JORF n°0139 du 17 juin 2011

  1. Quant à la rétention en matière de terrorisme

L'avant-dernier alinéa de l'article 56 prévoit en outre que : « Par dérogation aux dispositions de l'alinéa précédent, si l'étranger a été condamné à une peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal ou si une mesure d'expulsion a été prononcée à son encontre pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées, le juge des libertés et de la détention près le tribunal de grande instance de Paris peut, dès lors qu'il existe une perspective raisonnable d'exécution de la mesure d'éloignement et qu'aucune décision d'assignation à résidence ne permettrait un contrôle suffisant de cet étranger, ordonner la prolongation de la rétention pour une durée d'un mois qui peut être renouvelée. La durée maximale de la rétention ne doit pas excéder six mois. Toutefois, lorsque, malgré les diligences de l'administration, l'éloignement ne peut être exécuté en raison soit du manque de coopération de l'étranger, soit des retards subis pour obtenir du consulat dont il relève les documents de voyage nécessaires, la durée maximale de la rétention est prolongée de douze mois supplémentaires. »
Si les requérants mesurent la difficulté à laquelle le législateur a entendu répondre ici, il ne saurait pour autant lui donner quitus d'un tel manquement à l'Etat de droit et au risque d'arbitraire que contient pareille disposition.
A cet égard, il est particulièrement éclairant de se référer à l'opinion émise par le Law Lord Hoffmann lorsque la Chambre des lords britannique a rendu sa décision dans l'affaire A v. Secretary of State for the Home Department, le 16 décembre 2004 (UKFL 56), concernant la loi anglaise de 2001 relative à la sécurité et à la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Celui-ci y déclarait alors :
« Bien sûr le Gouvernement a le devoir de protéger la vie et les biens de ses citoyens. Mais c'est un devoir qui lui incombe en tout temps et qu'il se doit d'accomplir sans mettre à mal nos libertés constitutionnelles. Il est peut-être des nations trop fragiles ou friables pour résister à de graves violences. Mais ce n'est pas le cas du Royaume-Uni (§ 95). (...)
« Je ne sous-estime pas la capacité meurtrière et destructrice des groupes terroristes fanatiques, mais ils ne menacent pas la vie de la Nation. Il y aurait peut-être un doute à ce que nous survivions à Hitler, mais il n'en fait pas à ce que nous survivrons à al Qaïda. La violence terroriste, aussi grave soit-elle, ne menace pas nos institutions gouvernementales ni notre existence en tant que société (§ 96). (...)
« La véritable menace pour la vie de la Nation, pour un peuple qui vit en harmonie avec ses lois et ses valeurs, ne vient pas du terrorisme, mais de ce type de lois. C'est là la véritable marque de ce à quoi le terrorisme peut conduire. C'est au Parlement de décider si oui ou non il entend souscrire à une telle victoire du terrorisme » (§ 97). [traduction non officielle]
Or ce qui est vrai pour le royaume de Grande-Bretagne l'est pour la République française.
Si la disposition ici en cause n'est certes pas aussi attentatoire aux libertés individuelles que l'était la législation anglaise de 2001 ― qui prévoyait notamment la possibilité pour l'administration d'incarcérer les étrangers soupçonnés de terrorisme pour une durée indéterminée ―, elle ne saurait pour autant satisfaire aux exigences constitutionnelles françaises.
D'abord, et à tout le moins, vous ne pourrez manquer de constater que la mesure est particulièrement inadaptée à l'objectif poursuivi, s'agissant des personnes condamnées pour des actes de terrorisme. En effet, s'il est constant que votre haute juridiction « ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » (n° 2010-605 du 12 mai 2010, cons. 23) et qu'il ne vous appartient pas de « rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies », c'est néanmoins à la condition que « les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées » (n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 10).
