JORF n°0139 du 17 juin 2011

b) L'abrogation de l'interdiction

L'article L. 511-1-III prévoit en outre que : « L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction de retour. Lorsque l'étranger sollicite l'abrogation de l'interdiction de retour, sa demande n'est recevable que s'il justifie résider hors de France. Cette condition ne s'applique pas :
« 1° Pendant le temps où l'étranger purge en France une peine d'emprisonnement ferme ;
« 2° Lorsque l'étranger fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence prise en application des articles L. 561-1 ou L. 561-2. »
Cette condition de non-résidence en France s'applique ainsi à tous les autres cas dans lesquels un étranger entendrait solliciter l'abrogation de l'interdiction de retour, y compris lorsque, persécuté, il souhaiterait déposer une demande d'asile.
Une telle disposition méconnaît ainsi par elle-même le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958 dont le quatrième alinéa dispose que : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République. »
De cette disposition, vous avez déduit que « si certaines garanties attachées à ce droit ont été prévues par des conventions internationales introduites en droit interne, il incombe au législateur d'assurer en toutes circonstances l'ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle », et que, « s'agissant d'un droit fondamental dont la reconnaissance détermine l'exercice par les personnes concernées des libertés et droits reconnus de façon générale aux étrangers résidant sur le territoire par la Constitution, la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » (n° 93-325 DC du 13 août 1993, cons. 81).
De même aviez-vous considéré que « le respect du droit d'asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d'une manière générale que l'étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande » (cons. 84).
Or en l'espèce, ce n'est pas le droit de demeurer sur le territoire qui est mis en cause, mais l'accès au territoire lui-même ! Cela est particulièrement vrai pour les personnes qui n'auront pas bénéficié d'un délai de départ volontaire et qui ne peuvent donc prétendre à l'abrogation automatique de l'interdiction de retour prévue au dernier alinéa de l'article L. 511-1-III. Difficile de concevoir une contrariété plus flagrante avec l'exercice effectif du droit d'asile. Dans son rapport sur L'Immigration clandestine du 6 avril 2006, la commission d'enquête du Sénat ne rappelait-elle d'ailleurs pas que la « Convention de Genève prévoit expressément le droit des réfugiés d'entrer sans autorisation sur le territoire des pays d'accueil » ? (n° 300 [2005-2006], p. 150).
Par ailleurs, cette disposition est également manifestement incompatible avec le cinquième paragraphe de l'article 11 de la directive « retour » qu'elle a pour objet de transposer qui, lui, prévoit expressément que les mesures d'interdiction de retour « s'appliquent sans préjudice du droit à la protection internationale. »
Aussi, loin de rendre plus effectif le respect du droit d'asile, le législateur l'a ici, bien au contraire, privé de toute garantie légale en méconnaissance manifeste de votre jurisprudence. A ce titre encore, votre censure est encourue.

Sur les articles 44 et 47

Les griefs soulevés ici portent à la fois sur les articles 44 et 47 pris ensembles (§ 1), et sur l'article 47 pris individuellement (§ 2).

