JORF n°0299 du 24 décembre 2016

Saisine du 9 décembre 2016

LOI RELATIVE AU FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2017

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 et, spécialement, ses articles 18, 28, 32, 50, 72, 97 et 98.
De manière générale, les auteurs de la saisine estiment que l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 est en contradiction avec les engagements de maîtrise des dépenses publiques et des déficits pris par la France et spécialement confirmés par la signature et la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire du 2 mars 2012.
S'ils ne méconnaissent pas la jurisprudence constante par laquelle vous vous refusez à contrôler la conformité des lois aux conventions internationales, les auteurs de la saisine notent que vous avez considéré, dans la décision relative audit traité, « que le Conseil constitutionnel est chargé de contrôler la conformité à la Constitution des lois de programmation relatives aux orientations pluriannuelles des finances publiques, des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale ; que saisi dans le cadre de l'article 61 de la Constitution, il doit notamment s'assurer de la sincérité de ces lois ; qu'il aura à exercer ce contrôle en prenant en compte l'avis des institutions indépendantes préalablement mises en place » (Cons. const. n° 2012-653 DC, 9 août 2012, cons. 27).
Le contrôle de la sincérité des lois visées et, spécialement, d'une loi de financement de la sécurité sociale ne saurait donc à l'évidence plus se limiter à celui de « l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre » (Cons. const. n° 2009-585, 6 août 2009, cons. 2). Lors de l'examen de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, vous aviez d'ailleurs considéré que « la sincérité de la loi de programmation des finances publiques devra s'apprécier notamment en prenant en compte l'avis du Haut Conseil des finances publiques ; qu'il en ira de même de l'appréciation de la sincérité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale » (Cons. const. n° 2012-658 DC, 13 décembre 2012, cons. 52). C'est donc dans ce cadre juridique que les députés auteurs de la saisine vous appellent à contrôler la loi déférée.
Sur le fondement de l'article 14 de la loi organique susvisée, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a adopté, le 24 septembre 2016, un avis n° 2016-3 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2017. C'est donc en prenant en considération cet avis que l'examen de la sincérité de la loi déférée doit être mené. Or, se prononçant sur les hypothèses macroéconomiques pour 2017 retenues par le Gouvernement, le Haut Conseil a considéré que « le scénario de croissance retenu par le Gouvernement, qui cumule un certain nombre d'hypothèses favorables, tend à s'écarter du principe de prudence qui permet d'assurer au mieux le respect des objectifs et des engagements pris en matière de finances publiques ».
Il a, en outre, spécialement noté que « s'agissant des dépenses sociales, les prévisions du Gouvernement sont affectées d'un risque significatif. Le relèvement de l'ONDAM de 1,75 % à 2,1 % ne couvrira qu'une partie du coût prévisionnel pour l'assurance maladie des augmentations tarifaires de la nouvelle convention médicale et des mesures salariales dans les hôpitaux (augmentation du point fonction publique et protocole de parcours professionnels, carrières et rémunérations [PPCR]). Il devra être complété par un effort accru d'économies sur les dépenses d'assurance maladie (4,1 Md€ en 2017, contre 3,4 Md€ en 2016 et 3,2 Md€ pour chacune des deux années précédentes), dont la réalisation est incertaine. »
Enfin, selon le comité d'alerte de l'ONDAM, « l'évolution prévue de l'ONDAM en 2017 est minorée, plus qu'à l'accoutumée, par des dispositions qui permettent de financer hors ONDAM certaines dépenses d'assurance maladie ». Le Gouvernement va même jusqu'à comptabiliser 250 millions d'€ (en plus des 1,4 Md€ déjà annoncés) d'économies sur les prix des médicaments en escomptant des économies sur des négociations qui n'ont pas encore eu lieu, ou encore, alléger l'ONDAM de 220 millions d'€ de financement de médicaments innovants qui seront payés par un fonds créé à l'article 49, lequel fonds va être abondé par des crédits du FSV (dont le déficit pour 2017 serait de 3,9 Md€…).
Pour toutes ces raisons, les députés auteurs de la saisine vous demandent de conclure à l'inconstitutionnalité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 au motif de son insincérité dans la mesure où, déjà manifeste au vu des prévisions sur lesquelles le Gouvernement s'est fondé, elle ne saurait résister à l'analyse plus approfondie que désormais vous estimez devoir mener en prenant en compte l'avis formulé par le HCFP.