Or en l'espèce, s'agissant de personnes condamnées, les centres de rétention administrative qui, par définition, ne relèvent pas de l'administration pénitentiaire, ne constituent pas des locaux appropriés. Comme l'indique l'article R. 553-3 du CESEDA, ces locaux « offrent aux étrangers retenus des équipements de type hôtelier et des prestations de restauration collective ». Les conditions de vie y sont, tout du moins légalement, moins rigoureuses qu'en détention, permettant notamment un accès libre au téléphone, une libre circulation au sein des centres, et un contact entre les personnes retenues.
Enfermer pendant un délai pouvant aller jusqu'à dix-huit mois des personnes considérées comme particulièrement dangereuses dans ce type de locaux comporterait ainsi un risque certain pour la sécurité des autres retenus ainsi que pour les personnels de surveillance qui ne sont pas formés à cette fin.
L'adoption d'un tel dispositif apparaît d'autant moins opportune que le législateur vient d'adopter dans le cadre de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure un article 116 modifiant l'article L. 561-3 du CESEDA prévoyant précisément la possibilité d'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile des étrangers condamnés pour terrorisme assortie d'une peine d'un an d'emprisonnement en cas de manquement (art. 117 de la même loi).
Mais de manière plus générale, comme ils l'avaient fait dans leur saisine concernant la loi instituant la rétention de sûreté, les requérants contestent le principe même de ce type de dispositions qui visent, sinon à infliger une peine, du moins à maintenir en détention des personnes qui ont purgé leur peine, sur le seul fondement de leur dangerosité. Ils ne sauraient souscrire à ce glissement d'une justice de responsabilité vers une justice de sûreté.
Quant aux personnes visées « pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées » ensuite, les requérants relèvent d'abord l'absence totale de clarté qui caractérise cette notion, et qui justifierait à elle seule votre censure sur le fondement du principe de légalité. Quel critère objectif permettra en effet de caractériser l'existence d'un tel lien ?
Ils relèvent également qu'elle aura en tout cas pour conséquence de s'appliquer à des personnes qui n'ont pas été condamnées, sinon à quoi bon cet ajout, et qui ne font pas non plus l'objet de poursuites judiciaires. Or il s'agit là d'une atteinte manifeste aux principes de la liberté individuelle et de la rigueur nécessaire. En effet, il est parfaitement inadmissible de priver de liberté une personne pendant une période pouvant courir jusqu'à dix-huit mois sans qu'aucune charge ne soit retenue à son endroit.
Comme vous l'aviez en son temps jugé à propos de la « rétention judiciaire », et s'agissant « d'une mesure aboutissant à priver totalement une personne de sa liberté pendant une période déterminée » ― période pourtant alors limitée à trois mois ―, elle « ne saurait être assortie de garanties moindres que celles assurées aux personnes placées en détention provisoire » (n° 93-325 DC du 13 août 1993, cons. 114).
S'agissant de personnes non poursuivies, elles ne sauraient donc être maintenues en rétention administrative au-delà du délai de droit commun, sauf à méconnaître les « garanties légales de la liberté individuelle » (idem).
A cet égard, vous pourrez utilement vous inspirer de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme A et autres c. Royaume-Uni qui avait condamné la législation britannique sur le terrorisme susvisée, en tenant notamment compte du fait que le véritable objectif poursuivi par les autorités anglaises n'était pas tant l'éloignement des étrangers en cause que le soupçon « d'être des terroristes internationaux et [que lesdites autorités] pensaient que, en liberté sur le sol britannique, ils représentaient une menace pour la sécurité nationale » (arrêt de la Grande Chambre du 19 février 2009, n° 3455/05, § 171). Et de rappeler à cette occasion qu'elle « avait déjà jugé à plusieurs reprises l'internement et la détention préventive sans inculpation incompatibles avec le droit fondamental à la liberté » (§ 172).
Or il est en espèce patent que c'est moins l'objectif d'éloignement qui est recherché que la prévention du risque terroriste.
Pour ces motifs, l'extension de la durée de la rétention administrative jusqu'à dix-huit mois commande également votre censure.