  1. Quant aux articles 44 et 47 pris ensembles

L'article 44 réécrit l'actuel article L. 551-1 du CESEDA en définissant les conditions dans lesquelles il peut être recouru à la rétention administrative, en prévoyant notamment que : « A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire (...). »
Aux termes de l'article 47, l'article L. 561-2 prévoit pour sa part que : « Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque mentionné au II de l'article L. 511-1 qu'il se soustraie à cette obligation. »
Comme ils l'ont fait savoir dans le cours du débat, les requérants adhèrent au principe de l'assignation à résidence, plutôt qu'au recours systématique à la rétention administrative.
Néanmoins, vous ne manquerez pas de constater que, là encore, le législateur national a manifestement méconnu les exigences définies par le législateur communautaire.
L'objectif poursuivi par ce dernier est en effet de faire de la rétention administrative l'option de dernier recours, après que celles moins contraignantes aient été envisagées.
Le principe de la priorité aux mesures les moins coercitives résulte ainsi de l'article 15.1 de la directive « retour » selon lequel : « A moins que d'autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les Etats membres peuvent uniquement placer en rétention... » ainsi que de son considérant 16 aux termes duquel la « rétention n'est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l'éloignement et si l'application de mesures moins coercitives ne suffirait pas ».
C'est précisément ce que vient de décider la Cour de justice de l'Union européenne en déclarant qu'il découlait « du seizième considérant de ladite directive ainsi que du libellé de son article 15, paragraphe 1, que les Etats membres doivent procéder à l'éloignement au moyen des mesures les moins coercitives possible. Ce n'est que dans l'hypothèse où l'exécution de la décision de retour sous forme d'éloignement risque, au regard d'une appréciation de chaque situation spécifique, d'être compromise par le comportement de l'intéressé que ces Etats peuvent procéder à la privation de liberté de ce dernier au moyen d'une rétention » (Hassen El Dridi, alias Soufi Karim, 28 avril 2011, C-61/11 PPU, point 39).
A l'opposé, et comme n'a pas manqué de le relever le rapporteur de la commission des lois du Sénat, « l'assignation à résidence, telle que définie par l'article L. 561-2 nouveau, constitue simplement une alternative à la rétention, que le préfet n'est en aucun cas tenu de mettre en œuvre, même si une telle mesure est suffisante pour s'assurer de la personne de l'étranger en instance de reconduction » (rapport n° 239, p. 142).
Or dans votre décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, c'est parce que vous aviez jugé que l'imposition aux opérateurs historiques du secteur de l'énergie d'obligations tarifaires permanentes méconnaissait « manifestement l'objectif d'ouverture des marchés concurrentiels de l'électricité et du gaz naturel fixé par les directives précitées, que le titre premier de la loi déférée a pour objet de transposer », que vous l'aviez déclaré contraire à l'article 88-1 de Constitution (cons. 9).
Il en va de même en l'espèce dans la mesure où, en offrant la possibilité à l'autorité administrative de recourir à la rétention là où l'assignation suffirait, le législateur a méconnu l'objectif poursuivi par la directive, et donc commis une « erreur de transposition manifeste » (cf. le commentaire aux Cahiers de votre décision n° 2006-543 DC) contraire à l'article 88-1 de la Constitution qui a elle seule justifie la censure de l'ensemble du nouveau dispositif.

  1. Quant à l'article 47

Si vous ne censuriez pas l'ensemble du dispositif, vous censurerez au moins la procédure retenue à l'article L. 561-2 du CESEDA.
En effet, si encore une fois les requérants sont favorables au recours à l'assignation à résidence plutôt qu'à la rétention, ils ne sauraient admettre qu'elle se fasse hors de tout contrôle du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles.
La logique de l'assignation de l'article L. 561-2 est distincte de celle de l'article L. 561-1. Dans ce dernier cas, il s'agit d'une assignation administrative s'il est établi que l'étranger ne peut regagner son pays d'origine. Elle évite qu'une personne qui est dans l'impossibilité objective de quitter le territoire soit en infraction à la législation sur les étrangers. C'est donc une mesure d'admission au séjour provisoire, sans droit au travail, et pouvant être limitée géographiquement.
A l'inverse, l'assignation de l'article L. 561-2 est une mesure de contrôle, en vue de l'exécution effective de la mesure d'éloignement, qui porte directement atteinte à la liberté individuelle ou, à tout le moins, à la liberté d'aller et venir (n° 2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13). Or, s'il n'y a pas de recours au juge judiciaire, cela implique qu'une OQTF pourra être exécutée, quand bien même les conditions légales d'interpellation ou de garde à vue de l'étranger auront été méconnues.
En d'autres termes, face à une arrestation dont il saura pertinemment qu'elle ne s'est pas déroulée selon les formes légales, le préfet pourra de facto la faire échapper à tout contrôle judiciaire en choisissant de recourir à l'assignation plutôt qu'à la rétention.
Or le législateur ne pouvait ainsi priver de garanties légales la liberté constitutionnelle d'aller et venir sans connaître votre censure.

