JORF n°0139 du 17 juin 2011

  1. Quant aux articles 16 et 58

Ces deux dispositions tendent à allonger de quatre à six heures le délai dans lequel le parquet peut demander au premier président de la cour d'appel d'accorder un caractère suspensif à l'appel formé contre une décision de refus de maintien en zone d'attente ou de maintien en rétention administrative.
Les requérants n'ignorent pas que, malgré les critiques déjà émises par eux sur le fondement de l'article 66 de la Constitution, vous avez par trois fois validé pareil dispositif, deux fois concernant spécifiquement le droit des étrangers (n° 97-389 DC du 22 avril 1997, cons. 56-64, et n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 72-78), et une fois concernant le « référé-détention » (n° 2002-461 DC du 29 août 2002, cons. 69-74).
Les auteurs de la présente saisine, sans qu'il soit nécessaire de reprendre un à un les moyens invoqués à l'occasion de leurs précédents recours, relèvent néanmoins que vous aviez à chaque fois indiqué que, « en principe, il résulte de l'article 66 de la Constitution que, lorsqu'un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère son rôle de gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juridictionnelle qu'une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l'attente, le cas échéant, de celle du juge d'appel ».
Et si vous aviez toutefois admis qu'il soit apporté une exception à ce principe, c'est notamment en considération, comme l'indique le commentaire aux Cahiers de votre décision de 2003, du fait que ce délai était « strictement nécessaire au déroulement » de la procédure. Le Gouvernement lui-même, dans ses observations sur le recours formé contre la loi de 1997, relevait que « la possibilité d'appel suspensif du parquet est encadrée par la nécessité, pour celui-ci, de le manifester immédiatement, c'est-à-dire dans des cas où il aura été présent à une audience et aura pu relever d'emblée une violation flagrante de la règle du droit ».
Or, en l'espèce, un délai de six heures va au-delà de ce qui est strictement nécessaire au bon déroulement de cette procédure. En effet, comme l'admettent d'ailleurs eux-mêmes les promoteurs du dispositif, si cette faculté est peu utilisée par le parquet, c'est moins en raison de la contrainte imposée par le délai de quatre heures que pour « des raisons structurelles (encombrement des parquets notamment) que le projet de loi ne pourra pas résoudre ». Le directeur des affaires civiles et du sceau ayant notamment fait savoir à la commission des lois de l'Assemblée nationale que « la présence du parquet aux audiences du JLD de prolongation de la rétention ou du maintien en zone d'attente n'était pas la priorité du ministère public », et que c'est « cette absence aux audiences [qui] rend très difficile la mise en œuvre de la procédure de façon satisfaisante dans des délais aussi courts » (rapport n° 2814, pp. 169-170). En d'autres termes, si le Gouvernement souhaitait réellement favoriser le recours à cette procédure, il aurait suffit au garde des sceaux d'adresser une circulaire en ce sens à l'attention des parquetiers, et non enfoncer un coin supplémentaire dans une liberté constitutionnellement garantie.
Là aussi donc, votre censure est encourue sur le fondement de l'article 66 de la Constitution et de la prohibition d'une rigueur non nécessaire.

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Prises dans leur ensemble, ces dispositions montrent combien la logique du législateur est limpide : limiter et marginaliser toujours un peu plus le rôle du juge du siège.
Pourtant, s'il était loisible au législateur « d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appart[enait] d'apprécier l'opportunité », ce n'était qu'à la stricte condition que l'exercice de ce pouvoir n'aboutisse pas « à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » (n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 6 et 10). C'est néanmoins l'inverse que les requérants vous invitent ici à constater.

