifs portant sur les services de communications mobiles SMS, les opérateurs concurrents de chaque opérateur mobile considéré représentent de 75 % à plus de 95 % des volumes totaux de terminaison d'appel SMS, les autres volumes étant achetés par des opérateurs mobiles nationaux non actifs sur le même territoire et des opérateurs mobiles étrangers.
Le tableau suivant récapitule les poids relatifs des différents acteurs sur le marché de gros de la terminaison d'appel SMS sur le réseau d'un opérateur de métropole et sur le réseau d'un opérateur d'outre-mer.
Vous pouvez consulter le tableau dans le
JOn° 3 du 05/01/2011 texte numéro 88
3.1.2.2.2. S'agissant des opérateurs mobiles actifs sur le même territoire
Le document d'analyse de marché mis en consultation publique le 17 novembre 2009 faisait état de l'absence d'évolutions des tarifs de terminaison d'appel SMS en métropole et en outre-mer au cours des trois dernières années.
Ainsi, en métropole, la charge de terminaison d'appel SMS était restée stable et figée au niveau du plafond régulé fixé en 2006, alors même que les opérateurs avaient la possibilité de pratiquer des tarifs inférieurs et que l'explosion des volumes avait fait chuter les coûts sous-jacents de cette prestation.
En outre-mer, le constat était identique : aucun opérateur mobile n'avait déjà contraint un de ses concurrents sur la zone à baisser sa charge de terminaison d'appel SMS, dont le niveau n'avait pas évolué depuis la signature des accords d'interconnexion malgré le fort développement du service.
En effet, l'intérêt de chaque opérateur pris isolément est d'imposer une terminaison d'appel SMS élevée pour les SMS entrants, de façon à augmenter son revenu d'interconnexion, tout en ayant une terminaison d'appel SMS basse sur les SMS sortants (off-net), de façon à minimiser ses coûts d'interconnexion. En ce sens, si un opérateur décide d'augmenter unilatéralement sa charge d'interconnexion SMS, les deux autres ont intérêt à répliquer immédiatement en procédant à une hausse du même ordre de manière à équilibrer globalement les flux entrants et sortants. Inversement, si un opérateur décide de diminuer unilatéralement sa charge d'interconnexion SMS, les deux autres n'ont aucun intérêt à diminuer la leur dans la mesure où leurs coûts d'interconnexion diminuent sans que leurs revenus ne soient affectés.
Dans ces conditions, un opérateur qui souhaiterait augmenter sa charge d'interconnexion SMS pourrait la fixer à un niveau arbitrairement élevé. En ce sens, le pouvoir d'achat compensateur des acheteurs de terminaison d'appel SMS apparaît en théorie tout à fait réduit.
Ceci étant dit, l'Autorité note les négociations tarifaires menées par les opérateurs mobiles en métropole et en outre-mer ces derniers mois en parallèle du processus d'analyse de marché.
Postérieurement au lancement de la consultation publique le 17 novembre 2009, les opérateurs mobiles métropolitains sont ainsi parvenus à la signature d'accords prévoyant une baisse en deux étapes des tarifs de terminaison d'appel SMS pour les SMS échangés entre eux :
― au 1er février 2009, une baisse de 3 c€ à 2 c€ sur le réseau d'Orange France et SFR et une baisse de 3,5 c€ à 2,17 c€ sur le réseau de Bouygues Telecom ;
― au 1er juillet 2010, une baisse à 1,5 c€ sur le réseau des trois opérateurs mobiles.
Ces accords sont mentionnés par les trois opérateurs mobiles métropolitains dans leurs réponses à la consultation publique de l'automne 2009 précitée comme la démonstration de leur capacité à négocier des baisses de terminaison d'appel SMS et de l'existence d'un contre-pouvoir d'achat compensateur.
Pour SFR, ce contre-pouvoir est réel du fait du caractère bilatéral de la prestation et de l'équilibre constaté des flux. Pour Bouygues Telecom, les opérateurs ont un intérêt économique à créer les conditions nécessaires à la poursuite du développement du SMS, concurrencé par les autres services de communications interpersonnelles (mails, voix).
