JORF n°304 du 31 décembre 2005

C. - Sur le détournement de procédure allégué par Orange France

Pour Orange France, la demande de Bouygues Telecom est irrecevable en ce qu'elle cherche à obtenir l'adoption de mesures de régulation ex ante et non le règlement d'un différend relatif aux modalités d'une relation commerciale.
Dans ces conditions, l'opérateur soutient que s'il était fait droit aux demandes de Bouygues Telecom, la solution du litige anticiperait les résultats de l'analyse des marchés en cours, sans en avoir respecté la procédure et sans en connaître les résultats. Orange France rappelle par ailleurs qu'à ce jour le marché de gros de la terminaison d'appel SMS ne constitue pas un marché pertinent.
Orange France précise encore qu'elle ne subordonne pas la compétence de règlement de litige de l'ARCEP à une analyse de marché préalable, mais qu'elle entend démontrer que les mesures revendiquées par Bouygues Telecom ne peuvent être imposées qu'à la suite d'une analyse de marché appropriée. Aussi, la société Bouygues Telecom instrumentalise-t-elle, selon Orange France, la procédure de règlement de différend pour faire adopter une mesure qui relève en réalité de la régulation ex ante.

Bouygues Telecom estime au contraire que la procédure du règlement de différend est la seule adaptée au cas d'espèce. D'une part, étant donné le temps imparti, la procédure liée à une analyse de marché est inapplicable et son annonce n'est pas de nature à exclure du champ de la procédure du règlement de différend toute matière se rapportant à cette analyse. D'autre part, la procédure relative au règlement de différend est adaptée à la situation dès lors qu'il y a échec des négociations commerciales portant sur une prestation d'interconnexion.
L'Autorité rappelle qu'elle est tenue de trancher un différend, dans la mesure où la demande est recevable au regard des dispositions de l'article L. 36-8 du CPCE, et ce quand bien même une analyse de marché serait en cours concernant le marché en cause (au cas d'espèce le marché de gros de la terminaison d'appel SMS sur les réseaux mobiles).
En effet, sur le fondement de l'article L. 36-8-I précité du CPCE, l'Autorité tranche les litiges en précisant « les conditions équitables d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion et l'accès doivent être assurés ». Suivant les prescriptions de l'article R. 11-1 du CPCE, elle rend sa décision dans le délai de quatre mois, sauf circonstance exceptionnelle.
La mise en oeuvre de ce mécanisme ne saurait donc être confondue avec la procédure distincte d'analyse des marchés qui, en application des dispositions des articles L. 37-1 et suivants du CPCE, vise à imposer des obligations réglementaires ex ante au vu des obstacles au développement de la concurrence identifiés sur le marché concerné. En outre, cette procédure suppose de procéder à une consultation publique, de recueillir l'avis du Conseil de la concurrence et de notifier les projets de décisions à la Commission européenne.
Dans le premier cas, il est question de mettre en oeuvre une compétence quasijuridictionnelle, sous le contrôle du juge judiciaire, dans les conditions prévues par le législateur et de prononcer à ce titre, ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel, « des décisions exécutoires prises dans l'exercice de prérogatives de puissance publique » (3).
Dans le second cas, il s'agit de mener sur la base de critères précis une analyse de l'évolution de la situation concurrentielle sur un marché donné pour, selon les situations, déterminer les meilleurs dispositifs de correction ex ante susceptibles d'être appliqués pour remédier aux imperfections qui auront pu être identifiées.
Les deux mécanismes sont autonomes et ne s'excluent nullement.
Un règlement de différend peut ainsi intervenir dans le contexte d'un litige formé à l'occasion de l'exercice des activités de communications électroniques sur un marché régulé au titre de la régulation ex ante relative à l'analyse de marché. De même, un litige peut tout aussi bien être tranché en équité, entre des opérateurs pour des prestations non régulées, mais relevant du régime de l'accès ou de l'interconnexion.
Les fondements juridiques des deux procédures sont distincts, l'objet du règlement de litige est différent de celui de l'analyse des marchés et leurs effets ne sont pas identiques. Aucune priorité ni aucune subordination ne saurait être accordée à l'une plutôt qu'à l'autre. Dès lors, l'ARCEP ne peut écarter la compétence qu'elle tire des dispositions de l'article L. 36-8 susvisé.
Au cas d'espèce, l'Autorité rappelle que, dans le cadre de l'analyse des marchés, elle a envoyé des questionnaires portant sur les « services de communications mobiles SMS » aux différents acteurs concernés le 29 juillet 2004 puis a lancé une consultation publique sur l'analyse du marché de gros de la terminaison d'appel SMS sur les réseaux mobiles le 24 octobre 2005. Ces éléments n'impliquent aucunement la suspension de la compétence de règlement de litige qui appartient à l'ARCEP.
Dans ces conditions, l'Autorité est appelée à résoudre le différend en équité, ce qui implique d'apprécier les demandes des parties au regard des obligations qui leur sont effectivement opposables à la date de la décision, et plus généralement au regard des objectifs de la régulation, tels qu'ils figurent dans les dispositions de l'article L. 32-1 précité du CPCE.
Dans ce cadre, étant entendu que les parties bénéficient de la reconnaissance légale d'un droit à l'interconnexion et d'une obligation de conclure les conventions s'y rapportant, conformément aux prescriptions de l'article L. 34-8 du CPCE, l'Autorité veillera notamment à ce que sa décision préserve en particulier les conditions d'exercice « d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques » (4). En revanche, l'Autorité rappelle qu'à ce jour les opérateurs concernés ne sont pas soumis à une obligation de contrôle tarifaire ex ante telle qu'elle pourrait être imposée dans le cadre d'une analyse de marché.
Pour toutes ces raisons, l'Autorité considère que la demande de Bouygues Telecom est recevable et se déclare compétente pour connaître du différend qui l'oppose à Orange France, tant en ce qui concerne le tarif de terminaison d'appel SMS d'Orange France à l'égard de Bouygues Telecom que celui de Bouygues Telecom à l'égard d'Orange France.