Sur l'article 2

L'article 2 tend notamment à introduire à l'article 21-24 du code civil un nouvel alinéa selon lequel : « A l'issue du contrôle de son assimilation, l'intéressé signe la charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte, approuvée par décret en Conseil d'Etat, rappelle les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française. »
C'est le renvoi de la rédaction et de l'approbation de cette charte au pouvoir réglementaire qui est ici en cause. En effet, en procédant à ce renvoi, le législateur est resté manifestement en deçà de sa compétence, et a méconnu l'exigence constitutionnelle de clarté et de prévisibilité de la loi.
Il ressort ainsi de votre jurisprudence qu'il « incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution, et en particulier son article 34 », et que « le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques », et ce dans le but de « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi » (n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, cons. 19).
En l'espèce, l'article 34 n'a confié qu'à la loi le soin de fixer « les règles concernant (...) les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques », ainsi que les règles concernant « la nationalité ».
Or, primo, dès lors que l'adoption de cette « charte des droits et devoirs du citoyen » relevait directement de la catégorie des règles concernant « les droits civiques et les garanties fondamentales » qui sont accordés aux citoyens, c'était au législateur de les élaborer et de les adopter.
Et, secundo, il ne saurait être argué du caractère non normatif de la future charte pour justifier ce renvoi au décret, dès lors que sa signature conditionnera dans les faits l'accession à la nationalité française. Aussi, en confiant au pouvoir réglementaire le soin de rédiger cette charte, le législateur lui a-t-il par la même occasion conféré la possibilité de déterminer des règles concernant, in fine, la nationalité.
L'exécutif se retrouvera ainsi dans la position de celui qui, à la fois, détermine souverainement les droits et devoirs qui figureront dans ladite charte, et apprécie tout aussi discrétionnairement le respect de ces prescriptions par l'étranger demandeur de la nationalité française.
En reportant de la sorte sur les autorités administratives le soin de fixer des règles concernant les droits fondamentaux et la nationalité, le législateur n'a donc pas suffisamment prémuni les demandeurs de la nationalité française contre le risque d'appréciation arbitraire de leur situation, et encourt à ce titre votre censure.

Sur l'article 4

L'article 4 complète le paragraphe 6 de la section 1 du chapitre III du titre Ier du livre Ier du code civil par un article 21-27-1 ainsi rédigé : « Lors de son acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique ou par déclaration, l'intéressé indique à l'autorité compétente la ou les nationalités qu'il possède déjà, la ou les nationalités qu'il conserve en plus de la nationalité française ainsi que la ou les nationalités auxquelles il entend renoncer. »
Ce dispositif opère ainsi une distinction entre les Français selon qu'ils ont acquis leur nationalité par naissance ou par une autre voie. Or cela heurte manifestement le principe que votre haute juridiction a consacré, et selon lequel, « au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation » (n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, cons. 23).
En effet, aucune différence de situation en lien direct avec l'objet de la disposition en cause, qui est d'apprécier l'existence d'éventuels liens avec d'autres Etats, ne justifie qu'un Français qui a acquis la nationalité par naturalisation ou déclaration soit traité différemment d'un Français de naissance qui possède lui-même une ou plusieurs autres nationalités, et qui, par voie de conséquence, est également susceptible d'entretenir des liens spécifiques avec un ou plusieurs autres Etats.
En outre, en imposant, au-delà de l'indication de leurs autres nationalités, l'obligation de faire connaître les nationalités qu'elles conservent, ou celles auxquelles elles renoncent, le législateur fait peser sur les personnes concernées une contrainte sur laquelle elles n'ont pas de prise.
En effet, selon les législations concernées, la nationalité n'est pas nécessairement disponible. Par exemple, la renonciation à la nationalité marocaine suppose l'adoption d'un décret royal. A l'inverse, jusqu'en 2002, un Australien qui acquérait la nationalité d'un autre Etat perdait automatiquement sa nationalité australienne.
Aussi, en imposant à des individus une obligation qui ne dépend pas de leur volonté propre, mais de celle des Etats dont ils ont également la nationalité, le législateur a-t-il commis une erreur manifeste d'appréciation dans le choix des modalités qu'il a retenues au regard de l'objectif qu'il poursuivait (n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 10).
Pour ces motifs, la disposition en cause commande d'être censurée.