Sur l'article 56

L'article 56 de la loi tend à allonger les délais de rétention maximaux en les portant de vingt-deux ou trente-deux jours à quarante-cinq jours (§ 1), et à instaurer un régime spécifique de rétention en matière de terrorisme (§ 2).

  1. Quant au délai maximum de quarante-cinq jours

En l'état actuel du droit, il existe deux délais maximaux :
― vingt-deux jours lorsque, « malgré les diligences de l'administration, la mesure d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou de l'absence de moyens de transport, et qu'il est établi par l'autorité administrative compétente que l'une ou l'autre de ces circonstances doit intervenir à bref délai. Il peut également être saisi aux mêmes fins lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement, malgré les diligences de l'administration, pour pouvoir procéder à l'exécution de la mesure d'éloignement dans le délai prescrit » (art. L. 552-8) ;
― trente-deux jours « en cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, ou lorsque l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement » (art. L. 552-7).
Le nouveau dispositif aboutira quant à lui à unifier ces deux délais jusqu'à un maximum de quarante-cinq jours, qui correspond à la première période de rétention de cinq jours (au lieu de deux), à laquelle s'ajoute la première prolongation de vingt jours (au lieu de quinze), puis la seconde de vingt jours encore (au lieu de cinq ou quinze).
Les requérants considèrent que ce nouveau délai est contraire à l'article 9 de la Déclaration de 1789 (13) dont vous avez déduit le principe selon lequel la « liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire » (n° 2010-31 QPC du 22 septembre 2010, cons. 5).
Ils n'ignorent pas l'évolution de votre jurisprudence sur cette question qui vous avait conduit à finalement admettre la validité d'un allongement de la durée de rétention de douze jours maximum à trente-deux jours. Mais si vous l'aviez fait, c'est non sans rappeler que l'étranger ne pouvait « être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet », et que l'autorité judiciaire conservait « la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient » (n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 66).
Or il ressort pourtant clairement du rapport d'information de l'Assemblée nationale sur les centres de rétention administrative et les zones d'attente du 24 juin 2009 que l'allongement du délai de rétention dépasse le temps « strictement nécessaire » à l'éloignement de l'étranger. En effet, selon ses propres termes, « la mission d'information estime que la durée maximum actuelle de trente-deux jours est suffisante et ne devra pas être augmentée lorsque la directive sera transposée en droit français. Certes, dans de nombreux cas, il n'est pas possible d'organiser l'éloignement au cours de cette période, notamment à cause de la difficulté à obtenir les laissez-passer consulaires, mais une augmentation de la durée de rétention ne permettrait probablement pas d'améliorer nettement le taux d'éloignement des étrangers placés en rétention » (n° 1776, p. 26).
Selon le même rapporteur, un an après, cet allongement serait devenu nécessaire au motif que la France se trouverait isolée par rapport à ses partenaires de l'Union européenne, et que diminuerait le taux de délivrance de laissez-passer consulaires (rapport n° 2814, pp. 284-285).
Sur le premier point, il est exact que la France est le pays où la période maximale de rétention est la plus courte. Néanmoins, comme nous y invitait le rapport Mazeaud, il faut se garder de comparaisons hâtives, car, en réalité, les durées moyennes sont « voisines de celles pratiquées par la France. En raison des obstacles partout rencontrés (difficultés de déterminer la nationalité ou d'obtenir des laissez-passer consulaires), la durée "utile”, celle au-delà de laquelle l'exécution de l'éloignement est compromise, est partout dans la fourchette des dix à quinze jours constatés par les services de police français » (14). La France est donc très loin d'être isolée.
Sur le second point, il ressort du dernier rapport de mars 2011 du comité interministériel de contrôle de l'immigration que la baisse constatée du taux de délivrance de laissez-passer consulaires soit moins le fait de la trop courte durée de la période de rétention que du manque de coopération de certains Etats (15).
D'ailleurs, comme l'indique le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale lui-même, la durée moyenne de rétention avant d'être présentée à l'embarquement s'est stabilisée autour de dix jours depuis 2005 (rapport n° 2814, p. 284). Comme le montre la CIMADE dans son rapport annuel 2009, ce sont 87 % des personnes qui sont présentées à l'embarquement dans un délai inférieur à dix-sept jours. Et lorsque les documents nécessaires n'ont pas été obtenus dans ce délai, il est quasiment exclu qu'ils le soient par la suite (p. 19). D'ailleurs, il ressort du rapport précité du comité interministériel de contrôle de l'immigration qu'en 2009, seulement 3,3 % de laissez-passer ont été délivrés hors délai (p. 78).
L'absence de nécessité d'une telle rigueur est par conséquent à ce point manifeste qu'elle justifie à elle seule la censure de la seconde prolongation de vingt jours.
A tout le moins, vous censurerez ce nouveau délai de seconde prolongation lorsqu'elle s'applique aux hypothèses dans lesquelles le retard pris est totalement extérieur au comportement de l'étranger. Ce sont celles visées au deuxième alinéa de l'article L. 552-7 et qui, en l'état actuel du droit, n'étaient susceptibles que d'autoriser une seconde prolongation de cinq jours.
En effet, il ressort clairement de votre décision n° 2003-484 DC, ainsi que de son commentaire aux Cahiers, que le caractère « limité » de ce délai de cinq jours avait été un élément déterminant dans votre choix de valider ce dispositif.
Il ne saurait, vous en conviendrez, être admis, au regard du principe de la rigueur nécessaire, que l'étranger dont le comportement ne pose pas de difficultés à l'administration soit traité avec la même rigueur que celui qui présente une menace grave pour l'ordre public.