L'Autorité prend acte de la signature de ces accords en métropole, qui pourrait tendre à démontrer que des contre-pouvoirs d'achat peuvent s'exercer dans le cadre particulier de négociations simultanées entre les opérateurs mobiles d'un même territoire. L'Autorité note cependant que ces accords sont intervenus dans un contexte de perspective de régulation, que ces nouveaux tarifs ont été déclarés par les trois opérateurs comme relevant du secret des affaires, et qu'ils ne sont pas accessibles aux autres acheteurs de terminaison d'appel SMS, de métropole ou d'outre-mer.
En ce qui concerne l'outre-mer, l'Autorité constate en revanche l'échec des négociations entre les opérateurs ultramarins et l'absence de baisse de tarifs de terminaison d'appel SMS. Il apparaît donc que, même dans le cadre de négociations simultanées, aucun contre-pouvoir d'achat n'ait pu s'exercer outre-mer.
3.1.2.2.3. S'agissant des opérateurs mobiles étrangers
Les accords d'interopérabilité SMS avec les opérateurs mobiles étrangers sont conclus dans le cadre de la GSM-Association et font l'objet de contrats bilatéraux. Il existe donc plusieurs tarifs de terminaison SMS internationale, ces tarifs pouvant différer d'un opérateur français à l'autre. Toutefois, aucun opérateur mobile international n'a déjà contraint un opérateur mobile français à baisser sa charge de terminaison d'appel SMS.
Etant donné le faible poids relatif de ces acteurs sur le marché de gros (moins de 5 %), l'Autorité considère que les opérateurs mobiles étrangers ne disposent pas d'un pouvoir d'achat compensateur suffisant pour influer sur le niveau de la terminaison d'appel SMS en métropole comme en outre-mer.
3.1.2.2.4. S'agissant des opérateurs mobiles nationaux non actifs sur le même territoire
De la même manière que les accords d'interopérabilité SMS avec les opérateurs mobiles étrangers, les accords avec les opérateurs mobiles nationaux hors zone d'activité font l'objet de négociations bilatérales et les tarifs peuvent différer d'un opérateur à l'autre.
Pour un opérateur mobile métropolitain, les opérateurs mobiles d'outre-mer ne représentent que 0,2 % des volumes achetés sur le marché de gros de la terminaison d'appel SMS sur leur réseau.
Les opérateurs mobiles métropolitains disposent d'un poids d'acheteur plus important sur le marché de la terminaison d'appel SMS sur le réseau d'un ultramarin (entre 5 et 20 % des volumes achetés), en raison de la taille plus réduite du marché et de l'importance des échanges avec la métropole. Toutefois, ce poids reste restreint en comparaison des échanges locaux et il n'est pas apparu qu'un opérateur mobile de métropole ait contraint un opérateur mobile d'outre-mer à abaisser sa charge de terminaison d'appel SMS, ni l'inverse.
Ainsi, étant donné le faible poids relatif de ces acteurs sur le marché de gros, l'Autorité considère que les opérateurs mobiles nationaux non actifs sur le même territoire ne disposent pas d'un pouvoir d'achat compensateur suffisant pour influer sur le niveau de la terminaison d'appel SMS d'un opérateur mobile de métropole ou d'outre-mer.
Ainsi, les accords récents de baisse tarifaire des terminaisons d'appel SMS en métropole portent uniquement sur les échanges de SMS entre opérateurs mobiles métropolitains et ne profitent donc pas aux opérateurs mobiles ultramarins.
3.1.2.2.5. S'agissant des exploitants de réseaux ouverts au public non mobiles
(agrégateurs de SMS, opérateurs fixes, fournisseurs d'accès internet)
L'Autorité considère que les exploitants de réseaux ouverts au public non mobiles ne disposent pas d'un pouvoir de négociation suffisant sur ce marché.