Sur l'article 10

L'article 10 insère à l'article 221-2 du CESEDA un alinéa au terme duquel : « Lorsqu'il est manifeste qu'un groupe d'au moins dix étrangers vient d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres, la zone d'attente s'étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu'au point de passage frontalier le plus proche. »
Ce dispositif tend ainsi à instituer une hypothèse supplémentaire à celles déjà existantes ― gare, port, aéroport, lieu de débarquement ― dans laquelle il sera permis au préfet d'instaurer une zone d'attente, celle où un groupe d'étrangers serait appréhendé hors les passages frontaliers habituels.
Parce que ces zones d'attente « sac à dos » ou « mobiles » auront pour effet de transformer potentiellement l'ensemble du territoire national en zone d'attente, elles n'offrent pas de garanties suffisantes contre une application arbitraire de la loi elle-même susceptible de restreindre l'exercice effectif du droit d'asile (§ 1), et méconnaissent manifestement le principe de l'indivisibilité de la République (§ 2).

  1. Quant à la légalité et au droit d'asile

La disposition qui vous est ici déférée manque cruellement de précision quant à sa portée, au point de ne pas prémunir suffisamment contre d'éventuelles atteintes au droit d'asile.
Est-il nécessaire de le rappeler, « l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 », impose au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques », nécessaires pour « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire » (n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, cons. 19).
C'est pourtant le risque d'arbitraire qui fait ici office de règle. D'abord parce que le dispositif envisagé ne fixant aucune limite spatiale à la création d'une zone d'attente, il pourra s'appliquer sur l'ensemble du territoire national, indépendamment de la proximité d'un point de passage frontalier.
Ensuite, toujours d'un point de vue spatial, le périmètre de déclenchement de la mise en œuvre du nouveau dispositif est parfaitement imprévisible, hors les cas où les personnes sont trouvées en un même lieu. En effet, s'agissant des hypothèses dans lesquelles les personnes dont il est soupçonné qu'elles constituent un groupe sont éloignées de 10 kilomètres, alors le périmètre susceptible d'être concerné devient parfaitement inappréciable.
Mathématiquement, si l'on retient l'hypothèse de dix personnes ― qui impliquent chacune un rayon potentiel de 10 kilomètres ―, le périmètre couvert pourra être d'environ 3 141 km² [10 × (p × 10²)].
Dans ces conditions, il est manifestement déraisonnable d'envisager que sur pareille surface dix personnes puissent constituer un groupe.
Enfin, le dispositif crée un facteur d'imprévisibilité temporelle. Certes, le texte finalement retenu prévoit une durée maximale de vingt-six jours. Mais rien ne vient limiter les possibilités de reconduction d'une telle mesure. Alors que, selon les promoteurs du projet elle devait revêtir un caractère exceptionnel, elle pourrait de facto s'avérer pérenne sur certains secteurs du territoire. Pourraient ainsi être transformés en vastes zones d'attente permanentes le Calaisis, le canal Saint-Martin et les parcs du 10e arrondissement de Paris, mais aussi la Seine-Saint-Denis, ou encore tous les locaux d'associations accueillant des étrangers.
Eu égard à son ampleur, le dispositif envisagé ne permet ainsi pas d'exclure qu'une ou des personnes, bien que n'appartenant pas à un même groupe, soient toutes placées en zone d'attente, pour la seule et unique raison qu'elles se trouvent dans le périmètre concerné, aussi vaste soit-il.
De même, le risque est encore moins exclu que des personnes, à la seule vue de leur appartenance à un groupe, soient considérées comme « venant d'arriver », en l'absence de critères objectifs pour définir cette notion.
In fine, rien ne s'oppose donc à ce que ce nouveau dispositif soit utilisé pour renvoyer plus vite et plus facilement des étrangers qui, étant effectivement entrés sur le territoire, auraient pourtant dû être traités selon le droit commun d'éloignement.
De surcroît, ce risque d'arbitraire ne sera pas sans conséquences sur le droit d'asile lui-même consacré au quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, et plus particulièrement sur le principe d'égalité entre les demandeurs d'asile qui s'impose dès lors que ces derniers se trouvent dans des situations identiques (n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, cons. 9-10).
Vous ne pourrez en effet faire abstraction du fait que la procédure d'asile à la frontière est moins favorable au demandeur d'asile que la procédure de droit commun de demande d'asile sur le territoire. Or cette différence de traitement n'est acceptable ― et encore ― que dans la mesure où l'étranger qui vient d'arriver à un point de passage frontalier se trouve effectivement dans une situation différente de celui qui est déjà rentré sur le territoire.
Mais, en l'espèce, les requérants viennent précisément de démontrer que l'imprécision de la disposition en cause emportera pour conséquences qu'un étranger qui ne vient pas d'arriver sur le territoire sera néanmoins susceptible de se retrouver soumis à la procédure d'asile à la frontière. Il s'agit dès lors bien là d'une rupture d'égalité manifeste entre des étrangers puisque, bien que se trouvant effectivement sur le territoire, ils seront traités selon une procédure d'asile distincte.
L'absence de toute garantie effective contre un tel risque d'arbitraire dans l'application de cette disposition vous conduira donc à la censurer.