Sur l'article 94

Conformément à l'article 94, le premier alinéa de l'article L. 624-1 du CESEDA est rédigé en ces termes : « Tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l'exécution d'une mesure de refus d'entrée en France, d'un arrêté d'expulsion, d'une mesure de reconduite à la frontière ou d'une obligation de quitter le territoire français ou qui, expulsé ou ayant fait l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire, d'une interdiction de retour sur le territoire français ou d'un arrêté de reconduite à la frontière pris moins de trois ans auparavant en application de l'article L. 533-1, aura pénétré de nouveau sans autorisation en France, sera puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement. »
Les requérants considèrent, à tout le moins s'agissant de la première phrase de cette disposition qui pénalise le fait de se maintenir sur le territoire malgré un ordre contraire, qu'il s'agit d'une erreur manifeste de transposition des articles 15 et 16 de la directive « retour ».
En effet, la Cour de justice de l'Union européenne vient de répondre à une question préjudicielle formulée en ces termes : « Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2008/115, notamment ses articles 15 et 16, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation d'un Etat membre, telle que celle en cause dans l'affaire au principal, qui prévoit l'infliction d'une peine d'emprisonnement à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d'un ordre, de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié » (arrêt du 28 avril 2011, Hassen El Dridi, C-61/11 PPU, point 29).
Or à cette question, la Cour a répondu oui. Ainsi, après avoir constaté que le déroulement des étapes de la procédure de retour établie par la directive 2008/115 correspondait « à une gradation des mesures à prendre en vue de l'exécution de la décision de retour, gradation allant de la mesure qui laisse le plus de liberté à l'intéressé, à savoir l'octroi d'un délai pour son départ volontaire, à des mesures qui restreignent le plus celle-ci, à savoir la rétention dans un centre spécialisé, le respect du principe de proportionnalité devant être assuré au cours de toutes ces étapes » (point 41), et rappelé que les « Etats ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile » (point 55), elle a conclu que la directive devait être interprétée en ce sens « qu'elle s'oppose à une réglementation d'un Etat membre, telle que celle en cause dans l'affaire au principal, qui prévoit l'infliction d'une peine d'emprisonnement à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d'un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié » (point 62).
Or l'article 94 de la loi ici disputée a précisément pour objet de pénaliser le séjour irrégulier sur le seul fondement du maintien sur le territoire d'un étranger qui a fait l'objet d'une décision l'enjoignant de le quitter, y compris lorsqu'il a bénéficié d'un délai de départ volontaire.
Aussi, dès lors que la question qui vous est soumise est parfaitement identique à celle tranchée par la Cour de Luxembourg, c'est bien le caractère manifeste de l'erreur de transposition qui est révélée par l'interprétation qu'elle vient de donner des articles 15 et 16 de la directive « retour ».
En conséquence, c'est sur le fondement de la méconnaissance de l'article 88-1 de la Constitution que votre censure est ici requise.