Absence de contre-pouvoir de France Télécom en métropole
Etant le seul opérateur à offrir un service de SMS au départ d'une ligne fixe, France Télécom dispose de presque 100 % de parts de marché sur ce segment. Malgré cette position de quasi-monopole, l'opérateur historique a un pouvoir de négociation extrêmement limité car il ne serait pas envisageable pour lui de ne pas offrir à ses clients fixes l'accès aux clients d'un des trois opérateurs de réseaux mobiles métropolitains.
Malgré les liens privilégiés que peut entretenir France Télécom avec sa filiale mobile, il convient de remarquer qu'à ce jour France Télécom ne bénéficie d'aucune interconnexion directe avec le réseau d'Orange France, mais lui achète une prestation de SMS Push quasiment en tout point identique à celles proposées aux prestataires de services désirant acheminer des SMS sur son réseau mobile.
Enfin, il convient de rappeler que, faute d'accord entre les parties, l'envoi de SMS vers les réseaux mobiles de SFR et de Bouygues Telecom se fait au travers de l'offre d'un agrégateur et qu'il n'y a pas de mini-message en arrivée sur le réseau de France Télécom en provenance de ces deux opérateurs (26).
Ainsi, malgré les liens capitalistiques qui l'unissent à sa filiale Orange France et le monopole dont il jouit sur l'envoi de SMS au départ d'un poste fixe, force est de constater que l'opérateur historique ne dispose à ce jour d'aucun véritable pouvoir de négociation vis-à-vis des opérateurs mobiles métropolitains pour ce qui concerne l'envoi et la réception de SMS. Cette situation paraît notamment découler du faible volume concerné.
Dans sa réponse à la consultation publique de l'automne 2009, Orange France fait valoir que l'absence de développement du SMS au départ des fixes ou des FAI est davantage liée à des problèmes d'ergonomie des terminaux qu'à une puissance des opérateurs mobiles.
L'Autorité ne remet pas en cause cette constatation, qui ne contredit pas au demeurant l'absence de contre-pouvoir d'acheteur de France Télécom.
Absence de contre-pouvoir des agrégateurs de SMS en métropole
Les agrégateurs de SMS acheminent en métropole d'importants volumes de trafic pour le compte des éditeurs de services, des FAI et de France Télécom. Toutefois, face à la situation monopolistique de chaque opérateur sur la terminaison de SMS vers ses propres clients, ces acteurs ne disposent d'aucun levier par lequel pourrait s'exprimer un contre-pouvoir.
En pratique, les agrégateurs de SMS n'ont pas vu les conditions qui leur sont faites par les opérateurs mobiles évoluer de manière significative au cours du cycle d'analyse de marché, tant sur le plan tarifaire (hors remises sur les plus gros volumes) que sur le plan technique (hors offre EROP proposée par Bouygues Telecom).
De plus, ils disposaient jusqu'à peu ou disposent toujours chez certains opérateurs mobiles des mêmes offres que celles destinées sur le marché de détail à des éditeurs de services. Dans tous les cas, les offres qui leur sont proposées comportent des limitations techniques, fonctionnelles et tarifaires.
L'absence de règlement de différend déposé devant l'Autorité par un agrégateur de SMS sur ce sujet ne saurait remettre en cause cette analyse mais tend à révéler au contraire le poids de la dépendance des agrégateurs de SMS vis-à-vis de chaque opérateur mobile et la difficulté à s'extraire du cadre des conditions contractuelles qui peuvent leur être accordées.
En particulier, il est à noter que l'activité des agrégateurs de SMS repose sur les offres de l'ensemble des trois opérateurs de réseau mobile, leurs clients ayant besoin de joindre la totalité du parc mobile métropolitain. Cela renforce dès lors l'analyse selon laquelle les agrégateurs de SMS ne peuvent exercer aucun contre-pouvoir vis-à-vis de chacun des opérateurs mobiles.
(26) Comme il a déjà été expliqué dans la section 2.2.3.1, les SMS en provenance de SFR et de Bouygues Telecom sur le réseau fixe de l'opérateur historique sont vocalisés.
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