Sur l'article 18 :
Cet article a pour objet de clarifier le droit applicable aux revenus tirés des activités de location de locaux d'habitation meublés et de biens meubles par le biais de plates-formes collaboratives.
L'économie collaborative a connu un développement très rapide et il convient de répondre à tous les défis posés par ce nouveau secteur. Cela nécessite de clarifier la nature des sommes concernées au regard des obligations fiscales et sociales. D'autant que l'étude d'impact de cet article évoque un volume d'affaires de 7 milliards d'euros.
L'économie des plates-formes permet à des particuliers de vendre ou de louer des biens (une voiture, un logement, une perceuse, etc.) ou des services (covoiturage, cuisine, bricolage, etc.), via des intermédiaires de mise en relation. En principe, les revenus tirés par les particuliers de leurs activités sur ces plates-formes sont susceptibles de constituer des revenus de nature commerciale, soumis à l'impôt sur le revenu (IR) et, le cas échéant, aux cotisations sociales. En pratique, pourtant, ces revenus sont rarement déclarés, très rarement contrôlés, et in fine très rarement soumis à l'impôt et aux cotisations sociales, quand bien même les contribuables seraient de bonne foi. A ce stade, le paiement de l'impôt et/ou l'affiliation à un régime de sécurité sociale relèvent avant tout de la bonne volonté des particuliers, ou d'une demande expresse de la part de certaines plates-formes. Il en résulte non seulement des pertes de recettes pour l'Etat et la sécurité sociale, mais aussi une absence de protection sociale pour les particuliers concernés et une distorsion de concurrence au préjudice des secteurs traditionnels.
Cet article propose d'apporter une première clarification s'agissant des cotisations sociales, du moins pour les activités de location d'appartements et de location de biens meubles en traçant une frontière entre ce qui relève, d'une part, de la simple gestion d'un patrimoine immobilier ou mobilier et, d'autre part, d'une véritable activité professionnelle.
Il instaure une affiliation obligatoire au régime social des travailleurs indépendants, avec néanmoins un droit d'option pour ceux qui y sont déjà affilié au titre de leur activité principale, pour les personnes physiques, dès lors que leurs recettes brutes annuelles excéderaient les seuils de :
23 000 euros pour la location de meublés pour de courtes durées ;
20 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 7 720 euros en 2016, pour la location directe ou indirecte de biens meubles.
L'article 18 méconnaît le principe d'égalité devant la loi
Comme vous le rappelez régulièrement, le principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet de solutions différentes.
Tout d'abord, en l'espèce, les signataires considèrent que les seuils proposés conduisent à une inégalité de traitement selon la nature des activités bien de location ou bien meuble.
Le seuil de 23 000 € représente un complément de revenu de près de 2 000 euros par mois.
Le seuil de 7 720 euros applicable aux locations de meubles (voitures, objets, etc.) semble trop faible. Même si ce seuil a été doublé après l'examen de ce texte en première lecture à l'Assemblée nationale, peut-on considérer un particulier qui loue occasionnellement ses biens au-delà de 643 euros par mois comme un « travailleur indépendant » ? La justification d'un tel seuil demeure fragile.
Au-delà, le dispositif proposé conduit à laisser de côté de nombreux cas possibles, ce qui pose un problème d'égalité de traitement :

- rien n'est prévu pour les loueurs situés en deçà des seuils. Or, dans un tel cas, les revenus issus de la location de meublés de courte durée ou de biens meubles constituent des revenus du patrimoine mobilier ou immobilier, et sont à ce titre soumis aux prélèvements sociaux, notamment la CSG et la CRDS, au taux de 15,5 % ;
- aucun seuil n'est prévu pour les services, par exemple des cours à domicile, du babysitting ou des petites tâches de bricolage : dans l'économie « traditionnelle », il est légitime que les personnes exerçant à titre régulier ces activités soient soumises à un statut de travallleur indépendant, tout en gardant une tolérance sur les services plus occasionnels. Mais dans l'économie des plates-formes, où les possibilités de services occasionnels sont démultipliées et où toutes les transactions sont connues dès le premier euro, cette ambiguïté n'est plus possible. En l'absence de seuil de minimis, un étudiant proposant sur un site internet quelques cours de mathématiques à domicile ou une soirée de babysitting par semaine devra-t-il être affilié au RSI ?