  1. Quant à l'indivisibilité de la République

Comme l'indique à très juste titre le rapporteur de la commission des lois du Sénat, « en dépit de ses caractéristiques géographiques, la zone d'attente est avant tout une fiction juridique, permettant de considérer qu'un étranger, bien que physiquement présent sur le territoire français, n'a pas été juridiquement admis à entrer sur ce territoire » (rapport n° 239, p. 72, en gras dans l'original).
Jusqu'à présent, et quand bien même vous ne vous êtes jamais prononcés sur le bien-fondé même de la création de ces zones (10), cette fiction a toujours trouvé à s'appuyer sur une réalité géographique : la proximité avec un point de passage frontalier. Aussi, l'atteinte manifeste au principe constitutionnel de l'indivisibilité de la République (n° 76-71 DC du 30 décembre 1976, cons. 5) qu'elle comporte pouvait être justifiée par son caractère limité et précisément défini.
Par deux fois ainsi, vous avez admis qu'il était loisible au législateur d'instituer un régime particulier de contrôles d'identité sur des portions spécifiques du territoire, qui comprenaient chacune une bande de 20 kilomètres longeant les frontières terrestres métropolitaines (n° 93-323 DC du 5 août 1993), et les frontières terrestres et le littoral de Guyane (n° 97-389 DC du 22 avril 1997), sans pour autant méconnaître le principe d'indivisibilité de la République.
Mais, dans les deux cas, vous aviez préalablement constaté que les zones concernées, qui jouxtaient effectivement des frontières géographiques, étaient « précisément définies dans leur nature et leur étendue », et présentaient « des risques particuliers d'infractions et d'atteintes à l'ordre public liés à la circulation internationale des personnes » (n° 93-323 DC, cons. 15, et n° 97-389 DC, cons. 72).
Or, en l'espèce, et à l'inverse, le législateur a créé artificiellement (11), en dehors de tout rattachement géographique frontalier, des zones dans lesquelles des étrangers se retrouveront réputés n'être pas entrés sur le territoire dont il a été démontré que ni la nature ni l'étendue n'étaient définies avec suffisamment de précisions.
Aussi, pour cette seconde raison, et parce que le dispositif envisagé institue une exception au principe d'indivisibilité de la République dont le contour est défini avec un manque manifeste de précision, il appelle encore votre censure.

(10) Tout au plus l'idée selon laquelle ces zones bénéficieraient d'une sorte de statut d'extraterritorialité a-t-elle été battue en brèche par votre propre jurisprudence (n° 92-307 DC du 25 février 1992) ainsi que par celle de la Cour européenne des droits de l'homme (Amour c. France du 25 juin 2006, n° 17/1995/523/609). (11) Artificiellement puisque, comme le relevait Bruno GENEVOIS : « L'idée d'extraterritorialité ne résiste pas à l'analyse. Même si un étranger qui descend d'un avion ou débarque d'un bateau n'est pas de ce seul fait admis juridiquement à entrer et séjourner en France, il n'en demeure pas moins que dès lors qu'il se trouve sur le territoire français, il est soumis à la lex loci française. » (« L'entrée des étrangers en France : le rappel des exigences constitutionnelles », RFDA, 1992, 8 (§ 2), p. 194).


