JORF n°0185 du 11 août 2011

Cette inadaptation et cette rigueur non nécessaire appellent encore votre censure.
2. Quant à l'exigence d'une procédure appropriée :
Le projet de loi introduit en son article 17 une procédure de convocation par officier de police judiciaire (OPJ) devant le tribunal des enfants ou le tribunal correctionnel pour mineurs.
Cette convocation avait été censurée par vos soins dans votre décision précitée n° 2011-625 DC sur la LOPPSI 2.
Toutefois, il est exact que vous aviez censuré le dispositif non pas tant en condamnant le principe même de la convocation par OPJ qu'au regard de l'absence de garanties légales encadrant son recours. Ainsi aviez-vous jugé que : « Considérant que les dispositions contestées autorisent le procureur de la République à faire convoquer directement un mineur par un officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants sans instruction préparatoire par le juge des enfants ; que ces dispositions sont applicables à tout mineur quel que soit son âge, l'état de son casier judiciaire et la gravité des infractions poursuivies ; qu'elles ne garantissent pas que le tribunal disposera d'informations récentes sur la personnalité du mineur lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral ; que, par suite, elles méconnaissent les exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs » (cons. 34).
Dans la loi qui vous est maintenant soumise, le législateur a pris plus de précautions en fixant des conditions au recours à la convocation par OPJ. Il ne pourra ainsi y être recouru :
― pour les mineurs de treize ans si la peine encourue est au moins de cinq ans ;
― pour les mineurs de seize ans si la peine encourue est au moins de trois ans ;
― si le mineur a déjà fait l'objet de poursuites ;
― si des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies au cours des douze mois précédents, sauf « lorsqu'en raison de l'absence du mineur au cours des mesures d'investigation précédentes, des éléments plus approfondis n'ont pu être recueillis sur sa personnalité à l'occasion d'une procédure antérieure » ;
― l'audience doit se tenir dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours et supérieur à deux mois.
Il vous appartiendra néanmoins de vérifier si ces conditions sont suffisantes, avec une particulière attention pour l'exception à l'exigence d'une investigation récente qui ne garantit donc pas que le tribunal disposera d'informations suffisantes sur la personnalité du mineur lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral comme vous l'exigez pourtant.
Mais l'effort d'encadrement qu'a bien voulu consentir le législateur est en revanche mis à mal par la disposition relative à la césure dans le procès introduite à l'article 29 bis et qui prévoit que : « Par dérogation au troisième alinéa de l'article 8-3 et au II de l'article 14-2, le procureur de la République peut faire application des procédures prévues aux mêmes articles à l'encontre d'un mineur pour lequel aucune investigation n'a été ordonnée en application de l'article 8 et alors qu'il n'existe pas dans le dossier d'éléments suffisants sur sa personnalité pour permettre au tribunal de se prononcer, dès lors qu'il requiert dans la saisine du tribunal qu'il soit fait application du présent chapitre. »
Ainsi le procureur pourra-t-il discrétionnairement s'affranchir des conditions requises pour recourir à la convocation par OPJ et à la procédure de présentation immédiate au seul motif qu'il entend requérir la césure. Ce procédé peut se résumer en ces termes : « On condamne d'abord. On instruit après. »
Ceci est manifestement contraire aux exigences de votre jurisprudence sus rappelées, ainsi qu'à l'exclusion de l'arbitraire dans la poursuite et le prononcé des peines (n° 2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, cons. 11).
3. Quant à l'exigence d'une juridiction spécialisée :
L'article 29 de la loi crée un tribunal correctionnel pour mineurs compétent pour juger les mineurs de seize ans lorsqu'ils sont poursuivis pour un ou plusieurs délits punis d'une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à trois ans et commis en état de récidive légale.
Dans ce tribunal ne siégeront plus les échevins assesseurs spécialistes de l'enfance, mais un président juge des enfants et deux magistrats professionnels non spécialisés dans l'enfance.
En outre, pour les délits qui relèvent de la compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, à ces trois magistrats s'ajouteront deux citoyens assesseurs.
C'est là plaquer en réalité la procédure de jugement des mineurs de seize ans sur la procédure applicable aux majeurs, puisqu'il faut rappeler que la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs a prévu que l'excuse de minorité pouvait être écartée lorsqu'un délit de violences volontaires, un délit d'agression sexuelle, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état de récidive légale, et que cette excuse devait même être écartée lorsque ces mêmes délits avaient été à nouveau commis en état de récidive légale.
D'ailleurs, l'étude d'impact ne cache pas l'intention du Gouvernement d'aller en ce sens, puisqu'il y ait écrit noir sur blanc que : « Il paraissait donc assez justifié que ces mineurs, qui peuvent se voir infliger des peines suivant le régime applicable aux majeurs, comparaissent également devant une juridiction propre aux majeurs. » (p. 84).
Or il est manifestement contraire au principe de spécialisation des juridictions pour mineurs de supprimer des échevins spécialistes de l'enfance pour les remplacer par des juges professionnels non spécialistes, et même des assesseurs citoyens encore moins au fait de ces questions. En effet, la présence d'échevins choisis pour l'intérêt qu'ils portent aux questions de l'enfance et pour leurs compétences (12) est l'apport fondamental de l'ordonnance de 1945 par rapport à la loi du 22 juillet 1912 qui, si elle avait instauré le principe de spécialisation des juridictions pour mineurs, n'avait pas prévu d'échevinage. La spécialisation réside bien dans l'alliance de ces deux éléments : la présence d'un juge spécialisé entouré de personnes spécialisées.

(12) Article L. 251-4 du code de l'organisation judiciaire.