(13) « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimé par la loi. ». (14) Commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d'immigration, Pour une politique des migrations transparente, simple et solidaire, juillet 2008, p. 70. (15) Septième rapport Les Orientations de la politique de l'immigration et de l'intégration, p. 79.


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Version 1

b) L'abrogation de l'interdiction

L'article L. 511-1-III prévoit en outre que : « L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction de retour. Lorsque l'étranger sollicite l'abrogation de l'interdiction de retour, sa demande n'est recevable que s'il justifie résider hors de France. Cette condition ne s'applique pas :

« 1° Pendant le temps où l'étranger purge en France une peine d'emprisonnement ferme ;

« 2° Lorsque l'étranger fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence prise en application des articles L. 561-1 ou L. 561-2. »

Cette condition de non-résidence en France s'applique ainsi à tous les autres cas dans lesquels un étranger entendrait solliciter l'abrogation de l'interdiction de retour, y compris lorsque, persécuté, il souhaiterait déposer une demande d'asile.

Une telle disposition méconnaît ainsi par elle-même le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958 dont le quatrième alinéa dispose que : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République. »

De cette disposition, vous avez déduit que « si certaines garanties attachées à ce droit ont été prévues par des conventions internationales introduites en droit interne, il incombe au législateur d'assurer en toutes circonstances l'ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle », et que, « s'agissant d'un droit fondamental dont la reconnaissance détermine l'exercice par les personnes concernées des libertés et droits reconnus de façon générale aux étrangers résidant sur le territoire par la Constitution, la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » (n° 93-325 DC du 13 août 1993, cons. 81).

De même aviez-vous considéré que « le respect du droit d'asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d'une manière générale que l'étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande » (cons. 84).

Or en l'espèce, ce n'est pas le droit de demeurer sur le territoire qui est mis en cause, mais l'accès au territoire lui-même ! Cela est particulièrement vrai pour les personnes qui n'auront pas bénéficié d'un délai de départ volontaire et qui ne peuvent donc prétendre à l'abrogation automatique de l'interdiction de retour prévue au dernier alinéa de l'article L. 511-1-III. Difficile de concevoir une contrariété plus flagrante avec l'exercice effectif du droit d'asile. Dans son rapport sur L'Immigration clandestine du 6 avril 2006, la commission d'enquête du Sénat ne rappelait-elle d'ailleurs pas que la « Convention de Genève prévoit expressément le droit des réfugiés d'entrer sans autorisation sur le territoire des pays d'accueil » ? (n° 300 [2005-2006], p. 150).