Historique des versions

Version 1

4. Quant aux articles 16 et 58

Ces deux dispositions tendent à allonger de quatre à six heures le délai dans lequel le parquet peut demander au premier président de la cour d'appel d'accorder un caractère suspensif à l'appel formé contre une décision de refus de maintien en zone d'attente ou de maintien en rétention administrative.

Les requérants n'ignorent pas que, malgré les critiques déjà émises par eux sur le fondement de l'article 66 de la Constitution, vous avez par trois fois validé pareil dispositif, deux fois concernant spécifiquement le droit des étrangers (n° 97-389 DC du 22 avril 1997, cons. 56-64, et n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 72-78), et une fois concernant le « référé-détention » (n° 2002-461 DC du 29 août 2002, cons. 69-74).

Les auteurs de la présente saisine, sans qu'il soit nécessaire de reprendre un à un les moyens invoqués à l'occasion de leurs précédents recours, relèvent néanmoins que vous aviez à chaque fois indiqué que, « en principe, il résulte de l'article 66 de la Constitution que, lorsqu'un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère son rôle de gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juridictionnelle qu'une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l'attente, le cas échéant, de celle du juge d'appel ».

Et si vous aviez toutefois admis qu'il soit apporté une exception à ce principe, c'est notamment en considération, comme l'indique le commentaire aux Cahiers de votre décision de 2003, du fait que ce délai était « strictement nécessaire au déroulement » de la procédure. Le Gouvernement lui-même, dans ses observations sur le recours formé contre la loi de 1997, relevait que « la possibilité d'appel suspensif du parquet est encadrée par la nécessité, pour celui-ci, de le manifester immédiatement, c'est-à-dire dans des cas où il aura été présent à une audience et aura pu relever d'emblée une violation flagrante de la règle du droit ».

Or, en l'espèce, un délai de six heures va au-delà de ce qui est strictement nécessaire au bon déroulement de cette procédure. En effet, comme l'admettent d'ailleurs eux-mêmes les promoteurs du dispositif, si cette faculté est peu utilisée par le parquet, c'est moins en raison de la contrainte imposée par le délai de quatre heures que pour « des raisons structurelles (encombrement des parquets notamment) que le projet de loi ne pourra pas résoudre ». Le directeur des affaires civiles et du sceau ayant notamment fait savoir à la commission des lois de l'Assemblée nationale que « la présence du parquet aux audiences du JLD de prolongation de la rétention ou du maintien en zone d'attente n'était pas la priorité du ministère public », et que c'est « cette absence aux audiences [qui] rend très difficile la mise en œuvre de la procédure de façon satisfaisante dans des délais aussi courts » (rapport n° 2814, pp. 169-170). En d'autres termes, si le Gouvernement souhaitait réellement favoriser le recours à cette procédure, il aurait suffit au garde des sceaux d'adresser une circulaire en ce sens à l'attention des parquetiers, et non enfoncer un coin supplémentaire dans une liberté constitutionnellement garantie.

Là aussi donc, votre censure est encourue sur le fondement de l'article 66 de la Constitution et de la prohibition d'une rigueur non nécessaire.

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Prises dans leur ensemble, ces dispositions montrent combien la logique du législateur est limpide : limiter et marginaliser toujours un peu plus le rôle du juge du siège.

Pourtant, s'il était loisible au législateur « d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appart[enait] d'apprécier l'opportunité », ce n'était qu'à la stricte condition que l'exercice de ce pouvoir n'aboutisse pas « à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » (n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 6 et 10). C'est néanmoins l'inverse que les requérants vous invitent ici à constater.

Sur l'article 2

L'article 2 tend notamment à introduire à l'article 21-24 du code civil un nouvel alinéa selon lequel : « A l'issue du contrôle de son assimilation, l'intéressé signe la charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte, approuvée par décret en Conseil d'Etat, rappelle les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française. »

C'est le renvoi de la rédaction et de l'approbation de cette charte au pouvoir réglementaire qui est ici en cause. En effet, en procédant à ce renvoi, le législateur est resté manifestement en deçà de sa compétence, et a méconnu l'exigence constitutionnelle de clarté et de prévisibilité de la loi.