- de même, aucun seuil n'est prévu pour les ventes de biens : là encore, un particulier vendant régulièrement des objets sur une plate-forme doit-il être considéré comme un travailleur indépendant, quand bien même ses revenus ne seraient pas soumis à l'impôt sur le revenu dès lors qu'il s'agit d'objets d'occasion ?

En effet, la distinction risque de s'avérer délicate entre les activités couvertes par le dispositif (location de biens meubles ou immeubles) et les activités non couvertes. Des questions complexes pourraient se poser : les services annexes à la location d'un appartement sur une plate-forme, non seulement la remise des clés et le ménage, mais aussi une visite touristique du quartier, doivent-ils être pris en compte dans le calcul des seuils ? On peut légitimement craindre une série d'affiliations injustifiées et de contentieux, ou au contraire une multiplication des effets d'aubaine.
Enfin, l'affiliation au RSI d'une partie des utilisateurs de plates-formes collaboratives pose plusieurs sérieuses difficultés juridiques et pratiques, ce qui entraînera, là encore, des inégalités de traitement.
Même si le texte prévoit un droit d'option, pour les personnes qui sont déjà affiliées au régime général dans le cadre de leur activité principale, rien n'est prévu pour celles qui sont affiliées, toujours du fait de leur activité principale, à un autre régime (MSA, régime des fonctionnaires, etc.).
Dès lors, l'affiliation au RSI qui sera obligatoire, sans droit d'option possible pour certains, va s'avérer complexe, voire impossible, pour plusieurs catégories d'utilisateurs : les fonctionnaires, notamment.
L'article 7 de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires indique expressément qu'il est interdit au fonctionnaire : « de créer ou de reprendre une entreprise lorsque celle-ci donne lieu à immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à affiliation au régime prévu à l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale, s'il occupe un emploi à temps complet et qu'il exerce ses fonctions à temps plein. »
Les fonctionnaires sont aussi tenus de solliciter une autorisation écrite de cumul d'activité auprès de leur hiérarchie, limitée dans le temps.
La combinaison de cette règle et du dispositif proposé reviendrait ainsi à placer dans l'illégalité tout agent public louant un appartement sur une plate-forme qui lui procure un revenu supérieur aux seuils prévus. Aux interrogations nombreuses des parlementaires, le ministre du budget n'a pas apporté de réponse. Le fonctionnaire se voit ainsi privé de la gestion de son patrimoine.
Le cas est plus problématique encore pour les professions soumises à une stricte interdiction d'exercer une activité commerciale : magistrats, policiers, certaines professions réglementées. On pourrait aussi évoquer les chômeurs ou les bénéficiaires d'une pension d'invalidité, qui pourraient perdre leurs droits en louant leur appartement ou leur voiture.
Sur l'article 28 :
Cet article crée une contribution de 5,6 % assise sur le chiffre d'affaires des fournisseurs agréés de produits du tabac. Le produit de cette contribution, estimé à 130 millions d'euros, sera affecté à un fonds destiné au financement de la prévention et de la lutte contre le tabagisme.
Les redevables de la contribution sont les fournisseurs agréés de tabacs manufacturés au sens de l'article 565 (1°) du CGI, et les redevables du droit de consommation mentionnés à l'article 575 E du CGI. En pratique, et dans la mesure où un seul opérateur réalise la quasi-totalité des ventes de tabacs manufacturés, en qualité de fournisseur agréé, ce dernier est le redevable principal de cette contribution, à hauteur de 98 %. Comme cela été indiqué à plusieurs reprises lors du débat parlementaire, les fournisseurs agréés sont invités à répercuter le coût de la contribution sur les prix au public ou plus probablement sur les fabricants.
Si le principe d'une répercussion n'a pas été introduit en tant que tel dans le corps du texte, il a été introduit, par voie d'amendement, un alinéa visant à encadrer les modalités de répercussion de la contribution aux fabricants.
Ainsi, l'article L. 131-27 du CSS est complété par un alinéa II suivant lequel « la répercussion de la contribution mentionnée à l'article L. 131-27 sur les producteurs auprès desquels un fournisseur agréé de tabacs manufacturés mentionné au I de l'article 656 du code général des impôts s'approvisionne ne peut avoir pour effet, pour des produits du tabac d'un même groupe dont le conditionnement et le prix de vente au détail sont identiques, de conduire à ce que la part nette de ce prix attribuée aux différents producteurs diffère de plus de 5 % ».