Par ailleurs, cette disposition est également manifestement incompatible avec le cinquième paragraphe de l'article 11 de la directive « retour » qu'elle a pour objet de transposer qui, lui, prévoit expressément que les mesures d'interdiction de retour « s'appliquent sans préjudice du droit à la protection internationale. »

Aussi, loin de rendre plus effectif le respect du droit d'asile, le législateur l'a ici, bien au contraire, privé de toute garantie légale en méconnaissance manifeste de votre jurisprudence. A ce titre encore, votre censure est encourue.

Sur les articles 44 et 47

Les griefs soulevés ici portent à la fois sur les articles 44 et 47 pris ensembles (§ 1), et sur l'article 47 pris individuellement (§ 2).

1. Quant aux articles 44 et 47 pris ensembles

L'article 44 réécrit l'actuel article L. 551-1 du CESEDA en définissant les conditions dans lesquelles il peut être recouru à la rétention administrative, en prévoyant notamment que : « A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire (...). »

Aux termes de l'article 47, l'article L. 561-2 prévoit pour sa part que : « Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque mentionné au II de l'article L. 511-1 qu'il se soustraie à cette obligation. »

Comme ils l'ont fait savoir dans le cours du débat, les requérants adhèrent au principe de l'assignation à résidence, plutôt qu'au recours systématique à la rétention administrative.

Néanmoins, vous ne manquerez pas de constater que, là encore, le législateur national a manifestement méconnu les exigences définies par le législateur communautaire.

L'objectif poursuivi par ce dernier est en effet de faire de la rétention administrative l'option de dernier recours, après que celles moins contraignantes aient été envisagées.

Le principe de la priorité aux mesures les moins coercitives résulte ainsi de l'article 15.1 de la directive « retour » selon lequel : « A moins que d'autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les Etats membres peuvent uniquement placer en rétention... » ainsi que de son considérant 16 aux termes duquel la « rétention n'est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l'éloignement et si l'application de mesures moins coercitives ne suffirait pas ».

C'est précisément ce que vient de décider la Cour de justice de l'Union européenne en déclarant qu'il découlait « du seizième considérant de ladite directive ainsi que du libellé de son article 15, paragraphe 1, que les Etats membres doivent procéder à l'éloignement au moyen des mesures les moins coercitives possible. Ce n'est que dans l'hypothèse où l'exécution de la décision de retour sous forme d'éloignement risque, au regard d'une appréciation de chaque situation spécifique, d'être compromise par le comportement de l'intéressé que ces Etats peuvent procéder à la privation de liberté de ce dernier au moyen d'une rétention » (Hassen El Dridi, alias Soufi Karim, 28 avril 2011, C-61/11 PPU, point 39).

A l'opposé, et comme n'a pas manqué de le relever le rapporteur de la commission des lois du Sénat, « l'assignation à résidence, telle que définie par l'article L. 561-2 nouveau, constitue simplement une alternative à la rétention, que le préfet n'est en aucun cas tenu de mettre en œuvre, même si une telle mesure est suffisante pour s'assurer de la personne de l'étranger en instance de reconduction » (rapport n° 239, p. 142).

Or dans votre décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, c'est parce que vous aviez jugé que l'imposition aux opérateurs historiques du secteur de l'énergie d'obligations tarifaires permanentes méconnaissait « manifestement l'objectif d'ouverture des marchés concurrentiels de l'électricité et du gaz naturel fixé par les directives précitées, que le titre premier de la loi déférée a pour objet de transposer », que vous l'aviez déclaré contraire à l'article 88-1 de Constitution (cons. 9).