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C. - Sur le détournement de procédure allégué par Orange France

Pour Orange France, la demande de Bouygues Telecom est irrecevable en ce qu'elle cherche à obtenir l'adoption de mesures de régulation ex ante et non le règlement d'un différend relatif aux modalités d'une relation commerciale.

Dans ces conditions, l'opérateur soutient que s'il était fait droit aux demandes de Bouygues Telecom, la solution du litige anticiperait les résultats de l'analyse des marchés en cours, sans en avoir respecté la procédure et sans en connaître les résultats. Orange France rappelle par ailleurs qu'à ce jour le marché de gros de la terminaison d'appel SMS ne constitue pas un marché pertinent.

Orange France précise encore qu'elle ne subordonne pas la compétence de règlement de litige de l'ARCEP à une analyse de marché préalable, mais qu'elle entend démontrer que les mesures revendiquées par Bouygues Telecom ne peuvent être imposées qu'à la suite d'une analyse de marché appropriée. Aussi, la société Bouygues Telecom instrumentalise-t-elle, selon Orange France, la procédure de règlement de différend pour faire adopter une mesure qui relève en réalité de la régulation ex ante.

Bouygues Telecom estime au contraire que la procédure du règlement de différend est la seule adaptée au cas d'espèce. D'une part, étant donné le temps imparti, la procédure liée à une analyse de marché est inapplicable et son annonce n'est pas de nature à exclure du champ de la procédure du règlement de différend toute matière se rapportant à cette analyse. D'autre part, la procédure relative au règlement de différend est adaptée à la situation dès lors qu'il y a échec des négociations commerciales portant sur une prestation d'interconnexion.

L'Autorité rappelle qu'elle est tenue de trancher un différend, dans la mesure où la demande est recevable au regard des dispositions de l'article L. 36-8 du CPCE, et ce quand bien même une analyse de marché serait en cours concernant le marché en cause (au cas d'espèce le marché de gros de la terminaison d'appel SMS sur les réseaux mobiles).