Il ressort ainsi de votre jurisprudence qu'il « incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution, et en particulier son article 34 », et que « le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques », et ce dans le but de « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi » (n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, cons. 19).

En l'espèce, l'article 34 n'a confié qu'à la loi le soin de fixer « les règles concernant (...) les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques », ainsi que les règles concernant « la nationalité ».

Or, primo, dès lors que l'adoption de cette « charte des droits et devoirs du citoyen » relevait directement de la catégorie des règles concernant « les droits civiques et les garanties fondamentales » qui sont accordés aux citoyens, c'était au législateur de les élaborer et de les adopter.

Et, secundo, il ne saurait être argué du caractère non normatif de la future charte pour justifier ce renvoi au décret, dès lors que sa signature conditionnera dans les faits l'accession à la nationalité française. Aussi, en confiant au pouvoir réglementaire le soin de rédiger cette charte, le législateur lui a-t-il par la même occasion conféré la possibilité de déterminer des règles concernant, in fine, la nationalité.

L'exécutif se retrouvera ainsi dans la position de celui qui, à la fois, détermine souverainement les droits et devoirs qui figureront dans ladite charte, et apprécie tout aussi discrétionnairement le respect de ces prescriptions par l'étranger demandeur de la nationalité française.

En reportant de la sorte sur les autorités administratives le soin de fixer des règles concernant les droits fondamentaux et la nationalité, le législateur n'a donc pas suffisamment prémuni les demandeurs de la nationalité française contre le risque d'appréciation arbitraire de leur situation, et encourt à ce titre votre censure.

Sur l'article 4

L'article 4 complète le paragraphe 6 de la section 1 du chapitre III du titre Ier du livre Ier du code civil par un article 21-27-1 ainsi rédigé : « Lors de son acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique ou par déclaration, l'intéressé indique à l'autorité compétente la ou les nationalités qu'il possède déjà, la ou les nationalités qu'il conserve en plus de la nationalité française ainsi que la ou les nationalités auxquelles il entend renoncer. »

Ce dispositif opère ainsi une distinction entre les Français selon qu'ils ont acquis leur nationalité par naissance ou par une autre voie. Or cela heurte manifestement le principe que votre haute juridiction a consacré, et selon lequel, « au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation » (n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, cons. 23).

En effet, aucune différence de situation en lien direct avec l'objet de la disposition en cause, qui est d'apprécier l'existence d'éventuels liens avec d'autres Etats, ne justifie qu'un Français qui a acquis la nationalité par naturalisation ou déclaration soit traité différemment d'un Français de naissance qui possède lui-même une ou plusieurs autres nationalités, et qui, par voie de conséquence, est également susceptible d'entretenir des liens spécifiques avec un ou plusieurs autres Etats.

En outre, en imposant, au-delà de l'indication de leurs autres nationalités, l'obligation de faire connaître les nationalités qu'elles conservent, ou celles auxquelles elles renoncent, le législateur fait peser sur les personnes concernées une contrainte sur laquelle elles n'ont pas de prise.

En effet, selon les législations concernées, la nationalité n'est pas nécessairement disponible. Par exemple, la renonciation à la nationalité marocaine suppose l'adoption d'un décret royal. A l'inverse, jusqu'en 2002, un Australien qui acquérait la nationalité d'un autre Etat perdait automatiquement sa nationalité australienne.

Aussi, en imposant à des individus une obligation qui ne dépend pas de leur volonté propre, mais de celle des Etats dont ils ont également la nationalité, le législateur a-t-il commis une erreur manifeste d'appréciation dans le choix des modalités qu'il a retenues au regard de l'objectif qu'il poursuivait (n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, cons. 10).

Pour ces motifs, la disposition en cause commande d'être censurée.