Il en va de même en l'espèce dans la mesure où, en offrant la possibilité à l'autorité administrative de recourir à la rétention là où l'assignation suffirait, le législateur a méconnu l'objectif poursuivi par la directive, et donc commis une « erreur de transposition manifeste » (cf. le commentaire aux Cahiers de votre décision n° 2006-543 DC) contraire à l'article 88-1 de la Constitution qui a elle seule justifie la censure de l'ensemble du nouveau dispositif.

2. Quant à l'article 47

Si vous ne censuriez pas l'ensemble du dispositif, vous censurerez au moins la procédure retenue à l'article L. 561-2 du CESEDA.

En effet, si encore une fois les requérants sont favorables au recours à l'assignation à résidence plutôt qu'à la rétention, ils ne sauraient admettre qu'elle se fasse hors de tout contrôle du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles.

La logique de l'assignation de l'article L. 561-2 est distincte de celle de l'article L. 561-1. Dans ce dernier cas, il s'agit d'une assignation administrative s'il est établi que l'étranger ne peut regagner son pays d'origine. Elle évite qu'une personne qui est dans l'impossibilité objective de quitter le territoire soit en infraction à la législation sur les étrangers. C'est donc une mesure d'admission au séjour provisoire, sans droit au travail, et pouvant être limitée géographiquement.

A l'inverse, l'assignation de l'article L. 561-2 est une mesure de contrôle, en vue de l'exécution effective de la mesure d'éloignement, qui porte directement atteinte à la liberté individuelle ou, à tout le moins, à la liberté d'aller et venir (n° 2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13). Or, s'il n'y a pas de recours au juge judiciaire, cela implique qu'une OQTF pourra être exécutée, quand bien même les conditions légales d'interpellation ou de garde à vue de l'étranger auront été méconnues.

En d'autres termes, face à une arrestation dont il saura pertinemment qu'elle ne s'est pas déroulée selon les formes légales, le préfet pourra de facto la faire échapper à tout contrôle judiciaire en choisissant de recourir à l'assignation plutôt qu'à la rétention.

Or le législateur ne pouvait ainsi priver de garanties légales la liberté constitutionnelle d'aller et venir sans connaître votre censure.

Sur l'article 56

L'article 56 de la loi tend à allonger les délais de rétention maximaux en les portant de vingt-deux ou trente-deux jours à quarante-cinq jours (§ 1), et à instaurer un régime spécifique de rétention en matière de terrorisme (§ 2).

1. Quant au délai maximum de quarante-cinq jours

En l'état actuel du droit, il existe deux délais maximaux :

― vingt-deux jours lorsque, « malgré les diligences de l'administration, la mesure d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou de l'absence de moyens de transport, et qu'il est établi par l'autorité administrative compétente que l'une ou l'autre de ces circonstances doit intervenir à bref délai. Il peut également être saisi aux mêmes fins lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement, malgré les diligences de l'administration, pour pouvoir procéder à l'exécution de la mesure d'éloignement dans le délai prescrit » (art. L. 552-8) ;

― trente-deux jours « en cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, ou lorsque l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement » (art. L. 552-7).

Le nouveau dispositif aboutira quant à lui à unifier ces deux délais jusqu'à un maximum de quarante-cinq jours, qui correspond à la première période de rétention de cinq jours (au lieu de deux), à laquelle s'ajoute la première prolongation de vingt jours (au lieu de quinze), puis la seconde de vingt jours encore (au lieu de cinq ou quinze).

Les requérants considèrent que ce nouveau délai est contraire à l'article 9 de la Déclaration de 1789 (13) dont vous avez déduit le principe selon lequel la « liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire » (n° 2010-31 QPC du 22 septembre 2010, cons. 5).

Ils n'ignorent pas l'évolution de votre jurisprudence sur cette question qui vous avait conduit à finalement admettre la validité d'un allongement de la durée de rétention de douze jours maximum à trente-deux jours. Mais si vous l'aviez fait, c'est non sans rappeler que l'étranger ne pouvait « être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet », et que l'autorité judiciaire conservait « la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient » (n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 66).