La contribution mise à la charge des fournisseurs agréés de produits du tabac qui instaure une dualité entre le redevable légal de la contribution (les fournisseurs agréés) et le redevable économique (les fabricants de tabac) porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels exposés ci-après.
L'article 28 n'a pas sa place dans une LFSS car il n'entre pas dans le cadre des articles 34 de la Constitution et 1er de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale
L'article 28 figure dans la troisième partie de la LFSS portant sur les recettes de la sécurité sociale pour l'exercice 2017.
Toutefois, la mesure introduite à l'article 28 de la LFSS visant à encadrer les modalités de répercussion de la contribution aux fabricants est dépourvue d'impact financier sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement, relevant du champ des LFSS.
Sans influence sur les recettes de la sécurité sociale, l'encadrement des modalités de répercussion de la contribution et la détermination des prix nets de vente des fabricants aux fournisseurs agréés ne trouvent pas leur place dans la LFSS.
Dès lors, le II de l'article 28 de la LFSS pour 2017 est un « cavalier social » qui porte atteinte aux articles 34 de la Constitution et LO 111-3 du CSS.
Et, puisque l'applicabilité de l'ensemble de l'article 16 est conditionnée par la mise en œuvre d'un système destiné à limiter les répercussions financières de la contribution sur les producteurs français, il existe un lien certain entre le principe même de la taxe établi par le I de l'article 16, et les modalités de sa répercussion prévues par le II du même texte. On peut donc dire que c'est l'ensemble de l'article 16 qui devra être censuré sur ce motif.
L'article 28 porte atteinte à la liberté d'entreprendre en raison du caractère confiscatoire de la contribution (articles 4 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen)
Selon le Conseil constitutionnel (Cons. const. 29 déc. 2012, n° 2012-662, considérant 15), il revient au législateur de préciser les règles applicables pour déterminer la capacité contributive d'un contribuable au regard d'une contribution ou imposition donnée. Il doit s'appuyer sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objectif poursuivi par la loi. Le Conseil a néanmoins encadré ce principe : dans une décision de 2012 (Cons. const. 29 déc. 2012, n° 2012-662, considérant 68), il a ainsi considéré qu'au-delà d'un certain seuil, un taux d'imposition appliqué à certains revenus peut être considéré comme « manifestement excessif » ou « confiscatoire ». Cette règle s'applique aussi bien aux personnes physiques qu'aux personnes morales.
Or, l'exposé des motifs de cet article reconnaît lui-même que les bénéfices dégagés en France par les fournisseurs de produits du tabac sont relativement limités. Ceci est d'autant plus vrai pour les fournisseurs de taille et de rentabilité modestes qui ne sont pas en situation de répercuter cette taxe aux fabricants.
Le taux de 5,6 % de la nouvelle contribution contenue dans la LFSS pour 2017 est bien supérieur aux taux généralement fixés pour une taxe générale sur le chiffre d'affaires. Eu égard aux modalités spécifiques de réalisation de l'activité de distribution du tabac, c'est au regard de son incidence sur la marge commerciale des distributeurs (fournisseurs agréés) qu'il est pertinent d'apprécier du caractère ou non confiscatoire de cette contribution.
Le rendement escompté de la nouvelle contribution sur les produits du tabac s'établit à 130 millions d'euros, et il sera pour sa plus grande part à la charge du principal fournisseur agréé. Or la contribution représenterait plus de 79 % de sa marge commerciale, ce qui est manifestement confiscatoire.
L'article 28 porte atteinte à la liberté contractuelle caractérisée par l'obligation implicite faite au redevable de répercuter la contribution sur les fabricants et par l'encadrement de cette répercussion (article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen)
La mise en place d'une contribution devant nécessairement être répercutée sur un autre opérateur, qui plus est selon des modalités définies de façon contraignante par le législateur, porte une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle.
Il s'agit d'ailleurs d'une double atteinte, puisque ce texte non seulement repose sur le postulat implicite de la répercussion de la contribution aux fabricants mais encadre également les modalités de cette répercussion.