Sur l'article 95

L'actuel article L. 731-2 du CESEDA prévoit que devant la Commission nationale du droit d'asile, le « bénéfice de l'aide juridictionnelle peut être demandé au plus tard dans le délai d'un mois à compter de la réception par le requérant de l'avis de réception de son recours, lequel l'informe des modalités de cette demande ».
Auparavant, l'article 3 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique limitait le bénéfice de cette aide financière aux seuls étrangers qui résidaient habituellement et étaient entrés régulièrement en France, ou qui détenaient un titre de séjour d'une durée de validité au moins égale à un an.
L'article 93 de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 avait supprimé ces exigences d'entrée régulière et de séjour régulier. Cette suppression avait deux fondements énoncés dans le rapport de la commission des lois du Sénat : « assurer un droit effectif au recours des demandeurs d'asile devant la commission des recours des réfugiés », d'une part, et transposer dans le droit interne « l'obligation juridique » inscrite à l'article 15 de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié, d'autre part (n° 371 [2005-2006], p. 219). Article 15 qui prévoit en effet que : « En cas de décision négative de l'autorité responsable de la détermination, les Etats membres veillent à ce que l'assistance judiciaire et/ou la représentation gratuites soient accordées sur demande. »
Or l'article 95 ici disputé tend pour sa part à supprimer le bénéfice de l'aide juridictionnelle « dans le cadre d'un recours dirigé contre une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant une demande de réexamen lorsque le requérant a, à l'occasion d'une précédente demande, été entendu par l'office ainsi que par la Cour nationale du droit d'asile, assisté d'un avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle ».
Dès lors, et quand bien même cette rédaction finalement retenue est moins radicale que celle proposée initialement par l'Assemblée nationale, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit bien là d'un recul du droit à un recours effectif qui justifierait à lui seul votre censure.
En outre, et dans la mesure où cela affecte le régime d'une loi antérieure qui venait transposer la directive 2005, les requérants considèrent qu'il vous appartient d'apprécier l'incompatibilité manifeste de cette nouvelle disposition avec ladite directive. Soit au titre de la modification de l'ancien régime ― puisque c'est la conséquence nécessaire de votre décision n° 2006-540 DC, le législateur ne saurait modifier une loi de transposition compatible avec une directive par une nouvelle loi qui, elle, lui serait manifestement incompatible, au seul motif qu'elle ne la transpose pas directement ― soit parce qu'elle constitue en soi une transposition de la directive de 2005, dès lors que le législateur l'a expressément visée en adoptant l'article 74 bis (l6).
Les tenants du nouveau dispositif invoquent une exception au droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle inscrite à l'article 15.3 a) de la directive de 2005 selon lequel : « Les Etats membres peuvent prévoir dans leur droit national que l'assistance judiciaire et/ou la représentation gratuites sont accordées uniquement (...) dans le cadre des procédures devant une cour ou un tribunal prévues au chapitre V et à l'exclusion de tout autre recours juridictionnel ou administratif prévu dans le droit national, y compris le réexamen d'un recours faisant suite à un recours juridictionnel ou administratif. »
Il s'agit là aux yeux des requérants d'une erreur de droit manifeste. En effet, le législateur a confondu le « réexamen d'un recours » tel qu'il figure à l'article 15.3 a) de la directive, et la procédure de réexamen française, alors que cette dernière correspond en réalité à ce que la directive intitule en son article 32 une « demande ultérieure ». Une telle demande selon l'article 32.3 n'est en effet recevable que si « de nouveaux éléments ou de nouvelles données se rapportant à l'examen visant à déterminer si le demandeur d'asile remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE sont apparus ou ont été présentés par le demandeur ». Or cette exigence de présenter des éléments nouveaux est identique à celle fixée par la jurisprudence du Conseil d'Etat qui conditionne le réexamen d'un refus de l'OFPRA ou de la CNDA à l'existence de faits nouveaux. Ainsi un réexamen « ne peut être examiné au fond (...) que si l'intéressé invoque des faits intervenus postérieurement à la première décision juridictionnelle ou dont il est établi qu'il n'a pu en avoir connaissance que postérieurement à cette décision, et susceptibles, s'ils sont établis, de justifier les craintes de persécutions qu'il déclare éprouver » (arrêt du 28 avril 2000, n° 192701).
Or conformément à l'article 39.1 c) de la directive de 2005, qui figure dans son chapitre V, auquel renvoie précisément l'article 15.3 a) précité, le droit à un recours effectif s'applique à « une décision de ne pas poursuivre l'examen de la demande ultérieure en vertu des articles 32 et 34 ». En d'autres termes, le bénéfice de l'aide juridictionnelle doit être accordé dans le cadre des demandes ultérieures au sens du droit communautaire, qui correspondent aux demandes de réexamen du droit d'asile français.
Parce que l'article 95 méconnaît ainsi manifestement, à la fois le droit à un recours effectif, et la directive de 2005, il appelle votre censure.

(16) La professeure Anne Levade a mis en évidence à cet égard les incertitudes de votre jurisprudence qui mériteraient grandement d'être levées dans le cas d'espèce (« Le Palais-Royal aux prises avec la constitutionnalité des actes de transposition des directives communautaires », RFDA, 2007, n° 3, pp. 564-577).