En effet, sur le fondement de l'article L. 36-8-I précité du CPCE, l'Autorité tranche les litiges en précisant « les conditions équitables d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion et l'accès doivent être assurés ». Suivant les prescriptions de l'article R. 11-1 du CPCE, elle rend sa décision dans le délai de quatre mois, sauf circonstance exceptionnelle.

La mise en oeuvre de ce mécanisme ne saurait donc être confondue avec la procédure distincte d'analyse des marchés qui, en application des dispositions des articles L. 37-1 et suivants du CPCE, vise à imposer des obligations réglementaires ex ante au vu des obstacles au développement de la concurrence identifiés sur le marché concerné. En outre, cette procédure suppose de procéder à une consultation publique, de recueillir l'avis du Conseil de la concurrence et de notifier les projets de décisions à la Commission européenne.

Dans le premier cas, il est question de mettre en oeuvre une compétence quasijuridictionnelle, sous le contrôle du juge judiciaire, dans les conditions prévues par le législateur et de prononcer à ce titre, ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel, « des décisions exécutoires prises dans l'exercice de prérogatives de puissance publique » (3).

Dans le second cas, il s'agit de mener sur la base de critères précis une analyse de l'évolution de la situation concurrentielle sur un marché donné pour, selon les situations, déterminer les meilleurs dispositifs de correction ex ante susceptibles d'être appliqués pour remédier aux imperfections qui auront pu être identifiées.

Les deux mécanismes sont autonomes et ne s'excluent nullement.

Un règlement de différend peut ainsi intervenir dans le contexte d'un litige formé à l'occasion de l'exercice des activités de communications électroniques sur un marché régulé au titre de la régulation ex ante relative à l'analyse de marché. De même, un litige peut tout aussi bien être tranché en équité, entre des opérateurs pour des prestations non régulées, mais relevant du régime de l'accès ou de l'interconnexion.

Les fondements juridiques des deux procédures sont distincts, l'objet du règlement de litige est différent de celui de l'analyse des marchés et leurs effets ne sont pas identiques. Aucune priorité ni aucune subordination ne saurait être accordée à l'une plutôt qu'à l'autre. Dès lors, l'ARCEP ne peut écarter la compétence qu'elle tire des dispositions de l'article L. 36-8 susvisé.

Au cas d'espèce, l'Autorité rappelle que, dans le cadre de l'analyse des marchés, elle a envoyé des questionnaires portant sur les « services de communications mobiles SMS » aux différents acteurs concernés le 29 juillet 2004 puis a lancé une consultation publique sur l'analyse du marché de gros de la terminaison d'appel SMS sur les réseaux mobiles le 24 octobre 2005. Ces éléments n'impliquent aucunement la suspension de la compétence de règlement de litige qui appartient à l'ARCEP.

Dans ces conditions, l'Autorité est appelée à résoudre le différend en équité, ce qui implique d'apprécier les demandes des parties au regard des obligations qui leur sont effectivement opposables à la date de la décision, et plus généralement au regard des objectifs de la régulation, tels qu'ils figurent dans les dispositions de l'article L. 32-1 précité du CPCE.

Dans ce cadre, étant entendu que les parties bénéficient de la reconnaissance légale d'un droit à l'interconnexion et d'une obligation de conclure les conventions s'y rapportant, conformément aux prescriptions de l'article L. 34-8 du CPCE, l'Autorité veillera notamment à ce que sa décision préserve en particulier les conditions d'exercice « d'une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques » (4). En revanche, l'Autorité rappelle qu'à ce jour les opérateurs concernés ne sont pas soumis à une obligation de contrôle tarifaire ex ante telle qu'elle pourrait être imposée dans le cadre d'une analyse de marché.

Pour toutes ces raisons, l'Autorité considère que la demande de Bouygues Telecom est recevable et se déclare compétente pour connaître du différend qui l'oppose à Orange France, tant en ce qui concerne le tarif de terminaison d'appel SMS d'Orange France à l'égard de Bouygues Telecom que celui de Bouygues Telecom à l'égard d'Orange France.