Par ailleurs, outre le caractère inintelligible du point II de l'article 28, qui ne prévoit d'ailleurs ni contrôle ni sanctions, il convient de relever que le mécanisme de répercussion imaginé par le Gouvernement influence directement la détermination des prix nets d'achat des distributeurs et donc leur marge commerciale.
Le postulat implicite de répercussion, l'encadrement des modalités de répercussion de la contribution ainsi que l'immixtion du législateur dans la fixation des prix nets d'achat et donc de la marge du distributeur portent une atteinte manifeste à la liberté contractuelle des opérateurs.
L'article 28 contrevient au principe de non-rétroactivité de la loi fiscale garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
Il résulte, en effet, des dispositions de l'article 28 de la LFSS pour 2017 que la contribution frappe les opérations dont le fait générateur intervient à compter du 1er janvier 2017 et qu'elle devra être acquittée pour la première année en 2018.
A défaut de mesure d'entrée en vigueur particulière prévue par la LFSS, la contribution entre en vigueur le lendemain de la publication de la loi au JORF et s'applique donc aux opérations dont le fait générateur intervient à compter de cette date.
Or, suivant les indications données par l'étude d'impact qui accompagnait la présentation de la mesure adoptée par l'article 16 de la LFSS, la contribution aurait un rendement attendu dès 2017.
En exigeant, comme il se déduit de l'étude d'impact déjà citée, le paiement de la contribution dès 2017, la contribution présenterait un caractère rétroactif incompatible avec l'article 16 de la DDHC puisque le « fait générateur » des opérations taxées serait antérieur à la date de son entrée en vigueur.
Sur l'article 32 :
L'article 32 réintroduit, sous une forme nouvelle, les clauses de désignation pourtant largement censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision 672 DC du 13 juin 2013.
En modifiant l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, il rétablit la faculté, pour les branches professionnelles, d'imposer sous la forme de codésignation des organismes assureurs pour la mise en œuvre des régimes de prévoyance (décès, incapacité, invalidité et inaptitude) dans les entreprises.
L'article 32 n'a pas sa place dans une LFSS car il n'entre pas dans le cadre des artides 34 de la Constitution et 1er de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale
L'article en cause présente les caractéristiques d'un cavalier social étant donné qu'il n'a pas d'effet sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Il a donc été adopté en violation des règles applicables au champ d'application des lois de financement de la sécurité sociale et doit, pour cette raison, être déclaré contraire à la Constitution.
L'article 32 porte une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre
A l'instar des clauses de désignation, la codésignation a pour conséquence d'imposer aux entreprises d'une branche un contrat d'assurance complémentaire de prévoyance qu'elles n'ont pas pu négocier, puisque les termes en auront été arrêtés par les partenaires sociaux dans le cadre de la branche.
Même si au moins deux organismes de prévoyance sont référencés au niveau de la branche, il n'en demeure pas moins que l'entreprise de la branche reste contrainte de suivre le choix des partenaires sociaux et de signer le contrat de référencement.
Au-delà du choix restreint de son cocontractant, c'est bien l'obligation de souscrire à un contrat de référence préétabli sans possibilité de négocier les clauses de celui-ci, et s'imposant aux entreprises, sans que celles-ci aient pu en discuter les conditions, qui porte une atteinte particulièrement significative à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789.
Or, cette atteinte ne peut pas être justifiée par le but de mutualisation du risque prévoyance au niveau de la branche. En obligeant les entreprises à souscrire un contrat qu'elles n'ont pas négocié, la codésignation implique une concentration du risque prévoyance qui va à l'encontre de tous les principes de diversification nécessaire dans les couvertures d'assurance. La codésignation se traduirait ainsi négativement sur les prix des couvertures d'assurance, mais aussi sur la qualité de la gestion et des services offerts aux salariés.
Par ailleurs, en introduisant une obligation d'avoir au moins deux organismes référencés, la liberté d'entreprendre et la libre concurrence des prestataires présents sur le marché ne sont pas garanties.
En effet, à ce jour la pratique du marché en présence de corecommandations et antérieurement de codésignations consistent en réalité à mutualiser l'intégralité des résultats des contrats par le biais d'un système de coassurance et de répartition des risques entre les organismes recommandés ou désignés.
Ce type de construction est une négation totale de la notion de concurrence puisque in fine les prestations, les tarifs, les coûts de gestion seront les mêmes, quels que soient les organismes choisis auprès desquels l'entreprise souscrira, constituant de fait un partage de marché.