Or il ressort pourtant clairement du rapport d'information de l'Assemblée nationale sur les centres de rétention administrative et les zones d'attente du 24 juin 2009 que l'allongement du délai de rétention dépasse le temps « strictement nécessaire » à l'éloignement de l'étranger. En effet, selon ses propres termes, « la mission d'information estime que la durée maximum actuelle de trente-deux jours est suffisante et ne devra pas être augmentée lorsque la directive sera transposée en droit français. Certes, dans de nombreux cas, il n'est pas possible d'organiser l'éloignement au cours de cette période, notamment à cause de la difficulté à obtenir les laissez-passer consulaires, mais une augmentation de la durée de rétention ne permettrait probablement pas d'améliorer nettement le taux d'éloignement des étrangers placés en rétention » (n° 1776, p. 26).

Selon le même rapporteur, un an après, cet allongement serait devenu nécessaire au motif que la France se trouverait isolée par rapport à ses partenaires de l'Union européenne, et que diminuerait le taux de délivrance de laissez-passer consulaires (rapport n° 2814, pp. 284-285).

Sur le premier point, il est exact que la France est le pays où la période maximale de rétention est la plus courte. Néanmoins, comme nous y invitait le rapport Mazeaud, il faut se garder de comparaisons hâtives, car, en réalité, les durées moyennes sont « voisines de celles pratiquées par la France. En raison des obstacles partout rencontrés (difficultés de déterminer la nationalité ou d'obtenir des laissez-passer consulaires), la durée "utile”, celle au-delà de laquelle l'exécution de l'éloignement est compromise, est partout dans la fourchette des dix à quinze jours constatés par les services de police français » (14). La France est donc très loin d'être isolée.

Sur le second point, il ressort du dernier rapport de mars 2011 du comité interministériel de contrôle de l'immigration que la baisse constatée du taux de délivrance de laissez-passer consulaires soit moins le fait de la trop courte durée de la période de rétention que du manque de coopération de certains Etats (15).

D'ailleurs, comme l'indique le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale lui-même, la durée moyenne de rétention avant d'être présentée à l'embarquement s'est stabilisée autour de dix jours depuis 2005 (rapport n° 2814, p. 284). Comme le montre la CIMADE dans son rapport annuel 2009, ce sont 87 % des personnes qui sont présentées à l'embarquement dans un délai inférieur à dix-sept jours. Et lorsque les documents nécessaires n'ont pas été obtenus dans ce délai, il est quasiment exclu qu'ils le soient par la suite (p. 19). D'ailleurs, il ressort du rapport précité du comité interministériel de contrôle de l'immigration qu'en 2009, seulement 3,3 % de laissez-passer ont été délivrés hors délai (p. 78).

L'absence de nécessité d'une telle rigueur est par conséquent à ce point manifeste qu'elle justifie à elle seule la censure de la seconde prolongation de vingt jours.

A tout le moins, vous censurerez ce nouveau délai de seconde prolongation lorsqu'elle s'applique aux hypothèses dans lesquelles le retard pris est totalement extérieur au comportement de l'étranger. Ce sont celles visées au deuxième alinéa de l'article L. 552-7 et qui, en l'état actuel du droit, n'étaient susceptibles que d'autoriser une seconde prolongation de cinq jours.

En effet, il ressort clairement de votre décision n° 2003-484 DC, ainsi que de son commentaire aux Cahiers, que le caractère « limité » de ce délai de cinq jours avait été un élément déterminant dans votre choix de valider ce dispositif.

Il ne saurait, vous en conviendrez, être admis, au regard du principe de la rigueur nécessaire, que l'étranger dont le comportement ne pose pas de difficultés à l'administration soit traité avec la même rigueur que celui qui présente une menace grave pour l'ordre public.

(13) « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimé par la loi. ». (14) Commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d'immigration, Pour une politique des migrations transparente, simple et solidaire, juillet 2008, p. 70. (15) Septième rapport Les Orientations de la politique de l'immigration et de l'intégration, p. 79.