Historique des versions

Version 1

2. Quant à la rétention en matière de terrorisme

L'avant-dernier alinéa de l'article 56 prévoit en outre que : « Par dérogation aux dispositions de l'alinéa précédent, si l'étranger a été condamné à une peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal ou si une mesure d'expulsion a été prononcée à son encontre pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées, le juge des libertés et de la détention près le tribunal de grande instance de Paris peut, dès lors qu'il existe une perspective raisonnable d'exécution de la mesure d'éloignement et qu'aucune décision d'assignation à résidence ne permettrait un contrôle suffisant de cet étranger, ordonner la prolongation de la rétention pour une durée d'un mois qui peut être renouvelée. La durée maximale de la rétention ne doit pas excéder six mois. Toutefois, lorsque, malgré les diligences de l'administration, l'éloignement ne peut être exécuté en raison soit du manque de coopération de l'étranger, soit des retards subis pour obtenir du consulat dont il relève les documents de voyage nécessaires, la durée maximale de la rétention est prolongée de douze mois supplémentaires. »

Si les requérants mesurent la difficulté à laquelle le législateur a entendu répondre ici, il ne saurait pour autant lui donner quitus d'un tel manquement à l'Etat de droit et au risque d'arbitraire que contient pareille disposition.

A cet égard, il est particulièrement éclairant de se référer à l'opinion émise par le Law Lord Hoffmann lorsque la Chambre des lords britannique a rendu sa décision dans l'affaire A v. Secretary of State for the Home Department, le 16 décembre 2004 (UKFL 56), concernant la loi anglaise de 2001 relative à la sécurité et à la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Celui-ci y déclarait alors :

« Bien sûr le Gouvernement a le devoir de protéger la vie et les biens de ses citoyens. Mais c'est un devoir qui lui incombe en tout temps et qu'il se doit d'accomplir sans mettre à mal nos libertés constitutionnelles. Il est peut-être des nations trop fragiles ou friables pour résister à de graves violences. Mais ce n'est pas le cas du Royaume-Uni (§ 95). (...)

« Je ne sous-estime pas la capacité meurtrière et destructrice des groupes terroristes fanatiques, mais ils ne menacent pas la vie de la Nation. Il y aurait peut-être un doute à ce que nous survivions à Hitler, mais il n'en fait pas à ce que nous survivrons à al Qaïda. La violence terroriste, aussi grave soit-elle, ne menace pas nos institutions gouvernementales ni notre existence en tant que société (§ 96). (...)

« La véritable menace pour la vie de la Nation, pour un peuple qui vit en harmonie avec ses lois et ses valeurs, ne vient pas du terrorisme, mais de ce type de lois. C'est là la véritable marque de ce à quoi le terrorisme peut conduire. C'est au Parlement de décider si oui ou non il entend souscrire à une telle victoire du terrorisme » (§ 97). [traduction non officielle]

Or ce qui est vrai pour le royaume de Grande-Bretagne l'est pour la République française.

Si la disposition ici en cause n'est certes pas aussi attentatoire aux libertés individuelles que l'était la législation anglaise de 2001 ― qui prévoyait notamment la possibilité pour l'administration d'incarcérer les étrangers soupçonnés de terrorisme pour une durée indéterminée ―, elle ne saurait pour autant satisfaire aux exigences constitutionnelles françaises.

D'abord, et à tout le moins, vous ne pourrez manquer de constater que la mesure est particulièrement inadaptée à l'objectif poursuivi, s'agissant des personnes condamnées pour des actes de terrorisme. En effet, s'il est constant que votre haute juridiction « ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » (n° 2010-605 du 12 mai 2010, cons. 23) et qu'il ne vous appartient pas de « rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies », c'est néanmoins à la condition que « les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées » (n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 10).