En effet, la notion de mutualisation des risques à l'intérieur d'un même régime s'oppose à une véritable concurrence entre les organismes désignés.
Sur l'article 50 :
Au sein du système de retraite français, les professions libérales disposent d'une organisation autonome, constituée autour d'une Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) et de dix sections professionnelles. Cette organisation autonome trouve son fondement dans la loi n° 48-101 du 17 janvier 1948 relative à l'institution d'une allocation vieillesse pour les personnes non salariées, sensiblement modifiée par la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites.
La Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV), l'une des dix sections professionnelles, n'existe pour sa part que depuis 1978. Elle gère, pour le compte de la CNAVPL, le régime de retraite de base commun à l'ensemble des professions libérales relevant de ces dix sections et un régime de retraite complémentaire et un régime invalidité-décès propres aux professions libérales relevant de la CIPAV.
Chaque fois qu'une nouvelle profession non salariée apparaît, se pose la question du classement de la profession entre professions libérales, artisanales et commerciales. Si la profession n'est ni artisanale, ni commerciale, elle est classée en tant que profession libérale et relève de la CIPAV. Ce sont ainsi plus de 300 professions qui y sont affiliées.
Cet article a pour objectif la constitution, de manière progressive, d'un régime unique pour l'ensemble des risques sociaux, ouvert aux entrepreneurs qu'ils soient artisans, commerçants ou libéraux. A cela s'ajoute le transfert des futurs professionnels libéraux réputés « non réglementés » au régime social des indépendants (RSI).
Aux termes de la loi, resteraient affiliées à l'organisation autonome d'assurance vieillesse de professions libérales, et par conséquent à la CIPAV, les personnes exerçant l'une des professions expressément listées dans un nouvel article L. 640-1 du code de la sécurité sociale (architectes, experts-comptables, vétérinaires, etc.) et y serait désormais également affiliée toute profession libérale, autre que celle d'avocat, exercée par des personnes non salariées, étant précisé qu'un décret fixerait la liste de ces professions.
L'article 50 qui renvoie au pouvoir réglementaire le soin de déterminer le périmètre de Ia CIPAV, c'est-à-dire de déterminer le champ d'application du régime autonome d'assurance vieillesse et d'invalidité décès des professions libérales (en dehors des professions réglementées), est entaché d'incompétence négative du législateur.
Ce faisant, le législateur n'a fixé aucun critère pour déterminer quelles professions libérales continueront de relever du régime des professions libérales et lesquelles, à l'inverse, relèveront désormais du RSI. Celui-ci a laissé, sur ce point, un pouvoir entièrement discrétionnaire au pouvoir réglementaire.
Certes, il a été indiqué au cours des travaux préparatoires que le Gouvernement, en pratique, ne se déciderait qu'après concertation avec les professions intéressées, en vue de « permettre aux professionnels de se positionner sur le choix de continuer à relever de cette caisse ou de migrer vers le RSI », ce qui confirme la portée du décret considéré aux yeux du législateur. Pour autant, cela aurait dû figurer dans le texte de loi car le législateur ne saurait renvoyer à la négociation collective l'édiction de règles qui relèvent de sa compétence.
Le Conseil constitutionnel a toujours été attentif à ce que le législateur ne reporte pas sur une autorité administrative, notamment le pouvoir réglementaire, le soin de fixer des règles ou des principes dont la détermination n'a été confiée qu'à la loi.
Or, en matière de sécurité sociale, la compétence législative est définie par la disposition de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 aux termes de laquelle la loi « détermine les principes fondamentaux de la sécurité sociale ». Cette disposition a fait l'objet d'une abondante jurisprudence du Conseil constitutionnel, dont deux enseignements principaux ressortent.
En premier lieu, l'existence même d'un régime particulier de sécurité sociale (spécial ou autonome) et, par conséquent, sa création ou sa suppression, relèvent des principes fondamentaux de la sécurité sociale et donc de la compétence législative.
En second lieu, pour chaque régime de sécurité sociale (et donc notamment pour le régime des professions libérales), les principes de « la participation obligatoire à ce régime, la détermination des catégories de personnes qui y sont affiliées ainsi que la définition de la nature des conditions qui rendent cette affiliation obligatoire » font partie des principes fondamentaux ressortissant de la compétence législative.