Sur l'article 10

L'article 10 insère à l'article 221-2 du CESEDA un alinéa au terme duquel : « Lorsqu'il est manifeste qu'un groupe d'au moins dix étrangers vient d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres, la zone d'attente s'étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu'au point de passage frontalier le plus proche. »

Ce dispositif tend ainsi à instituer une hypothèse supplémentaire à celles déjà existantes ― gare, port, aéroport, lieu de débarquement ― dans laquelle il sera permis au préfet d'instaurer une zone d'attente, celle où un groupe d'étrangers serait appréhendé hors les passages frontaliers habituels.

Parce que ces zones d'attente « sac à dos » ou « mobiles » auront pour effet de transformer potentiellement l'ensemble du territoire national en zone d'attente, elles n'offrent pas de garanties suffisantes contre une application arbitraire de la loi elle-même susceptible de restreindre l'exercice effectif du droit d'asile (§ 1), et méconnaissent manifestement le principe de l'indivisibilité de la République (§ 2).

1. Quant à la légalité et au droit d'asile

La disposition qui vous est ici déférée manque cruellement de précision quant à sa portée, au point de ne pas prémunir suffisamment contre d'éventuelles atteintes au droit d'asile.

Est-il nécessaire de le rappeler, « l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 », impose au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques », nécessaires pour « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire » (n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, cons. 19).

C'est pourtant le risque d'arbitraire qui fait ici office de règle. D'abord parce que le dispositif envisagé ne fixant aucune limite spatiale à la création d'une zone d'attente, il pourra s'appliquer sur l'ensemble du territoire national, indépendamment de la proximité d'un point de passage frontalier.

Ensuite, toujours d'un point de vue spatial, le périmètre de déclenchement de la mise en œuvre du nouveau dispositif est parfaitement imprévisible, hors les cas où les personnes sont trouvées en un même lieu. En effet, s'agissant des hypothèses dans lesquelles les personnes dont il est soupçonné qu'elles constituent un groupe sont éloignées de 10 kilomètres, alors le périmètre susceptible d'être concerné devient parfaitement inappréciable.

Mathématiquement, si l'on retient l'hypothèse de dix personnes ― qui impliquent chacune un rayon potentiel de 10 kilomètres ―, le périmètre couvert pourra être d'environ 3 141 km² [10 × (p × 10²)].

Dans ces conditions, il est manifestement déraisonnable d'envisager que sur pareille surface dix personnes puissent constituer un groupe.

Enfin, le dispositif crée un facteur d'imprévisibilité temporelle. Certes, le texte finalement retenu prévoit une durée maximale de vingt-six jours. Mais rien ne vient limiter les possibilités de reconduction d'une telle mesure. Alors que, selon les promoteurs du projet elle devait revêtir un caractère exceptionnel, elle pourrait de facto s'avérer pérenne sur certains secteurs du territoire. Pourraient ainsi être transformés en vastes zones d'attente permanentes le Calaisis, le canal Saint-Martin et les parcs du 10e arrondissement de Paris, mais aussi la Seine-Saint-Denis, ou encore tous les locaux d'associations accueillant des étrangers.

Eu égard à son ampleur, le dispositif envisagé ne permet ainsi pas d'exclure qu'une ou des personnes, bien que n'appartenant pas à un même groupe, soient toutes placées en zone d'attente, pour la seule et unique raison qu'elles se trouvent dans le périmètre concerné, aussi vaste soit-il.

De même, le risque est encore moins exclu que des personnes, à la seule vue de leur appartenance à un groupe, soient considérées comme « venant d'arriver », en l'absence de critères objectifs pour définir cette notion.

In fine, rien ne s'oppose donc à ce que ce nouveau dispositif soit utilisé pour renvoyer plus vite et plus facilement des étrangers qui, étant effectivement entrés sur le territoire, auraient pourtant dû être traités selon le droit commun d'éloignement.

De surcroît, ce risque d'arbitraire ne sera pas sans conséquences sur le droit d'asile lui-même consacré au quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, et plus particulièrement sur le principe d'égalité entre les demandeurs d'asile qui s'impose dès lors que ces derniers se trouvent dans des situations identiques (n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, cons. 9-10).