Or en l'espèce, s'agissant de personnes condamnées, les centres de rétention administrative qui, par définition, ne relèvent pas de l'administration pénitentiaire, ne constituent pas des locaux appropriés. Comme l'indique l'article R. 553-3 du CESEDA, ces locaux « offrent aux étrangers retenus des équipements de type hôtelier et des prestations de restauration collective ». Les conditions de vie y sont, tout du moins légalement, moins rigoureuses qu'en détention, permettant notamment un accès libre au téléphone, une libre circulation au sein des centres, et un contact entre les personnes retenues.

Enfermer pendant un délai pouvant aller jusqu'à dix-huit mois des personnes considérées comme particulièrement dangereuses dans ce type de locaux comporterait ainsi un risque certain pour la sécurité des autres retenus ainsi que pour les personnels de surveillance qui ne sont pas formés à cette fin.

L'adoption d'un tel dispositif apparaît d'autant moins opportune que le législateur vient d'adopter dans le cadre de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure un article 116 modifiant l'article L. 561-3 du CESEDA prévoyant précisément la possibilité d'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile des étrangers condamnés pour terrorisme assortie d'une peine d'un an d'emprisonnement en cas de manquement (art. 117 de la même loi).

Mais de manière plus générale, comme ils l'avaient fait dans leur saisine concernant la loi instituant la rétention de sûreté, les requérants contestent le principe même de ce type de dispositions qui visent, sinon à infliger une peine, du moins à maintenir en détention des personnes qui ont purgé leur peine, sur le seul fondement de leur dangerosité. Ils ne sauraient souscrire à ce glissement d'une justice de responsabilité vers une justice de sûreté.

Quant aux personnes visées « pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées » ensuite, les requérants relèvent d'abord l'absence totale de clarté qui caractérise cette notion, et qui justifierait à elle seule votre censure sur le fondement du principe de légalité. Quel critère objectif permettra en effet de caractériser l'existence d'un tel lien ?

Ils relèvent également qu'elle aura en tout cas pour conséquence de s'appliquer à des personnes qui n'ont pas été condamnées, sinon à quoi bon cet ajout, et qui ne font pas non plus l'objet de poursuites judiciaires. Or il s'agit là d'une atteinte manifeste aux principes de la liberté individuelle et de la rigueur nécessaire. En effet, il est parfaitement inadmissible de priver de liberté une personne pendant une période pouvant courir jusqu'à dix-huit mois sans qu'aucune charge ne soit retenue à son endroit.

Comme vous l'aviez en son temps jugé à propos de la « rétention judiciaire », et s'agissant « d'une mesure aboutissant à priver totalement une personne de sa liberté pendant une période déterminée » ― période pourtant alors limitée à trois mois ―, elle « ne saurait être assortie de garanties moindres que celles assurées aux personnes placées en détention provisoire » (n° 93-325 DC du 13 août 1993, cons. 114).

S'agissant de personnes non poursuivies, elles ne sauraient donc être maintenues en rétention administrative au-delà du délai de droit commun, sauf à méconnaître les « garanties légales de la liberté individuelle » (idem).

A cet égard, vous pourrez utilement vous inspirer de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme A et autres c. Royaume-Uni qui avait condamné la législation britannique sur le terrorisme susvisée, en tenant notamment compte du fait que le véritable objectif poursuivi par les autorités anglaises n'était pas tant l'éloignement des étrangers en cause que le soupçon « d'être des terroristes internationaux et [que lesdites autorités] pensaient que, en liberté sur le sol britannique, ils représentaient une menace pour la sécurité nationale » (arrêt de la Grande Chambre du 19 février 2009, n° 3455/05, § 171). Et de rappeler à cette occasion qu'elle « avait déjà jugé à plusieurs reprises l'internement et la détention préventive sans inculpation incompatibles avec le droit fondamental à la liberté » (§ 172).

Or il est en espèce patent que c'est moins l'objectif d'éloignement qui est recherché que la prévention du risque terroriste.

Pour ces motifs, l'extension de la durée de la rétention administrative jusqu'à dix-huit mois commande également votre censure.