Historique des versions

Version 1

Cette inadaptation et cette rigueur non nécessaire appellent encore votre censure.

2. Quant à l'exigence d'une procédure appropriée :

Le projet de loi introduit en son article 17 une procédure de convocation par officier de police judiciaire (OPJ) devant le tribunal des enfants ou le tribunal correctionnel pour mineurs.

Cette convocation avait été censurée par vos soins dans votre décision précitée n° 2011-625 DC sur la LOPPSI 2.

Toutefois, il est exact que vous aviez censuré le dispositif non pas tant en condamnant le principe même de la convocation par OPJ qu'au regard de l'absence de garanties légales encadrant son recours. Ainsi aviez-vous jugé que : « Considérant que les dispositions contestées autorisent le procureur de la République à faire convoquer directement un mineur par un officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants sans instruction préparatoire par le juge des enfants ; que ces dispositions sont applicables à tout mineur quel que soit son âge, l'état de son casier judiciaire et la gravité des infractions poursuivies ; qu'elles ne garantissent pas que le tribunal disposera d'informations récentes sur la personnalité du mineur lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral ; que, par suite, elles méconnaissent les exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs » (cons. 34).

Dans la loi qui vous est maintenant soumise, le législateur a pris plus de précautions en fixant des conditions au recours à la convocation par OPJ. Il ne pourra ainsi y être recouru :

― pour les mineurs de treize ans si la peine encourue est au moins de cinq ans ;

― pour les mineurs de seize ans si la peine encourue est au moins de trois ans ;

― si le mineur a déjà fait l'objet de poursuites ;

― si des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies au cours des douze mois précédents, sauf « lorsqu'en raison de l'absence du mineur au cours des mesures d'investigation précédentes, des éléments plus approfondis n'ont pu être recueillis sur sa personnalité à l'occasion d'une procédure antérieure » ;

― l'audience doit se tenir dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours et supérieur à deux mois.

Il vous appartiendra néanmoins de vérifier si ces conditions sont suffisantes, avec une particulière attention pour l'exception à l'exigence d'une investigation récente qui ne garantit donc pas que le tribunal disposera d'informations suffisantes sur la personnalité du mineur lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral comme vous l'exigez pourtant.

Mais l'effort d'encadrement qu'a bien voulu consentir le législateur est en revanche mis à mal par la disposition relative à la césure dans le procès introduite à l'article 29 bis et qui prévoit que : « Par dérogation au troisième alinéa de l'article 8-3 et au II de l'article 14-2, le procureur de la République peut faire application des procédures prévues aux mêmes articles à l'encontre d'un mineur pour lequel aucune investigation n'a été ordonnée en application de l'article 8 et alors qu'il n'existe pas dans le dossier d'éléments suffisants sur sa personnalité pour permettre au tribunal de se prononcer, dès lors qu'il requiert dans la saisine du tribunal qu'il soit fait application du présent chapitre. »

Ainsi le procureur pourra-t-il discrétionnairement s'affranchir des conditions requises pour recourir à la convocation par OPJ et à la procédure de présentation immédiate au seul motif qu'il entend requérir la césure. Ce procédé peut se résumer en ces termes : « On condamne d'abord. On instruit après. »

Ceci est manifestement contraire aux exigences de votre jurisprudence sus rappelées, ainsi qu'à l'exclusion de l'arbitraire dans la poursuite et le prononcé des peines (n° 2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, cons. 11).

3. Quant à l'exigence d'une juridiction spécialisée :

L'article 29 de la loi crée un tribunal correctionnel pour mineurs compétent pour juger les mineurs de seize ans lorsqu'ils sont poursuivis pour un ou plusieurs délits punis d'une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à trois ans et commis en état de récidive légale.

Dans ce tribunal ne siégeront plus les échevins assesseurs spécialistes de l'enfance, mais un président juge des enfants et deux magistrats professionnels non spécialisés dans l'enfance.

En outre, pour les délits qui relèvent de la compétence du tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne, à ces trois magistrats s'ajouteront deux citoyens assesseurs.

C'est là plaquer en réalité la procédure de jugement des mineurs de seize ans sur la procédure applicable aux majeurs, puisqu'il faut rappeler que la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs a prévu que l'excuse de minorité pouvait être écartée lorsqu'un délit de violences volontaires, un délit d'agression sexuelle, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état de récidive légale, et que cette excuse devait même être écartée lorsque ces mêmes délits avaient été à nouveau commis en état de récidive légale.

D'ailleurs, l'étude d'impact ne cache pas l'intention du Gouvernement d'aller en ce sens, puisqu'il y ait écrit noir sur blanc que : « Il paraissait donc assez justifié que ces mineurs, qui peuvent se voir infliger des peines suivant le régime applicable aux majeurs, comparaissent également devant une juridiction propre aux majeurs. » (p. 84).

Or il est manifestement contraire au principe de spécialisation des juridictions pour mineurs de supprimer des échevins spécialistes de l'enfance pour les remplacer par des juges professionnels non spécialistes, et même des assesseurs citoyens encore moins au fait de ces questions. En effet, la présence d'échevins choisis pour l'intérêt qu'ils portent aux questions de l'enfance et pour leurs compétences (12) est l'apport fondamental de l'ordonnance de 1945 par rapport à la loi du 22 juillet 1912 qui, si elle avait instauré le principe de spécialisation des juridictions pour mineurs, n'avait pas prévu d'échevinage. La spécialisation réside bien dans l'alliance de ces deux éléments : la présence d'un juge spécialisé entouré de personnes spécialisées.

(12) Article L. 251-4 du code de l'organisation judiciaire.