Vous ne pourrez en effet faire abstraction du fait que la procédure d'asile à la frontière est moins favorable au demandeur d'asile que la procédure de droit commun de demande d'asile sur le territoire. Or cette différence de traitement n'est acceptable ― et encore ― que dans la mesure où l'étranger qui vient d'arriver à un point de passage frontalier se trouve effectivement dans une situation différente de celui qui est déjà rentré sur le territoire.

Mais, en l'espèce, les requérants viennent précisément de démontrer que l'imprécision de la disposition en cause emportera pour conséquences qu'un étranger qui ne vient pas d'arriver sur le territoire sera néanmoins susceptible de se retrouver soumis à la procédure d'asile à la frontière. Il s'agit dès lors bien là d'une rupture d'égalité manifeste entre des étrangers puisque, bien que se trouvant effectivement sur le territoire, ils seront traités selon une procédure d'asile distincte.

L'absence de toute garantie effective contre un tel risque d'arbitraire dans l'application de cette disposition vous conduira donc à la censurer.

2. Quant à l'indivisibilité de la République

Comme l'indique à très juste titre le rapporteur de la commission des lois du Sénat, « en dépit de ses caractéristiques géographiques, la zone d'attente est avant tout une fiction juridique, permettant de considérer qu'un étranger, bien que physiquement présent sur le territoire français, n'a pas été juridiquement admis à entrer sur ce territoire » (rapport n° 239, p. 72, en gras dans l'original).

Jusqu'à présent, et quand bien même vous ne vous êtes jamais prononcés sur le bien-fondé même de la création de ces zones (10), cette fiction a toujours trouvé à s'appuyer sur une réalité géographique : la proximité avec un point de passage frontalier. Aussi, l'atteinte manifeste au principe constitutionnel de l'indivisibilité de la République (n° 76-71 DC du 30 décembre 1976, cons. 5) qu'elle comporte pouvait être justifiée par son caractère limité et précisément défini.

Par deux fois ainsi, vous avez admis qu'il était loisible au législateur d'instituer un régime particulier de contrôles d'identité sur des portions spécifiques du territoire, qui comprenaient chacune une bande de 20 kilomètres longeant les frontières terrestres métropolitaines (n° 93-323 DC du 5 août 1993), et les frontières terrestres et le littoral de Guyane (n° 97-389 DC du 22 avril 1997), sans pour autant méconnaître le principe d'indivisibilité de la République.

Mais, dans les deux cas, vous aviez préalablement constaté que les zones concernées, qui jouxtaient effectivement des frontières géographiques, étaient « précisément définies dans leur nature et leur étendue », et présentaient « des risques particuliers d'infractions et d'atteintes à l'ordre public liés à la circulation internationale des personnes » (n° 93-323 DC, cons. 15, et n° 97-389 DC, cons. 72).

Or, en l'espèce, et à l'inverse, le législateur a créé artificiellement (11), en dehors de tout rattachement géographique frontalier, des zones dans lesquelles des étrangers se retrouveront réputés n'être pas entrés sur le territoire dont il a été démontré que ni la nature ni l'étendue n'étaient définies avec suffisamment de précisions.

Aussi, pour cette seconde raison, et parce que le dispositif envisagé institue une exception au principe d'indivisibilité de la République dont le contour est défini avec un manque manifeste de précision, il appelle encore votre censure.

(10) Tout au plus l'idée selon laquelle ces zones bénéficieraient d'une sorte de statut d'extraterritorialité a-t-elle été battue en brèche par votre propre jurisprudence (n° 92-307 DC du 25 février 1992) ainsi que par celle de la Cour européenne des droits de l'homme (Amour c. France du 25 juin 2006, n° 17/1995/523/609). (11) Artificiellement puisque, comme le relevait Bruno GENEVOIS : « L'idée d'extraterritorialité ne résiste pas à l'analyse. Même si un étranger qui descend d'un avion ou débarque d'un bateau n'est pas de ce seul fait admis juridiquement à entrer et séjourner en France, il n'en demeure pas moins que dès lors qu'il se trouve sur le territoire français, il est soumis à la lex loci française. » (« L'entrée des étrangers en France : le rappel des exigences constitutionnelles », RFDA, 1992, 8 (§ 2), p. 194).