Sur l'article 94

Conformément à l'article 94, le premier alinéa de l'article L. 624-1 du CESEDA est rédigé en ces termes : « Tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l'exécution d'une mesure de refus d'entrée en France, d'un arrêté d'expulsion, d'une mesure de reconduite à la frontière ou d'une obligation de quitter le territoire français ou qui, expulsé ou ayant fait l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire, d'une interdiction de retour sur le territoire français ou d'un arrêté de reconduite à la frontière pris moins de trois ans auparavant en application de l'article L. 533-1, aura pénétré de nouveau sans autorisation en France, sera puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement. »

Les requérants considèrent, à tout le moins s'agissant de la première phrase de cette disposition qui pénalise le fait de se maintenir sur le territoire malgré un ordre contraire, qu'il s'agit d'une erreur manifeste de transposition des articles 15 et 16 de la directive « retour ».

En effet, la Cour de justice de l'Union européenne vient de répondre à une question préjudicielle formulée en ces termes : « Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2008/115, notamment ses articles 15 et 16, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation d'un Etat membre, telle que celle en cause dans l'affaire au principal, qui prévoit l'infliction d'une peine d'emprisonnement à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d'un ordre, de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié » (arrêt du 28 avril 2011, Hassen El Dridi, C-61/11 PPU, point 29).

Or à cette question, la Cour a répondu oui. Ainsi, après avoir constaté que le déroulement des étapes de la procédure de retour établie par la directive 2008/115 correspondait « à une gradation des mesures à prendre en vue de l'exécution de la décision de retour, gradation allant de la mesure qui laisse le plus de liberté à l'intéressé, à savoir l'octroi d'un délai pour son départ volontaire, à des mesures qui restreignent le plus celle-ci, à savoir la rétention dans un centre spécialisé, le respect du principe de proportionnalité devant être assuré au cours de toutes ces étapes » (point 41), et rappelé que les « Etats ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile » (point 55), elle a conclu que la directive devait être interprétée en ce sens « qu'elle s'oppose à une réglementation d'un Etat membre, telle que celle en cause dans l'affaire au principal, qui prévoit l'infliction d'une peine d'emprisonnement à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d'un ordre de quitter le territoire de cet Etat dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié » (point 62).

Or l'article 94 de la loi ici disputée a précisément pour objet de pénaliser le séjour irrégulier sur le seul fondement du maintien sur le territoire d'un étranger qui a fait l'objet d'une décision l'enjoignant de le quitter, y compris lorsqu'il a bénéficié d'un délai de départ volontaire.

Aussi, dès lors que la question qui vous est soumise est parfaitement identique à celle tranchée par la Cour de Luxembourg, c'est bien le caractère manifeste de l'erreur de transposition qui est révélée par l'interprétation qu'elle vient de donner des articles 15 et 16 de la directive « retour ».

En conséquence, c'est sur le fondement de la méconnaissance de l'article 88-1 de la Constitution que votre censure est ici requise.

Sur l'article 95

L'actuel article L. 731-2 du CESEDA prévoit que devant la Commission nationale du droit d'asile, le « bénéfice de l'aide juridictionnelle peut être demandé au plus tard dans le délai d'un mois à compter de la réception par le requérant de l'avis de réception de son recours, lequel l'informe des modalités de cette demande ».

Auparavant, l'article 3 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique limitait le bénéfice de cette aide financière aux seuls étrangers qui résidaient habituellement et étaient entrés régulièrement en France, ou qui détenaient un titre de séjour d'une durée de validité au moins égale à un an.

L'article 93 de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 avait supprimé ces exigences d'entrée régulière et de séjour régulier. Cette suppression avait deux fondements énoncés dans le rapport de la commission des lois du Sénat : « assurer un droit effectif au recours des demandeurs d'asile devant la commission des recours des réfugiés », d'une part, et transposer dans le droit interne « l'obligation juridique » inscrite à l'article 15 de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié, d'autre part (n° 371 [2005-2006], p. 219). Article 15 qui prévoit en effet que : « En cas de décision négative de l'autorité responsable de la détermination, les Etats membres veillent à ce que l'assistance judiciaire et/ou la représentation gratuites soient accordées sur demande. »

Or l'article 95 ici disputé tend pour sa part à supprimer le bénéfice de l'aide juridictionnelle « dans le cadre d'un recours dirigé contre une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant une demande de réexamen lorsque le requérant a, à l'occasion d'une précédente demande, été entendu par l'office ainsi que par la Cour nationale du droit d'asile, assisté d'un avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle ».

Dès lors, et quand bien même cette rédaction finalement retenue est moins radicale que celle proposée initialement par l'Assemblée nationale, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit bien là d'un recul du droit à un recours effectif qui justifierait à lui seul votre censure.

En outre, et dans la mesure où cela affecte le régime d'une loi antérieure qui venait transposer la directive 2005, les requérants considèrent qu'il vous appartient d'apprécier l'incompatibilité manifeste de cette nouvelle disposition avec ladite directive. Soit au titre de la modification de l'ancien régime ― puisque c'est la conséquence nécessaire de votre décision n° 2006-540 DC, le législateur ne saurait modifier une loi de transposition compatible avec une directive par une nouvelle loi qui, elle, lui serait manifestement incompatible, au seul motif qu'elle ne la transpose pas directement ― soit parce qu'elle constitue en soi une transposition de la directive de 2005, dès lors que le législateur l'a expressément visée en adoptant l'article 74 bis (l6).

Les tenants du nouveau dispositif invoquent une exception au droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle inscrite à l'article 15.3 a) de la directive de 2005 selon lequel : « Les Etats membres peuvent prévoir dans leur droit national que l'assistance judiciaire et/ou la représentation gratuites sont accordées uniquement (...) dans le cadre des procédures devant une cour ou un tribunal prévues au chapitre V et à l'exclusion de tout autre recours juridictionnel ou administratif prévu dans le droit national, y compris le réexamen d'un recours faisant suite à un recours juridictionnel ou administratif. »

Il s'agit là aux yeux des requérants d'une erreur de droit manifeste. En effet, le législateur a confondu le « réexamen d'un recours » tel qu'il figure à l'article 15.3 a) de la directive, et la procédure de réexamen française, alors que cette dernière correspond en réalité à ce que la directive intitule en son article 32 une « demande ultérieure ». Une telle demande selon l'article 32.3 n'est en effet recevable que si « de nouveaux éléments ou de nouvelles données se rapportant à l'examen visant à déterminer si le demandeur d'asile remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE sont apparus ou ont été présentés par le demandeur ». Or cette exigence de présenter des éléments nouveaux est identique à celle fixée par la jurisprudence du Conseil d'Etat qui conditionne le réexamen d'un refus de l'OFPRA ou de la CNDA à l'existence de faits nouveaux. Ainsi un réexamen « ne peut être examiné au fond (...) que si l'intéressé invoque des faits intervenus postérieurement à la première décision juridictionnelle ou dont il est établi qu'il n'a pu en avoir connaissance que postérieurement à cette décision, et susceptibles, s'ils sont établis, de justifier les craintes de persécutions qu'il déclare éprouver » (arrêt du 28 avril 2000, n° 192701).

Or conformément à l'article 39.1 c) de la directive de 2005, qui figure dans son chapitre V, auquel renvoie précisément l'article 15.3 a) précité, le droit à un recours effectif s'applique à « une décision de ne pas poursuivre l'examen de la demande ultérieure en vertu des articles 32 et 34 ». En d'autres termes, le bénéfice de l'aide juridictionnelle doit être accordé dans le cadre des demandes ultérieures au sens du droit communautaire, qui correspondent aux demandes de réexamen du droit d'asile français.

Parce que l'article 95 méconnaît ainsi manifestement, à la fois le droit à un recours effectif, et la directive de 2005, il appelle votre censure.

(16) La professeure Anne Levade a mis en évidence à cet égard les incertitudes de votre jurisprudence qui mériteraient grandement d'être levées dans le cas d'espèce (« Le Palais-Royal aux prises avec la constitutionnalité des actes de transposition des directives communautaires », RFDA, 2007, n° 3, pp. 564-577).